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Introduction générale

Partie 1. Revue de travaux

I. L ES MODALITES D ’ EXPRESSION DE LA TEMPORALITE EN ANGLAIS

2. L’aspect sémantique : « le temps que le verbe emporte avec lui »

2.4. Le domaine des « éventualités »

Le terme « éventualité » présente un sens plus large que le terme « événement » qui suggère une certaine agentivité et l’exclusion des états. Le terme « éventualité(s) », que nous traduisons volontairement de la sorte, nous semble adéquat pour définir ce qui se joue dans une proposition, elle « décrit ce qui est donné comme une éventualité relative aux référents des constituants nominaux » (de Vogüé, 2006 :48).

Lorsque Davidson (1967) s’interroge sur la valeur de vérité des phrases, il en déduit que c’est une relation entre une phrase, une personne et un moment (319). De cette réflexion va naître sa théorie des événements (1967) où les événements sont des « entités ontologiques d’un nouveau type, caractérisées par leurs circonstances, [qui] sont toujours indéfiniment variables selon le grain de description choisi » (de Vogüé, 2006 :52). Bach (1981) définit plus largement ces événements et fonde le terme « éventualité » pour référer à une « histoire possible » que la proposition matérialise (69), ce que de Vogüé4 (2006) nomme « le grain de description choisi » ou « l’échelle ». Les classes de verbes ont d’une part des propriétés variables selon le contexte dans lequel ils se trouvent et d’autre part, une situation extra-linguistique peut être décrite de multiples façons, en « mobilisant des scénarios » différents.

Dans cette approche héritée de Davidson (1967), les éventualités sont considérées comme des entités primitives dans l’ontologie des individus et sont assimilées à des objets

« individuels » (Bach, 1986 :8). Elles sont donc structurées comme des objets, on peut tenter de les additionner, de les diviser. On considère également que les entités sont liées entre elles, la causation est ici interprétée comme un lien entre les éventualités mettant en exergue les causes et les effets ; chaque éventualité est ainsi déterminée par d’autres éventualités.

4 Dans cet article, de Vogüé (2006) réfléchit à ce qu’est un verbe (le titre de l’article est « Qu’est-ce qu’un verbe ? »).

2.4.1. Typologie de Mourelatos (1978)

Le philosophe et linguiste Mourelatos considère qu’il y a six facteurs à prendre en compte dans le calcul aspectuel (1978 :421) : le sémantisme du verbe, la nature des arguments du verbe (celle du sujet et des compléments, si applicable), les adjoints (si applicable), l’aspect grammatical (qu’il appelle « suffixal »), le temps en tant que « phase » tel que le perfect et le temps en tant que

« référence » au passé, présent ou futur. Même si Mourelatos reconnaît qu’il n’est pas en mesure d’étudier la complexité de leurs interactions dans le calcul aspectuel, il se livre à une critique des typologies de Vendler et de Kenny (cf. supra, I.2.2.2.) qui, selon lui, n’ont pas perçu le rôle déterminant de l’aspect suffixal et n’ont pas rendu compte des « sélections et restrictions » opérées par les facteurs précédemment énumérés (le premier exclu) les uns sur les autres et sur les verbes en jeu.

Figure 7. Typologie de Mourelatos (1978)

Mourelatos propose une nouvelle typologie (ibid., 423) autour de la création de catégories qui ne seraient pas sensibles au contexte (topic neutral) (ibid., 422), visant à élargir les typologies de Vendler et de Kenny qui se penchent uniquement sur des verbes qui dénotent des procès en lien avec un agent humain. Sa typologie regroupe les activités vendlériennes (qu’il nomme processes, processus en français) et les performances de Kenny sous l’étiquette plus large d’occurrences qui est un terme générique pour désigner les actions qui sont réalisées par le truchement d’un agent humain (ou assimilé). Les accomplissements et les achèvements sont considérés comme des sous-types de performances, les developments correspondent aux accomplissements vendlériens et les punctual occurrences aux achèvements, Mourelatos définit ces deux catégories comme des « événements purement naturels » (ibid., 423) mettant ainsi l’accent sur l’absence d’agentivité.

Situations

Etats

The air smells of jasmine Occurrences

Processus

It's snowing Evénements

Développements The sun went down

Occurrences ponctuelles He blinked

PARTIE 1 – Chapitre I – Modalités d’expression de la temporalité

2.4.2. Première typologie de Bach (1981)

La première typologie établie par Bach s’inscrit dans une réflexion plus large sur la langue anglaise, notamment en réaction à l’approche logiciste de Montague (1974). Cette dernière considère comme absolue la valeur de vérité des phrases qui mettent en jeu des relations temporelles et n’accorde pas d’importance significative à l’observateur dans l’ordonnancement de deux éventualités.

Bach met l’accent sur la dimension pragmatique de la langue : il souligne l’importance des déictiques I, now, here et des temps dont les valeurs découlent du contexte et sont nécessaires à l’évaluation des phrases dans lesquelles ils se trouvent. Les remarques de Bach visent à montrer que le sens vériconditionnel des phrases déclaratives (« comment devrait être le monde pour que cette phrase soit vraie », Roussarie, 2004 :1) se fait en deux étapes :

 premièrement, la fonction des phrases est une fonction logique, les propositions qu’elles forment se construisent en fonction des éléments du contexte ;

 deuxièmement, ces propositions constituent des fonctions depuis des mondes (que Bach préfère nommer des « histoires ») vers des valeurs de vérité (Corre, 2009 :78).

C’est à partir de ces réflexions que Bach fonde la catégorie des éventualités, en reconnaissant « implicitement la primauté du construit linguistique, résultat de l’interaction entre le contexte et la typologie du verbe » (ibid., 78).

Pour fonder sa typologie, Bach (1981) s’inspire de Mourelatos (cf. supra, I.2.4.1.) en neutralisant lui aussi l’agentivité mise en avant par Vendler (cf. supra, I.2.2.1.), il rétablit la distinction entre états et non-états contrairement à Dowty (cf. supra, I.2.3..) qui fonde sa typologie sur les états intervalliques. Il reprend la classe des processus (qui correspond aux activités vendlériennes) et les événements qu’il caractérise par le fait qu’ils « impliquent un produit, un résultat» comme le souligne Mourelatos (1981:193).

Bach précise que sa typologie s’intéresse à « différents types de phrases (ou de groupes verbaux) [qui réfèrent] à des circonstances différentes » (Bach, 1981 :67).

Figure 8. Première typologie de Bach (1981)

2.4.3. Seconde typologie de Bach (1986)

En 1986, Bach propose une nouvelle typologie plus détaillée que nous représentons grâce au schéma suivant :

Figure 9. Seconde typologie de Bach (1986)

Cette typologie se base sur la dichotomie entre les états et les non-états, contrairement à Vendler et Dowty. Parmi les états sont distingués les états dynamiques qui correspondent, chez Dowty, aux états intervalliques et les états statiques qui correspondent aux états « phases momentanées » et aux états « propriétés permanentes ». Cette distinction puise son inspiration chez Carlson (1977), les états dynamiques de Bach correspondent aux objet-level predicates et

Types de phrases (ou de groupes

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les états statiques correspondent aux stage-level predicates. Les états dynamiques, à l’instar des object-level predicates, réfèrent à des propriétés intrinsèques au sujet, dynamiques dans le sens où le sujet possède en permanence en lui les conditions pour les réaliser (il peut s’asseoir, se lever, se coucher…) alors que les états statiques à l’instar des stage-level predicates réfèrent à des propriétés épisodiques du sujet, qui sont candidates à l’instabilité et au changement (être ivre, à Paris ou encore posséder une maison). Puisque les états statiques sont liés à certaines conditions que remplit alors le sujet à ce moment précis, Bach (1981 :78) mentionne qu’ils sont les seuls à accepter la forme progressive.

Concernant les non-états, Bach (1986) reprend de Mourelatos la distinction entre processus et événements, les processus relevant d’une agentivité forte. Il fonde plus clairement que Mourelatos (cf. supra, I.2.4.1.) la classe des événements qui englobe aussi bien les accomplissements et les achèvements vendlériens (cf. supra, I.2.2.) ainsi que le changement d’état simple et le changement d’état complexe de la typologie de Dowty (cf. supra, I.2.3.) même si l’on retrouve la notion d’état dans le sens où un événement est « l’occurrence à un moment donné d’un changement d’état du monde » (Baudet, 1990 :52). Il matérialise le passage, la transition d’un état initial à un état final tout en neutralisant « l’intervalle temporel associé au procès » (Chuquet, 1994 :7).

 En établissant la distinction entre état et non-état (contrairement à Vendler et à Dowty), Bach rejette la logique temporelle adoptée par Montague et l’utilisation exclusive de propriétés temporelles par Dowty pour fonder sa typologie.

 La classe des événements est hétérogène : verbe unique (die), verbe + direction (walk to Boston), verbe + complément direct (reach the top), verbe + produit, réalisation (build x) et verbe + adverbe de fréquence (flash once). Cette compositionnalité montre que cette classe n’est pas l’apanage du verbe mais du verbe et d’autres éléments adjoints qui ont eux-mêmes des propriétés sémantiques particulières.

 De manière plus générale, le concept d’éventualités attire notre attention sur la réalisation particulière des verbes en fonction du contexte dans lequel ils sont produits. Cela pose la question de la pertinence des catégories de verbes ; si un verbe appartient à une catégorie, pourquoi change-t-elle en contexte ? Par ailleurs, si l’étude du sémantisme du verbe ou du groupe verbal implique forcément l’étude de la phrase dans son ensemble, quel statut et quel intérêt attribuer aux catégories de verbes (état, événement) établies et comment éviter la confusion entre « la valeur notionnelle qui relève de l’item lexical choisi et ce qui découle de l’utilisation de cet item dans un énoncé » ? (Bouscaren & Deschamps, 1991 :9).