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Chapitre 5. Genèse des cadres et des mythes : deuxième partie, 1950-2011

5.2. Un passeport pour le monde : la montée du métacadre globalisant, 1989-1994

5.2.3. Le rapport Chambers : briser le mur psychologique de l’accès à l’école anglaise

Au moment où un sentiment de confiance linguistique semble gagner les Québécois francophones, on observe dans le discours des Anglo-Québécois l’expression d’une nouvelle inquiétude face au statut de leur langue et à la survie même de leur communauté. Ces derniers prennent alors appui sur la baisse des effectifs scolaires dans le réseau anglophone (57 % depuis 1972) pour justifier leurs inquiétudes. Durant cette période, le statut accordé à la langue anglaise prend une importance stratégique pour la communauté anglophone, qui se manifeste avec vigueur dans le débat sur l’avenir politique du Québec et réclame le rétablissement du bilinguisme. Plusieurs articles de journaux laissent alors planer un exode massif des jeunes anglophones si la situation linguistique ne change pas. Afin de répondre à ces inquiétudes, et dans l’objectif de freiner ce dépérissement et d’assurer le maintien des institutions du réseau anglophone, le ministre de l’Éducation, Michel Pagé, met sur pied le Groupe de travail sur le réseau scolaire anglophone, présidé par Gretta Chambers, journaliste québécoise et chancelière de l’Université McGill.

Durant l’année suivante, le groupe mène une vaste consultation sur le sujet, déposant, au début 1992, son rapport mieux connu sous le nom de Rapport Chambers. Pour stopper la baisse d’effectifs et d’assurer la survie des institutions scolaires anglophones, le groupe préconise l’élargissement de l’accès à l’école anglaise aux immigrants ayant déjà entrepris leurs études en anglais dans leur pays d’origine. Cette idée d’un accès élargi à l’école anglaise est toutefois matière à controverse au Québec. La proposition soulève immédiatement l’ire du Parti Québécois et des milieux nationalistes, entraînant même un certain déchirement au sein du caucus libéral. Néanmoins, dans un document qu’il présente la veille de sa démission, le ministre Pagé répond favorablement à plus de 80% des recommandations soumises par le comité Chambers, laissant ainsi à sa successeure, Lucienne Robillard, le soin de mettre en œuvre ces propositions. À la fin de l’année 1992, devant la controverse suscitée, le gouvernement Bourassa choisit toutefois de remettre à plus tard l’application de la principale recommandation du Rapport Chambers, afin d’en évaluer davantage les conséquences.

En février 1993, tentant d’apaiser la controverse suscitée par le dépôt de son rapport un an auparavant, Gretta Chambers revient à la charge avec une nouvelle proposition. Elle suggère alors que les Québécois francophones et allophones puissent faire deux années du cours secondaire dans une école du réseau anglophone. Cette proposition d’immersion, affirme-t-elle, tout en travaillant à assurer la survie des institutions scolaires anglophones, « constituerait "une façon de briser le mur psychologique" en ce qui concerne l’accès à l’école anglaise » (Pratte, 1993). Elle aurait également l’avantage de permettre aux francophones d’apprendre l’anglais : « Ça donnerait une chance aux

francophones. Les gens veulent que ça se passe en français au Québec, mais ils sont aussi inquiets devant les lacunes de l’enseignement de l’anglais langue seconde » affirme alors Chambers, citée dans un article d’André Pratte du 24 février 1993.

Comme le mentionne Josée Legault dans son article du Devoir du 15 novembre 1993, il importe de s’attarder à l’approche stratégique utilisée par les leaders anglophones de l’époque, qui vont alors faire de cet accès élargi à l’école anglaise, leur priorité absolue. Les principaux porte-paroles de cette revendication, soit les leaders d’Alliance Québec et du Parti Égalité, puisent leurs arguments à même le rapport Chambers. C’est d’ailleurs le « rejet » des anglophones par les francophones qu’ils identifient comme l’obstacle le plus important au renouvellement de cette communauté. Ce sentiment de rejet, argue le rapport, serait provoqué par le refus des francophones d’élargir l’accès à l’école anglaise : « Ce sont donc les questions de reconnaissance et de survie de la population anglo- québécoise, que pose le rapport par le biais de celle des écoles », affirme Josée Legault. Dans un éditorial publié le 25 mars 1993 dans The Gazette et intitulé Acceptability of language is anglos' only yardstick, Gretta Chambers, explique comment le statut accordé à la langue anglaise constitue, aux yeux de la communauté anglophone, l’instrument principal lui permettant de « mesurer » ses chances de survie au Québec. Dans la bataille que les anglophones livrent désormais pour préserver la qualité et la quantité de leurs forces au Québec, la langue devient pour eux, un outil politique. Mais cette communauté est toujours confrontée à la vision nationaliste d’un Québec unilingue français où la langue constitue le ciment de la société. Cette vision, sans être partagée par tous les Québécois francophones, jouit toujours d’une vaste résonance, affirme Chambers: « But the Societe's vision of Quebec as a society in which language conformity is not only the glue but also the raison d'etre has resonance well beyond the confines of ultra-nationalism. It is not simply a function of separatist sentiments » (Chambers, 1993). Les leaders de la communauté anglophone vont ainsi réclamer la liberté pour les parents francophones d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise. « C’est aux parents de décider [...] » affirme le chef du Parti Égalité Keith Henderson : « Il faut permettre aux francophones d’apprendre l’anglais aussi bien que M. Parizeau. C’est à chacun de déterminer la proportion souhaitable de cette immersion » (Soumis, 1993, p. A4). La réponse du gouvernement à cette proposition, soutient Henderson, « constituerait un test du "degré d’ouverture" et "d’acceptation" de la société francophone envers la communauté anglophone minoritaire ». À défaut d’obtenir satisfaction, le Parti Égalité menace alors le gouvernement d’entreprendre une vaste campagne « d’éducation » et de « protestation » à travers le Québec en faveur de la reconnaissance « des droits fondamentaux ».

Au début de mai 1993, le gouvernement annonce finalement son intention de permettre aux parents francophones « d’envoyer leurs enfants au réseau anglophone, pour une durée déterminée, afin de favoriser l’apprentissage d’une langue seconde » (Lessard, 1993, p. B1). Claude Ryan, alors ministre responsable du dossier linguistique s’explique ainsi : « Dans nos écoles primaires c’est encore souvent le titulaire, qui parle très mal l’anglais lui-même, qui l’enseigne. De l’autre côté de la rue il y a une école anglaise et des professeurs qui pourraient être mobilisés. On n’a jamais rien pu faire à cause des clôtures érigées par des siècles d’incompréhension ». Le projet de loi 86 vise donc à modifier la loi 101, afin de ne plus empêcher l’enseignement « dans une autre langue que le français afin d’en favoriser l’apprentissage, selon les modalités prescrites dans le régime pédagogique », lit- on dans l’article de Denis Lessard.

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