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Introduction générale

Partie 1. Revue de travaux

I. L ES MODALITES D ’ EXPRESSION DE LA TEMPORALITE EN ANGLAIS

2. L’aspect sémantique : « le temps que le verbe emporte avec lui »

2.2. Typologie vendlérienne

Dans son article de 1957, Vendler nous propose une étude des « schémas temporels » (time schemata) de plusieurs verbes pour éclairer l’étude du système temporel dans lequel le verbe est fortement impliqué. Vendler est conscient qu’il y a certains verbes qui vont échapper à sa typologie, créant ainsi une « ambiguïté » (ibid., p.144) qu’il souhaite justement lever en menant une discussion sur la manière dont les termes de sa typologie doivent être utilisés.

Son article est divisé en deux parties, la première est purement théorique et se base volontairement sur des « exemples précis » (ibid., p.144), ce que l’on pourrait appeler des exemples prototypiques. Vendler y opère des distinctions basées sur une série de manipulations et de tests pour dégager quatre classes de verbes dont il discute les différences par la suite. La deuxième partie de son article se penche sur le cas particulier des « états » qu’il divise en deux sous-catégories en s’appuyant sur les travaux de Ryle (1949) qu’il discute par la suite en se penchant sur certains verbes (to think, to know, to understand, to see, to hear) qui mettent en jeu « les notions philosophiques bien connues de perception, compréhension [et]

connaissance » (Corre, 2009 :48). Nous allons uniquement nous pencher sur la première partie de l’article de Vendler (1957), qui demeure à ce jour une typologie de référence.

La première distinction que Vendler (ibid., 144-145) opère résulte de la différence entre les verbes « qui [acceptent] les temps continus » et ceux qui ne les acceptent pas ; ainsi un verbe comme run, qui accepte le marqueur BE + V-ING, peut se décomposer en « phases successives » alors qu’un verbe comme think, qui n’accepte prototypiquement pas le marqueur BE + V-ING, ne peut pas se décomposer en phases successives. Parmi les verbes qui acceptent le marqueur BE + V-ING, Vendler distingue ceux qui sont téliques (qui possèdent un climax, selon ses termes) et ceux qui sont atéliques. Parmi les verbes sans phases successives, Vendler (ibid., p.146) distingue les verbes qui réfèrent à des moments uniques comme recognise et ceux qui s’inscrivent davantage dans la durée comme know.

C’est à partir de ces traits distinctifs, qui reposent sur des critères temporels matérialisés sous forme de questions, que Vendler établit quatre catégories comme le schéma et les exemples suivant le montrent : les activités, les accomplissements, les achèvements et les états. Nous en fournissons des exemples empruntés à Filip (1999 :17) :

PARTIE 1 – Chapitre I – Modalités d’expression de la temporalité

Figure 3. Typologie de Vendler (1957)

2.2.1. Notions discriminantes

Vendler s’appuie sur quatre notions discriminantes pour formuler ses quatre catégories (Brinton, 1988 :23-29). La première est la stativité dont Brinton nous donne une définition qui résume les éléments de l’article de Vendler :

“[States are] characterized by the inherent qualities of duration and homogeneity, as well as by the lack of change, limits and agency. States exist or endure for an undefined period of time. They do not change or develop during that period; all the temporal phases of a state are undifferentiated. States do not happen; they are not done. Rather, they simply are.” (Brinton, 1988, p.24)

La deuxième notion en jeu est la durativité c’est-à-dire la possibilité pour un procès d’occuper une large portion de temps. Les états et les activités sont tous deux duratifs mais pas de la même manière : un état est duratif puisqu’il s’inscrit de manière presque permanente dans le temps, le seul fait qu’un état existe suffit à assurer sa durativité ; une activité est durative car elle a la capacité de s’étirer dans le temps (ce que met en lumière le marqueur BE + V-ING) ou lorsque cet étirement n’est pas permis par le sémantisme du verbe, cette durativité sa caractérise par une interprétation itérative (le verbe blink par exemple).

La troisième notion utilisée est la télicité, la distinction télique / atélique remonte à Aristote (cf. supra, I.2.1.) et a été popularisée en linguistique par Garey (1957). Cette notion s’intéresse à la distinction entre les procès qui impliquent un but (telos) et ceux qui n’en impliquent pas, elle est fondamentale dans la typologie de Vendler puisqu’elle en constitue l’une des origines. Certains verbes sont téliques par essence, Garey prend l’exemple du verbe

« se noyer », alors que l’(a)télicité d’autres verbes dépendent plutôt des compléments qui les Verbes à phases successives

suivent et des éventuels adjoints temporels. Cette notion est l’objet de multiples réinterprétations qui sont à l’origine de nouvelles typologies et de nouveaux traitements des phénomènes aspectuels selon le cadre théorique adopté. La liste suivante fournit les termes en lien avec la télicité que nous allons rencontrer dans notre revue de travaux. Nous les avons traduits en français, les termes anglais seront toutefois fournis dans les parties correspondantes :

Tableau 1. Terminologie de la télicité

(Référence) cumulative (Référence) quantisée Krifka (1986, 1989)

Non-culminé Processus

culminé/culmination

Moens & Steedman (1988)

La dernière notion en jeu est l’agentivité du sujet et concerne ainsi les rôles sémantiques ; en d’autres termes, le sujet est-il actant ou plutôt expérient ? C’est la notion qui est la plus dépendante du contexte, la plus reliée à la spécificité du procès et en même temps, puisque le cadre théorique adopté par Vendler vise à expliquer l’esprit humain et l’action, elle tente d’apporter des réponses aux notions linguistiques d’agentivité, de volition tout en s’intéressant aux motivations et aux objectifs du locuteur.

Nous pouvons dresser le tableau suivant (adapté de Brinton, 1988 :29) pour illustrer la sensibilité des quatre catégories aux quatre notions :

Tableau 2. Sensibilité des quatre catégories vendlériennes (1957)

Stativité Durativité Télicité Agentivité

Etat + + - -

Activité - + - ±

Accomplissement - + + +

Achèvement - - + -

La typologie de Vendler s’intéresse définitivement au groupe verbal puisque finalement, ce qui distingue une catégorie d’une autre, c’est certes le sémantisme initial du verbe (run vs.

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see) mais surtout la forme du verbe (I am running vs. I love chocolate) et les éléments qui suivent le verbe (I am writing letters vs. I wrote a letter). Les exemples fournis par Vendler sont en fait toujours reliés à un certain contexte, ancrés dans une certaine situation, même si le philosophe n’en avait peut-être pas conscience au moment de l’écriture. En cela, Vendler fait déjà intervenir l’aspect grammatical, le test de BE + V-ING étant primordial dans sa typologie, même si aucune réflexion n’est menée sur le marqueur BE + V-ING per se.

2.2.2. Tests syntaxiques et sémantiques

Pour justifier sa typologie, Vendler propose une série de tests qui seront revus par Kenny (1963 :174-186) et synthétisés par Dowty (1979) qui y inclut les tests des générativistes Lakoff (1965) et Ross (1972). Il nous semble que ces tests s’intéressent à des énoncés que nous pouvons qualifier de prototypiques, mettant en avant un certain nombre de règles d’ordre prescriptif. Ces tests ne placent pas l’énonciateur et ses choix linguistiques en position de force, contrairement à d’autres approches qui le feront par la suite (cf. infra, I.4.).

Ces tests distinguent la classe des états par rapport aux autres classes :

 un état n’accepte pas le marqueur BE + V-ING ;

 un état ne peut être complément des verbes force et persuade ;

 un état n’apparaît pas à l’impératif ;

 un état n’apparaît pas avec des adverbes agentifs tels que deliberately et carefully ;

 un état n’apparaît pas dans une structure pseudo-clivée en DO ;

 un état s’interprète comme une habitude au présent simple.

La typologie vendlérienne met au jour certaines affinités selon les types d’adjoints temporels, comme le montre le tableau ci-dessous :

Tableau 3. Test des adjoints temporels (Vendler, 1957)

Etats Activités Accomplissements Achèvements x for an hour, spend

an hour x-ing

   ?

x in an hour, take an hour to x

   

2.2.3. Principes d’implication

L’implication (entailment) est un terme emprunté à la pragmatique qui désigne la relation entre deux énoncés où la valeur de vérité du premier dépend de la valeur de vérité du second, en d’autres termes, pour que le premier soit vrai, il faut que le second le soit aussi. Il

est important de distinguer une implication pragmatique où l’énoncé y exige x d’une implicature conversationnelle où l’énoncé y n’exige pas x (Grice, 1975) ; l’implicature peut être annulée si une proposition est ajoutée. En outre, on distingue une implicature conversationnelle, qui dépend du contexte de la conversation d’une implicature conventionnelle qui dépend du sémantisme de l’énoncé lui-même : « il est français ; dès lors il est chauvin » implique, de par la mise en relation sémantique entre les deux propositions avec « dès lors », que « les français sont chauvins ». Ces distinctions seront nécessaires à notre étude du PP (cf. infra, IV.).

Nous pouvons recenser trois principes d’implication chez Vendler et Kenny qui vont permettre d’affiner leur typologie :

 pour rendre compte de la distinction entre les états et les activités d’une part et les accomplissements d’autre part, x for an hour implique x à tous les moments pendant cette heure. Si Mary a marché pendant une heure, cela implique qu’à tous les moments de cette heure, il est vrai que Mary a marché. En revanche, si l’on dit que Mary a écrit une lettre pendant une heure, cela n’implique pas qu’à tous les moments de cette heure, Mary ait écrit une lettre ;

 pour rendre compte de la distinction entre les activités d’une part et les accomplissements et les achèvements d’autre part, Kenny (1963) note qu’une activité comme Mary is running implique Mary has run alors qu’un accomplissement comme Mary is writing a letter n’implique pas que Mary has written a letter ;

 Vendler indique que les énoncés John built a cabin in three years et John built a cabin after three years n’ont pas le même sens. Dans le premier cas, l’énoncé implique que John was building a cabin during those three years alors que dans le second cas, l’implication ne marche pas.

 Vendler mène déjà une réflexion sur les marqueurs aspecto-temporels propres à la langue anglaise. Dans sa typologie, il révèle la temporalité interne des verbes en les faisant interagir avec le marqueur BE + V-ING et avec d’autres formes verbales (impératif, présent simple).

Par sa démarche, il montre qu’il existe des interactions entre le sémantisme des verbes et les marqueurs grammaticaux dédiés à l’expression de la temporalité en anglais.

 Les principes d’implication soulèvent des problématiques liées à l’interprétation du discours et à la contribution des marqueurs dans sa cohérence et sa cohésion.

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