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Chapitre 5. Genèse des cadres et des mythes : deuxième partie, 1950-2011

5.3. Une compétence essentielle : l’apogée du métacadre globalisant, 1995-2011

5.3.5. Le Plan Legault : « L’enseignement efficace d’un anglais fonctionnel »

C’est finalement le 14 décembre 2001, soit quatre mois après le dépôt du rapport sur la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec (Larose, 2001), que François Legault, ministre de l’Éducation, et Diane Lemieux, ministre d’État à la Culture et aux Communications, dévoilent les recommandations du gouvernement en vue d’actualiser la politique linguistique québécoise. Lors de la conférence de presse, M. Legault annonce la mise en place de deux plans d’action : l’un concernant l’enseignement du français et l’autre visant l’amélioration de

l’enseignement de la langue seconde. D’entrée de jeu, le ministre réaffirme son engagement à améliorer l’enseignement et la qualité de la langue française. Comme pour appuyer cette affirmation, il campe d’abord son discours dans un métacadre qui « nationalise » l’enjeu linguistique en mobilisant une rhétorique mythique qui fait du français l’« âme nationale ». Il présente le français comme « le trait caractéristique le plus important de notre société », « ce qui nous distingue des autres peuples en Amérique ». Usant également de la métaphore de l’héritage collectif, il affirme : « Notre langue est probablement notre héritage le plus précieux, et c’est notre devoir de la léguer à nos enfants dans toute sa richesse et toute sa beauté » (F. Legault, 2001). Néanmoins, cette conférence de presse, qui fait pourtant suite à la Commission des États généraux sur l’avenir de la langue française, alloue alors une telle place à la question de l’enseignement de l’anglais, qu’elle fait dire à un lecteur du Devoir :

Le gouvernement du Québec vient de prendre position (?) sur le rapport des États généraux du français. Y a-t-il confusion ? Lors de la conférence de presse, la préoccupation pour l’apprentissage de l’anglais a transpiré beaucoup plus que celle pour l’apprentissage du français. D’ailleurs, le lendemain, Le Devoir titrait : "Legault propose l’enseignement intensif de l’anglais" au primaire (R. Larose, 2001).

Dès l’introduction passée, le ministre aborde ensuite le sujet de l’enseignement de l’anglais. Écartant le principe d’unilinguisme français pourtant à la base des politiques linguistiques québécoises depuis les années 1970, il met plutôt de l’avant la nécessité du bilinguisme individuel. Citant les propos de Gérald Larose, il insiste sur l’importance de l’enseignement « efficace » d’un « anglais fonctionnel » :

Mais ce n’est pas parce qu’on s’engage résolument à l’égard de la qualité du français que ça veut dire qu’on veut faire du Québec une nation d’unilingues, au contraire, parce que, comme le dit le rapport Larose – et je cite : « Ce que les Québécoises et les Québécois valorisent beaucoup, c’est le bilinguisme individuel. Ils souhaitent, en somme, un équilibre, d’où leur insistance sur l’enseignement efficace d’un anglais fonctionnel à l’école et, en même temps, sur la nécessité de négocier l’exigence de l’anglais ou d’une autre langue selon les impératifs continentaux ou mondiaux du travail et des échanges économiques » Fin de la citation. C’est à la page 54 du rapport Larose (F. Legault, 2001).

En fin de conférence, le ministre Legault annonce finalement – pour les francophones – la mise en place de l’enseignement intensif de l’anglais au dernier cycle du primaire, lequel viendrait s’ajouter à l’introduction de l’anglais en 3e année primaire, instauré ce même automne (2001). Lorsque

questionné par une journaliste sur les raisons motivant l’instauration de cette mesure du côté francophone, et non pas du côté anglophone, le ministre se justifie principalement par la demande parentale qui serait plus grande du côté francophone. Malgré l’absence de données sur lesquelles s’appuyer, il acquiesce également aux propos de la journaliste suggérant que les élèves anglophones seraient meilleurs en français :

Mme Magnan (Dominique): Are you saying that children in the English school system now are learning a good French, that they're doing better in French than francophones are in English?

M. Legault: I would say that right now, we can see at least that the request from parents are not as important as they are on the French sector for the teaching of English. And I would think... I don't have any study in my possession for that but I would say that from what I hear on the ground, that, yes, the English students, they better possess French than the opposite (F. Legault, 2001).

Enfin, après avoir annoncé cette intensification de l’enseignement de l’anglais, le ministre conclut la conférence de presse en recadrant son discours dans une perspective nationalisante où la langue française joue, à nouveau, le rôle d’héritage collectif à préserver :

Et, vous savez, la langue française, notre langue, est vieille de plus de 1 000 ans. Notre langue, c’est celle de Voltaire, de Molière, de Rousseau, de Victor Hugo mais aussi de Nelligan, de Gilles Vigneault, de Félix Leclerc. Elle a été la langue diplomatique par excellence pendant des siècles parce qu’aucune autre ne permettait d’exprimer les choses de façon aussi précise, de formuler des nuances aussi subtiles. Notre langue est belle, elle est magnifique et c’est notre devoir le plus sacré de la préserver pour la transmettre intact à nos enfants et aux enfants de nos enfants. Merci beaucoup.

Le métacadre nationalisant, ancré dans le mythe du français âme nationale, « héritage sacré », est ainsi mobilisé en début et en fin d’allocution du ministre, comme une sorte de passage obligé servant à légitimer l’ensemble du discours. Néanmoins, dans sa teneur principale, l’allocution insiste plutôt sur l’impératif du bilinguisme individuel et sur la nécessité d’un apprentissage fonctionnel de l’anglais.

Le 30 janvier 2002, soit un peu plus d’un mois après cette annonce d’une mesure d’enseignement intensif de l’anglais, François Legault est finalement remplacé par Sylvain Simard à titre de ministre de l’Éducation. Après avoir rencontré les représentants de la SPEAQ, l’attaché politique Nicolas Girard, confirme l’intérêt du ministre pour la formule intensive : « Nous sommes d’accord avec un enseignement intensif de l’anglais en 6e année lorsque les parents le réclament à l’école de leurs enfants » (Bouchard, 2002, p. A5). Néanmoins, Sylvain Simard ne donnera pas suite à la mesure d’intensification annoncée par son prédécesseur. Le 29 avril 2003, suite aux élections générales remportées par les libéraux de Jean Charest, Pierre Reid héritera du poste de ministre de l’Éducation. Plutôt que l’enseignement intensif, ce dernier privilégiera l’implantation de l’enseignement de l’anglais dès la première année du primaire, une mesure prévue au programme électoral du Parti libéral. La SPEAQ, comme plusieurs autres acteurs du monde de l’enseignement, s’empressera de dénoncer cette initiative, réitérant plutôt l’idée d’une formule d’enseignement intensif à la fin du cours

primaire. Néanmoins, le gouvernement ira de l’avant et l’enseignement de l’anglais en 1re année sera

finalement implanté en septembre 2006.

5.3.6. « Créer l’intérêt » : le Plan d’action pour les langues officielles

En ce début des années 2000, comme c’est le cas au Québec, la question de l’apprentissage des langues secondes figure également à l’agenda politique fédéral. Quelques années après la crise référendaire, l’unité du Canada demeure un enjeu politique prioritaire pour le gouvernement fédéral. La combinaison des pressions internes et externes suscitées par la globalisation pose, d’une part, le défi de la préservation d’un espace « multiculturel » canadien où toutes les communautés se voient représentées. D’autre part, ce défi exige que le Canada affirme son identité propre, distincte de l’identité américaine, et que l’ensemble du pays parle d’une même voix sur la scène internationale. En ce sens, les politologues Daniel Bourgeois et Andrew F. Johnson (2007), se sont penchés sur le rôle stratégique joué par le Plan d’action pour les langues officielles de 2003. Surnommé le « Plan Dion », ce dernier constitue, selon eux, l’une des initiatives politiques majeures pour renforcer l’autorité de l’État canadien face à ces forces externes et internes. Ce Plan d’action voit le jour dans le sillage de la commotion provoquée par les résultats du référendum québécois de 1995. Son objectif principal est alors de promouvoir le dualisme linguistique et culturel pancanadien dans le dessein de répondre au problème d’intégration nationale posé par les menaces de sécession du Québec. Selon Bourgeois et Johnson, on privilégie alors l’argument des exigences posées par la globalisation en tant que justification principale :

The Action Plan was brought into being by a diligent minister (Dion) from a central agency in collusion with at least one other minister (Stewart), as well as with the prime minister and his chief of staff. They were responding to the long and dark shadow that the 1995 referendum cast in Quebec, and, at least rhetorically, they were also responding to the exigencies of globalization. In fact, they were using these apparent exigencies as primary justifications for the Action Plan (p.134).

Ainsi présenté comme une manière d’endosser le « pluralisme linguistique », nouvel atout dans le contexte de la globalisation, le Plan d’action détourne le regard de la plus large stratégie post- référendaire dans laquelle il s’inscrit néanmoins. Une stratégie, affirment les auteurs, élaborée par le ministre des Affaires intergouvernementales, Stéphane Dion : « It was the “carrot” of an official “carrot-and-stick” policy that Dion used to forge national integration, the “stick” being the Clarity Bill. However, once again, the former minister of intergovernmental affairs connected the genesis of broad events to human initiative inspired by civic duty » (p. 134). La promotion du bilinguisme individuel et de la dualité linguistique constituent ainsi le « Plan A » de cette stratégie post- référendaire, tandis que la Loi sur la clarté, fait office de « Plan B ».

En matière d’enseignement des langues secondes, le Plan d’action sur les langues officielles fixe alors l’objectif ambitieux de doubler la proportion des diplômés des écoles secondaires ayant une connaissance fonctionnelle de leur deuxième langue officielle de 2003 à 2013 (Cardinal, 2004, p. 96). Afin de proposer des pistes de réflexion et d’action pour atteindre la cible visée, le ministère du Patrimoine canadien (Direction générale des programmes d’appui aux langues officielles) commande alors une étude qui sera publiée en 2004, sous le titre Plan 2013 – Stratégies pour une approche nationale de l’enseignement d’une langue seconde (Rehorick, 2004). Parmi les principaux défis identifiés par l’étude, figure d’une part celui de « résoudre la dichotomie d’un objectif fédéral et d’une autonomie provinciale et territoriale en matière d’éducation » et, d’autre part, celui d’influencer l’opinion publique à l’égard du bilinguisme :

Comment influencer l’opinion publique quand le bilinguisme officiel semble échapper à l’attention du public de tant de façons ? Autrement dit, comment pouvons-nous « créer l’intérêt » ? Comment pouvons-nous élargir l’éventail des groupes intéressés – en éducation, dans les domaines des affaires, des médias, des arts, de la culture et des sports – à créer cet intérêt ? (p. 3)

Au nombre des recommandations, on trouve la création d’une campagne de promotion et de représentation visant à « créer une image "accrocheuse" des avantages du bilinguisme, démontrant que « le bilinguisme est nécessaire et plaisant », notamment par la mise en ligne d’un site web dont le message principal serait « Être canadien, c’est être bilingue » (p. 95). Les consultants suggèrent également la mise sur pied d’une Commission canadienne de coordination de l’enseignement de la langue seconde (CCCELS), laquelle regrouperait des membres de plusieurs groupes dont Patrimoine canadien, Canadians Parents for French et la SPEAQ (Société pour la promotion de l’enseignement de l’anglais au Québec). Le mandat de la CCCELS comprendrait notamment le fait d’« agir en tant que moteur pour promouvoir l’expansion du bilinguisme grâce à l’éducation » et d’« exploiter des façons de gérer les attentes des différents groupes en élaborant un plan de communication efficace mettant à contribution les élèves, les parents, les entreprises, les médias et d’autres intervenants » (p. 26).

Parmi les besoins spécifiques au Québec, les consultants mentionnent que : « La SPEAQ sent le besoin de préparer du matériel promotionnel pour les parents, étant donné qu’il n’existe au Québec aucun équivalent aux Canadian Parents for French » (p. 59). Or, au cours de cette période allant de 2003 à 2013, de nombreuses initiatives de la SPEAQ seront effectivement soutenues par Patrimoine

canadien38. Le groupe d’intérêt développera ainsi plusieurs jeux éducatifs et documents qui serviront

à l’appui de la promotion et du développement de l’enseignement intensif de l’anglais au Québec39.

L’organisation collabore en outre avec le Ministère de l’Éducation pour la rédaction de guides et de dépliants destinés à être utilisés par les commissions scolaires, tels L’anglais intensif pour l’apprentissage de la langue seconde : Nouveau guide d’implantation (MEQ, RCCPALS, SPEAQ, 2003), le Guide de l’implantation de l’enseignement intensif de l’anglais, langue seconde au Québec (SPEAQ, 2012) et le dépliant L’anglais intensif pour tous au primaire : un bagage pour l’avenir (SPEAQ, 2011), principal outil utilisé pour informer les parents lors de la mise en place de l’anglais intensif en 2011 (voir figure 5.3).

Figure 5.3 - Dépliant L’anglais intensif pour tous au primaire : un bagage pour l’avenir

38 Selon les divulgations proactives des octrois de subventions et de contributions de Patrimoine canadien, la SPEAQ a reçu

plus de 100 000$ de contributions de Patrimoine canadien pour la période allant de 2006 à 2013. En 2014, elle se voit accorder une contribution plurianuelle de 142 500$ jusqu'en 2017 (Gouvernement du Canada, s.d.)

39 Quelques-uns des projets subventionnés par Patrimoine canadien : Guide d’implantation des modèles d’anglais intensif,

langue seconde, dans les écoles primaires du Québec (MEQ - RCCPALS – SPEAQ) - (2003) ; English Day by Day (2006, 2007) ; Yo Canada! (board game) (2008) ; Let’s Talk! (2009) ;Culturally Speaking (2010) ; SPEAQ Quest (2010) ; Let’s BeginTalking! (2011) ; An Online Creative Writing Centre 2011 (C3) (2011) (source http://speaq.org/About- SPEAQ/Archives SPEAQ).

Dans ses documents promotionnels, la SPEAQ met de l’avant une vision « globalisante », où l’anglais intensif devient « un moyen privilégié pour permettre aux élèves de bâtir leur vision du monde […] ». Le dépliant L’anglais intensif pour tous au primaire : un bagage pour l’avenir, suggère notamment que : « Les nouveaux défis du monde du travail exigent de ses employés une formation globale et diversifiée – une formation continue et ouverte sur le monde... L’anglais intensif répond à ces besoins » (SPEAQ, 2011). L’apprentissage de l’anglais est présenté comme une expérience valorisante qui favorise l’estime de soi des élèves et augmente leur motivation scolaire. L’universalisation de l’anglais intensif devient un moyen de favoriser l’égalité des chances, puisque la maîtrise de l’anglais est conçue comme un « bagage pour la vie ».

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