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Chapitre 5. Genèse des cadres et des mythes : deuxième partie, 1950-2011

5.1.10. Loi 101, Livres vert et orange : le refus de la nécessité du bilinguisme

La Charte de la langue française – ou loi 101 - va alors plus loin qu’aucune loi n’est encore allée au sujet de la promotion de la langue française (Veltman, 1996). Le français est déclaré seule langue de l’Assemblée nationale et des tribunaux ; les entreprises de plus de 50 employés sont tenues de participer à des programmes de « francisation » ; seuls les enfants dont les parents sont allés à l’école anglaise sont admis dans les écoles anglaises ; les entreprises sont tenues de n’utiliser que le français dans l’affichage extérieur ; enfin, les francophones obtiennent le droit d’être servis en français. La loi 101 est vivement dénoncée par la communauté anglophone qui la considère comme un désaveu de l’anglais, autrefois dominant, en faveur du français, mais également comme le symbole d’un Québec beaucoup plus nationaliste qu’avant.

Dans le document présentant la Politique québécoise de la langue française et déposé à l’Assemblée nationale par Camille Laurin, on trouve explicitée la vision gouvernementale concernant le statut accordé à l’anglais et à l’enseignement des langues secondes. À la différence du Rapport Gendron, sa lecture permet de constater le métacadre nationalisant à partir duquel ce gouvernement aborde l’enjeu. S’il prend acte de certains postulats répandus dans la population c’est d’abord pour mieux les nuancer, voire pour s’en distancier. Ainsi questionne-t-on la prémisse voulant que l’anglais soit nécessairement la langue des affaires, une langue dynamique, tournée vers l’avenir :

On s’est persuadé peu à peu que l’anglais est la langue du monde moderne, de la science, de l’Administration. Les manuels scolaires utilisés dans nos établissements d’enseignement sont souvent rédigés en anglais. À l’inverse, on a pensé volontiers que le français convient bien à la littérature, aux métiers traditionnels, aux vieilles techniques ; comme s’il manquait de dynamisme, de créativité, comme s’il avait du mal à exprimer les choses nouvelles (Gouvernement du Québec, 1977).

Si l’on admet que l’anglais puisse être nécessaire à certains francophones, on rejette l’idée voulant que le bilinguisme individuel soit forcément bénéfique à la société québécoise en entier :

Si l’anglais est d’usage dans de larges cercles de l’économie ou de la science nord-américaines, on conviendra néanmoins qu’il n’est pas nécessaire ni pour l’économie ni pour la science que tout le monde le pratique dans sa vie quotidienne. Au Québec comme au Mexique, il n’est pas indispensable qu’une serveuse de restaurant ou un garagiste sachent immédiatement répondre en leur langue aux clients qui les abordent. Il n’est pas non plus évident que les cadres d’une entreprise doivent parler anglais parce que l’un d’entre eux est, sur le territoire du Québec, un unilingue anglais (p. 27).

C’est donc l’apprentissage des langues secondes et non de la langue seconde qui est présenté comme un enrichissement personnel et nécessaire pour la société. Aussi, l’efficacité de cet enseignement n’est considérée qu’à condition que la « survie de la langue française » puisse être assurée. Si l’enseignement de l’anglais se voit accorder une place prépondérante, c’est principalement en raison de la situation géographique du Québec, et non parce qu’il jouerait un rôle de lingua franca mondiale. Enfin, la lecture du document nous permet de constater que l’enjeu de l’enseignement de l’anglais est présenté dans un cadre politisé, où les contexte social, économique, et politique ne peuvent être dissociés d’autres facteurs :

Tant et aussi longtemps que la langue de la promotion sociale et économique avait été pour eux la langue anglaise, les 61% d’unilingues français du Québec s’étaient en grande partie vus confinés à des emplois subalternes. Pour cette catégorie de travailleurs chroniquement défavorisés, il allait de soi qu’il n’y avait d’autre « langue seconde » que la langue anglaise, clé obligée de tout espoir de promotion (p. 29).

Cette question de « la langue seconde », conclut-on, ne doit pas être présentée aux Québécois de manière abstraite sans tenir compte du contexte dans lequel elle s’insère.

En octobre 1977, le gouvernement du Parti Québécois publie son Livre vert sur l’enseignement primaire et secondaire qui est suivi d’une vaste consultation publique dans toutes les régions du Québec. Le projet du gouvernement revoit alors les finalités éducatives et les objectifs de l’École québécoise et donne lieu à une réforme de l’ensemble des programmes scolaires. Le Livre orange, publié en 1979 constitue le plan d’action faisant suite au Livre vert. Au chapitre de l’enseignement de l’anglais, le gouvernement choisit alors d’accorder une importance accrue à l’enseignement de la langue maternelle et de retarder à la 4ème année l’enseignement de l’anglais. Il justifie ce choix par

l’absence de consensus social en ce qui a trait à l’apprentissage de la langue seconde ainsi qu’à la nécessité de préserver la qualité de la langue française :

Les opinions sont actuellement très partagées sur les exigences de l’apprentissage d’une langue seconde, de même que sur le moment le plus propice pour amorcer cet apprentissage. La situation du Québec sur le continent nord-américain impose aux écoles françaises l’enseignement de l’anglais, langue seconde, mais elle invite aussi à la prudence eu égard à notre souci de préserver la qualité de la langue française. C’est pour cette raison que le gouvernement juge nécessaire d’accorder une importance accrue à

l’enseignement du français et il fixe le début de l’enseignement de la langue seconde au plus tôt à la première année du second cycle (Gouvernement du Québec, 1979, paragr. 12.5.1).

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