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Introduction générale

Partie 1. Revue de travaux

I. L ES MODALITES D ’ EXPRESSION DE LA TEMPORALITE EN ANGLAIS

4. Interactions temps, aspects

4.1. Théorie des deux composants (Smith, 1991)

La théorie développée par Smith se nourrit des interactions entre aspect grammatical et aspect sémantique, tout en les considérant comme des « notions différentes » (De Swart, 1998 :347), l’idée principale étant que le premier « révèle les propriétés » du second (Corre, 2009 :153).

Pour ce faire, Smith s’appuie sur des deux composants qu’elle nomme situation types pour le premier, qui correspond aux catégories vendlériennes, et viewpoints pour le second, qui correspond aux « points de vue » perfectif et imperfectif, qu’elle distingue grâce au critère de la télicité :

“Perfective viewpoints include both endpoints of a situation; imperfective viewpoints focus on stages that are neither initial nor final, excluding endpoints;

neutral viewpoints include the initial and at least one stage of a situation.” (Smith, 1991, p.93)

Smith considère que ces deux composants sont fournis par la « grammaire universelle » (1991 :22), inscrivant son travail dans le courant générativiste (Chomsky, 1957, 1965). Le titre

de son ouvrage The Parameter of Aspect contient le terme « paramètre », qui peut être défini comme « l’information qui fait qu’une langue est différente d’une autre » (Pinker, 1994 :111), et qui montre que Smith a pour but de définir des critères aspectuels pertinents à toutes les langues en dépit du fait que « l’aspect soit un paramètre qui se réalise différemment à travers les langues » (Smith, 1991 :3). Un point de vue « neutre » est suggéré par la linguiste pour couvrir les langues qui comportent des « marqueurs aspectuels […] qui ont des propriétés sémantiques [appartenant aussi bien] au perfectif qu’à l’imperfectif » (Altshuler, 2013 :40) mais elle ne le retient pas dans sa typologie. Smith considère que ces deux points de vue constituent un paramètre parce qu’« ils changent selon les langues et que leur choix est limité à un petit ensemble de possibilités donné par la grammaire de la langue » (Smith, 1991 :8) faisant du domaine aspectuel un « système fermé » (ibid., 8).

Smith distingue pour l’anglais cinq types de « situations », elle reprend les quatre classes vendlériennes (état, activité, accomplissement et achèvement) et ajoute la classe des

« semelfactifs » qu’elle définit comme des procès atéliques et instantanés tels que knock ou cough (Smith, 1991 :28). Puisque ce choix repose sur des morphèmes lexicaux, il semble illimité. Cependant, Smith considère qu’il y a une « idéalisation » (ibid., p.11) des catégories de la part du locuteur, c’est-à-dire que les types de situations sont déjà organisés en catégories grâce aux capacités cognitives des locuteurs ; en d’autres termes, les situations qui arrivent dans le monde réel sont cognitivement associées à des situations idéalisées. Si le locuteur choisit de décrire une situation de manière inattendue, Smith considère que son énoncé est « marqué » (ibid., p.16). Le critère d’acceptabilité d’un énoncé est important, le locuteur faisant interagir les deux composants en vertu des règles grammaticales qui régissent la langue qu’il parle. Si l’association d’un certain type de situation et d’un certain point de vue est irrecevable dans la langue parlée, le co-locuteur perçoit l’énoncé comme relevant d’un usage « marqué » qui matérialise un certain effet voulu de la part du locuteur.

Le choix entre un énoncé « marqué » et un énoncé « non-marqué » existe parce que l’énonciateur analyse les deux composants de manière indépendante (ibid., 5). Ainsi, pour deux énoncés différents, le point de vue peut être le même et le type de situation peut être différent et réciproquement :

(6) a. They built a house.

b. Mary ran in the forest.

Dans ces deux énoncés, le point de vue est perfectif alors que nous avons deux types de situations, un achèvement dans (6a) et une activité dans (6b).

PARTIE 1 – Chapitre I – Modalités d’expression de la temporalité

(7) a. John laughed.

b. John was laughing.

En revanche, ces deux phrases sont des activités alors que leurs points de vue sont différents, perfectif dans (7a) et imperfectif dans (7b).

Smith considère que « le type de situation d’un énoncé est accessible au co-locuteur quel que soit son point de vue » (ibid., 9), en précisant qu’en anglais, le choix entre le perfectif et l’imperfectif est « syntaxiquement obligatoire pour toutes les formes et pour toutes les propositions » (ibid., 220) et que « tous les verbes anglais ont un morphème [matérialisant] le point de vue, même si ce marqueur est Ø», comme au prétérit (ibid., p.220). Dans cette perspective, le locuteur choisit un marqueur qui matérialise le point de vue adopté mais son choix entre perfectif ou imperfectif n’a pas d’impact sur le type de situation qui reste le même et qui garantit la bonne compréhension de la part du co-locuteur, ou la détection d’un énoncé

« marqué ». Smith définit le perfect comme un point de vue perfectif « marqué » :

“[The perfect is a marked perfective] with a span beyond the final point of the situation talked about” (Smith, 1991)

4.1.1. Définir la valeur aspectuelle des énoncés

À l’instar de Tenny (1989, cf. supra, I.2.5.2.), Smith rappelle que chaque type de situation est réalisé par différentes structures syntaxiques (ibid., 72), les types de situation ne sont pas « apparents à la structure de surface d’un énoncé » (ibid., 177) :

(8) a. Susan arose.

b. Zipporah walked to the lake.

c. Eleanor cut the bread.

d. The city was destroyed.

Les exemples (8) empruntés à Smith (ibid., 72) sont des accomplissements mais leur réalisation syntaxique est différente, (8a) est intransitif, (8b) est un complément directionnel, (8c) est transitif direct et (8d) est une structure passive, avec omission de l’agent. Smith explique cette non-correspondance entre la syntaxe et le type de situation par la productivité du langage.

Pour aborder les règles compositionnelles d’analyse aspectuelle, Smith commence par le verbe qui constitue le « centre aspectuel d’une phrase » (ibid., 72), il a une « valeur

aspectuelle intrinsèque » définie par la contribution aspectuelle qu’il a dans un énoncé intransitif ou transitif direct, les arguments nominaux ayant, dans ce type d’énoncé énoncé, une référence quantisée (cf. supra, I.2.5.1.). Pour assigner cette valeur aspectuelle intrinsèque, trois critères sont discriminants : la stativité, la télicité et la durativité (ibid., 73).

Cette « valeur de base » peut être changée en raison de combinaisons avec d’autres formes, notamment la référence des arguments nominaux, s’ils sont cumulatifs ou quantisés (cf.

supra, I.2.5.1.). Les groupes prépositionnels qui expriment le lieu, la direct ion sont également pris en compte.

Nous fournissons ci-dessous deux exemples donnés par Smith (ibid., 73) pour illustrer notre propos :

(9) walk the dog v[-Telic] + Nom[+Count] = VP[[-Telic]]

Le verbe walk est intrinsèquement atélique, lorsqu’il se combine avec un nom comptable (à référence quantisée), l’énoncé reste atélique comme dans (9).

(10) walk to school v[-Telic] + PP[Directional] = VP[[+Telic]]

En revanche, dans (10) l’interaction avec le groupe prépositionnel to school change la valeur de base du verbe et l’énoncé devient télique.

(11) build a house v[+Telic] + Nom[Count] = VP[[-Telic]]

Le verbe build est intrinsèquement télique, rien ne change lorsqu’il se combine avec un nom à référence quantisée, comme dans (11)

(12) build houses v[+Telic] + Nom[Mass] = VP[[-Telic]]

L’énoncé devient en revanche télique lorsqu’il se combine avec un nom à référence cumulative, comme dans (12).

 Le travail de Smith met l’accent sur la nécessité de « distinguer l’aspect lexical du lexème verbal pris hors contexte et l’aspectualité de la proposition, qui intègre l’ensemble des compléments ayant une influence sur le calcul aspectuel » (Confais, 2003 :4). Dans cette perspective, l’étude du contexte plus large dans lequel un énoncé apparaît semble déterminant, en admettant que les situations prédiquées par l’énonciateur sont dépendantes les unes par rapport aux autres.

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La théorie sur laquelle nous allons maintenant nous pencher considère justement que l’assignation d’un type aspectuel à un énoncé produit par un locuteur revient à s’intéresser à la

« relation que [ce locuteur] prédique [d’un procès] particulier que son énoncé décrit, par rapport aux autres [procès] dans le domaine discursif » (Moens & Steedman, 1988 :94)