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Relations topologiques et relations projectives

VERBES À CIBLE MOBILE

1.2. Relations topologiques et relations projectives

Il existe deux grandes catégories de relations spatiales: les relations topologiques et les relations de distance. Dans le cas des relations topologiques, concept repris par les linguistes de la géométrie, la cible se trouve dans un lieu qui a une certaine coïncidence avec le site. Les relations topologiques codifient deux types de rapports entre les deux entités: la cible et le site peuvent se trouver dans un rapport porteur (site) - porté (cible), comme dans l’exemple (15) (voir Borillo 1998). On parle toujours de relations topologiques si la cible se trouve dans une zone de l’espace qui coïncide, au moins

partiellement, avec le site. On parle dans ce second cas d’une relation topologique d’inclusion (ex. (16)).

(15) Il abattait ses cartes (C) sur le tapis (S), cognant du poing, à chaque coup, entre les verres pleins de vin rouge. (M. GENEVOIX, Raboliot, 1925, p. 150)

(16) Comme la soirée était un peu humide, nous avions allumé un petit feu de bois (C) dans la cheminée (S) de la salle. (BOSCO, Le Mas Théotime, 1945, p. 126)

Quant aux relations de distance, elles peuvent fournir des informations sur la direction dans laquelle se trouve la cible par rapport au site (ex. 17) ou l’intervalle spatial qui les sépare (ex. 18):

(17) C'était (...) l'archidiacre. Il (S) avait à sa gauche le sous-chantre (C) et à sa droite le chantre (C) armé du bâton de son office. (HUGO, N.-D. Paris, 1832, p. 398)

(18) Geneviève : Où sommes-nous (C) enfin, Robineau? Robineau : Au kilomètre onze cent cinquante de Paris (S). (GIRAUDOUX, Siegfried, 1928, I, 5, p. 28) Nous avons pris en considération la manière dans laquelle les relations topologiques sont exprimées par des verbes dénotant divers modes d’action3. En suivant Caudal (2000) nous avons adopté une classification tripartite des verbes en états (pour les verbes non dynamique comme se trouver, exister, demeurer, etc.), processus (qui expriment des événements dynamiques non bornés, comme dormir, marcher, nager, etc.) et terminations4 (pour caractériser les verbes dynamiques téliques, c’est-à-dire bornés comme écrire un lettre, arriver, entrer, etc.).

Dans la présentation des classes sémantiques qui désignent la cible ou le site nous avons tenu compte de leur niveau de granulation, ainsi que de la structure méréologique.

Plus les entités impliquées dans la relation spatiale ont une structure méréologique complexe, plus les niveaux de granulation à la disposition du locuteur sont nombreux.

Mais il doit exister une certaine harmonie entre la granulation des cibles et des sites. Pour donner des exemples extrêmes, le locuteur peut localiser une ville ou un navire en donnant leurs coordonnées géographiques (la latitude et la longitude, par exemple), mais il ne peut pas localiser un meuble, par exemple, de la même manière. Il est difficile, sinon impossible, d’établir une règle stricte pour le rapport entre la granulation de la cible et du site, mais probablement certaines similitudes entre des trois niveaux de la structure prototypique5 pourrait être une indication de tendance.

Un problème supplémentaire qui apparaît dans l’examen des prédications spatiales dynamiques concerne l’identification de la cible. Examinons les exemples suivants:

(19) J'ai donné des récitals à la salle Pleyel et je me suis montré sur la scène de quelques music-halls. (QUENEAU, Loin Rueil, 1944, p. 100)

(20) ... une fois, une représentation donnée [au palais Ruspoli] le jeudi ne finit qu'à minuit et un quart, empiétant ainsi d'un quart d'heure sur le vendredi... (STENDHAL, Promenades dans Rome, t. 2, 1829, p. 9)

(21) - Un type (...) qui courait (...) la foire aux puces de Saint-Ouen et a fait ses plus belles trouvailles à la foire aux jambons du boulevard Richard-Lenoir. (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 393)

Dans ces exemples, la cible est exprimée par des substantifs noms d’action (représentation, trouvailles et récital, qui dérive des verbes représenter, trouver et réciter,

respectivement), le site (la salle Pleyel, le palais Ruspoli, la foire aux puces) constituant le cadre de déroulement de ces actions. Pour les prédications dynamiques il faut, donc, introduire une nouvelle catégorie de cibles, abstraites, représentant des événements complexes qui se déroulent dans un certain cadre spatial.

2. Processus et terminations

Dans le cas des verbes dynamiques, Andrée Borillo (1996) distingue deux grandes classes:

A. la classe des verbes de mouvement et

B. la classe des verbes de déplacement, qui comprend, elle aussi, deux catégories:

(b1): les verbes de changement d’emplacement et (b2) : les verbes de changement de lieu.

Borillo appelle ‘verbes de mouvement’6 les prédicats qui désignent un changement de posture ou de position (Paul se pencha à la fenêtre, il s’agenouilla sur le sol, il tourna la tête vers la porte, il s’appuya contre le mur), la mobilité concernant seulement des partie du cible, tandis que les rapports essentiels entre la cible et sa base ne sont pas fondamentalement changés (pour l’homme, les animaux et les plantes terrestre le sol ou le plancher, pour un objet - sa surface d’appui, etc.)7.

Les verbes de déplacement, au contraire, impliquent l’idée que la cible parcourt un certain trajet. Comme beaucoup de verbes dynamiques, les verbes téliques de déplacement présentent une structure phasale, ayant une phase préparatoire, une phase interne et une phase résultante (voir Caudal 2000: 144 - 157). La position spatiale de la cible change dans des intervalles temporels successifs.

La distinction entre ‘changement d’emplacement’ et ‘changement de lieu’ fait la différence entre les verbes qui désignent un mouvement à l’intérieur des zones internes du site (Paul court dans le jardin, la boule a roulé sur le sol, on a promené les touristes à travers la ville), pour les verbes de changement d’emplacement7 et (ii) verbes pour lesquels, dans la phase résultante, la cible se trouve dans un site différent de celui des phases précédentes. Il existe plusieurs possibilités:

a. la cible n’est pas dans l’endroit - site dans la phase préparatoire, mais elle s’y trouve dans la phase résultante (Paul sort dans la rue, la balle est tombée de l’autre côté du mur) ou

b. la cible se trouvait dans l’endroit – site dans la phase préparatoire mais elle n’y est plus dans la phase résultante (on a retiré le tableau du mur, Jean est sorti de la chambre en hâte) (voir Borillo 1996: 37 - 40).

Toutes ces classifications regardent les prédications qui expriment le fait que la cible, partiellement ou en son entier, change de place. La prédication spatiale se trouve impliquée dans toutes les catégories de prédication, y compris dans celles où (i) le mouvement est absent (comme pour les verbes de perception, de sensation) ou (ii) le mobilité de la cible est secondaire (les verbes décrivant des gestes, ceux liés à la nutrition, verbes de création comme peindre, tricoter un pull, etc., verbes de transmission de l’information comme dire, écrire, affirmer, téléphoner, …):

(22) Au jour levant, les Polonais aperçurent les cosaques (C) en bataille derrière trois lignes de traîneaux (S) et se couvrant par un parapet de cadavres gelés.

(MÉRIMÉE, Cosaques d'autrefois, 1865, p.271)

(23) ... il trouvait infailliblement la fève dans sa part de pâtisserie, et il proclamait reine Mme Chantal. Aussi fus-je stupéfait en sentant dans une bouchée de

brioche (S) quelque chose de très dur (C) qui faillit me casser une dent. (MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, Mademoiselle Perle, 1886, p. 629)

Le fait que pour les prédications dynamiques les mouvements ou les déplacements sont absents ou peu importants ne rend pas la prédication spatiale moins importante.

L’espace exprime les limites du lieu où prédication spatiale se déroule.