• Aucun résultat trouvé

Introduction générale

TEMPORELS EN ANGLAIS

III. G RAMMATICALISATION DU PRESENT PERFECT ET ACQUISITION DU LANGAGEDU LANGAGE

1. Genèse et développement de la construction HAVE + V-EN

1.1. Définition(s) du processus de grammaticalisation

Le terme « grammaticalisation » rassemble aussi bien des études morphologiques, phonologiques, syntaxiques et sémantiques. Ce terme fut introduit par Meillet (1912: 131) et désigne « l’attribution d’un caractère grammatical à un mot jadis autonome ». Meillet (1912) étudie comment des éléments sémantiquement chargés (les verbes par exemple) deviennent des éléments fonctionnels (des auxiliaires dans le cas des verbes) et ensuite des affixes grammaticaux. Il mentionne le cycle immuable de ce processus dans les langues :

« Les langues suivent ainsi une sorte de développement en spirale : elles ajoutent des mots accessoires pour obtenir une expression intense ; ces mots s’affaiblissent, se dégradent et tombent au niveau de simples outils grammaticaux ; on ajoute de nouveaux mots ou des mots différents en vue de l’expression ; l’affaiblissement recommence, et ainsi sans fin. » (Meillet, 1912: 140)

La notion d’ « affaiblissement » est au centre de la théorie de Meillet puisqu’il considère que le processus de grammaticalisation implique une réduction ou une atténuation de la forme (changements morpho-phonologiques) et un appauvrissement de son sémantisme (changement sémantique) :

PARTIE 1 – Chapitre III – Grammaticalisation du PP

« L’affaiblissement du sens et l’affaiblissement de la forme des mots accessoires vont de pair ; quand l’un et l’autre sont assez avancés, le mot accessoire peut finir par ne plus être qu’un élément privé de son sens propre, joint à un mot principal pour en marquer le rôle grammatical. Le changement d’un mot en élément grammatical est accompli. » (Meillet, 1912: 139)

Il faut attendre le début des années soixante-dix pour que l’étude de la grammaticalisation suscite à nouveau un engouement, « la linguistique générale étant avant tout synchronique à l’époque des auteurs [précédant cette période] » (De Mulder, 2001: 10) ; des linguistes comme Langacker (1977), Brinton (1988), Hopper & Traugott (1993), Lehmann (1995) et plus récemment Diewald (2002) et Heine (2002) vont affiner, spécifier et redéfinir le processus de grammaticalisation.

Pour Langacker (1977: 58), la « réanalyse » ou la « réinterprétation syntaxique » est centrale dans le processus de grammaticalisation. Il décrit ce mécanisme comme « un changement sous-jacent dans la structure d’une expression ou d’une classe d’expressions qui n’implique aucune modification immédiate ou intrinsèque de sa structure de surface ». Selon Hopper & Traugott (2003: 7), le processus de grammaticalisation implique une « série de transitions graduelles », des transitions qui se retrouvent dans la plupart des langues. Ce processus est souvent représenté par un continuum « élément lexical > mot grammatical >

clitique > affixe flexionnel », cela implique que le processus de grammaticalisation ne passe pas nécessairement par toutes les étapes pour toutes les formes (MacLeod ; 2012: 6). Lehmann (1995: 11) précise que la grammaticalisation n’est pas seulement la transition d’un mot autonome à une forme grammaticale mais aussi la transition « d’un statut moins grammatical à un statut plus grammatical ».

Heine (2002: 97) définit la grammaticalisation comme un processus unidirectionnel, on part toujours d’un statut moins grammatical pour aller vers un statut plus grammatical. Il note cependant qu’il existe des exemples très isolés où ce principe peut être remis en cause mais il précise qu’il n’a pas été découvert de processus de grammaticalisation qui aurait suivi le chemin totalement inverse. Diewald (2002) et Heine (2002) se sont intéressés au rôle de la sémantique et du contexte dans le processus de grammaticalisation. Diewald a déterminé des contextes particuliers caractérisant l’émergence de nouveaux sens grammaticaux et pouvant ainsi nous informer sur le degré de grammaticalisation d’un élément. Dans son étude des modaux allemands, Diewald distingue trois types de contextes qui illustrent ces changements sémantiques :

1. Untypical context : dans ce premier contexte, l’unité lexicale peut être interprétée d’une nouvelle façon, son nouveau sens émerge grâce à « une interprétation pragmatique spécifique du sens de la construction de base » (MacLeod, 2012: 8).

2. Critical context : ce contexte est le fruit du premier. Des ambigüités syntaxiques et sémantiques apparaissent, il n’y a pas d’indices contextuels favorisant l’interprétation la plus ancienne ou la plus récente, plusieurs interprétations sont possibles. C’est ici que la grammaticalisation a lieu (Wischer, 2002: 246).

3. Isolating context : le nouveau sens grammatical est établi, son interprétation est coupée (« isolée ») de l’ancien sens lexical, chaque construction apparaît dans des contextes différents, c’est ce que Hopper (1991) appelle layering, c’est-à-dire l’existence de différentes formes au même moment que la forme régulière.

Heine (2002) précise ces contextes en s’intéressant à l’évolution de constructions originellement réflexives en constructions passives, il se focalise davantage sur les contextes qui mènent à de nouveaux sens grammaticaux, il va aussi plus loin en distinguant un nouveau contexte final :

1. Initial stage : c’est le contexte où l’on trouve le sens basique, premier, origine l de la construction étudiée.

2. Bridging context : cela correspond à l’untypical context de Diewald, une inférence pragmatique a pour conséquence de privilégier une interprétation nouvelle plus plausible que l’ancienne.

3. Switch context : cela correspond à l’isolating context de Diewald, la construction est incompatible avec le sens originel.

4. Conventionalization : la construction grammaticalisée présente un nouveau sens, indépendamment du contexte d’apparition, la construction apparaît dans des contextes nouveaux qui sont syntaxiquement et sémantiquement incompatibles avec la construction originelle.

La structure HAVE + V-EN peut être considérée comme un exemple de grammaticalisation puisqu’elle incarne « le processus par lequel une construction périphrastique est devenue un moyen d’exprimer les propriétés temporelles et/ou aspectuelles d’un [procès] » (MacLeod, 2014: 4). Cependant, l’étude de sa grammaticalisation pose un certain nombre de questions (Denison, 1993: 340) : quel est le lien entre HAVE verbe lexical et HAVE auxiliaire ? À quel moment pouvons-nous considérer que sa grammaticalisation fut achevée (est-ce vraiment le cas) ? Quels sont les critères qui ont été décisifs dans la

PARTIE 1 – Chapitre III – Grammaticalisation du PP

grammaticalisation de cette construction, s’agit-il de critères syntaxiques, sémantiques, contextuels ? Il nous semble pertinent de nous interroger en premier lieu sur l’historique de la construction en remontant à son statut en Vieil Anglais pour pouvoir retracer et caractériser sa grammaticalisation.