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La poursuite des objectifs fixés par les directives européennes appellent des mesures davantage coercitives prises par l’Etat français. Ces mesures sont couplées avec une politique de taxation de l’ADEME visant à inciter les collectivités à opter pour la solution de l’épandage des boues, considérée comme la moins coûteuse pour la société dans son ensemble et la moins « polluante » (Arthur Andersen Environnement, 1999). Cette section commence par présenter la nouvelle réglementation de l’épandage puis met l’accent sur les dispositions prises pour inciter les collectivités à opter pour cette solution.

2.3.2.1 Les grandes lignes de la nouvelle réglementation française de 1997-1998

La nouvelle réglementation26 est instituée à la fois au titre de la directive européenne du 12 juin 1986, de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, de la loi de 1975 sur les déchets et du code de la santé publique. Elle met donc fin à la dispersion des textes réglementaires applicables aux boues. Elle reprend à son compte les objectifs de la directive boues de 1986 et vise en priorité la réduction des impacts des épandages de boues d’épuration sur la qualité des sols, la qualité des aliments et des nuisances associées au recyclage agricole des boues. Cela passe essentiellement par une politique de qualité qui s’intéresse à la fois à la composition du produit (boues) et au processus de production (Nicolas et Valceschini, 1995). Les prescriptions qu'elle établit pour les épandages en agriculture traduisent les exigences des textes communautaires mais tiennent compte aussi des recommandations établies par le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France et de l'expérience accumulée par les Agences de l’eau, l’ADEME et l’APCA sur ce thème avec le réseau des MVAD.

D’abord, le décret de 1997 confère aux boues d’épuration « le caractère de déchets au sens de

la loi du 15 juillet 1975 » parce que les boues sont des résidus d’un processus de dépollution

des eaux usées que les exploitants de stations d’épuration destinent à l’abandon. En ce sens, elles correspondent bien à un déchet défini comme « tout résidu d'un processus de

production, de transformation ou d'utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon ». Le

déchet est un res derelictae, une chose volontairement abandonnée et ne constitue plus un bien commercialisable comme un autre en particulier parce que la loi restreint fortement les possibilités de les stocker et de les transporter librement. Il semble que de telles dispositions aient contribué à l’arrêt total des importations de boues provenant d’Allemagne. Le statut de déchet clarifie également, au moins en partie, les responsabilités du producteur ou détenteur

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Décret n° 97-1133 du 8 décembre 1997 relatif à l'épandage des boues issues du traitement des eaux usées et arrêté d’application du 8 janvier 1998 relatif aux prescriptions techniques applicables aux épandages de boues sur les sols agricoles.

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de déchets à l’égard d’éventuels dommages environnementaux et de la sécurité sanitaire. D’après la loi, « toute personne qui produit ou détient des déchets, dans les conditions de

nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs d'une façon générale à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination conformément aux dispositions de la loi [de 1975], dans des conditions propres à éviter lesdits effets ». De ce point de vue, la loi de 1975 prévoit des

dispositions différentes selon que le déchet est destiné à être éliminé ou récupéré afin « d’éviter lesdits effets ». L’élimination des déchets renvoie à leur traitement au sein d’installations autorisées27 que sont les Centre de stockage des déchets ultimes (CSDU) et les UIOM (Unité d’incinération des déchets ménagers). La récupération renvoie à la réutilisation du déchet dans un autre processus de production. Au sens de la loi de 1975, l’épandage agricole des boues constitue un mode de récupération des déchets. « Des décrets en Conseil

d’Etat peuvent réglementer les modes d’utilisation de certains matériaux (…) afin de faciliter leur récupération (…) et interdire certains traitements, mélanges ou associations avec d’autres matériaux ». Dans le cas des boues d’épuration, l’arrêté du 8 janvier 1998 prend les

dispositions complémentaires à la loi de 1975 afin d’organiser les conditions de la réutilisation des boues en agriculture. Ce statut juridique de déchet contribue à clarifier les responsabilités respectives des producteurs de boues et des agriculteurs en cas de dommages (santé, pertes de récoltes).

Les dispositions prises par le décret de 1997 et l’arrêté de 1998 relatifs aux épandages de boues d’épuration relèvent d’une politique de qualité visant à éviter « lesdits effets » nommés par la loi de 1975 sur l’environnement et la santé humaine. Le décret de 1997 (art.6) précise ainsi que « la nature, les caractéristiques et les quantités de boues épandues ainsi que leur

utilisation doivent être telles que leur usage et leur manipulation ne portent pas atteinte, directe ou indirecte, à la santé de l'homme et des animaux, à l'état phytosanitaire des cultures, à la qualité des sols et des milieux aquatiques ». La codification réglementaire

répond à la nécessité, pour les acteurs concernés, de « se mettre d’accord sur la qualité du

produit, sa valeur, les périodes et les modalités de livraison, d’épandage et de suivi »

(D'Arcimoles, Borraz et al., 2001). La politique choisie repose sur deux piliers complémentaires.

Le premier pilier de la politique s’intéresse à la composition du produit final et repose sur : - la fixation de seuils de contamination des boues par trois catégories de polluants :

EMT, polluants organiques, micro-organismes,

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Au sens de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux Installations Classées pour la Protection de l'Environnement. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

- le contrôle de la composition des boues avant épandage selon des modalités fixées par le régulateur (fréquence, échantillonnage, méthodes d’analyse),

- le contrôle des effluents rejetés dans les réseaux collectifs de collecte des eaux usées.

Le deuxième pilier de la politique s’intéresse au processus de production ou plus exactement aux modalités pratiques d’utilisation des boues en agriculture : volumes, périodes, enfouissement, nature des sols, etc. Considérant que la dangerosité d’un produit n’est pas uniquement liée à sa composition, l’objectif est d’éviter les pratiques susceptibles de générer des nuisances, en particulier des épandages de quantités trop importantes de boues. L’arrêté fixe un flux maximum de boues de 30 tonnes de matière sèche par hectare au cours d’une période de dix ans. Compte tenu de cette valeur limite, l’objectif est de répartir au mieux les boues à épandre en fonction des capacités épuratives des sols. Cela passe principalement par la réalisation obligatoire de plans d’épandage soumis à déclaration (autorisation pour les plus grosses STEP) auprès des autorités administratives.

2.3.2.2 Des actions afin d’inciter les collectivités à renoncer aux autres solutions de traitement des boues

Au cours des années 1990, on assiste, en France, à une saturation progressive des installations de traitement des déchets (Dufeigneux et Tetu, 2004), accroissant les coûts du traitement des déchets pour certaines collectivités. Une piste soulevée par le rapport Dron (1997) est celle de « la matière organique qui constitue sans doute le premier gisement d'économies dans le

dimensionnement des UIOM ». En effet, les matières organiques comme les déchets verts ou

encore les boues d’épuration constituent le premier composant des déchets municipaux. Mis en décharge, ils dégagent du méthane, nocif quand il n'est pas capté et valorisé. Incinérés, ils ont un pouvoir calorifique faible accroissant la consommation d’énergie des incinérateurs.

2.3.2.2.1 Durcissement des conditions d’enfouissement des boues

En 1992, la loi-cadre française sur les déchets a annoncé un changement dans la politique de gestion des déchets ménagers. Elle a donné la priorité au recyclage et a limité l’enfouissement aux déchets dits ultimes28 : « à compter du 1er juillet 2002, les installations d’élimination des déchets par stockage ne seront autorisées à accueillir que des déchets ultimes » (loi n°

92-646 du 13/07/92, article 2.1). De nombreuses décharges municipales doivent alors être fermées. Ne doivent subsister que les décharges modernes appelées Centres d’enfouissement technique (CET) avant 2002 puis Centres de stockage des déchets ultimes (CSDU) qui répondent à des normes environnementales beaucoup plus sévères en termes d’impact sur la

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« Un déchet ultime résulte ou non du traitement d’un déchet, qui n’est plus susceptible d’être traité dans les

conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux » (loi n°92-646 du 13/07/92).

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qualité des eaux et des sols. En fait, l’échéance prévue n’a pu être respectée dans l’ensemble des départements français ainsi que dans les autres pays européens. Aussi, une nouvelle directive européenne du 26 avril 1999 a planifié une réduction progressive du volume de boues enfouies jusqu’en 2015. Le décret du 9 septembre 1997 a défini les critères d’enfouissement de façon plus draconienne. En raison de ces normes plus exigeantes – étanchéité et équipement d’installations de traitement des eaux de ruissellement – les coûts d’enfouissement des boues (auparavant faibles) sont en forte croissance. Par exemple, une déshydratation des boues (minimum de 30%) est obligatoire. En outre, depuis la loi Barnier de 199529, des dispositions fiscales viennent compléter les dispositions réglementaires : est instaurée une taxe à la tonne de déchets versée à l’ADEME par l’exploitant d’un CSDU de classe II. En 2001, 24% des volumes de boues produits sont toujours enfouis dans des CSDU. Même si cette technologie est progressivement abandonnée en raison des contraintes réglementaires, elle demeure une solution alternative de traitement en cas de dysfonctionnement technique des STEP ou de pollution ponctuelle des boues.

2.3.2.2.2 Rationalisation des capacités d’incinération

L’incinération des boues est réalisée dans les Unités d’Incinération des Ordures Ménagères (UIOM) mais peut également l’être dans des unités dédiées. L’incinération génère des mâchefers (15 à 20% des tonnages incinérés) qui sont considérés comme des déchets ultimes et stockés en CSDU de classe I. Les arrêtés français du 20 septembre 2002 ont transposé en droit national la nouvelle réglementation européenne relative à l’incinération (directive 2000/76/CE). La généralisation de la récupération de l’énergie et les normes d’émission de gaz plus sévères ont entraîné une réduction du nombre d’incinérateurs. En France, le parc comportait 123 installations en 2003 contre 300 en 1998. Toutefois, la part de l’incinération tend à augmenter, principalement au détriment de l’enfouissement en CSDU : 20 % des quantités de boues produites ont ainsi été incinérées en 2004. Les unités exploitées sont de taille plus grande, ce qui permet la réalisation d’économies d’échelle importantes (Défeuilley et Godard, 1998). L’incinération est un procédé coûteux qui requiert des investissements fixes lourds plus aisément réalisables par des collectivités de grande taille. C’est pourquoi l’incinération des boues se fait généralement conjointement à celle des déchets ménagers, sachant que la masse de boues admises dans de tels fours ne représente que 10% à 15% de la masse totale (boues + ordures ménagères). Selon le Ministère de l’écologie et du développement durable, l'incinération dédiée c’est-à-dire réalisée dans des fours ne recevant que des boues d’épuration, ne se justifie pas sur le plan économique, pour des STEP dont la taille est inférieure à 80 000 équivalents-habitants (EH). Ces collectivités (de taille plus réduite) tendent alors à se regrouper afin de bénéficier d’économies d’échelle. En France, 20 % des quantités de boues produites ont été incinérés en 2004.

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Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement.

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Pour conclure, retenons que de nombreux aspects du problème sont maintenant réglementés par des normes administratives portant sur la qualité des boues et de leur emploi en agriculture et font l’objet d’un contrôle plus strict de l’Etat. En revanche, certaines dimensions du service d’épandage ne sont pas traitées par la réglementation et relèvent d’une négociation décentralisée entre les acteurs locaux et de mécanismes de coordination notamment contractuels. L’encadrement réglementaire n’est donc pas incompatible avec le fait que de nombreux aspects de la fourniture du service d’épandage reposent sur des arrangements contractuels et font donc l’objet de négociations décentralisées entre les acteurs locaux. Ainsi, l’Etat n’impose aux collectivités territoriales ni un mode unique d’organisation de la fourniture du service d’assainissement ni une technologie unique de traitement des boues. Il s’en tient à traduire les objectifs à atteindre fixés par les directives européennes et à réglementer les voies pour y parvenir.

3 Section 3 - Le système actuel d’organisation des épandages

En France, l’organisation des services collectifs locaux s’appuie sur une longue tradition de délégation à des opérateurs privés et donc de recours à des mécanismes contractuels pour coordonner la fourniture des services (Bezançon, 1995a). Une autre particularité du cas français est le caractère oligopolistique du marché de l’eau et de l’assainissement, dominé par une poignée d’entreprises de taille importante. Il en résulte des asymétries de nature informationnelle et de pouvoir de marché entre les collectivités locales et les délégataires, ce qui justifie l’intervention de l’Etat et la réglementation des contrats de délégation. Nous commençons par présenter les acteurs du traitement des eaux et des boues (3.1.) puis nous abordons la question de leur coordination en montrant que différentes configurations organisationnelles peuvent être librement adoptées par les collectivités locales pour fournir les services (3.2).

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