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COLLISION DES DISCOURS EN DROIT

1. TYPOLOGIE DU DISCOURS JURIDIQUE

Quant au discours juridique, les paramètres que l’on doit prendre en compte pour délimiter ses sous-genres relèvent de la source dont émane un tel discours, des destinataires qu’il vise, des exigences de formation auxquelles il doit obéir, des situations où il devient opérable et des effets qu’il doit produire sur les sujets de droit. Au sein de la langue naturelle, on peut dégager, entre autres, cette façon particulière dont celle-ci est parlée dans le secteur d’activité représenté par le système juridique. Cette espèce de la langue présente assez de propriétés linguistiques pour qu’elle soit isolée comme un langage spécial ou spécialisé. Le langage juridique accompagne toutes les sources et voies du droit et participe en tant qu’instrument d’élaboration à l’activité législative (fonction réglementaire), à l’activité contractuelle et administrative (fonction juridictionnelle), à l’activité de préparation et de conception de la littérature juridique (création doctrinale), etc.

La distinction de ces diverses relations et fonctions caractéristiques pour le langage

juridique montre que la pluralité règne sur le langage du droit et que l’étude du discours juridique ne peut se faire que par niveaux de langage. Ce sont dans les grandes lignes : le niveau législatif, le niveau administratif et le niveau judiciaire. Mais il y a de nombreuses interférences et points communs unifiant tous ces niveaux. Ainsi a-t-on distingué 3 grands types de discours juridiques : législatif, juridictionnel et coutumier (Cornu, 1990 : 266), constituant la typologie classique. Mais on constate qu’elle laisse de côté le discours doctrinal. Celui-ci apparaît dans les ouvrages de spécialité (traités, manuels, exposés, conférences) et il est souvent invoqué par des expressions du type : le texte de la doctrine soutient que…, la doctrine exprime le principe…, etc.

1.1. Le discours doctrinal présente les traits de tout discours scientifique : discours théorique contenant des énoncés explicatifs, rédigé à la 3e personne et orienté vers la description des faits et des phénomènes (Grize, 1990 : 77) à l’intérieur d’un domaine du savoir. La finalité du discours doctrinal est de démontrer l’appartenance du droit au domaine des sciences en tant qu’ensemble de connaissances raisonnées et coordonnées (Weil, Terre, 1986 : 48). Les termes techniques qui y apparaissent relèvent pour la plupart des énoncés du vocabulaire juridique.

C’est surtout dans le discours doctrinal qu’on insère les maximes et les adages qu’il faut interpréter comme des énoncés, des façons de parler et non pas comme un type de discours à part, leur but étant de soutenir, de renforcer et parfois d’embellir l’argumentation scientifique. Il est également vrai que les adages représentent des survivances d’énoncés normatifs anciens (droit romain, germanique, médiéval français) qui sont porteurs de normes juridiques ou de principes généraux de procédure. Mais il est important de souligner que ces adages ne s’actualisent que dans certaines conditions. Ils ont toujours besoin d’une référence au droit actuel ou à une situation concrète qui concerne le droit en général. Sans cet encrage référentiel à un contexte déterminé, l’adage ne s’actualise pas et ne peut pas remplir ses fonctions. De ce point de vue, ils sont assez souvent comparés aux proverbes et sont rangés à côté de ceux-ci (cf. M. Maloux, Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes).

1.2. Le discours législatif comprend tous les énoncés normatifs, toutes les règles juridiques émanant d’une autorité législative (Parlement) suivant une certaine hiérarchie : Constitution, loi organique, loi ordinaire, ordonnance, décret (Kelsen, 1962 : 6-7). Le discours législatif prend la forme d’un message écrit, codifié, qui porte dans sa structure les marques de sa finalité : la fonction créatrice de droit. C’est pourquoi la codification doit répondre en premier lieu au canon législatif qui suppose l’organisation formelle du texte selon un modèle unique. Ce conditionnement législatif concerne les divisions d’ensemble de dimensions variables (Livre, Titre, Chapitre, etc.) auxquelles s’ajoutent certaines formules d’encadrement ou de promulgation de la règle (discours de référentialisation indiquant source, date et contenu) ainsi que l’énoncé article par article du texte entier. Le conditionnement représente une enveloppe, une sorte d’emballage mais son rôle est essentiel : le discours législatif devient opératoire (acquiert la validité) à condition de respecter ces consignes formelles.

Le législateur (émetteur) se trouve dans une position supérieure et n’attend pas de réponse immédiate de la part des récepteurs (sujets de droit). En choisissant le canal écrit, l’autorité s’exclut elle-même de la réciprocité de l’échange linguistique, en excluant implicitement l’allocutaire du statut de participant à cet échange. La distance qui sépare les 2 pôles entraîne l’absence de toute fonction phatique. La communication est différée par le

décalage spatial et chronologique.

1.3. Le discours juridictionnel (judiciaire) constitue une autre sous-classe du discours juridique, réunissant toutes les décisions de justice dont l’archétype est le jugement. Il est le résultat de l’intervention de nombreux protagonistes dans le processus d’application du droit dans la pratique. Par conséquent, c’est un discours complexe, à composantes multiples qui lui confèrent un caractère composite et une autonomie plus réduite par rapport au discours législatif. Le juge n’est pas souverain comme le législateur : il représente une autorité mais l’autonomie de son discours concerne uniquement la rédaction de l’énoncé. La décision est un acte collégial, délibéré avant l’élaboration (l’émetteur n’est pas unique).

Le caractère composite du discours juridictionnel mobilisé dans le jugement résulte du fait qu’il englobe les discours des parties, celui des plaideurs, le discours législatif auquel se rapportent presque tous les participants, la solution, la justification de celle-ci (la motivation), le tout assorti de formules stéréotypées et rangé dans un dispositif, un

« appareillage » dont le seul but est l’application du droit. En décomposant cet ensemble, on peut y déceler des énoncées qui se distinguent par le vocabulaire employé ainsi que par les structures logiques et linguistiques spécifiques à chacun des discours incorporés.

1.3.1. Discours référentiel.

La I-ere partie contient les références à la situation de communication : date, source du message, noms des juges, avocats, greffier, parties, etc. Tout comme pour le discours législatif, cette enveloppe d’accompagnement relève du discours juridictionnel plutôt comme un discours d’attestation (et de validation). Les marques d’autorité et d’authenticité rendent l’acte opératoire.

1.3.2. L’exposé des faits résume les faits par un énoncé narratif intéressant le litige.

Le langage employé par le juge est le langage courant, le ton qu’il utilise est objectif, neutre et impersonnel. C’est un discours indirect libre parce que le juge ne présente pas les faits et les circonstances comme des éléments d’un autre énoncé mais il n’utilise pas la I-ere personne non plus.

1.3.3. Le traitement juridictionnel du litige

Après l’exposé des faits, le juge incorpore à son discours le discours des parties contenant leurs prétentions. Cette partie est, au fait, une « traduction » de la demande des parties du langage courant en langage technique, une reformulation qui constitue le traitement juridictionnel du litige. Cette fois-ci, il est question d’un discours rapporté car les prétentions sont présentées par le juge comme émanant des parties impliquées (en citant les expressions et les formulations utilisées par celles-ci). Le juge cite aussi des énoncés contenus dans les documents qui forment la preuve juridique : acte, constat, rapport, avis, attestation, déclaration, expertise, aveu, etc. Evidemment, cet « outillage » technique emploie un vocabulaire de spécialité propre. Cette tranche de la décision se ferme par la formule sur quoi assurant le passage vers la partie finale qui est la solution du jugement.

1.3.4. Le syllogisme juridique

Le juge cite enfin la règle juridique sur laquelle le jugement s’appuie, le développement démonstratif prenant la forme du syllogisme juridique. Cette démarche engendre un discours diversifié : le discours législatif rapporté ainsi que l’énoncé de la

motivation qui appartiennent au juge. Chaque motif y est introduit par une formule consacrée pour en dégager la déduction. Ce syllogisme ne se réduit pas à un simple exercice de logique formelle mais il est structuré en vue d’une argumentation car le juge veut convaincre du bien-fondé de la solution adoptée. La motivation est censée avoir une valeur universelle. Les formules stéréotypées attendu que…, par ces motifs… y jouent le rôle de connecteurs argumentatifs. La solution est formulée à l’aide des verbes qui sont des

« prototypes de performatifs » du type déclarer, prononcer, condamner mais employés à la IIIe personne car le discours juridictionnel se caractérise par un « dédoublement typique » : le juge statue et, en même temps « de surcroît, il indique lui-même comment il statue ; il se décrit en jugeant ». G. Cornu (1990 : 356) y voit l’unité de l’aspect institutionnel et de l’aspect personnel du discours juridictionnel. C’est ce qui distingue le discours législatif et le discours juridictionnel : les données référentielles du discours juridictionnel sont plus nombreuses et ce sont elles qui rendent opératoire ce discours qui concerne le domaine judiciaire. Mais il faut mentionner aussi le dédoublement de l’autorité : l’autorité du juge et l’autorité législative qui restreint l’autorité de celui-ci.

1.3.5. Le discours administratif

La référentialisation est également présente parce qu’indispensable dans toute décision administrative : les autorités administratives agissent au nom des lois, en s’y rapportant toujours. Même si la tranche de jugement n’est pas exprimée (parce qu’il n’y a pas de jugement) les références sont indispensables pour la mise en œuvre du droit.

Très souvent, pour des raisons didactiques et méthodologiques, on emploie les formulations langage juridique et administratif. Les différences résultent de l’emploi des termes techniques hautement spécialisés mais la logique interne de production discursive est unique. C’est pourquoi il est important de préciser que le discours administratif représente une sous-catégorie du discours juridictionnel.

1.4. Le discours procédural est un autre type de discours juridique séparément analysable. Il apparaît dans la documentation de droit civil et pénal, celle de procédure civile et pénale, en général, dans toute documentation judiciaire. On pourrait comparer tout ce matériel documentaire au mode d’emploi de tel ou tel appareil, aux ordonnances médicales, aux guides (vade me cum) de toute activité spécialisée. Il comprend les renseignements complets et les prescriptions concernant la mise en œuvre du droit : la composition, les compétences et le pouvoir juridictionnel d’une certaine instance, les mesures judiciaires, les procédures à suivre, les voies d’intervention et de recours contre les décisions rendues par les juridictions spécifiées, etc.

Sa polycontexturalité résulte d’une combinaison de discours explicatif et de discours législatifs auxquels s’ajoutent parfois des adages soutenant le contenu des recommandations et des renseignements que le discours doctrinal englobe. Aussi a-t-il un caractère composite qui rend encore plus difficile sa classification parmi les autres discours juridiques. Définitions, explications et commentaires sur la législation en vigueur sont formulés sur un ton objectif, neutre et impersonnel qui placerait le discours procédural dans la sphère du discours doctrinal des traités/manuels. Mais ce dernier représente plutôt une espèce de discours scientifique centré sur le domaine théorique, spéculatif du droit, alors que le discours procédural possède une composante prescriptive importante. La partie prescriptive du discours procédural ayant pour but de guider et de déterminer l’intervention juridique montre qu’il s’agit en effet d’un énoncé normatif. Se rapportant au texte de loi invoqué en permanence, il devient par endroit un discours législatif rapporté.

Inexplicablement ignoré par les chercheurs, le discours procédural présente des particularités intéressantes, ne serait-ce que son caractère intégrateur qui pourrait le placer aussi à côté du discours juridictionnel. Mais à la différence de ce dernier, le discours procédural ne possède pas d’enveloppe d’accompagnement : ses seules références concernent les textes législatifs sur lesquels il s’appuie.