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CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRE D’ANALYSE DE LA FOURNITURE DE SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

1.2.2 Un problème de bien collectif

A la suite de Samuelson (1954), on distingue les biens collectifs des biens privés. Ces derniers sont consommés par un individu et un seul alors que les biens collectifs sont accessibles à l’ensemble d’une communauté. Selon cet l’auteur un bien collectif est un bien dont la consommation est collective42. Ainsi, les biens collectifs possèdent la double propriété de non-exclusion et de non-rivalité. Chacune de ces deux propriétés est indépendante et à la source d’une inefficacité spécifique du marché : rationnement sous-optimal des consommateurs et sous-investissement des producteurs.

42

Dans le texte fondateur de Samuelson (1954), l’expression utilisée est « collective consumption goods ». Nous reproduisons ici, sans les traduire, les propos de l’auteur afin de ne pas prendre le risque de tronquer sa pensée : « I explicitly assume two categories of goods: ordinary private consumption goods which can be parcelled out among different individuals and collective consumption goods which all enjoy in common in the sense that such a good leads to no subtraction from any other individual's consumption of that good. ».

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La non-rivalité est la propriété qu’un bien puisse être consommé simultanément par plusieurs agents sans que la quantité consommée par l’un diminue les quantités encore disponibles pour les autres. Elle se traduit par le fait que le coût marginal d’un utilisateur supplémentaire d’un bien (une fois celui-ci produit) est nul. Cela pose un problème de rationnement sous-optimal des consommateurs en présence de coût d’encombrement nul. Ainsi, lorsque l’accès à un bien non rival est intentionnellement restreint à un groupe de bénéficiaires alors il existe une marge d’amélioration parétienne. Cette propriété renvoie en priorité aux caractéristiques physiques du bien collectif et aux conditions d’accès des services rendus par ce bien. La plupart des biens de nature sont rivaux parce qu’il existe des effets d’encombrement plus ou moins marqués dans leur consommation, en particulier en raison du caractère localisé de ces biens qui en contraint plus ou moins l’accès.

La non-excluabilité désigne l’impossibilité d’écarter qui que ce soit de l’utilisation d’un bien, y compris les individus qui ne participeraient pas à son financement. Elle se traduit par un accès au bien (libre) sans restriction. L’excludabilité renvoie aux technologies disponibles pour exclure certains bénéficiaires plutôt que d’autres et à la nature des droits de propriété sur le bien. Dans le domaine de l’environnement, il peut être difficile d’exclure les agents qui n’ont pas participé au financement des services visant à produire, entretenir ou donner accès à des biens de nature. Cette exclusion est difficile pour des raisons à la fois techniques (coûts d’exclusion) et éthiques car touchant à la satisfaction de besoins vitaux des individus (le fait de respirer un air pur et boire de l’eau potable). Chaque individu peut alors aisément se comporter en passager clandestin et ne pas participer au financement du bien. Cela pose un problème de sous-investissement privé dans la production ou dans la préservation des biens de nature non-excludables.

Du point de vue des propriétés de biens collectifs, les biens de nature constituent un ensemble hétérogène. Ils posent des problèmes d’action collective qui renvoient à la question des incitations à produire (si propriété de non-excludabilité) et à la question de rationnement sous-optimal (si propriété de non-rivalité), et les deux si les deux propriétés sont réunies. La question posée est celle des solutions envisagées dans la littérature économique (pas seulement l’intervention publique) pour produire de tels biens.

La distinction initiale de Samuelson entre biens privés et biens collectifs a été l’objet d’une abondante littérature conduisant à préciser la définition des biens collectifs pour en distinguer différents types sur la base de la combinaison des propriétés de excludabilité et de non-rivalité dans la consommation. Cette littérature distingue ainsi 4 types de biens (cf. tableau n°3), d’un côté, les biens privés, et de l’autre, les biens collectifs : les « biens collectifs purs », les « biens de club » et les « biens en commun ». Les trois types de biens collectifs distingués posent chacun un problème particulier d’action collective auquel sont associées des préconisations normatives différentes.

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Tableau n°3 : Les quatre types de biens

Non-excludable Excludable

Non-rival Biens collectifs purs Biens de club

(réseau d’approvisionnement en eau potable)

Rival Biens en commun

(banc de poisson, nappe d’eau souterraine)

Biens privés

Source : repris de Lévêque (2004)

Les « biens collectifs purs » associent les deux propriétés de excludabilité et de non-rivalité. La recommandation normative consiste à faire financer la production des biens collectifs purs à partir de fonds publics collectés par l’impôt.

Le deuxième type de biens collectifs, les biens excludables non rivaux, se caractérisent par le fait que la consommation par un individu n’entraîne pas une moindre disponibilité pour les autres et qu’il existe potentiellement des dispositifs d’exclusion comme l’instauration d’un péage routier. La recommandation initiale de Samuelson (1954) était de rendre ces biens accessibles gratuitement à tous sans restriction et de financer leur production par l’Etat. En d’autres termes, l’auteur recommandait de rendre non-excludables tous les biens non rivaux. Cette approche a longtemps inspiré les politiques d’Etat dans de nombreux domaines. Depuis Buchanan (1965), les biens excludables non rivaux sont qualifiés de « biens de club ». Cet économiste de l’école du choix public conteste la solution proposée par Samuelson et remarque que des biens de ce type peuvent être volontairement produits par les membres d’une communauté d’intérêt dont la taille est différente de celle de la nation.

Une troisième catégorie de biens collectifs est représentée par les biens rivaux non excludables pour lesquels les comportements de passager clandestin entraînent une surconsommation. Ces biens sont également qualifiés de biens communs ou « common-pool resources » (CPR) dans la littérature anglo-saxonne en économie des ressources naturelles (Ostrom, 1990). Ces biens présentent une certaine forme de rivalité dans la consommation. Dans la mesure où l’accès au bien est libre, alors l’offre privée de protection et d’entretien du bien n’émergera pas, à l’instar du processus de « tragédie des communs » mis en évidence par Hardin (1968). Une grande partie des biens de nature comme une nappe d’eau souterraine, un banc de poissons, est dans ce cas de figure. La littérature théorique propose deux solutions principales pour éviter la surexploitation des biens de nature ou ressources naturelles dites renouvelables (Rotillon, 2005) : une régulation centralisée où l’Etat contraint les conditions d’usage commun des biens et la privatisation des biens.

Dans la réalité, la plupart des biens collectifs sont partiellement rivaux et excludables, en particulier parce qu’il faut considérer les caractéristiques spatiales des biens qui en déterminent le plus souvent les modalités et les coûts d’accès. Les frontières établies par la théorie entre des catégories de biens distinctes sont perméables et plusieurs problèmes –

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incitation à produire, rationnement sous-optimal des consommateurs – sont généralement imbriqués. Le cas du paysage illustre cette remarque. En théorie, la consommation de paysage par les uns ne diminue pas celle des autres. Comme la plupart des biens qui sont donnés à voir ou à entendre, l’exclusion des consommateurs potentiels de paysage qu’ils soient touristes, résidents locaux ou voyageurs de passage est non réalisable. Dans la réalité, le problème de l’accès, l’existence de « points de vue » pour consommer du paysage posent la question de la rivalité et des incitations fournies aux agents privés pour continuer à produire ou entretenir les supports physiques du paysage : haies, forêts, espaces agricoles.

Nous avons retenu le terme de bien et non celui de service dans ce qui précède, afin de distinguer le concept économique et les réalités qu’il recouvre. Nous avons réservé le terme de bien collectif à la définition théorique, et le terme de service collectif aux formes empiriques. Celles-ci peuvent alors être spécifiées selon leur dimension géographique (un service collectif local), leur forme de contrôle (un service collectif public) ou l’identité du gestionnaire (un service collectif en régie). Les activités de service public regroupent un ensemble vaste et hétérogène de services collectifs réglementés par l’Etat. Les services publics s’étendent bien au-delà des services qui possèdent la double propriété de non-excludabilité et de non-rivalité pour concerner des activités où la puissance publique intervient au titre d’une ou plusieurs des finalités suivantes : le financement du service, la production proprement dite du service, l’accès des usagers au service. Les biens collectifs sont parfois abusivement qualifiés de biens publics (Stiglitz, 1999) en raison de leur vocation à être financés par l’impôt et offerts gratuitement à tous selon la recommandation de Samuelson (1954). Cependant, une fois que le problème du financement de la production du bien est résolu par l’Etat, rien n’empêche ce dernier de déléguer la production proprement dite du bien collectif à une entreprise privée.