• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : DISPOSITIF REGLEMENTAIRE ET ARRANGEMENTS

1.2.2 Les dispositions prises pour signaler la qualité des boues

Ces dispositions relèvent d’une logique essentiellement coercitive et reposent sur la production et la diffusion d’une information liée à un principe d’auto-surveillance et destinée à réduire les manques et les asymétries entre les acteurs concernés. La signalisation porte sur certains attributs « d’expérience » ou « de croyance » de la qualité des boues comme leur valeur agronomique ou leur dangerosité sanitaire. L’objectif est de les transformer en attributs de « recherche » directement observables et contractualisables en fournissant une information réglementée aux agriculteurs et aux autorités administratives.

1.2.2.1 L’obligation de surveillance de la qualité des boues et des épandages

Depuis 1998, les producteurs de boues doivent mettre en place « un dispositif de surveillance

de la qualité des boues et des épandages » afin de « pouvoir justifier à tout moment sur support écrit de la localisation et de l’utilisation des boues produites en référence à leur

période de production et aux analyses réalisées »97. La surveillance porte sur « la provenance

et l'origine des boues, les caractéristiques de celles-ci, et notamment les principales teneurs en éléments fertilisants, en éléments traces et composés organiques traces, les dates

96

Circulaire DE/SDPGE/BLP n°9 du 18 avril 2005. 97

Article 17 de l’arrêté du 8 janvier 1998.

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

d'épandage, les quantités épandues, les parcelles réceptrices, et les cultures pratiquées »98. Cette procédure consiste à obliger les producteurs de boues à surveiller le respect d’un ensemble de normes de qualité des boues et de règles relatives à la réalisation des opérations d’épandage.

Les agents réglementés (les collectivités locales et/ou leurs délégataires) collectent eux-mêmes les informations nécessaires à la réalisation des contrôles. Cela évite aux agents administratifs de se rendre systématiquement sur les sites des STEP. Les coûts du contrôle sont donc en partie à la charge des producteurs de boues qui doivent saisir, conserver la mémoire et transmettre l’information collectée correspondant à la fois aux prévisions et aux réalisations effectives. Du point de vue de l’Etat, cette procédure d’auto-surveillance a l’intérêt de réduire les coûts du contrôle administratif. En revanche, elle présente des risques accrus de fraudes ou de saisie incorrecte (même involontaire) des informations.

1.2.2.2 La production d’une information obligatoire liée au principe d’auto-surveillance

Les données saisies par le producteur de boues dans le cadre du dispositif de surveillance font l’objet de la rédaction de deux documents : le registre des épandages et sa synthèse ainsi que le bilan agronomique annuel.

Le registre des épandages enregistre de façon systématique les informations relatives aux opérations d’épandage afin de conserver la ‘mémoire’ des réalisations passées sur une période d’au moins 10 ans. Dans le registre, le producteur consigne les données suivantes :

- les quantités de boues produites dans l'année (volumes bruts, quantités de matière sèche hors et avec ajout de réactif) ;

- les méthodes de traitement des boues ;

- les quantités épandues par unité culturale avec les références parcellaires, les surfaces, les dates d’épandage, les cultures pratiquées ;

- l'ensemble des résultats d'analyses pratiquées sur les sols et les boues avec les dates de prélèvements et de mesures et leur localisation ;

- l'identification des personnes physiques ou morales chargées des opérations d'épandage et des analyses.

Le bilan agronomique annuel enregistre de façon systématique toutes les informations permettant de justifier, auprès de l’administration décentralisée et des agriculteurs, l’intérêt agronomique de l’épandage des boues sur les sols agricoles. L’objectif est d’améliorer la

98

Article 9 du décret du 8 décembre 1997.

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

valorisation économique des boues par les agriculteurs et d’éviter les pratiques de sur-fertilisation à l’origine de « lessivage » des éléments minéraux contenus dans les boues. Dans le bilan agronomique, le producteur consigne les données suivantes99 :

- un bilan qualitatif et quantitatif des boues épandues ;

- les quantités d’éléments fertilisants apportées par les boues sur chaque unité culturale et les résultats des analyses de sols ;

- les bilans de fumure réalisés sur des parcelles de référence représentatives de chaque type de sols et de systèmes de culture, ainsi que les conseils de fertilisation qui en découlent. Il est également recommandé d’enregistrer, pour chaque parcelle, les fumures complémentaires, minérales ou organiques.

1.2.2.3 La diffusion de l’information produite par les producteurs de boues

L’information produite est d’abord destinée aux autorités préfectorales puis aux agriculteurs. L’information des autres acteurs concernés (riverains, associations) ne relève pas de dispositions réglementaires mais de circulaires ministérielles100 venant préciser ou compléter les textes réglementaires. Ainsi, en fin d’année civile, le producteur de boues doit adresser au préfet un compte-rendu sur le déroulement des opérations : c’est la synthèse du registre d’épandage. Cette synthèse doit également être adressée au service chargé de la police de l'eau et aux utilisateurs de boues (agriculteurs) selon un format réglementaire défini par l’annexe 6 de l’arrêté du 8 janvier 1998. Le bilan agronomique doit aussi être adressé aux mêmes destinataires, au plus tard, en même temps que le programme annuel d’épandage de l’année suivante. Le préfet peut ensuite communiquer ces documents sur demande écrite de leur part aux personnes privées et morales, riverains, associations, agriculteurs. Ce plan de diffusion relève d’une logique de réduction des asymétries information. Pour le réglementeur, il s’agit de disposer des données nécessaires pour suivre les flux quantitatifs d’éléments indésirables dans les sols, notamment les métaux lourds. Pour les agriculteurs, il s’agit de connaître précisément les valeurs fertilisantes des boues de manière à pouvoir intégrer les épandages dans leur plan de fertilisation de l’année.

La section suivante examine les carences du dispositif de signalisation, en particulier le fait que les informations produites sont parfois insuffisantes ou ne parviennent pas à l’ensemble

99

Article 4 de l’arrêté du 8 janvier 1998. 100

La circulaire DE/GE n° 357 du 16 mars 1999 invite les préfets à mettre en place des comités locaux de concertation soit au niveau départemental, soit au niveau infra-départemental. La circulaire DE/SDPGE/BLP n°9 du 18 avril 2005 précise qu’il est « indispensable qu’une [plus] large information soit mise en place pour que les

épandages de boues sur terres agricoles soient acceptés par tous ».

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

des acteurs concernés ainsi que les problèmes de fiabilité des données produites et transmises par les producteurs de boues.

1.2.2.4 Le niveau des réclamations révélateur de problèmes qui demeurent

Nos études de cas montrent que de nombreux producteurs de boues sont confrontés, à des degrés divers, à des réclamations et plaintes portant sur le stockage des boues (nuisances olfactives, visuelles) et les opérations d’épandage (nuisances olfactives et sonores le plus souvent mais également risques sanitaires). Dans le Puy-de-Dôme et la Haute-Vienne, ces réclamations émanent le plus souvent des populations riveraines organisées parfois en association. Elles émanent également des élus (1 cas dans le Puy-de-Dôme), d’une association de protection de la nature (1 cas dans le Puy-de-Dôme), de propriétaires fonciers (1 cas dans le Puy-de-Dôme) et de l’industrie agroalimentaire (1 cas toujours dans le Puy-de-Dôme). Elles sont destinées, selon les cas, aux maires, aux gestionnaires des STEP et aux autorités administratives départementales (DDAF le plus souvent). Ces réclamations renvoient, selon nous, à trois problèmes distincts :

1) L’information produite est jugée insuffisante par certains groupes d’acteurs concernés par les épandages : les associations de protection de la nature contestent par exemple les études d’impacts, les riverains contestent les règles de distance d’épandage.

2) L’’information produite par les producteurs de boues peut être erronée de manière volontaire ou non : cela pose la question de la crédibilité de l’ensemble du dispositif réglementaire de signalisation de la qualité des boues et des épandages. Il peut, en effet, être moins coûteux pour un producteur de frauder sur les données qu’ils consignent plutôt que de porter à la connaissance de l’administration certaines informations qui impliqueraient des procédures longues et coûteuses. On comprend alors qu’il peut être moins coûteux d’épandre ponctuellement des boues dont la composition ne respecte pas les normes de qualité plutôt que de recourir temporairement à une autre solution d’élimination comme la mise en décharge des boues. De la même façon, il peut être moins coûteux d’épandre des quantités excessives de boues sur certaines parcelles (ce qui n’est pas vérifiable ex-post) plutôt que de s’engager dans une procédure de modification du plan d’épandage. Ces fraudes sont facilitées par le fait que le rédacteur sait pertinemment que les informations contenues dans le registre et le bilan agronomique sont difficilement vérifiables par les services de l’Etat pour des raisons de temps de contrôle (effectif insuffisant) et de compétences (agronomiques). On peut s’attendre à ce qu’en l’absence d’un dispositif permettant de s’assurer de la validité des données saisies par les producteurs, les documents transmis aux autorités réglementaires ne reflètent pas exactement, au moins dans certains cas, la réalité des opérations d’épandage.

3) L’information produite n’est pas toujours diffusée de manière suffisante. Rappelons par exemple que seules les STEP de grande taille sont soumises à enquête publique. Les plaintes que nous avons examinées montrent que des asymétries d’information demeurent

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

notamment chez les populations riveraines, les propriétaires fonciers ou encore chez les consommateurs de produits agricoles.

A l’issue de cette section, il nous apparaît que pour rendre compte de l’efficacité des mécanismes réglementaires dont l’objectif est de signaler la qualité du service rendu (qualité des boues produites et qualité des épandages), il faut examiner la capacité des autorités administratives à (1) définir le niveau pertinent d’information à produire, (2) crédibiliser les signaux informationnels fournis par les producteurs de boues et (3) diffuser l’information produite à tous les acteurs concernés par l’épandage. Ces éléments devraient relever de dispositions d’ordre micro-institutionnel dont l’analyse est au centre de notre chapitre 5 suivant.

Retenons aussi que l’objectif principal du réglementeur est la protection de la qualité des sols et la sécurité sanitaire des matières premières agricoles cultivées sur des sols destinés à recevoir des boues. Les coûts de coordination entre acteurs locaux ne constituent pas vraiment une préoccupation de l’Etat même si cette préoccupation n’est pas complètement absente des dispositions réglementaires adoptées. Examinons maintenant en quoi les arrangements contractuels destinés à encadrer les transactions permettent de minimiser les coûts (de production et de transaction), une fois l’objectif environnemental fixé par l’Etat. Ces arrangements spécifient un certain nombre de dimensions du service qui ne relèvent pas du cadre réglementaire. De leur adaptation aux problèmes posés, va dépendre l’efficacité de la fourniture du service.

2 Section 2 - Les caractéristiques des arrangements contractuels

L’organisation du service environnemental étudié constitue un cas de gouvernance que nous qualifions de mixte parce que les transactions sont coordonnées à la fois des mécanismes réglementaires et des mécanismes concurrentiels. Comme la fourniture du service s’organise généralement en plusieurs transactions impliquant différents prestataires juridiquement autonomes, on peut s’attendre à la coexistence de plusieurs types d’arrangements contractuels (spot, long terme, administré) pour la fourniture du service. La question du caractère adéquat ou non de l’arrangement contractuel est à examiner en fonction de la nature du problème posé (ie. les caractéristiques des transactions). La section commence par examiner la question du choix de l’arrangement pour gérer la STEP parce qu’il s’agit du premier problème auquel sont confrontées les collectivités locales. Elle aborde ensuite les arrangements adoptés par les producteurs de boues pour transporter les boues. Elle traite enfin et plus longuement des contrats d’épandage entre producteurs de boues et agriculteurs.

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

15#6

En France, une vaste littérature traite de la question de la délégation de service public en général (Défeuilley, 2000). Dans le domaine des services d’eau et d’assainissement les travaux soulignent tantôt l’efficacité (Garcia et Thomas, 2001; Guérin-Schneider, Bonnet et al., 2003), tantôt les failles de ce mode de gestion (Cour des comptes, 1997; Tavernier, 2001). Toujours dans ce domaine, les travaux portaient jusqu’à présent essentiellement sur le problème de la qualité de l’eau (Ménard et Saussier, 2000; Carpentier, Nauges et al., 2004), alors que nous nous intéressons à celui de la qualité des boues et de leur élimination. Bien que la question de l’efficacité des différents modes de gestion de ce point de vue soit tout à fait importante, nous ne l’avons pourtant pas vraiment traitée. L’absence de base de données et l’ampleur des investigations empiriques nécessaires pour traiter la question de l’organisation de la fourniture du service considéré dans son ensemble nous ont contraint à faire des choix. Ainsi, nous avons mis l’accent sur l’analyse de l’arrangement contractuel entre les producteurs de boues et les agriculteurs, ainsi que sur le rôle des dispositifs micro-institutionnels à l’échelle départementale (cf. chapitre 5).

Concernant la question des modes de gestion des STEP, nous faisons donc surtout état des enseignements tirés de travaux réalisés par des économistes sur ce sujet, notamment ceux portant explicitement sur la question de l’efficacité de la gestion déléguée par rapport à la gestion en régie dans le domaine étudié. Notre contribution porte seulement sur la question des effets que peut avoir l’obligation d’élimination des boues sur l’efficacité des modes de gestion choisis par les collectivités locales. Nous chercherons à donner des éléments de réponse à deux questions : l’obligation d’élimination des boues constitue-t-elle un motif pour les collectivités locales de déléguer la gestion des STEP ? Le changement réglementaire de 1997-98 est-t-il susceptible d’avoir perturbé (« désaligné »), au moins dans certains cas, les arrangements entre les collectivités locales et leurs délégataires ?