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Clé d'ouverture sur le monde ou langue de Lord Durham? Analyse de cadrage du débat public sur l'enseignement intensif de l'anglais, langue seconde, au Québec

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Clé d'ouverture sur le monde ou langue de Lord

Durham? Analyse de cadrage du débat public sur

l'enseignement intensif de l'anglais, langue seconde, au

Québec

Thèse

Virginie Hébert

Doctorat en communication publique

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

(2)

Clé d’ouverture sur le monde

ou langue de Lord Durham ?

Analyse de cadrage du débat public sur l’enseignement intensif

de l’anglais, langue seconde, au Québec

Thèse

Virginie Hébert

Sous la direction de :

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Résumé

Cette thèse étudie le rôle joué par le mythe de l’anglais, langue universelle dans le cadrage du débat sur l’enseignement intensif de l’anglais au Québec, une problématique liée à l’enjeu sociopolitique de la question linguistique au Québec. Les théories du cadrage suggèrent que les différentes catégories d’acteurs (politiques, médiatiques et citoyens) « cadrent » les évènements en privilégiant certaines définitions des enjeux sociaux, influençant ensuite les perceptions qu’ont les individus de ces enjeux. Toutefois, pour être efficaces et mobilisateurs, les cadres doivent parvenir à « toucher une corde sensible ». Ils doivent faire écho à certains mythes ou récits historiques culturellement partagés (Snow et Benford, 1988). Or, du fait de son hégémonie à travers le monde, des chercheurs qualifient de « mythe » le discours qui fait de l’anglais la langue universelle et affirment qu’il joue un rôle stratégique dans le cadrage des enjeux linguistiques à travers le monde. Considérant le contexte sociolinguistique unique du Québec, où le français et l’anglais cohabitent et se concurrencent depuis longtemps, on peut se demander comment ce mythe influe sur la manière de cadrer ces enjeux. Dans certains débats entourant l’enseignement de l’anglais au Québec, on observe une tension entre deux manières de cadrer l’anglais : certains le décrivent comme une « clé d’ouverture sur le monde », promesse de réussite individuelle et de mobilité socioéconomique ; d’autres, au contraire, le voient comme la « langue de Lord Durham », une langue dominatrice dont l’expansion, particulièrement dans le contexte québécois, menace la langue française et le sentiment identitaire.

La thèse porte plus précisément sur le cadrage du débat public ayant entouré l’annonce d’une mesure d’enseignement intensif de l’anglais, entre février 2011 et 2015. Elle pose la question du rôle joué par le mythe de l’anglais, langue universelle dans ce débat. Réalisée selon un devis méthodologique mixte en trois phases, la recherche débute par une enquête historique qui trace la généalogie des cadres ayant balisé les débats sur l’enseignement de l’anglais au Québec. Dans un second temps, une analyse qualitative permet de répertorier et de décrire les mécanismes de cadrage et de raisonnement qui composent les différents cadres. Enfin, une analyse quantitative de contenu automatisée permet de valider leur présence sur un plus vaste échantillon de textes et de mesurer l’ampleur de leur mobilisation.

Les résultats soulignent, d’une part, la nature centrale et polarisante de l’enjeu de l’enseignement de l’anglais dans l’histoire québécoise et montrent qu’il constitue le terrain d’un affrontement idéologique dont la signification le dépasse. Si l’on constate une faible dominance du métacadre globalisant, on voit que cette perspective instrumentale et universalisante n’est pas le propre des

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récents débats, mais qu’elle s’exprime tout au long de la trame historique québécoise. La thèse permet également de constater la force et la résilience du métacadre nationalisant, particulièrement chez les acteurs citoyens, cela même si l’on observe les signes d’un déclin du mythe de l’anglais, langue de Lord Durham. Enfin, elle montre que, dans le débat québécois sur l’enseignement de l’anglais, le mythe de l’anglais, langue universelle procure un effet de résonance culturelle aux cadres qui le mobilisent. Il permet aux acteurs d’ancrer leur argumentaire dans un récit historique largement partagé et véhicule un certain éthos communicationnel. Il fournit ainsi une grille d’évaluation morale de l’enjeu qui permet de légitimer la position dominante de l’anglais dans le monde et, par le fait même, de justifier l’adoption de politiques favorisant son enseignement.

Enfin, la thèse répond au besoin, soulevé par certains chercheurs, d'études qui prennent en compte les dimensions culturelle, sociopolitique et idéologique du processus de cadrage (Oliver et Johnston, 2000). Elle contribue de plus à une meilleure compréhension du rôle des mythes dans ce processus et met en lumière les dynamiques de pouvoir qui concourent à l’émergence, à la montée en puissance, puis à la dominance de certains cadres. En outre, la thèse contribue à éclairer la manière dont se construit et s’articule localement le discours sur l’anglais comme langue mondiale. En combinant de façon unique certains concepts et méthodes d’horizons divers, l’approche méthodologique mixte privilégiée permet ainsi de poser un regard multidimensionnel sur un phénomène complexe et difficile à cerner.

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Abstract

This dissertation studies the role played by the Myth of English as the global language in framing the debate on the intensive teaching of English in Quebec; a notion closely related to Quebec's language issue. Framing theories suggest that different actors (political, media and citizens) "frame" events by favoring certain definitions of social issues, which later influence how individuals perceive these issues. However, to be effective and mobilizing, frames must “strike a chord”. They must resonate culturally with shared historical narratives or myths (Snow and Benford, 1988). In this sense, due to its hegemony around the world, some researchers describe the discourse that constructs English as the universal language as a "myth". They also suggest that this myth plays a strategic role in framing linguistic issues around the world. In the unique sociolinguistic context of Quebec, where the French and English languages have coexisted and competed for a long time, we may wonder how this myth influences the framing of linguistic issues. In some debates surrounding the teaching of English in Quebec, we do observe a tension between two ways of framing English: some describe it as a “key to opening up to the world”, a promise of individual success and social mobility; on the other hand, others see it as the "language of Lord Durham", a dominating language whose expansion, particularly in the Quebec context, threatens the French language and the feeling of collective identity.

The dissertation focuses on the framing of the public debate surrounding the announcement of a mandatory intensive English program policy, between February 2011 and 2015 in Quebec. It raises the question of the role played by the Myth of English as the global language in this debate. Using a three-phase mixed methods research design, the dissertation begins with a historical survey tracing the genesis of the frames and myths emerging from different public debates on the teaching of English. In a second step, a qualitative analysis allows us to list the different frames and describe framing and reasoning devices that compose them. Finally, a quantitative automated content analysis of documents from sources involved in the debate helps validate and measure the frames’ presence in this public debate.

The results underline the central and polarizing nature of the issue of the teaching of English as a second language in Quebec history and show that it represent a terrain for a long-lasting ideological struggle. We observe a weak dominance of the globalizing master frame and we also note that this instrumental and universalizing perspective is not specific to recent debates, but that it is rather expressed throughout Quebec's history. The study also shows the strength and resilience of the nationalizing master frame, particularly among citizens involved in the debate, even though we

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observe signs of a decline of the myth of English as Lord Durham’s language. Finally, it shows that, in the Quebec debate on the teaching of English, the myth of English as the global language, provides a cultural resonance effect to the frames which mobilizes it. It allows actors to anchor their arguments in a widely shared historical narrative and conveys a certain communication ethos. It thus provides a moral evaluation grid of the issue which makes it possible to legitimize the dominant position of English in the world and, by the same token, to justify the adoption of policies favoring its teaching. The thesis responds to the need, raised by some researchers, for studies that take into account the cultural, socio-political and ideological dimensions of the framing process (Oliver and Johnston, 2000). It also contributes to a better understanding of the role of myths in this process and highlights the power dynamics that contribute to the emergence, the rise in power, and then the dominance of certain frames. In addition, the thesis helps to shed light on the understanding of how discourse on English as the global language is constructed and articulated locally. By uniquely combining certain concepts and methods from various research traditions, the favored mixed methodological approach offers a multidimensional look to the complex phenomenon of framing and helps to better understand its process.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iv

Table des matières ... vi

Liste des figures, tableaux, graphiques ... x

Liste des abréviations, sigles, acronymes ... xiii

Remerciements ... xv

Introduction ... 1

Chapitre 1.Problématique : la question du discours sur l’anglais, langue universelle ... 4

1.1. Introduction ... 4

1.2. Globalisation linguistique et enseignement de l’anglais : 2 enjeux stratégiques ... 4

1.3. Le rôle de la langue dans la construction des « communautés imaginées » ... 9

1.4. La dimension symbolique de la question linguistique ... 11

1.5. L’anglais, lingua franca universelle : un mythe ? ... 13

1.6. Le débat québécois sur l’enseignement de l’anglais comme objet de recherche ... 15

1.7. Objectifs et pertinence scientifique de la recherche ... 19

Chapitre 2.Cadre théorique et conceptuel : cadrage, cadres, mythes et idéologies... 21

2.1. Introduction ... 21

2.2. Le cadrage : un pont entre culture et cognition... 21

2.2.1. Le paradigme cognitif : les effets du cadrage... 21

2.2.2. Le paradigme constructionniste : construction sociale et résonance culturelle ... 23

2.2.3. Le paradigme critique : pouvoir et idéologie ... 28

2.2.4. Notre approche : un modèle constructionniste critique du cadrage ... 33

2.2.5. Opérationnalisation du processus de cadrage ... 35

2.3. L’idéologie : le pouvoir d’agir sur le sens commun ... 37

2.3.1. L’approche critique : l’idéologie comme fausse conscience... 38

2.3.2. L’approche totalisante : l’idéologie comme vision du monde ... 39

2.3.3. L’approche plurielle : l’idéologie comme projet politique ... 40

2.3.4. Hégémonie, doxa et sens commun ... 41

2.3.5. Définition privilégiée de l'idéologie ... 42

2.4. Le mythe : l’art de toucher une corde sensible ... 44

2.4.1. Du mythos au logos ou la voie de la raison ... 44

2.4.2. L’étude des mythes « sacrés » ... 45

2.4.3. L’étude des mythes contemporains ... 47

2.4.4. Mythes et narrations journalistiques : le processus d’élaboration d’un récit collectif .. 51

2.4.5. Le mythe : notre définition et opérationnalisation ... 53

2.5. Propositions générales de recherche ... 56

2.5.1. Nationalisme vs globalisme : le grand combat idéologique contemporain ? ... 57

2.5.2. Un affrontement entre métacadres nationalisant et globalisant... 62

2.5.3. Esquisse des mythes mobilisés ... 64

2.6. Conclusion ... 65

Chapitre 3.Méthodologie : une approche mixte en trois temps... 66

3.1. Ancrage paradigmatique : une perspective réaliste-critique ... 66

(8)

3.2. Devis de recherche : un modèle mixte exploratoire et « circulaire » ... 69

3.2.1. Une approche compréhensive ... 69

3.2.2. Un processus itératif ... 69

3.2.3. Un déroulement en trois temps ... 71

3.3. L’enquête historique : une approche généalogique du cadrage ... 72

3.3.1. Objectifs et questions de recherche de l’enquête historique ... 72

3.3.2. Période à l’étude ... 72

3.3.3. Méthodes d’enquête et dépouillement des sources ... 73

3.4. L’analyse qualitative des données : une étude approfondie du contenu des cadres ... 76

3.4.1. Objectifs de l’analyse qualitative ... 76

3.4.2. Une méthode inspirée de la théorisation enracinée ... 76

3.4.3. Sélection du corpus par échantillonnage théorique ... 77

3.4.4. Un processus d’analyse itérative en 6 étapes ... 78

3.5. L’analyse quantitative de contenu : une mesure de la mobilisation des cadres ... 79

3.5.1. Objectifs, questions et hypothèses de l’analyse quantitative ... 79

3.5.2. Description du corpus à l’étude ... 80

3.5.3. Méthode d’analyse de contenu automatisée ... 82

3.5.4. Mode d’enregistrement et de numération ... 83

3.6. Conclusion ... 84

Chapitre 4.Genèse des cadres et des mythes : première partie, 1780-1949 ... 85

4.1. Introduction : langue de Lord Durham ou langue universelle ? ... 85

4.2. L’anglais, langue universelle : trajectoire historique d’un mythe colonial britannique ... 86

4.2.1. L’expérience indienne et l’émergence du mythe ... 87

4.2.2. L’idéal d’une éducation « utile » : l’anglais, clé du progrès... 88

4.2.3. Les Canadiens et la « grandeur » de l’anglais ... 90

4.3. « Nos institutions, notre langue et nos lois » : vers un métacadre nationalisant, 1791-1840 91 4.3.1. Le français... en attendant l’anglais : une perspective instrumentale ... 91

4.3.2. La querelle des prisons : la naissance d’une rivalité ethnolinguistique ... 93

4.3.3. Le journal « Le Canadien » et l’émergence d’un sentiment national ... 95

4.4. Le « moment Durham » : la naissance d’un mythe, 1840-1867... 96

4.4.1. Le rapport Durham : le triomphe de la conception libérale ... 96

4.4.2. « Faire de nécessité vertu » : Étienne Parent et l’assimilation... 98

4.4.3. Les Lettres sur l’éducation : une opération de cadrage ? ... 99

4.4.4. L’anglomanie à l’ordre du jour ... 100

4.4.5. Faire mentir Durham : à l’origine d’un mythe ... 101

4.4.6. Le français, âme nationale. L’anglais, langue de Lord Durham ... 102

4.5. « Apprenez l’anglais » : la montée en puissance du métacadre libéralisant, 1867-1913 .... 104

4.5.1. « Moins de langues mortes et plus de langues vivantes » ... 104

4.5.2. Une nécessité du temps ... 108

4.5.3. L’anglosaxonnisme, les crises scolaires et l’enjeu de la langue d’enseignement ... 109

4.6. Clef du succès ou « boulet au pied » ? : confrontation des cadres, 1919-1942 ... 111

4.6.1. Entre tradition et progrès : un contexte à la croisée des chemins ... 111

4.6.2. « Des Saxons parlant français ? » : le débat sur l’enseignement précoce de l’anglais 112 4.6.3. « Savoir l’anglais ou crever » : la querelle du bilinguisme ... 117

4.6.4. Le bilinguisme des Canadiens français : une question d’unité et de défense... 120

4.7. Conclusion ... 122

Chapitre 5.Genèse des cadres et des mythes : deuxième partie, 1950-2011 ... 123

5.1. « Les chaînes du bilinguisme » : l’apogée du métacadre nationalisant, 1957-1977 ... 123

5.1.1. L’École de Montréal : l’émergence d’un nouveau récit historique ... 123

(9)

5.1.3. La langue du patron : la servitude du bilinguisme ... 126

5.1.4. La Guerre froide, Sputnik, et l’enseignement des langues ... 128

5.1.5. Les expériences scientifiques québécoises : une réaction explosive ... 132

5.1.6. Le Rapport Parent : la langue seconde comme objet culturel ... 134

5.1.7. Quand l’anglais met le feu aux poudres : la crise de Saint-Léonard et ses suites ... 136

5.1.8. Le plan Cloutier de développement des langues : une stratégie ? ... 139

5.1.9. Le projet de loi 22 : concilier l’irréconciliable ... 140

5.1.10.Loi 101, Livres vert et orange : le refus de la nécessité du bilinguisme ... 142

5.1.11.La langue comme outil politique : la promotion du bilinguisme individuel ... 144

5.2. Un passeport pour le monde : la montée du métacadre globalisant, 1989-1994 ... 145

5.2.1. La question linguistique au cœur du processus de globalisation... 146

5.2.2. La confiance linguistique des Québécois : un enjeu clé ... 149

5.2.3. Le rapport Chambers : briser le mur psychologique de l’accès à l’école anglaise... 152

5.2.4. Recadrage discursif : retour à une nécessité économique du bilinguisme ... 154

5.2.5. « Nuls en anglais ? » : de la confiance au sentiment d’échec ... 156

5.2.6. L’immersion : un enjeu trop politique ? ... 158

5.2.7. De l’immersion à l’anglais intensif : le lobbyisme de la SPEAQ ... 161

5.3. Une compétence essentielle : l’apogée du métacadre globalisant, 1995-2011 ... 163

5.3.1. Les États généraux sur l’Éducation, sur fond de débat référendaire ... 163

5.3.2. La réforme Marois : le « virage du succès » ... 164

5.3.3. En marge de la Commission Larose : l’anglais comme compétence fondamentale ... 166

5.3.4. Le rapport du Groupe de travail sur l’enseignement de l’anglais ... 167

5.3.5. Le Plan Legault : « L’enseignement efficace d’un anglais fonctionnel » ... 168

5.3.6. « Créer l’intérêt » : le Plan d’action pour les langues officielles ... 171

5.3.7. La fin du « tabou » du bilinguisme ... 174

5.3.8. Le rapport Bouchard-Taylor : l’anglais, langue de l’ouverture sur le monde ... 176

5.3.9. « L’unilinguisme des pauvres » : le débat sur les écoles passerelles ... 177

5.3.10.« Québec français, Québécois bilingues ! » : tous vers l’anglais intensif ... 179

5.4. Conclusion ... 181

Chapitre 6.Le contenu des cadres : constats de l’analyse qualitative ... 183

6.1. Introduction ... 183

6.1.1. Rappel des objectifs et méthodes de l’analyse qualitative ... 183

6.1.2. Constats généraux... 183

6.1.3. Structure de la présentation et conventions d’écriture ... 185

6.2. Le métacadre nationalisant ... 186

6.2.1. Le cadre de la menace identitaire ... 186

6.2.2. Le cadre de l’héritage ... 192

6.2.3. Le cadre de l’injustice collective ... 197

6.2.4. Le cadre du combat ... 201

6.2.5. Le cadre du rempart ... 205

6.2.6. Le cadre de l’éducation humaniste ... 208

6.2.7. Le cadre du troupeau dérouté ... 211

6.3. Le métacadre globalisant ... 216

6.3.1. Le cadre de l’outil essentiel ... 216

6.3.2. Le cadre du droit individuel ... 220

6.3.3. Le cadre du progrès ... 223

6.3.4. Le cadre du consensus rationnel ... 227

6.3.5. Le cadre de l’instruction utilitariste... 231

6.3.6. Le cadre du capital ... 234

(10)

6.4. Conclusion ... 245

Chapitre 7.Une cartographie du cadrage : résultats de l’analyse quantitative de contenu .. 247

7.1. Introduction ... 247

7.2. Résultats ... 248

7.2.1. Consensus ou débat polarisé ? Portrait des positions à l’égard de l’enjeu ... 248

7.2.2. Le cadrage général de l’enjeu : métacadre globalisant ou nationalisant ? ... 250

7.2.3. Position et cadrage : quel lien entre les deux ? ... 253

7.2.4. Un cadrage stratégique selon la nature des intérêts des différents groupes ... 254

7.2.5. Schéma d’une compétition des cadres... 260

7.2.6. La mobilisation des cadres par type d’acteur social ... 261

7.2.7. L’analyse des correspondances entre cadres et types d’acteurs sociaux ... 262

7.2.8. L’analyse des correspondances entre cadres et sous-groupes d’acteurs sociaux ... 265

7.2.9. Exploration de la dynamique de contestation des cadres ... 267

7.3. Discussion ... 273

7.4. Conclusion ... 275

Chapitre 8.Synthèse, interprétation et pistes de réflexion ... 276

8.1. Introduction ... 276

8.2. Retour sur les résultats ... 276

8.3. Pistes d’interprétation et de réflexion ... 280

8.3.1. L’enseignement de l’anglais au Québec : un dialogue de sourds ? ... 280

8.3.2. Modélisation du processus de cadrage : la métaphore du View-Master ... 283

8.3.3. Une mécanique au service d’un combat idéologique ... 286

8.3.4. Le rôle du mythe de l’anglais, langue universelle ... 287

8.3.5. Le renouvellement perpétuel du métacadre globalisant ... 291

8.3.6. Le déclin du mythe de l’anglais, langue de Lord Durham ... 291

8.4. Conclusion ... 293

Conclusion ... 294

Retour sur la démarche ... 294

Limites de la recherche... 295

Contributions au savoir et implications pratiques ... 297

Nouvelles pistes de recherches ... 300

Réflexions finales ... 301

Bibliographie ... 303

Références tirées du corpus ... 326

Articles de journaux ... 326

Lettres d'opinion ... 331

Commentaires ... 332

Communiqués ... 336

Discours, points de presse et allocutions ... 337

Mémoires, rapports et monographies ... 337

Reportages télévisés ... 339

Annexe A - Exemple de carte conceptuelle ... 340

Annexe B - Liste des acteurs sociaux analysés ... 341

(11)

Liste des figures, tableaux, graphiques

Liste des tableaux

Tableau 2.1 - Différences entre les concepts de mythes, de cadres et d’idéologies ... 43

Tableau 3.1 - Corpus de l’enquête historique ... 75

Tableau 3.2 - Corpus de l’analyse quantitative ... 82

Tableau 6.1 - Matrice du métacadre « nationalisant »... 215

Tableau 6.2 – Matrice du métacadre « globalisant » ... 244

(12)

Liste des figures

Figure 2.1 - Organigramme des théories du cadrage ... 23

Figure 2.2 - Organigramme des théories de l’idéologie... 38

Figure 2.3 - Organigramme des théories du mythe ... 53

Figure 3.1 - Modélisation du devis de recherche ... 71

Figure 4.1 - Extrait de l’article « À propos d’anglais » dans La Vérité ... 107

Figure 4.2 - Extrait d’une lettre de Mgr Ross, Le Devoir ... 115

Figure 4.3 - Article « Savoir l’anglais ou crever! », Le Jour ... 119

Figure 5.1 - Une bombe derrière l’édifice de la CECM, La Presse ... 133

Figure 5.2 - Le dossier « Nul en anglais ? », La Presse ... 160

Figure 5.3 - Dépliant L’anglais intensif pour tous au primaire : un bagage pour l’avenir ... 173

Figure 5.4 - Lettres de Gérard Deltell et Pierre Curzi, La Presse ... 180

Figure 5.5 - Chronologie des débats sur l’enseignement de l’anglais au Québec ... 182

Figure 6.1 - Personnification de la nation ... 188

Figure 6.2 - Métaphore familiale ... 193

Figure 6.3 - Métaphore de l'esclavage ... 199

Figure 6.4 - Métaphore du combat ... 201

Figure 6.5 - Métaphore territoriale ... 206

Figure 6.6 - Métaphore de l’édifice ... 209

Figure 6.7 - Métaphore horticole ... 210

Figure 6.8 - Métaphore du troupeau dérouté... 213

Figure 6.9 - Métaphore du télégraphe ... 216

Figure 6.10 - Métaphore de la prison ... 222

Figure 6.11 - Métaphore du train en mouvement... 225

Figure 6.12 - Métaphore de la lumière ... 230

Figure 6.13 - Métaphore industrielle... 233

Figure 6.14 - Métaphore de la commodité ... 235

Figure 6.15 - Métaphore du capital ... 236

Figure 6.16 - Métaphore de la compétition sportive ... 237

Figure 6.17 - Métaphore du village global ... 240

Figure 8.1 - Le métacadre nationalisant ... 284

Figure 8.2 - Le métacadre globalisant ... 284

(13)

Liste des graphiques

Graphique 7.1 - Distribution globale des positions à l’égard de l’enjeu... 249

Graphique 7.2 - Distribution des positions par type d’acteur social (% des textes) ... 249

Graphique 7.3 - Distribution globale des métacadres (% des codes) ... 251

Graphique 7.4 - Mobilisation des métacadres par type d’acteur (% des codes) ... 252

Graphique 7.5 - Pourcentage des métacadres selon la position (% des codes) ... 253

Graphique 7.6 - Couverture des métacadres par groupes d’intérêts (% des codes) ... 255

Graphique 7.7 - Couverture des métacadres par types d’experts (% des codes) ... 256

Graphique 7.8 - Couverture des métacadres par types de journalistes (% des codes) ... 257

Graphique 7.9 - Couverture des métacadres par types de citoyens (% des codes) ... 258

Graphique 7.10 - Couverture des métacadres par types d’acteurs politiques ... 259

Graphique 7.11 - Proportion des cadres tous acteurs confondus (% des codes) ... 261

Graphique 7.12 - Analyse des correspondances cadres/types d’acteurs sociaux ... 263

Graphique 7.13 - Analyse des correspondances cadres/sous-types d’acteurs ... 266

Graphique 7.14 - Pourcentage de contestation des cadres (% des codes)... 269

Graphique 7.15 - Contestation du cadre du combat par type d’acteurs ... 270

Graphique 7.16 - Contestation du cadre de la menace identitaire par type d’acteurs ... 271

Graphique 7.17 - Contestation du cadre du rempart par type d’acteurs ... 272

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Liste des abréviations, sigles, acronymes

ACSQ Association des cadres scolaires du Québec ADQ Action démocratique du Québec

AQETA Association québécoise des troubles d'apprentissage

AQPDE Association québécoise du personnel de direction des écoles BAnQ Bibliothèque et Archives nationales du Québec

BRICS Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud CAQ Coalition avenir Québec

CCCELS Commission canadienne de coordination de l’enseignement de la langue seconde CECM Commission des Écoles Catholiques de Montréal

CECRL Cadre européen commun de référence pour les langues

CERIUM Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal CPF Canadian parents for French

CSLF Conseil supérieur de la langue française CSQ Centrale des syndicats du Québec ENAP École nationale d’administration publique FAE Fédération autonome de l’enseignement FCPQ Fédération des comités de parents du Québec FPEP Fédération du personnel de l'enseignement privé

FQDE Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement FSE Fédération des syndicats de l’enseignement

MELS Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport MEQ Ministère de l’Éducation du Québec

MNQ Mouvement national des Québécoises et des Québécois MQF Mouvement Québec français

PLQ Parti libéral du Québec

PQ Parti Québécois

QUAL Qualitatif QUAN Quantitatif

RCCPALS Regroupement des conseillers et conseillères pédagogiques en anglais langue seconde RIN Rassemblement pour l’indépendance nationale

SPEAQ Société pour la promotion de l’enseignement de l’anglais, langue seconde, au Québec

SSJB Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal TESL Teaching English as a Second Language UQTR Université du Québec à Trois-Rivières

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Remerciements

Ouf ! J’y suis enfin. Cette thèse marque l’aboutissement d’une grande aventure dans laquelle plusieurs personnes m’ont accompagnée, de près et de loin. Tout d’abord, du fond du cœur, merci à mon directeur de thèse, Thierry Giasson. Thierry, je t’ai appelé un matin avec cette idée un peu folle d’entreprendre un doctorat. Tout de suite, tu m’as écoutée et encouragée. Tu as cru en cet embryon de projet que je tentais tant bien que mal d’exposer. Sans cet accueil chaleureux, peut-être en serais-je restée là ? Au fil de ces années, tu m’as soutenue, souvent poussée, écoutée dans les passages difficiles, et tu as su t’enthousiasmer avec moi dans les moments de joie. Merci pour ton ouverture, ton engagement, ta générosité. Enfin, merci pour la liberté que tu m’as laissée de faire une thèse qui me ressemble, « ma » thèse. Je t’en serai toujours reconnaissante.

Merci à mes professeurs et collègues du Département d’Information et de communication de l’Université Laval, pour la qualité de l’encadrement et les précieux commentaires. En retournant sur les bancs d’école, j’avais soif de rigueur, de discussions approfondies et de défis. Avec vous, j’ai trouvé tout cela. Un merci tout particulier à monsieur François Demers, pour son écoute, ses conseils et ses encouragements. Merci également à Isabelle Clerc pour sa confiance, sa chaleur et son accueil, ainsi qu’à Martin Pâquet, du Département d’histoire, pour ses précieux commentaires et son soutien.

Mon parcours doctoral n’aurait pas été le même sans les chercheurs et collègues du Groupe de recherche en communication politique (GRCP). Quel privilège j’ai eu de vous connaître et de vous côtoyer ! Grâce à vous tous, au fil des séminaires et des présentations, j’ai non seulement rédigé une thèse, mais j’ai appris à devenir une chercheure. Pour votre intérêt, vos conseils et encouragements, merci à Mireille Lalancette, Colette Brin, Frédéric Bastien, Stéphanie Yates, Tania Gosselin, Juliette De Maeyer, Olivier Turbide, Pénélope Daignault. Un merci tout particulier à Simon Thibault, pour sa confiance et pour nos échanges toujours riches. Merci également à mes généreux collègues et amis doctorants, dont Geneviève Chacon, Catherine Lemarier-Saulnier, Émilie Foster, Jean-Charles Del-Duchetto, Emmanuel Choquette, Carol-Ann Rouillard, David Dumouchel, Sabrina Sassi et Bader Ben Mansour.

Pour réaliser cette thèse, j’ai également bénéficié du soutien financier de certains organismes. À ce titre, je remercie le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le programme de Bourses Bell Média en journalisme, le Département d’information et de communication, le Groupe de

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recherche en communication politique (GRCP) et le Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique (CECD).

J’adresse mes derniers remerciements à mes proches, qui ont su m’entourer d’amour, me donner la confiance nécessaire pour poursuivre, et parfois me forcer à « décrocher » lorsque nécessaire… Merci à ma mère, Nicole, lectrice no 1, pour son soutien indéfectible. Tu m’as toujours encouragée à réfléchir, à rêver, à voir grand, à oser. Il y a de toi partout dans cette thèse. Pour leur appui moral, les longues marches, les soupers, fous rires, merci à mes précieux et précieuses ami(e)s Valérie, Élyse, Martine, Isabelle, Shanti, Eve, Kiki, Camille, Madeleine, Vincent, Guillaume, Stéphane. Je suis choyée de vous avoir dans ma vie. Un merci particulier à toi, Gaston, pour tes précieux commentaires et ton soutien.

Enfin, à Alain, Zoé et Élie, qui partagent ma vie, il n’y a pas de mot pour exprimer ma gratitude. Zoé, Élie, je sais… ce n’est pas évident d’avoir une mère doctorante ! Merci d’avoir accepté de me laisser partir à Québec chaque semaine. Merci pour votre amour, votre compréhension, vos étreintes et vos regards de fierté. Je vous dois cette thèse. Enfin, mes derniers mots sont pour toi, Alain. Merci d’être là, contre vents et marées, à mes côtés. Tous les jours tu m’as écoutée, encouragée, supportant mes états d’âme et mes angoisses, me répétant sans cesse que c’était important, que j’étais près du but. Merci. C’est avec toi que j’y suis arrivée.

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Introduction

Notre langue, c’est notre identité, c’est notre force. Notre langue, c’est un instrument de liberté. En cela, il n’y a aucune opposition entre la pleine maîtrise du français et la connaissance d’une deuxième et d’une troisième langue. J’annonce que les élèves de sixième année du primaire consacreront la moitié de leur année à l’apprentissage intensif de l’anglais.

– Jean Charest, Premier ministre du Québec, 23 février 2011

Quelques mois avant d’achever cette thèse, alors que les aléas de la rédaction me font quelque peu perdre de vue son essence, une discussion avec une amie, croisée au hasard, me ramène au point de départ de ma réflexion. Son garçon, en 5e année du cours primaire, doit bientôt bénéficier de la mesure

d’anglais intensif instaurée par le gouvernement de Jean Charest en 2011. Comme son fils connait certaines difficultés scolaires, cette amie a des inquiétudes concernant ce programme, qui oblige tous les enfants à voir l’ensemble des matières en une demi-année scolaire. Plus largement, elle s’interroge sur le message envoyé aux enfants dans un contexte où la langue française lui apparaît fragile. Elle tente alors d’obtenir des réponses lors d’assemblées scolaires, mais en vain. Lorsqu’elle se lève pour poser ses questions, les gens soupirent et semblent agacés. Quel intérêt à questionner un programme qui « fonctionne », qui a fait ses preuves ? Pourquoi critiquer une mesure qui paraît motiver les enfants, même ceux qui éprouvent des difficultés ? Qui, dans le contexte actuel de globalisation économique, ne rêve pas de voir son enfant parler couramment anglais ? Ses questions, croit-elle, ne sont pas les bienvenues. Elle perçoit autour d’elle une sorte d’unanimité, mais aussi de sensibilité autour de cet enjeu. Parents, professeurs, élèves, tous, me dit-elle, semblent d’accord avec le principe : il faut allouer le temps nécessaire pour que les enfants du Québec maîtrisent cet outil essentiel, cette clé d’ouverture sur le monde que constitue l’anglais. À ses yeux, il y a dans son école, une forme de « tabou » autour de la mesure d’anglais intensif.

C’est précisément cette impression de « faux consensus » autour de cette mesure qui a suscité l’amorce de cette thèse, huit (8) ans auparavant. Revenons à ce point de départ. Le 23 février 2011, à l’occasion du discours d’ouverture de la session législative, le premier ministre du Québec, Jean Charest, procède à l’annonce suivante : tous les élèves francophones québécois consacreront désormais la moitié de leur 6e année primaire à l’apprentissage de l’anglais, langue seconde. Un débat social s’ensuit, les uns arguant l’importance de consacrer davantage d’heures à l’apprentissage de l’anglais dans un contexte de globalisation, les autres invoquant divers effets négatifs sur la réussite des élèves ou, encore, craignant pour la pérennité de la langue française au Québec. Néanmoins, rares

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sont ceux qui contestent le bien-fondé d’une telle mesure. En dépit des avis divergents, un postulat semble baliser le débat : l’anglais, lingua franca mondiale, est désormais nécessaire à la réussite future des élèves québécois.

Pourtant, plusieurs voix ailleurs dans le monde s’élèvent pour questionner, voire pour critiquer ce discours hégémonique qui fait de l’anglais la langue universelle de communication. Des chercheurs qui s’y intéressent le qualifient de « mythe », affirmant qu’il joue un rôle dans le cadrage des débats liés aux enjeux linguistiques (Grin, 2012, 2014 ; Pennycook, 2004, 2007 ; Watts, 2011; Park et Wee, 2012). D’entrée de jeu, précisons que le concept de « mythe », sur lequel nous reviendrons ultérieurement, n’est pas entendu ici au sens d’une fiction ou d’une légende, mais d’un récit idéologique tenu pour vrai par un groupe social donné (Flood, 1996). Symboles condensés, les mythes agissent en tant que cadres implicites de référence permettant d’éclairer les compréhensions sociales et politiques des différents enjeux. Ils s’avèrent donc de puissants instruments à la disposition des différents acteurs sociaux afin d’orienter le sens du débat public. Le mythe de l’anglais, langue universelle « cadrerait » l’anglais comme un gage de succès économique, de mobilité professionnelle et d’ouverture sur le monde et favoriserait ainsi la promotion de son enseignement dans le monde.

C’est donc ce mythe qui est l’objet de cette recherche et, plus largement, le processus de cadrage du débat sur l’enseignement intensif de l’anglais, au Québec. Précisément, la thèse questionne le rôle qu’il joue potentiellement dans le débat public, alors que de nombreux acteurs sociaux s’affrontent dans le but d’imposer leur vision de l’enjeu. Les théories du cadrage suggèrent que les acteurs politiques et médiatiques usent de stratégies rhétoriques et argumentatives afin de privilégier certaines définitions des enjeux sociaux ; un processus de cadrage qui influerait ensuite sur les perceptions qu’ont les citoyens de ces enjeux (Entman, 2009). Le débat public québécois sur l’intensification de l’enseignement de l’anglais nous apparait donc comme un lieu fécond pour observer la manifestation de telles stratégies de cadrage, puisqu’il revêt historiquement une forte dimension identitaire, politique et symbolique, considérant notamment le statut mythique accordé à la langue française dans l’imaginaire québécois. Dans ce contexte, il nous semble pertinent de nous demander : d’où vient ce récit qui fait de l’anglais la langue universelle ? Comment se manifeste-t-il dans le discours des différents types d’acteurs sociaux québécois ? Quels sont ceux qui en font la promotion et à quelles fins ? Enfin, plus globalement, quel rôle joue-t-il dans l’adoption de politiques linguistiques et éducatives telle celle de la mesure d’anglais intensif ?

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La structure de cette thèse s’articule en huit chapitres. Le premier chapitre pose la problématique générale, les objectifs et la pertinence scientifique de la recherche. Le second chapitre est consacré à présenter son cadre théorique et conceptuel. Nous y proposons un tour d’horizon des différentes approches théoriques qui marquent les concepts du cadrage, de l’idéologie et du mythe. Nous terminons en esquissant quelques propositions générales qui guident le développement de la recherche. Le troisième chapitre détaille la méthodologie privilégiée. Après avoir présenté l’ancrage paradigmatique de la thèse, nous discutons de l’approche méthodologique mixte qui la caractérise, présentons le devis de recherche et détaillons les différentes méthodes utilisées. Les sections suivantes sont consacrées à présenter les résultats des différentes étapes de la recherche. Dans un premier temps, par le biais de l’enquête historique, les chapitres 4 et 5 font le récit de la genèse des cadres et des mythes qui animent le débat québécois sur l’apprentissage de l’anglais. Le chapitre 6 expose les constats de l’analyse qualitative du débat et propose une typologie des cadres. Le chapitre 7 présente ensuite les résultats de l’analyse quantitative de contenu. Enfin, le dernier chapitre fait la synthèse de ces résultats, propose une modélisation du processus de cadrage, et discute de certaines pistes d’interprétation et de réflexion.

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Chapitre 1. Problématique :

la question du discours sur l’anglais, langue universelle

1.1. Introduction

Ce premier chapitre présente la problématique générale de la thèse. Dans un premier temps, nous revenons sur le contexte actuel de globalisation et sur les défis qu’il pose d’un point de vue linguistique. Nous traitons du rôle stratégique joué par la langue dans le développement des nations, de la globalisation linguistique et de la place qu’y occupe la question de l’enseignement de l’anglais. Les dimensions symbolique et subjective de cette globalisation linguistique sont ensuite abordées, c’est-à-dire les discours et récits qui entourent l’anglais et son expansion. Enfin, nous présentons en détail l’objet spécifique de cette thèse : le débat québécois entourant la mesure d’enseignement intensif de l’anglais, langue seconde, au primaire. Nous établissons les objectifs spécifiques de cette recherche et discutons de sa pertinence scientifique.

1.2. Globalisation linguistique et enseignement de l’anglais : 2 enjeux stratégiques

Dans le contexte contemporain de la globalisation, l’enseignement des langues constitue un enjeu stratégique complexe qui fait débat non seulement au Québec, mais un peu partout dans le monde. La question linguistique, qui inclut forcément celle de l’expansion mondiale de l’anglais, représente une dimension incontournable de la globalisation et du XXIe siècle. Précisons d’emblée les raisons qui

nous poussent à utiliser le néologisme « globalisation » (parfois considéré comme un anglicisme) plutôt que le terme « mondialisation », souvent utilisé comme synonyme et traduction de l’anglais globalization. Comme le soulignent Guy Rocher (2001) et Alain Crochet (1996), si le terme anglais global peut signifier indifféremment mondial, international ou global, la langue française, elle, permet de marquer une distinction entre ces différentes réalités. « Global », en français, fait référence à une totalité, à un ensemble qui possède « des propriétés que ses composantes n’ont pas » (Crochet, 1996, paragr. 21). « Mondial », au contraire, ne possède pas ce sens total, signifiant simplement qu’un phénomène est relatif au monde entier. L’usage du concept de globalisation, comme l’affirme Marc Abélès, renvoie ainsi à une certaine perception particulière de la mondialisation qui met l’accent sur une accélération de l’interdépendance via les réseaux de connexion et « qui se traduit par la perception empirique chez les individus, par-delà leurs attaches territoriales et leurs identités culturelles, d’une appartenance à un monde global » (2012, p. 8). De manière paradoxale, cette confusion traductologique se trouve à mettre au jour la dimension linguistique inhérente à la compréhension même de ces phénomènes. Dans la présente recherche, nous utilisons donc le terme « globalisation »

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pour désigner ce « système-monde » (Rocher, 2001, p. 19) et ainsi mieux cerner cette finalité particulière à l’idéologie globaliste. Nous gardons néanmoins à l’esprit que, dans son acception courante, le terme mondialisation est souvent utilisé pour désigner cette même réalité.

Selon Mark Fettes, auteur de l’article The geostrategies of interlingualism (2003), la possibilité même d’un système globalisé passe par la question du choix d’un moyen de communication permettant de franchir la barrière linguistique. Malgré différentes solutions envisageables (plurilinguisme, langues construites, traduction automatique), le rôle de lingua franca est aujourd’hui dévolu de facto à l’anglais qui, fort d’une expansion sans précédent, se retrouve en incontestable position de domination mondiale. L’anglais, affirme David Crystal, est maintenant présent à la grandeur du globe : dans chaque continent et sur les îles des trois grands océans. Cette expansion inédite permet de lui accoler l’étiquette de « langue universelle » et, affirme Crystal, de faire de cette étiquette une réalité. Ayant désormais imprégné tous les principaux domaines de la vie internationale (affaires, politique, communication, éducation, etc.), cette nouvelle lingua franca universelle devient une « commodité » appréciée de millions de personnes à travers le monde (Crystal, 2003, p. 30). Pour une société dont les membres aspirent à intégrer le processus de globalisation, elle est donc perçue comme une fenêtre sur le monde et un outil d’empowerment (Pan et Block 2011, p. 393). Son apprentissage fait figure de passerelle qui permet d’accéder au fameux « village global ». Parce qu’elle constitue un capital important, mais également dans l’imaginaire qu’elle transporte, la langue de Shakespeare représente un lieu de croisement où entrent en relation les échelles locale et mondiale.

Si la plupart des chercheurs s’entendent sur la dimension exceptionnelle du phénomène de l’expansion mondiale de l’anglais, le débat demeure néanmoins ouvert quant à ses conséquences potentielles. Alors que plusieurs voient en cette langue un nouvel esperanto (Archibugi, 2005 ; Crystal, 2003 ; Davies, 1996 ; Widdowson, 1997), d’autres s’inquiètent des conséquences potentielles de son universalisation. Du point de vue linguistique, plusieurs mentionnent leur inquiétude pour l’équilibre et la diversité mondiale, alors que plus de 70% des langues du monde seraient potentiellement menacées de disparition dans moins d’un siècle (Barbier, 2016; Hagège, 2000, 2012 ; Hamel, 2010 ; Wolton, 2013). Ces chercheurs, comme Dominique Wolton, considèrent la question de la diversité linguistique comme un enjeu central de la globalisation puisqu’elle représente la condition première de la diversité culturelle :

Comprendre les autres, accéder aux autres civilisations, aux autres cultures, nécessite la diversité linguistique qui est la condition de la diversité culturelle. Sans diversité culturelle, la mondialisation suscitera rejet, refus et révoltes. Car la culture, c’est ce qui nous structure (p. 33).

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Une langue, affirme Dominique Wolton, constitue une vision du monde. Dans un monde soumis à l’homogénéisation culturelle, à l’idéologie de la modernisation et au pouvoir global des médias, elle devient le bastion ultime de cette résistance culturelle (p. 32). Certains, comme Bernard Lamizet, estiment qu’il ne peut y avoir de langue universelle, car les langues ne se pensent que dans un rapport mutuel, participant ainsi à la définition des territoires symboliques et culturels. Aux dires de Lamizet, « il n’y a même pas de langue originaire, ni d’origine des langues, car les langues inscrivent dans l’histoire les cultures et les espaces sociaux de communication qu’elles irriguent, comme les territoires inscrivent dans l’espace les pays et les citoyennetés auxquels ils donnent leur consistance » (2002, p. 172). Les langues, poursuit-il, « sont les systèmes symboliques de représentation et de communication par lesquels les hommes inscrivent leur appartenance dans des logiques d’échange et dans des systèmes de représentation du monde ».

Toutefois, pour le traductologue Michaël Oustinoff (2013, 2016), la problématique posée par la domination de l’anglais va désormais au-delà de la défense de la diversité linguistique. Dans le contexte d’un monde de plus en plus « multipolaire », tandis qu’émergent d’autres puissances alternatives à la domination américaine, la prédominance de l’anglais est mise à l’épreuve. Sur Internet, sa présence s’est d’ailleurs vue considérablement réduite, passant de 80% du total au début des années 2000 à 25% en 2013. Cette constatation fait dire à Oustinoff que : « l’idée que la langue de la mondialisation est appelée à être l’anglais est certes une idée simple, mais surtout simpliste et qui ne résiste pas à l’épreuve des faits » (2013, paragr. 1). D’après François Grin, économiste des langues et auteur du rapport L’enseignement des langues étrangères comme politique publique, préparé pour le Haut Conseil de l’évaluation de l’école, en France, les discussions à propos de l’« anglais international » masquent des enjeux de pouvoir et d’inégalités. En conséquence, estime-t-il, cette question ne peut être posée sans tenir compte de la « dynamique des langues ». Chargé d’analyser la question de l’enseignement des langues étrangères comme politique publique, Grin compare trois scénarios en termes d’efficacité et d’équité : le « tout-à-l’anglais », le plurilinguisme1

et l’espéranto2. De ces trois options, son étude révèle que c’est le scénario du tout-à-l’anglais qui

s’avère le plus inéquitable et coûteux (en termes essentiellement financiers) pour les pays non anglophones. Selon Grin (2005), cette solution de l’anglais « condamne le français, et avec lui toutes

1 Le «plurilinguisme» suppose que la communication internationale est organisée et se déroule dans plusieurs langues (Grin,

2005, p. 73). Sans réduire les coûts, affirme Grin, le plurilinguisme réduit les inégalités entre locuteurs (p. 7-8).

2Le scénario «espéranto», une langue construite et utilisée comme langue internationale véhiculaire, « apparaît comme le plus avantageux, car il se traduirait par une économie nette, pour la France, de près de 5,4 milliards d’Euros par année et, à titre net pour l’Europe entière (Royaume-Uni et Irlande compris), d’environ 25 milliards d’Euros annuellement » (2005, p. 7). Néanmoins, le scepticisme à l'égard de l'espéranto rend pratiquement impraticable la mise en œuvre de ce scénario.

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les langues d’Europe sauf l’anglais, à la provincialisation. Certains parleraient même d’inféodation, avec toutes les conséquences géopolitiques et culturelles incalculables que cela comporte » (p. 105). Dans son rapport, publié en 2005, Grin évalue au bas mot à 10 milliards d’euros par année les gains alors tirés par le Royaume-Uni du fait de la dominance de l’anglais, cela sans tenir compte des « effets symboliques » que tirent ses locuteurs natifs de cette situation. Conséquemment, il voit d’un œil négatif l’adoption de politiques publiques qui accéléreraient l’hégémonie linguistique exercée par l’anglais. Une telle évolution, affirme-t-il, « s’avère inefficace en termes d’allocation des ressources, injuste en termes de distribution des ressources, dangereuse pour la diversité linguistique et culturelle, et préoccupante quant à ses implications géopolitiques » (p. 6).

Dans un sens similaire, le sociologue français Jean-Claude Barbier, directeur de recherche au CNRS, n’hésite pas à parler des « dommages de l’anglais comme langue véhiculaire » (2016, p. 111). Dans ses recherches, qui portent sur la comparaison des systèmes de protection sociale en Europe et aux États-Unis, Barbier constate que la situation provoque des phénomènes d’exclusion qui « mettent en avant une opposition entre des "élites" parlant et comprenant l’anglais et les citoyens ordinaires ». La première forme d’exclusion, affirme Barbier, « est celle des citoyens ordinaires de l’Union européenne, qui, en raison de leur incompétence majoritaire dans la langue anglaise, se trouvent, pour l’essentiel, exclus de fait de la politique européenne telle qu’elle se fait, c’est-à-dire en anglais » (p. 111). Même parmi certains groupes d’élite comme les chercheurs en sciences humaines, chez qui l’on croit la langue anglaise très répandue, affirme Barbier, seule une petite partie serait en mesure de la parler « bien ou couramment ». En 2012, l’Eurobaromètre révélait que seulement 38% des citoyens européens pouvaient tenir une conversation dans cette langue. Le choix tacite de l’anglais comme langue véhiculaire, conclut Barbier, contribue donc à accroître les inégalités sociales : « comme l’anglais est la langue de fait de la politique européenne, le clivage majeur au sein de chaque nation et de l’Union elle-même s’accroît entre les locuteurs de l’anglais et les autres [...] » (p. 112). La situation actuelle dans l’Union européenne remettrait ainsi en cause la capacité de nombreux citoyens de participer pleinement à l’activité politique qui s’y déroule principalement en anglais. Cette situation d’inégalité potentielle conduit plusieurs chercheurs à poser un regard résolument critique sur le phénomène. Ils parlent d’impérialisme linguistique (Canagarajah, 1999 ; Phillipson, 1992 ; Holborow, 2015), de néocolonialisme (Pennycook, 1998, 2016) ou encore, d’hégémonie linguistique (Ives, 2004 ; Sonntag, 2003 ; Hamel, 2010 ; Grin, 2014 ; Park et Wee, 2012). Cette diffusion mondiale de l’anglais, affirment-ils, ne découlerait pas de choix individuels autonomes, mais serait plutôt le fruit du pouvoir économique et politique et de l’idéologie linguistique libérale ou néolibérale. Sa

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propagation aurait, dans les faits, été largement soutenue à des fins politiques par des fonds privés et gouvernementaux.

Cette dominance mondiale de la langue de Shakespeare dessine en outre un autre paradoxe : plusieurs voix s’élèvent désormais dans le monde anglo-saxon pour contester cette situation et redouter qu’elle ne se retourne contre les anglophones. La puissance de leur langue n’aurait pas incité ces derniers à développer un réflexe d’apprentissage des langues étrangères, les laissant aujourd’hui massivement monolingues et potentiellement désavantagés dans un monde de plus en plus linguistiquement concurrentiel (Ives, 2006, p. 121, Oustinoff, 2016, p. 82). Dès 1997, David Graddol sonnait l’alarme dans une étude produite pour le British Council et intitulée The Future of English ? A Guide to Forecasting the Popularity of English in the 21st Century. La même crainte d’un déficit linguistique des jeunes Britanniques était évoquée par la British Academy dans son rapport Language Matters en 2009, puis soulignée davantage, en 2011, dans Language Matters more and more :

We can no longer assume that English is the global language par excellence – 75% of the world’s population do not speak English. For example, it has been estimated that within 20 years most pages on the internet will be in Chinese. And the proportion of internet usage conducted in English is already on the decline, falling from 51 per cent to 29 per cent between 2000 and 2009. Recent years have a seen a sharp rise in both the publication and citation rates of scientific papers authored by Asian researchers. If the global centre of gravity for scientific research shifts eastwards, there is no guarantee that English will be the preferred language (The British Academy, 2011, p. 4).

En plus de la problématique du déficit linguistique, l’étude de Graddol (1997) évoque en outre la possibilité d’un « scénario catastrophe » où, en raison de l’hégémonie de l’anglais à travers le monde, cette langue en viendrait à susciter un mouvement de rejet au profit d’autres langues : « These trends suggest a “nightmare scenario” in which the world turns against the English language, associating it with industrialisation, the destruction of cultures, infringement of basic human rights, global culture imperialism and widening social inequality » (p 62). Cette dimension paradoxale du phénomène de l’expansion mondiale de l’anglais fait dire à François Grin (2014) et Michaël Oustinoff (2016), qu’il est nécessaire de remettre en question un certain nombre d’idées reçues le concernant. À cet effet, Grin affirme entre autres que : « l’importance de l’anglais dans la société globalisée est surestimée de manière générale » (p. 129). Il rappelle que, selon l’enquête de l’Eurobaromètre sur les compétences linguistiques des résidents de l’Union européenne (2012), « seuls 7 % des non-natifs de l’anglais savent "très bien" cette langue, et 17 % la savent bien ». Grin (2014b) rappelle en outre que 70% de la population mondiale ne sait pas l’anglais. « Affirmer, dit-il, comme certains journalistes le répètent trop hâtivement, que "l’anglais est la langue universelle" n’est même pas une approximation ou une imprécision : c’est de l’aveuglement, ou c’est une tromperie sur la marchandise » (p. 22). Oustinoff

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argue quant à lui qu’avec le déclin de la puissance américaine amorcée avec la crise financière de 2008 et la montée en puissance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), nous vivons désormais dans un monde multipolaire où l’on assiste à un retournement en faveur des langues romanes. L’option du tout-anglais apparaît désormais comme une solution obsolète : « Persister à le promouvoir, conclu Oustinoff, c’est avoir non une modernité d’avance, mais une modernité de retard » (p. 85).

1.3. Le rôle de la langue dans la construction des « communautés imaginées »

Devant la complexité et la multidimensionnalité du phénomène de l’expansion de l’anglais, certains chercheurs, comme le politologue Peter Ives (2006), se surprennent du peu d’attention portée à ses aspects politiques. Selon Ives, cette faible contribution des théoriciens du politique est d’autant plus étonnante, considérant l’abondante littérature sur les effets de la globalisation et l’influence de la thèse de Benedict Anderson sur le rôle central des langues dans la formation historique des États-nations (Ives, 2006, p. 121). La question de la globalisation linguistique renvoie en effet à celle du rôle constitutif de la langue dans l’espace public et, par conséquent, à celui qu’elle joue dans la construction des « communautés imaginées » que constituent les nations. Cette problématique rejoint la thèse développée par Anderson (2002) dans son ouvrage fondateur sur le nationalisme, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme. Selon Anderson, la convergence entre le capitalisme et l’imprimerie aurait conduit à l’essor de certaines langues vernaculaires, créant ainsi des « champs d’échange et de communication » qui auraient, eux, favorisé la naissance de consciences nationales. À travers l’acte de lire ensemble, de nouvelles « communautés imaginées » auraient vu le jour, présidant ainsi à la formation d’un sentiment national et, ultimement, des États-nations :

Les locuteurs de français, d’anglais ou d’espagnol fort divers, à qui il était difficile – voire impossible – de se comprendre dans la conversation, purent désormais se comprendre via l’imprimé et le papier. Ce faisant, ils prirent progressivement conscience que des centaines de milliers, voire des millions de personnes appartenaient à leur champ linguistique particulier, mais que ce champ se limitait à celles-là. Dans leur invisibilité visible, séculière et particulière, ces co-lecteurs, auxquels ils étaient associés par l’imprimé, formaient un embryon de communauté nationale imaginée (Anderson, 2002, p. 55, l’auteur qui souligne).

Pour Manuel Castells, ces communautés nationales ne sont toutefois pas qu’« imaginaires ». Elles résultent d’un lent processus historique de construction culturelle, au cours duquel la langue joue un rôle fondamental. Cette dernière fournit, selon Castells, le lien entre la sphère privée et la sphère publique, entre le présent et le passé, servant de base à l’établissement d’un sentiment national :

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« I would make the hypothesis that language, and particularly a fully developed language, is a fondamental attribute of self-recognition, and the establishment of an invisible national boundary less arbitrary than territoriality, and less exclusive than ethnicity » (Castells, 2010, pp. 55‑56).

Dans une perspective similaire, le sociologue Jean Widmer consacre une importante partie de ses travaux à explorer ces liens entre langues, espace public et identités collectives. Selon Widmer, ce qui est pertinent à cet égard n’est pas la langue « comme telle » en tant que code, ni les compétences linguistiques des individus, mais plutôt le rapport qu’entretient une collectivité envers une même langue. Par la métaphore de l’architecture, Widmer montre comment ce rapport permet de configurer cet espace commun et ainsi de déterminer « l’horizon symbolique » dans lequel se déroule l’expérience sociale. Ce rapport aux langues, affirme-t-il, « participe de l’architecture de l’espace public, c’est-à-dire de la manière dont la collectivité se manifeste à ses membres en tant qu’espace interne, en tant qu’horizon symbolique des délibérations et des décisions politiques » (2004, p. 6). Servant non seulement à communiquer, la langue, affirme Widmer (1996), constitue l’une des institutions métasociales du « Nous » (p. 226). Elle participe à définir les territoires symboliques et culturels d’une collectivité et ainsi à tracer les frontières de l’espace public. Moyen névralgique de circulation de l’information nécessaire à la tenue du débat et à la formation d’une opinion publique, la langue interroge à la fois les conditions d’existence d’un espace de communication et le processus de construction symbolique qui y survient.

La globalisation linguistique pose ainsi un problème théorique important. Dans son article La transnationalisation de la sphère publique, Nancy Fraser rappelle la perspective originale du concept d’espace public, qui s’appuie sur le concept moderne d’État-nation « westphalien »3 et suppose un

territoire défini ainsi qu’une langue nationale de communication. Ainsi, selon Fraser, la théorie de l’espace public a toujours été implicitement nationaliste (2011, p. 3). En effet, si les théories de la délibération et de la communication ont largement pris appui sur le concept d’espace public, elles ont pourtant souvent ignoré le fait que cet espace correspond à celui de l’État-nation, rappelle Philip Schlesinger dans l’article Communication Theories of Nationalism (2001). Selon Schlesinger, la formation historique de l’espace public émerge parallèlement à l’avènement du nationalisme et à la formation des États-nations. La communication publique s’avère donc fondamentalement liée aux « structures symboliques » de la nation. Les frontières de l’espace public, souligne Schlesinger,

3 L'État-nation « westphalien » fait référence au concept moderne de « souveraineté étatique » qui remonte au Traité de

Westphalie (1648). Selon Amitav Acharya, « c’est précisément cette idée de l’État-nation – autorité politique souveraine, structure territoriale clairement définie, et capable d’exister et d’agir sans intervention des autres États – qui est censée avoir été rendue obsolète par la mondialisation » (Acharya, 2001, p. 386).

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coïncident ainsi avec celles de la communauté politique de dimension nationale. Or, si la langue est une dimension fondamentale de l’espace public national, se demande Nancy Fraser, et par le fait même une condition de la démocratie, qu’en est-il dans cet hypothétique espace public globalisé ? Comment cet espace « transnational », où l’anglais s’impose de plus en plus comme unique lingua franca contribuant par le fait même à l’exclusion d’un certain nombre d’acteurs, peut-il se revendiquer d’être inclusif ? Et comment l’opinion publique qui en émane pourrait-elle être considérée comme légitime ? Les enjeux linguistiques, conclut Fraser, complexifient la légitimité et l’efficacité de l’opinion publique dans un monde « post-westphalien ».

1.4. La dimension symbolique de la question linguistique

Ainsi, au-delà des conséquences objectives de la globalisation linguistique (impacts linguistiques, socioéconomiques, culturels, etc.), ses dimensions subjective et symbolique méritent également analyse (Steger, 2009, p.9). Nous référons ici aux discours et récits qui entourent l’anglais et son expansion, à ce qu’ils symbolisent et au rôle qu’ils jouent dans l’adoption de politiques publiques concernant son enseignement. Pour bon nombre de chercheurs, le véritable problème n’est pas celui de l’expansion de l’anglais en soi, mais plutôt de ce discours hégémonique qui fait de l’anglais la langue universelle de communication. D’après la politologue Selma K. Sonntag : « Cette idéologie linguistique conçoit l’anglais comme une langue véhiculaire ou lingua franca neutre et utile, que les individus peuvent choisir d’acquérir comme instrument ou comme compétence » (2010, p. 35). Dans moult débats entourant les politiques linguistiques ou éducatives, l’expansion de l’anglais est ainsi présentée comme un phénomène naturel et inévitable auquel les États et les individus doivent nécessairement tenter de s’adapter (Demont-Heinrich, 2007 ; Ives, 2006). C'est notamment le cas de David Crystal, qui suggère que statut mondial de l'anglais est dû au au fait qu'il se soit trouvé « au bon endroit, au bon moment » (2003, p. 120). Or, précise Sonntag, c’est l’acceptation « institutionnalisée répandue et non forcée » de cette idéologie linguistique qui constitue l’hégémonie. En outre, pour François Grin, c’est précisément l’emprise de cette croyance en l’inévitabilité de l’expansion de l’anglais qui constitue la justification principale à partir de laquelle de nombreux États choisissent d’investir massivement dans l’apprentissage de cette langue ; un choix qui, en retour, contribue lui-même à son expansion. De ce fait, Grin soulève l’urgence d’analyser les arguments qui composent ce discours et sous-tendent certaines politiques en matière d’enseignement des langues, comme la perception voulant que l’anglais soit demandé par les parents. « De tels arguments », affirme-t-il, « relèvent d’un contexte et sont eux-mêmes contingents, en cela que cette

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forte demande sociale et cette dominance géopolitique ne sont pas indépendantes des choix stratégiques opérés par les autorités éducatives, en France comme ailleurs » (Grin, 2005, p. 12).

Dans un sens similaire, et s’appuyant sur la théorie des échanges linguistiques développée par Pierre Bourdieu (2001 [1991], 1977), plusieurs chercheurs arguent qu’on assiste, depuis quelques années, à une marchandisation (commodification) des questions linguistiques (Cameron et Block, 2002 ; Heller et Duchêne, 2012 ; Holborow 2015 ; Park et Wee, 2012 ; Ives, 2014). Selon ces derniers, le nouveau discours lié à la globalisation néolibérale favorise une conception de plus en plus utilitaire de la langue et de la communication, qui met l’accent sur les questions économiques plutôt que politiques, minimisant les questions d’identité pour s’attarder aux considérations individuelles des compétences linguistiques. Certains d'entre eux, dont Monica Heller (2008), s'accomodent de cette marchandisation linguistique et en appellent à « repenser les discours reliant langue, culture, identité et citoyenneté » (p. 163) pour mettre l'accent sur le plurilinguisme, soit sur la valeur économique des compétences langagières. D'autres, comme Marnie Holborow (2015) ou Peter Ives (2014) sont plus critiques de cette conception linguistique instrumentale. À l’instar de Bourdieu, tous ces chercheurs s’attardent néanmoins à la dimension symbolique de la communication, qu’ils conçoivent, non pas comme une simple opération de chiffrement-déchiffrement, mais plutôt en termes de rapports de force symbolique. Pour Bourdieu : « La langue n’est pas seulement un instrument de communication ou même de connaissance mais un instrument de pouvoir » (1977, p. 20). Les langues, affirme-t-il, n’ont pas de valeur en soi (c’est-à-dire de valeur linguistique), mais bien une valeur sociale. La valeur qu’on leur accorde en tant que capital linguistique, n’advient que parce qu’elles sont en concurrence les unes entre les autres : « une langue, affirme Bourdieu, vaut ce que valent ceux qui la parlent […] » (1977, p. 22). Or, à cet effet, le pouvoir de l’anglais est aujourd’hui tel que sa légitimité s’en trouve pratiquement incontestée. Par conséquent, les multiples investissements dans le capital linguistique de l’anglais se feraient au principal bénéfice des locuteurs de cette langue, avec comme conséquence de renforcer l’ordre mondial actuel (Phillipson, 2008, p. 3).

Pour les sociolinguistes Deborah Cameron et David Block, qui adoptent la perspective de Bourdieu, le contexte de globalisation modifie donc le cadre conceptuel de la communication et, par conséquent, les termes dans lesquels on débat des enjeux linguistiques (2002, p. 6). Plus que jamais, disent-ils, la langue est perçue comme une « commodité » qui permet d’accroître le statut, ou le capital social et symbolique d’un individu. Cette marchandisation du langage tendrait à remplacer certaines idéologies traditionnelles où les langues sont vues comme les principaux symboles des identités nationales (Block et Cameron, p. 5). Par conséquent, elle affecterait les motivations individuelles à

Figure

Figure 2.1 - Organigramme des théories du cadrage
Figure 2.2 - Organigramme des théories de l’idéologie
Tableau 2.1 - Différences entre les concepts de mythes, de cadres et  d’idéologies
Figure 2.3 - Organigramme des théories du mythe
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