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Introduction générale

Partie 1. Revue de travaux

I. L ES MODALITES D ’ EXPRESSION DE LA TEMPORALITE EN ANGLAIS

2. L’aspect sémantique : « le temps que le verbe emporte avec lui »

2.5. Parallèles entre les domaines nominal et verbal

Puisque dans cette approche, les éventualités sont assimilées à des objets, des entités individuelles et basiques du discours (cf. infra, I.2.4.), Bach (1986) s’intéresse aux similitudes entre le domaine nominal, c’est-à-dire la distinction entre les noms comptables et non-comptables (en s’appuyant sur les travaux de Link, 1983) et le domaine verbal, à savoir la distinction entre les procès téliques et atéliques. Pour ce faire, il utilise une approche méréologique, en étudiant les rapports entre une éventualité et les parties qui la composent.

Quine (1960 :91) note que les noms non-comptables et les noms pluriels avec le déterminant Ø sont cumulatifs, si l’on prend de l’eau ajoutée à de l’eau, on obtient toujours de l’eau ; Krifka (1986) considère que ces entités ont une référence cumulative. En revanche, si l’on additionne des noms comptables, on obtient plusieurs entités, c’est la référence quantisée.

En ce qui concerne les éventualités, Bach (1981 :70) distingue les événements des processus, on ne peut « subdiviser » un événement tel que he found a unicorn, c’est le concept d’antisubdivison ; on peut en revanche subdiviser un processus tel que he ran for two hours.

Si l’on a deux événements distincts du même type, leur somme n’est jamais égale à un événement du même type (1a). Ce n’est pas le cas pour les processus où si l’on fait la somme de deux processus du même type, on obtient un processus du même type (1b), c’est le concept d’additivité :

(1) a. He found a unicorn + He found a unicorn ≠ He found a unicorn b. He drank wine + He drank wine = He drank wine

Bach dit donc des événements qu’ils sont antisubdivisibles et non-additionnables contrairement aux processus (même s’il précise que les processus ne sont pas nécessairement subdivisibles et additionnables). Bach (1986) parvient à la conclusion qu’un processus est à un événement ce qu’un nom non-comptable est à un nom comptable. Krifka (1986) adopte aussi les deux références du domaine nominal aux éventualités, la référence cumulative correspond aux énoncés atéliques (états et processus) et la référence quantisée correspond aux énoncés téliques (événements).

2.5.1. Interactions et contraintes mutuelles entre les groupes verbaux et les arguments nominaux

Concernant ces interactions et ces contraintes, deux cas sont illustrés par les exemples (2) et (3) (Filip, 1999 :81) :

PARTIE 1 – Chapitre I – Modalités d’expression de la temporalité

(2) a. Bill ate a cake in an hour.

b. Bill ate strawberries for an hour.

c. The poster was printed on the LaserJet in ten minutes.

Dans (2a), puisque a cake a une référence quantisée, il réfère à une entité clairement délimitée, l’énoncé reçoit une interprétation télique et n’est donc compatible qu’avec l’adjoint in (an hour). C’est le contraire dans (2b), strawberries a une référence cumulative, l’énoncé reçoit une interprétation atélique et ne fonctionne qu’avec l’adjoint for (an hour). Dans ces deux cas, les arguments compléments décident de l’interprétation télique ou atélique de l’énoncé.

Dans l’exemple (2c), c’est le statut de l’argument sujet the poster qui décide de l’interprétation télique de l’énoncé puisqu’il fait référence à son produit même.

(3) a. Henry loved the movie.

b. Henry watched the movie for an hour.

Les exemples (3) reçoivent tous les deux une interprétation atélique alors que dans (3a) et (3b), the movie a une référence quantisée. Dans ces deux cas, il semble que les verbes love et watch ne soient pas sensibles à la référence de leurs arguments nominaux.

Filip (1999 :81) donne trois critères à prendre en compte pour étudier l’influence de la sémantique des groupes verbaux et des arguments nominaux sur la télicité des énoncés.

Premièrement, le sémantisme du verbe lexical de l’énoncé joue un rôle mais n’est pas un critère stable pour des raisons évidentes de polysémie et de contexte. Deuxièmement, l’examen des relations syntaxique et sémantique que le verbe ou le groupe verbal entretient avec son ou ses argument(s) est importante pour assigner une interprétation télique ou atélique à un énoncé. En dernier lieu, la référence cumulative ou quantisée du ou des arguments nominaux peut décider ou non de cette interprétation. Nous pouvons approfondir ces remarques avec l’étude de deux hypothèses qui s’intéressent aux liens entre la syntaxe et la sémantique.

2.5.2. L’Hypothèse de l’Interface Aspectuelle (Tenny, 1989)

Tenny (1989) s’inscrit dans la Lexical Conceptual Structure (LCS) qui matérialise par la

« structure aspectuelle, les éléments syntaxiquement pertinents du sémantisme du verbe lexical » (Filip, 1999 :84) pour rendre compte des liens entre la structure thématique et la structure syntaxique argumentale ; cette représentation est donc à la croisée de la syntaxe et de la sémantique. Au niveau syntaxique, un argument peut se réaliser de diverses manières (exemples inspirés de ibid., 83) :

(4) a. I ate a cookie.

b. He crossed the river.

c. The ice melted.

d. He walked the street to the shop.

(4a) et (4b) correspondent respectivement à un complément d’objet direct du verbe transitif eat et du verbe cross, (4c) correspond au sujet du verbe inaccusatif melt et (4d) à un complément d’objet du verbe intransitif walk utilisé ici de manière transitive. Pour Tenny, malgré l’hétérogénéité des compléments, ils « mesurent » le procès (1989 :7) de façon plus ou moins métaphorique. En d’autres termes, ils influent sur le procès en le délimitant et en cela, le terme de mesure correspond à la télicité (ou à la quantisation).

En revanche, certains arguments ne mesurent aucunement le procès, notamment dans les états tels que (5) :

(5) a. Mary loves chocolate.

b. The sun shines.

c. Jude knows French.

Le rôle de la structure aspectuelle comme interface entre la syntaxe et la sémantique est développée dans l’Hypothèse de l’Interface Aspectuelle :

“The mapping between thematic structure and syntactic argument structure is governed by aspectual properties. A universal aspectual structure associated with internal (direct), external and oblique arguments in syntactic structure constraints the kinds of event participants that can occupy these positions. Only the aspectual part of thematic structure is visible to the syntax.” (Tenny, 1989, p.3)

L’hypothèse de l’Interface Aspectuelle développe trois contraintes qui sont liées aux trois structures que nous avons mentionnées avec les exemples (4). Les compléments d’objet directs qui appartiennent à la structure interne du verbe comme dans (4a) et (4b) sont régis par la contrainte de « mesure » (measure), les compléments d’objet indirect qui appartiennent à la structure interne du verbe comme to the shop dans (4c) sont régis par la contrainte de

« terminus » (terminus) en exprimant le « trajet » (path). Ainsi, seuls les arguments qui appartiennent à la structure du verbe peuvent délimiter le procès, les arguments externes sont quant à eux régis par la contrainte de « non-mesure » et ne participent pas à la délimitation du

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procès. Il est à noter que cette hypothèse ne fait pas l’unanimité chez les linguistes principalement en raison de possibles non-correspondances entre les rôles sémantiques et les arguments syntaxiques (Jackendoff, 1990 ; Dowty, 1991) et le manque de précision dénotée par l’expression de « mesure » (Filip, 1999) ; il nous semble cependant qu’elle demeure intéressante notamment en raisons des liens qu’elles tentent de tisser entre syntaxe et sémantique.

2.5.3. Le Thème Incrémental (Dowty, 1991)

Le Thème Incrémental développé par Dowty (1991) fait l’hypothèse de l’existence de seulement deux rôles thématiques, le rôle de Proto-Patient et le rôle de Proto-Agent et fait état des propriétés qui leur sont assignées, tous les arguments des verbes assument « l’un ou l’autre ou les deux rôles selon le nombre d’implications que chaque verbe assigne à celui-ci » (ibid., 547).

Dowty relève cinq propriétés pour le rôle de Proto-Agent (ibid., 572) :

 agentivité dans le procès ;

 sensation (et/ou perception) ;

 causer un événement ou un changement d’état chez un autre participant ;

 être en mouvement par rapport à la fixité d’un autre participant ;

 le référent existe indépendamment du procès.

L’auteur relève cinq propriétés pour le rôle de Proto-Patient, il peut :

 subir un changement d’état (cf. supra, I.2.3.) ;

 être un thème incrémental (subit un changement d’état défini) en tant qu’objet produit (build a house), détruit (destroy a wall), consommé (eat a sandwich) ou affecté (paint a house) ;

 être affecté causalement par un autre participant ;

 être fixe par rapport au mouvement d’un autre participant ;

 il n’existe pas de manière indépendante au procès.

Le lien entre sémantique et syntaxe est assuré par le Principe de Sélection de l’Argument :

“In predicate with grammatical subject and object, the argument for which the predicate entails the greatest number of Proto-Agent properties will be lexicalized as the subject of the predicate; the argument having the greatest number of Proto -Patient properties will be lexicalized as the direct object.” (Dowty, 1991, p.576)

 L’approche méréologique à l’œuvre dans la distinction entre événements et processus permet un découpage plus précis de la temporalité interne des procès. On pourra notamment se demander si la distinction entre un événement qu’on ne peut pas subdiviser et un processus que l’on peut subdiviser joue un rôle dans la production de PP.

 L’interface syntaxe / sémantique soulevée par Tenny (1989) interroge la réalisation syntaxique des arguments sémantiques, on pourra observer dans notre corpus les types de compléments des verbes au PP afin de leur assigner une ou des fonction(s) dans la production de PP.

 Les deux rôles (proto-patient, proto-agent) mis en lumière par Dowty (1991) seraient intéressants à examiner du point de vue des productions précoces de PP où l’on pourrait y observer des traces de l’appréhension de ces deux proto-rôles.

3. L’aspect grammatical, mise en perspective temporelle du procès par