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Chapitre 5. Genèse des cadres et des mythes : deuxième partie, 1950-2011

5.1.6. Le Rapport Parent : la langue seconde comme objet culturel

À l’aube de la Révolution tranquille, la question éducative figure parmi les principales préoccupations des élites québécoise, comme en témoigne la mise en place de la Commission Royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec – Commission Parent – par le premier ministre Jean Lesage en 1961. Derrière cette vaste remise en question éducative se profile, une fois de plus, le vieux débat entre la pensée française et ses humanités et la perspective anglo-saxonne de l’éducation, dite « progressiste ». Le volumineux Rapport Parent dont accouche la Commission Royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec en 1963 et 1964, constitue un véritable symbole de la Révolution tranquille30. Selon Claude Corbo, il « peut être considéré à la fois comme un document

fondateur de la société québécoise contemporaine et comme l’un des documents capitaux de l’histoire même du Québec » (2002, p. 11). Dans le chapitre III de son second Tome, la Commission Parent présente son analyse et ses recommandations en ce qui a trait à l’enseignement de la langue seconde. Qu’il s’agisse de l’anglais ou du français, cet enseignement alors envisagé dans le contexte du bilinguisme canadien, ce qui justifie le choix de la langue : on devra accorder la priorité au français si l’on est anglophone, et à l’anglais si l’on est francophone. Les commissaires préconisent ainsi une vision culturelle de l’enseignement des langues, qui dépasse le niveau pragmatique :

30 Le Rapport Parent est à l'origine de la réforme en profondeur de l'ensemble du système d'éducation québécois, laquelle a

donné naissance au ministère de l'Éducation, au Conseil supérieur de l'éducation, aux cégeps ainsi qu'au réseau des Universités du Québec.

À la différence de ce que nous avons préconisé pour les autres langues vivantes, l’enseignement de la langue seconde, au Québec, doit avoir une certaine visée culturelle, de façon à dépasser le niveau pragmatique dont on s’est contenté jusqu’ici, d’ailleurs de façon très insatisfaisante puisqu’on ne donnait même pas aux élèves la connaissance de la langue parlée (Québec, 1964, para. 688).

Les membres de la commission dénoncent les motivations utilitaires qui sous-tendent généralement l’apprentissage de la langue seconde, mettant de l’avant l’importance des aspirations culturelles et humaines qui devraient le guider. Il s’agit, mentionne-t-on, non seulement « de bien transmettre la connaissance d’une langue seconde, mais d’habituer aussi l’enfant à la compréhension d’une mentalité différente de la sienne » (para. 691) :

Cette étude toute pragmatique, poursuivie sans intérêt et qui s’arrête dès qu’on sait se débrouiller un peu dans la langue seconde, ne s’appuie que sur des motivations utilitaires et sur les nécessités de la vie quotidienne, des relations industrielles, commerciales et professionnelles. Dans l’ensemble, il y a peu de liens d’amitié entre anglophones et francophones : ils ne sont pas curieux les uns des autres, ils se coudoient [côtoient] mais ne se connaissent pas. C’est pourquoi une langue toute pragmatique et très rudimentaire a paru suffire, jusqu’ici, entre ces deux groupes, ces « deux solitudes » (para. 683).

On estime également urgent de s’interroger sur la qualité de l’enseignement des langues secondes, une qualité qui semble faire défaut et dont on attribue les lacunes au manque de formation et à la compétence du personnel enseignant. C’est cette qualité, plutôt que la quantité d’heures alloué à l’apprentissage de la langue, qui est perçue comme garante de la réussite des élèves :

Le temps requis pour atteindre à un certain niveau de connaissance dépend grandement de la qualité du professeur, de ses connaissances, de ses méthodes d’enseignement. On pourrait sans doute, avec un personnel enseignant bien formé, enseigner à parler l’anglais en quatre ou six ans, à raison de trente ou quarante-cinq minutes par jour – ce qui vaut mieux qu’une heure ou une heure et demie à tous les deux jours ; on doit faire des recherches et des expériences à ce sujet (para. 689).

Enfin, le rapport rend compte de la divergence des opinions populaires en ce qui a trait au moment où l’enseignement de l’anglais doit débuter :

Pour bien des Canadiens français, un enseignement de l’anglais à de très jeunes enfants est nuisible à l’apprentissage du français comme langue maternelle, en particulier dans un pays et un continent où le français est minoritaire, soumis à de constantes pressions, entaché d’anglicismes nombreux. [...] D’autres, par contre, ne croient pas que l’apprentissage de l’anglais par un jeune enfant lui soit nuisible, pourvu que le français lui soit bien enseigné et qu’on le parle bien dans son entourage (1964, paragr. 699).

En l’absence de consensus populaire, les commissaires s’abstiennent de trancher la question en retardant, d’une part, l’enseignement obligatoire de l’anglais à la 5ème année primaire, tout en ouvrant

la porte à son introduction précoce dans certaines écoles « possédant le personnel qualifié ». Cette polarisation entre deux courants de pensée se poursuit durant plusieurs années, comme en témoigne

cette réflexion du député Yvon Marcoux en 2003, partagé dans l’article L’anglais dès la 1ère année,

pourquoi pas ?

À quel moment doit commencer l’enseignement de l’anglais langue seconde ? Deux courants d’opinion polarisent le débat depuis le rapport Parent. Un premier courant, plus politique, craint que le fait d’enseigner très tôt l’anglais aux jeunes de langue maternelle française ne porte atteinte à la sécurité du fait français au Québec. Un second courant, plus pédagogique, croit qu’il faut profiter de la plus grande aptitude des jeunes à apprendre tôt une autre langue afin de favoriser un meilleur apprentissage de l’anglais. Les auteurs du rapport Parent ont été incapables de trancher ce débat. Depuis, c’est le premier courant d’opinion qui a prévalu (Marcoux, 2003).

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