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CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRE D’ANALYSE DE LA FOURNITURE DE SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

2.1.2 La nouvelle économie publique de la réglementation

2.1.2.1 Principes guidant l’intervention publique en situation de non bienveillance du réglementeur

Dans le cadre de l’économie du bien-être, l’hypothèse implicite est que le réglementeur, ‘mandant’ de la collectivité, est bienveillant et n’a pas d’agenda privé. Or si l’on relâche cette hypothèse, la question se pose des tensions entre les considérations économiques (efficience économique) et les considérations politiques. Plusieurs problèmes, non complètement indépendants les uns des autres, peuvent être identifiés : les motivations des agents de l’Etat à œuvrer dans le sens de l’intérêt général, la crédibilité des engagements pris par le réglementeur, la capture des décisions publiques par des groupes d’intérêts. Pour le théoricien de la nouvelle économie publique, les solutions à ces problèmes passent par des incitations adéquates au sein de l’appareil d’Etat et une séparation des pouvoirs entre le gouvernement, le réglementeur et les entreprises réglementés. Les progrès récents de la théorie des incitations appliquée à la décision publique (Laffont et Tirole, 1993) fournissent des réponses aux dysfonctionnements des mécanismes de décision publique, au regard de l’objectif d’intérêt général. Dans le cas de la France, plusieurs grands principes ont été rappelés par Laffont (2000b) dans le cadre de travaux visant à théoriser la réforme de l’Etat et traitant en particulier de l’organisation des services publics.

2.1.2.1.1 La question des incitations au sein de l’appareil d’Etat

L’appareil d’Etat est structuré en plusieurs principaux. Une multitude de relations d’agence existe entre le gouvernement, ses ministères et les administrations qui en dépendent. La décision publique est éclatée. Chaque agent dispose d’une marge d’action discrétionnaire (information cachée) plus ou moins importante lui permettant de poursuivre ses propres

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objectifs au détriment de ce qu’il est censé réaliser, c’est-à-dire ce que le principal souhaite qu’il accomplisse.

Dans ce contexte, les théoriciens de la nouvelle économie publique proposent d’introduire des incitations pour motiver les agents de l’Etat à œuvrer dans le sens de l’intérêt général, rendre moins aisée la capture réglementaire par les groupes d’intérêt et accroître la crédibilité des décisions publiques. Les propositions concrètes consistent à « rémunérer les agents de l’Etat

en fonction de leurs performances » et de « chercher à mesurer du mieux possible les prestations attendues et de veiller à ne pas les multiplier pour faciliter leur mesure » (Laffont,

2000b). L’outil de la rémunération monétaire est considéré comme une solution aux problèmes de sélection des candidats à l’entrée dans la fonction publique mais aussi, compte tenu du marché de l’emploi, une solution aux problèmes de fidélisation des agents de l’Etat. Outre le niveau de la rémunération, l’assiette est également discutée : les préconisations portent sur l’instauration d’une partie « variable » dans la rémunération totale (indexés sur l’effort, les résultats obtenus) des dirigeants mais également des personnels administratifs. Cependant, le caractère incitatif des rémunérations constitue une réponse incomplète aux problèmes soulevés par l’hypothèse de non bienveillance. La rémunération n’est qu’une des dimensions de la motivation des agents à œuvrer dans le sens de l’intérêt général.

Appliquée aux services collectifs et aux monopoles, l’approche consiste à faire dépendre les rémunérations des dirigeants des performances obtenues. Elle consiste également à modifier la répartition des pouvoirs de décision afin de diminuer l'importance du pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents de l’Etat et introduire la concurrence entre les services des différentes administrations.

2.1.2.1.2 L’indépendance du réglementeur dans les industries de réseau

Les phénomènes de capture des activités de réglementation soulèvent des problèmes de répartition et de séparation du pouvoir de décision. Afin de diminuer l’importance du pouvoir discrétionnaire des administrations d’Etat, les gouvernements peuvent instaurer des règles comme la rotation des postes occupés par les agents de l’Etat.

Dans le domaine des services publics (notamment locaux), la loi Sapin du 29 janvier 1993

relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques fournit le cadre juridique principal des contrats de délégation de service

public. Elle soumet les délégations de service public à des procédures de publicité et de mise en concurrence dans les procédures d’attribution des marchés publics, en particulier au niveau local en raison de la proximité plus forte entre agents et des risques de clientélisme.

Une solution pour assurer la crédibilité des engagements pris par le réglementeur est de le rendre indépendant du pouvoir politique et des administrations ministérielles. Les décisions de réglementation sont alors moins probablement soumises aux alternances et aux décisions

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des hommes politiques dont la durée des mandats est limitée. Pour Laffont (2000a), la volonté d'accroître la capacité d’engagement de l’Etat est « un argument fondamental en faveur d’un

régulateur indépendant avec un mandat plus long que celui des autorités politiques qui le nomment ». Le rôle de réglementation est ainsi, parfois et en partie, confié à des autorités

administratives indépendantes (AAI).

Selon le rapport du Conseil d’Etat (2001) sur les autorités administratives indépendantes, celles-ci présentent trois caractères bien distincts. Ce sont des autorités qui disposent d’une certain nombre de pouvoir (recommandation, réglementation, sanction). Elles sont qualifiées d’administratives car elles agissent au nom de l’Etat et certaines compétences dévolues aux administrations leur sont déléguées. Elles sont indépendantes à la fois des secteurs réglementés mais aussi des pouvoirs publics. Elles présentent de ce fait une particularité importante au regard des principes traditionnels d'organisation de l'Etat, qui font aboutir au ministre et soumettent au pouvoir hiérarchique ou de tutelle du gouvernement l'ensemble des administrations étatiques. Toutefois, elles sont sur le plan budgétaire, liées au ministère ayant la compétence la plus proche de leur domaine d’intervention.

Le rôle d’une AAI est d’assurer la réglementation d’un secteur précis dans lequel le gouvernement, pour des raisons diverses (sensibilité politique, impact économique fort), ne souhaite pas intervenir trop directement. Trois missions peuvent être distinguées : édicter des règles, en assurer l’application et procéder à des arbitrages sans passer par le juge avant éventuellement d’infliger des sanctions (Conseil d'Etat, 2001). Pour Gentot (1994) « l’un des

avantages majeurs de ce genre de structures est de définir des règles sectorielles, d’affiner la traduction des principes généraux du droit. Des outils qui peuvent faciliter le respect des missions de l’Etat (…) en faisant appliquer les règles qui ne sont pas forcément plus précises que les principes énoncés par le droit administratif, mais qui permettent d’en assurer une traduction plus fine, appropriée au secteur concerné et au contexte dans lequel la régulation se fait ». Ces autorités administratives peuvent ainsi incorporer des objectifs nouveaux, plus

adaptés au contexte dans lequel fonctionnent les agents privés ; elles le font sans passer par des actes législatifs mais par l’application de règles sectorielles plus souples.

En France, le nombre d’AAI varie selon les auteurs. Le Conseil d’Etat (2001) en dénombrait 34. En 2005, il existait 36 structures qualifiées d’AAI par un acte juridique législatif ou réglementaire (loi, ordonnance). Parmi ces 36 AAI, une seule concerne le domaine de l’environnement. Il s’agit de l’autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) qualifiée d’AAI par la loi en 199944. Dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, le Haut Conseil du secteur public (1999) prône depuis plusieurs années la création d'une autorité de régulation du marché de l'eau à l’instar de ce qui existe dans d’autres secteurs de services publics comme les télécommunications ou l’électricité. Cette

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Article 1er de la loi n° 99-588 du 12 juillet 1999 portant création de l'autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires créant l'art. L. 227-1 du code de l'aviation civile.

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idée reprise dès 199845 par Dominique Voynet, alors ministre en charge de l’environnement, a finalement été abandonnée. Ce Haut Conseil de l'eau aurait supplanté les collectivités locales en particulier dans leur rôle de comparaison de prix. En 2001, la version du texte prévoyait toujours de créer une telle instance mais de la doter uniquement d’un rôle consultatif. Sous la pression notamment des communes, la ministre a dû faire marche arrière. En 2005, le projet de loi sur l’eau finalement adopté en conseil des ministres ne fait plus mention d’une telle instance et la réglementation du secteur continue à dépendre exclusivement du ministère en charge de l’environnement, en particulier la direction de l’eau, tutelle des agences de l’eau.

2.1.2.2 Principes guidant l’intervention publique en situation d’information imparfaite et