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Introduction générale

Partie 3. Marqueurs de l’ici et maintenant & du décentrement dans le passé le passé

1. M ARQUEURS DE L ’ ICI ET MAINTENANT DANS LE LANGAGE ADRESSE A T HOMASADRESSE A THOMAS

1.2. Valeurs des formes à l’impératif

1.2.2. Analyse qualitative des formes à l’impératif

Dans l’extrait ci-dessous, nous trouvons trois impératifs qui fonctionnent comme des injonctions :

Extrait 1. Thomas 2;01

Purdie entre dans la pièce où se trouvent Thomas et sa mère.

*MOT: you mustn’t touch her.

*MOT: just watch her.

*MOT: talk to her but don’t touch her.

*CHI: 0 [=! squeals].

Le premier impératif, just watch her, pourrait recevoir une fonction de demande d’attention (« regarde le chat qui entre ») s’il était pris hors-contexte. Ici, l’énoncé qui précède l’impératif exprime une modalité de type radical, la mère de Thomas lui ordonne de ne pas toucher le chat. L’énoncé à l’impératif apparaît donc comme un contrepoint à cette interdiction : puisque Thomas ne doit pas toucher le chat, il reçoit l’ordre de le regarder uniquement. Les deux derniers impératifs forment un énoncé complexe coordonné avec BUT. Ces deux forme s constituent également des injonctions à faire (talk to her) ou ne pas faire (don’t touch her).

Extrait 2. Thomas 3;06

Thomas a une nouvelle montre qu’il veut montrer à son père qui dort à l’étage.

*CHI: I'm going to show Daddy.

*MOT: no don’t go upstairs, Thomas.

*MOT: you’re not to go upstairs.

*CHI: 0I [*] want to watch telly.

*MOT: come here please.

*MOT: Thomas, come here.

*MOT: don’t you dare go upstairs.

Dans cet extrait, le premier impératif fait suite à l’expression du désir immédiat de Thomas (matérialisé par BE GOING TO). Sa mère produit no don’t go upstairs pour formaliser une interdiction qu’elle accompagne d’un vocatif. Cette interdiction est reformulée avec la périphrase BE TO qui marque la non-validation inconditionnelle du procès envisagé par Thomas. Les deux impératifs come here n’ont pas pour but d’orienter Thomas dans l’espace, il

PARTIE 3 – Chapitre 1 – Ici et maintenant (langage adressé à Thomas)

s’agit ici de faire en sorte qu’il reste à sa place, autrement dit qu’il n’aille pas voir son père à l’étage, ce qu’exprime le dernier énoncé à l’impératif dont la fonction injonctive est renforcée avec DARE (don’t you dare go upstairs).

Extrait 3. Thomas 4;10

La mère de Thomas lui explique pourquoi il ne faut pas voler dans les magasins.

*MOT: always [/] always pay for things, sweetheart.

*MOT: yeah?

*CHI: yeah.

*CHI: then I can keep the money.

*CHI: can't I?

*CHI: and then put it in my moneybox.

*MOT: you can if you get any change.

*MOT: right.

*MOT: I love you.

*CHI: I love you.

*MOT: I don't want you in prison.

Cet extrait se situe à la fin d’une longue conversation sur l’importance du travail pour avoir de l’argent et l’interdiction de voler, Thomas ayant commis un larcin quelques jours auparavant (il a volé des bonbons). Cette forme à l’impératif est une injonction à toujours payer, autrement dit ne jamais voler. Elle est suivie par une marque de tendresse adressée à Thomas (sweetheart) qui semble s’opposer à l’injonction précédemment reçue. En fait, il s’agit d’expliquer à Thomas que le vol peut avoir des conséquences néfastes et que sa mère ne souhaite pas cela. Cette position adoptée par la mère traduit toute l’ambiguïté pragmatique à l’œuvre lorsqu’elle produit une injonction : s’il s’agit bien de donner un ordre, d’interdire ou d’autoriser, la mère de Thomas semble soucieuse d’y intégrer une dimension éducative qui s’appuie sur une argumentation réfléchie qu’elle prend en charge (si je te dis de faire ça, c’est que je sais que c’est pour ton bien). Toutefois, il y a surtout une dimension subjective (I love you) qui semble être l’argument principal avancée par la mère (ne le fais pas car je t’aime).

Extrait 4. Thomas 3;06

Thomas et sa mère jouent à Thomas le conducteur de bus.

*CHI: I just open a@sc doors.

*CHI: there 0you [*] go.

*MOT: oh thank you.

*MOT: let me give you a kiss Thomas the bus driver.

*MOT: that is nice.

Lorsque la mère produit ce type d’impératif en LET + Base Verbale elle signifie explicitement ses intentions à Thomas (ici de lui donner un bisou). L’énoncé prend une valeur quasi-performative puisqu’au moment où la mère le produit, elle accomplit le procès matérialisé par la base verbale.

Cette forme d’impératif constitue une demande tacite de permission, la mère « prévient » Thomas de ses intentions. Thomas a la possibilité de ne pas ratifier les intentions ainsi formulées par sa mère, soit en les ignorant ou en les refusant avec des gestes et/ou avec la parole.

Dans l’extrait ci-dessous, la mère produit un énoncé en LET’S (let’s get you dressed), qui correspond à la reformulation de l’énoncé qui précède (we need to get dressed), Thomas venant de sortir du bain. La réalisation de l’intention qu’elle exprime ici est contingente de la volonté de Thomas qu’elle associe à sa production (comme l’indique les pronoms ‘s et we) ; sans sa coopération, la relation prédicative [you – get dressed] ne pourra être validée. À la suite de cet énoncé, on observe les différentes stratégies mises en œuvre par Thomas pour ne pas s’habiller. Le fait de s’habiller devient un thème de négociation latent dans la conversation :

Extrait 5. Thomas 4;10

Thomas vient de sortir du bain, il doit s’habiller.

*CHI: found it.

*MOT: let's get you dressed.

*CHI: I am so glad I found it.

L’énoncé de la mère est produit entre deux énoncés produits par Thomas. L’attention de Thomas se porte sur un petit coussin (avec un tigre représenté dessus) qu’il vient de trouver (found it), il marque son contentement dans le deuxième énoncé où l’on trouve la proposition I found it, répétition de celle qui précède, dans une proposition rectrice, évaluative, composée de la copule BE suivi d’un attribut du sujet précédé de l’intensifieur SO qui marque son contentement ; il fait ainsi dévier le centre d’attention de sa mère et place son intention qu’elle a précédemment exprimée au second plan de la conversation. La mère continue pourtant tant bien que mal son entreprise :

PARTIE 3 – Chapitre 1 – Ici et maintenant (langage adressé à Thomas)

*MOT: let's dry you now.

*CHI: Mum, ow it's biting.

*MOT: oh you feel a bit cold there somewhere.

Alors que sa mère exprime à nouveau son intention, d’une manière différente (avec un impératif en LET’S), Thomas interpelle sa mère (Mum) sur la présupposée activité du tigre représenté sur le coussin. Il produit un présent BE + V-ING pour établir un lien précis entre le procès qu’il décrit et la situation d’énonciation (matérialisée par now dans la production de la mère). Il présente ainsi la relation prédicative [it – bite] comme validée à T0 alors qu’elle n’est que le fruit de son imagination. Il se porte garant de son existence pour attirer l’attention de sa mère sur celle-ci et reléguer encore la question de l’habillement au second plan. Dans la suite de la conversation, il apparaît que les voix de Thomas et de sa mère se superposent et s’entremêlent :

*MOT: put your pants on please.

*CHI: oh <dear [/] dear> [>].

*MOT: <oh dear you> [<].

*MOT: put your pants on.

*CHI: oh dear me.

Alors que la mère de Thomas produit un impératif injonctif, Thomas s’approprie la voix de sa mère dans des scripts passés équivalents, en reproduisant ce que pourraient être ses plaintes (oh dear dear). Sa mère s’aligne alors avec lui et comprend ce qu’il fait. En revanche, Thomas n’est en quelque sorte pas resté à sa place énonciative et a rejoint la place de la mère (ce à quoi elle ne s’oppose pas) et ils se font écho mutuellement, lui en empruntant des répliques passées et elle en l’imitant localement. Il apparaît que la mère récupère sa place énonciative en réinstaurant une relation hiérarchique adulte / enfant dans la suite de la conversation :

*MOT: why do you have no trousers on?

*CHI: (be)cause.

*MOT: stop being silly, Thomas.

*CHI: alright.

*MOT: you keep telling me how grown up you are.

*CHI: oh no I'm not.

La mère, qui a compris le stratagème de son fils, s’oppose à son insolence (stop being silly). Elle use à son tour d’un stratagème pour que Thomas obéisse, elle lui présente son comportement comme une régression à un stade plus précoce de son développement qui ne correspond plus à son âge (Thomas approche des 5 ans ici). Thomas persévère en niant la relation prédicative [you – be grown up] précédemment énoncée par la mère, alors qu’elle le cite pourtant comme la source évidentielle à l’origine de la validation de cette relation (you keep telling me).

 Au niveau conversationnel, les formes d’impératif produites par la mère de Thomas montrent une dynamique dialogique intéressante. Les différentes valeurs que nous avons parcourues sont en fait le résultat de la variabilité de la voix dialogique incarnée par les deux participants.

 Lorsque la mère donne une injonction, elle incarne la voix de l’adulte qui fournit à l’enfant des repères ponctuels utiles à T0. Elle peut aussi associer l’enfant à ses propres intentions (avec LET’S) et incarner ainsi les deux voix du dialogue.

 La validation à T0 des formes à l’impératif produites par la mère dépend pourtant de Thomas, qui peut s’aligner, se désengager ou encore imiter la voix de sa mère, en rejoignant momentanément sa place énonciative, notamment pour se soustraire à ses injonctions.