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CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRE D’ANALYSE DE LA FOURNITURE DE SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

2.3.1 La démarche comparative de la théorie des coûts de transaction

2.3.1.4 Les différents types d’arrangements contractuels et le principe d’arbitrage

La théorie des coûts de transaction repose sur l’idée que les mécanismes employés pour piloter les arrangements contractuels doivent être adaptés aux problèmes de coordination que les agents rencontrent. Les transactions nécessitent d’être encadrées par des structures de gouvernance dont la visée est de minimiser les risques contractuels.

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Les structures de gouvernance se définissent ainsi par leur aptitude relative à : (1) fournir

ex-ante des incitations pour encourager les investissements dans les actifs spécifiques, (2) assurer ex-post la crédibilité des engagements pris par les parties, (3) permettre ex-post l’évolution

des accords initiaux. Les deux derniers objectifs sont en tension. Il s’instaure souvent un arbitrage entre modes de gestion de l’opportunisme (contrôle, rigidité et complétude des règles) et mode de gestion des défauts de coordination (flexibilité). Dans un contexte de concurrence entre les organisations, ces dernières combinent ainsi différents mécanismes d’incitation, de contrôle et d’adaptation pour assurer, au moindre coût, la réalisation des transactions.

« Trois structures de gouvernance alternatives sont communément reconnues : les marchés, les formes hybrides et la hiérarchie » (Williamson, 1996) (cf. tableau n°6). A un extrême, le

marché combine de puissantes incitations avec un contrôle administratif réduit. Les conflits sont réglés devant les tribunaux. L’ensemble se traduit par une forte autonomie d’adaptation. A un autre extrême, les formes hiérarchiques se caractérisent par des incitations faibles, de puissants moyens de contrôle administratif et des modes de gouvernement privé qui visent à régler les conflits en interne. L’ensemble se traduit par des capacités d’adaptation coopérative. Toutefois, dans la plupart des situations (Hennart, 1993), les organisations présentent une forme de dualité du point de vue des mécanismes de coordination utilisés, conduisant à qualifier d’hybrides de telles formes organisationnelles.

Tableau n°6 : Les attributs des structures de gouvernance

+ + = fort ; + = moyen ; 0 = faible

STRUCTURES DE GOUVERNANCE

Attributs Marché Forme hybride Hiérarchie Forme de

contractualisation Spot Néoclassique Subordination

Performance Incitation Contrôle + + 0 + + 0 + + Adaptation Autonome Coordonnée + + 0 + + 0 + + Droit du contrat Public ordering Private ordering + + 0 + + 0 + + + + = fort ; + = moyen ; 0 = faible

STRUCTURES DE GOUVERNANCE STRUCTURES DE GOUVERNANCE

Attributs

Attributs MarchéMarché Forme hybrideForme hybride Hiérarchie Hiérarchie Forme de

contractualisation Forme de

contractualisation Spot Spot Néoclassique Néoclassique Subordination Subordination

Performance Incitation Contrôle Performance Incitation Contrôle + + 0 + + 0 + + + + 0 + + 0 + + Adaptation Autonome Coordonnée Adaptation Autonome Coordonnée + + 0 + + 0 + + + + 0 + + 0 + + Droit du contrat Public ordering Private ordering Droit du contrat Public ordering Private ordering + + 0 + + 0 + + + + 0 + + 0 + +

Source : d’après Williamson (1991, p.281)

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2.3.1.4.1 Le contrat classique ou contrat de marché ‘spot’

Le marché est une structure de gouvernance complètement décentralisée où la coordination est spontanée : les décisions relatives à l’allocation des ressources sont le fait d’agents économiques indépendants, autonomes et réagissant principalement aux signaux prix. Williamson considère que « la gouvernance de marché est la principale structure de

gouvernance appliquée aux transactions non spécifiques, que la contractualisation soit occasionnelle ou récurrente » (p.100). Dans ce cas, les interactions stratégiques entre les

agents et l’opportunisme ont peu de conséquences. Cette structure est associée à des

« contrats de marché spot » qui sont des contrats de court terme où les parties sont autonomes

et peuvent spécifier ex ante de manière précise les évènements futurs. Face à d’éventuels risques contractuels (aléas), elles s’en remettent directement aux règles légales existantes et aux tribunaux en cas de litiges.

2.3.1.4.2 Le contrat de subordination ou hiérarchie

Cette forme organisationnelle fait référence à la structure hiérarchique et généralement centralisée des entreprises qui repose sur des liens de subordination entre les agents. La coordination des plans et des actions est assurée par l’équipe dirigeante ou le chef d’entreprise. Williamson parle de « gouvernance ou de contractualisation unifiées » et d’organisation interne. Il s’agit d’une structure de gouvernance particulièrement adaptée à l’organisation des transactions hautement spécifiques. Elle se caractérise par la faiblesse des incitations individuelles qu’elle compense par des instruments puissants de contrôle bureaucratique. Elle réagit à son environnement changeant selon des modalités d’adaptation coordonnée qui s’opposent aux modalités d’adaptation autonome propres aux marchés. En cas d’incertitudes fortes, les firmes sont plus efficaces car les adaptations peuvent être effectuées d’une manière séquentielle sans avoir besoin de consulter, de compléter ou de réviser des accords inter-firmes (Williamson, 1991, p.280).

2.3.1.4.3 Le contrat néoclassique ou forme de gouvernance hybride

Le premier effort de l'économie des coûts de transaction a été d'isoler les deux formes extrêmes. « Les formes hybrides ont moins attiré l'attention car elles sont également plus

complexes à étudier » (Ghertman, 1998). Le propos de Williamson (1994, p.111) en atteste : « auparavant, je pensais que les transactions du type intermédiaire étaient plus difficiles à organiser et de ce fait instables (…). Je suis à présent convaincu que les transactions du type intermédiaire sont beaucoup plus nombreuses. Une plus grande attention envers les transactions de type intermédiaire aidera à éclairer notre compréhension de l’organisation économique complexe ».

Les formes hybrides recouvrent une diversité d’arrangements tels les contrats de long terme, les accords interentreprises, les alliances, les accords de licence de fabrication, de franchise ou de marque etc. Les agents économiques sont juridiquement indépendants, mais une partie de leur pouvoir de décision est volontairement déléguée à une autorité. Williamson parle de

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gouvernance bilatérale ou trilatérale où l’autonomie des parties est maintenue. La gouvernance trilatérale renvoie à « l’assistance d’une tierce partie (arbitrage) dans la

résolution des conflits » (Williamson, 1994).

La grande diversité des formes hybrides n’est pas le résultat du hasard mais procède d’une véritable logique économique selon Ménard (2004a). L’auteur relève trois régularités dans les formes hybrides : la mise en commun (pooling), la contractualisation (contracting), la concurrence (competing). Toutes les formes hybrides sont des systèmes sélectifs (versus open) qui développent leur propre système d’information grâce auquel les parties indépendantes juridiquement vont planifier en commun un certain nombre d’actions comme des décisions d’investissement (pooling). Deuxièmement, dans toutes les formes hybrides on retrouve le recours à des contrats plus ou moins formels avec des problèmes de redistribution de la quasi-rente organisationnelle et de règlement des litiges (contracting). Troisièmement, les formes hybrides maintiennent une concurrence entre les parties du groupe : « les systèmes

hybrides tendent à développer dans un contexte de concurrence et d’incertitude, des moyens de survie qui privilégient la mise en commun et le partage de ressources communes au groupe » (Ménard, 2004a) (p.8). De plus, pour l’auteur, les transactions hybrides sont

« supportées » par des structures de gouvernance qui présentent toute une gamme d’instruments spécifiques de coordination non nécessairement calculatoires : l’influence, la croyance, le leadership, les institutions ad hoc. Au total, c’est la combinaison « des risques

d’opportunisme et des risques de mauvaise coordination qui détermine largement les caractéristiques des organisations hybrides » (Ménard, 2004a).

2.3.1.4.4 L’alignement des structures de gouvernance sur les caractéristiques des transactions

A coûts de production donnés, les organisations efficientes sur le plan économique sont celles qui supportent des coûts de transaction plus réduits que les autres. Progressivement, ces organisations sont sélectionnées et prennent le dessus. Par exemple, le fait que les ‘marchés’ soient susceptibles d’infliger aux firmes des sanctions économiques sévères (notamment des baisses de vente, des prix trop bas comparativement aux coûts de revient des produits) les contraint à rechercher une minimisation de la somme des coûts de production et de transaction (Williamson, 1996). Mais le processus de sélection à l’œuvre est un processus imparfait. Les agents améliorent les structures de gouvernance existantes en fonction « d’apprentissages sur

leurs difficultés de coordination et les propriétés effectives des solutions qu’ils utilisent »

(Brousseau, 1999).

Bien que le processus de sélection apparaisse comme « la boîte noire » de la théorie, il est admis au sein du courant néo-institutionnel que les formes inefficientes sont progressivement éliminées. Les formes organisationnelles qui demeurent sont alors considérées comme efficientes, mais de manière relative. En effet, pour Williamson (1996), « les meilleurs

survivent mais ce ne sont pas forcément les meilleurs dans l’absolu ». Le processus de

sélection est un processus que Williamson qualifie de « faible » en comparaison de l’efficacité

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pareto-optimale dans la mesure où « la sélection des arrangements s’opère parmi les

alternatives faisables et non l’ensemble des possibles, incluant des alternatives hypothétiques ». La conception de « l’économie du nirvana » est très critiquée par les

économistes d’inspiration néo-institutionnelle (Demsetz, 1969; Coase, 1988).

Une des propositions les plus générales avancées par l’économie des coûts de transaction est appelée principe d’alignement. Ce principe stipule que « les structures de gouvernance

doivent être harmonisées avec les attributs sous-jacents des transactions [spécificité des

actifs en premier lieu puis incertitude] pour que les objectifs d’efficacité de l’organisation

économique soient réalisés » (Williamson, 1994) (p.245). Cet alignement est tel que les choix

organisationnels sont réalisés dans un sens qui vise essentiellement à économiser sur les coûts de réalisation des transactions. Si les caractéristiques des transactions venaient à se modifier, alors les incitations seraient fortes (gains en termes de coûts de transaction) pour que cette modification s’accompagne d’un changement de structure de gouvernance (critère de remédiabilité).

C’est cette hypothèse qui fonde la possibilité de « formuler des propositions testables » et est à l’origine du fort contenu empirique du programme de recherche néo-institutionnel (Williamson, 1996, p.3). Williamson établit une correspondance entre degré de spécificité des actifs (noté k sur le graphique n°3 page suivante), coûts de transaction et structures de gouvernance des transactions impliquant ces actifs. Ainsi, le marché (noté M sur le graphique n°3) constitue la structure la plus efficace pour encadrer des transactions qui impliquent des actifs faiblement spécifiques. A mesure que le degré de spécificité augmente, les structures hybrides (notées FH) et hiérarchiques (notées H) permettent une économies de coûts de transaction par rapport au marché : k1 et k2 constituant les degrés de spécificité à partir desquels ces structures hybride puis hiérarchique sont respectivement plus efficaces pour

encadrer les transactions. CemOA

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Graphique n°3 : Choix organisationnel en fonction de la spécificité des actifs et des coûts de transaction

Spécificité des actifs Coûts de transaction

K

Mk FHk Hk

0

k1 k2

Spécificité des actifs Coûts de transaction

K

Mk FHk Hk

0

k1 k2

Source : d’après Williamson (1991, p.281)

Si maintenant, l’on tient compte à la fois des coûts de transaction (CT) et de production (CP) dans l’analyse, alors un arbitrage s’instaure entre les deux types de coûts. En effet, en se centrant sur le choix entre marché (i.e. contrat classique) et hiérarchie (i.e. contrat de subordination), il s’ensuit qu’un arrangement contractuel sera efficace s’il est aligné aux caractéristiques des transactions qu’il encadre en assurant la minimisation des coûts de production et de transaction. Le graphique n°4 (page suivante) illustre les termes de l’arbitrage qui conduit au choix de la structure hiérarchique à partir d’un degré k* de spécificité des actifs. La courbe n°1 formalise l’avantage du marché en termes de coûts de production, maximum pour des actifs génériques où les économies d’échelle sont importantes et allant décroissant à mesure que le degré de spécificité croît. La courbe n°2 représente la différence en termes de coûts de transaction entre une structure intégrée et une structure de marché. Elle illustre le fait que le marché constitue une structure moins coûteuse pour organiser les transactions qui impliquent des actifs génériques ou faiblement spécifiques et que la forme hiérarchique constitue la structure la moins coûteuse pour organiser les transactions qui impliquent des actifs spécifiques. La somme des deux courbes est représentée par une troisième courbe qui signifie que les avantages du marché en termes de coûts de production et de transaction se réduisent à mesure que la spécificité des actifs croit et que donc, la solution de l’intégration est plus efficace à partir d’un niveau de spécificité k*.

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Graphique n°4 : Choix de la structure de gouvernance en fonction des coûts de production et de transaction

Coûts

Spécificité des actifs

k*

Delta CP + Delta CT

Delta CP Delta CT

Coûts

Spécificité des actifs

k*

Delta CP + Delta CT

Delta CP Delta CT

Source : d’après Williamson (1996)

Légende : Delta = différentiel de coût entre la structure hiérarchique et le marché pour organiser la transaction

Un raisonnement similaire est possible pour analyser l’arbitrage entre structures alternatives de gouvernance des services publics. Ce raisonnement fait l’objet de la section suivante.