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CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRE D’ANALYSE DE LA FOURNITURE DE SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

3.2.3 Les incertitudes

Une dernière caractéristique importante sur laquelle la TCT met l’accent dans la production de services environnementaux est la notion d’incertitude qui détermine, d’une part, les besoins de flexibilité des arrangements qui encadrent les transactions et, d’autre part, les besoins de contrôle des comportements opportunistes. La notion d’incertitude nécessite cependant d’être déclinée. Dans ce qui suit, nous commençons par examiner les problèmes contractuels que posent les incertitudes sur l’évaluation monétaire de la demande de services

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environnementaux. Nous analysons ensuite les problèmes contractuels soulevés par la complexité des transactions et le caractère mesurable ou non de la qualité du service rendu.

3.2.3.1 L’incertitude sur l’évaluation de la demande des biens de nature

Les biens de nature sont pour la plupart des biens non marchands pour lesquels l’information sur la valeur n’est pas contenue (même de façon imparfaite) dans un signal-prix. Cela pose un problème de connaissance des préférences des usagers pour ces biens. Ce problème rejoint, comme déjà soulignée dans une section précédente, la question de l’évaluation des bénéfices d’un bien non marchand et celle du financement de services qui visent une amélioration ou un maintien en l’état des caractéristiques utiles de biens de nature.

L’évaluation est d’abord incertaine parce que les biens de nature font l’objet d’usages multiples et donc concernent généralement plusieurs agents ou groupes d’agents en même temps. A l’exemple des usages du sol qui multiples à la fois agricoles mais ayant un rôle dans les écosystèmes ou encore le régime des eaux. Autrement dit, il est difficile de connaître l’ensemble des coûts (dommages) et des bénéfices collectifs associés aux services environnementaux impliquant un tel actif.

Mais nous souhaitons aussi insister sur le fait que l’évaluation effectuée est très souvent dépendante de l’état des connaissances scientifiques et des progrès techniques accomplis. En effet, l’information se modifie sans cesse, principalement en raison des découvertes/révélations scientifiques et techniques qui conduisent les sociétés à prendre conscience de la rareté (menaces d’épuisement) des biens de nature ou des impacts négatifs ou positifs de certaines des actions humaines. Ce processus de révélation se fait généralement de manière heurtée et non progressive. Il en découle des perturbations parfois importantes et rapides du niveau de la demande sur les biens de nature qui perturbent les anticipations des agents.

L’évaluation des dommages environnementaux est également incertaine en raison des incertitudes scientifiques sur la dangerosité des actions entreprises par l’homme. Le traitement des déchets nucléaires constitue un bon exemple de la manière dont peut évoluer à moyen terme l’évaluation des dommages. Ce problème, déjà souligné par Weitzman (1974), conduit à privilégier les modes de coordination qui permettent aux agents concernés de s’adapter rapidement à des changements dans la valeur des biens : si la société dans son ensemble est concernée alors la coordination par la réglementation sera plus efficace.

Réduire ces incertitudes nécessite des coûts de transaction, par exemple pour mesurer et évaluer la dégradation de l’environnement, rassembler l’information adéquate. Cette propriété est étroitement reliée à la suivante qui porte sur la complexité des transactions.

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3.2.3.2 La complexité du service

La complexité renvoie à la possibilité ou non de « spécifier ex-ante les étapes techniques qui

président à la réalisation de la transaction » (Brousseau, 1993), c’est-à-dire ici les étapes qui

président à l’amélioration des caractéristiques utiles des biens de nature en jeu.

Dans certains cas, ces étapes ne sont pas connues avec précision parce que les relations de causalité des écosystèmes sont complexes (Hagedorn, Arzt et al., 2002) et qu’il demeure des incertitudes scientifiques sur les mécanismes notamment écologiques qui conduisent aux dégradations de l’environnement. En effet, nombre de problèmes environnementaux sont multidimensionnels dans la mesure où plusieurs biens de nature sont généralement concernés en même temps (air, eau, sol, etc.), différentes échelles spatiales peuvent être emboîtées, les relations de causalité (modèle d’impacts) sont rarement linéaires. Pour toutes ces raisons, les étapes qui président à la réalisation d’un service environnemental peuvent être difficiles à spécifier. C’est le cas par exemple pour la perte de biodiversité dans les espèces animales ou végétales non cultivées. Les scientifiques savent que la destruction des habitats de ces espèces explique largement le phénomène mais de multiples facteurs sont impliqués. Cela pose un problème général d’incitation à financer la production de services environnementaux dans ce domaine parce que les commanditaires potentiels ne connaissent pas les étapes techniques qui conduisent avec certitude au maintien des espèces concernées.

En revanche, dans d’autres cas, ces étapes sont connues et peuvent être décrites de manière claire. Les contrats de production de paysage (par exemple de taille des haies) contiennent des clauses claires relatives aux périodes d’intervention sur la végétation, au type de matériel utilisé, aux hauteurs de taille (Collart-Dutilleul, 1999). De telles clauses sont aisément observables et ne posent pas de problème d’interprétation par le juge en cas de litiges. Un autre exemple est celui de la dégradation de la qualité des eaux des nappes phréatiques. Les relations de causalité entre le dommage et les activités agricoles notamment de fertilisation azotée des cultures sont bien connues. Il est alors possible d’établir des contrats limitant les quantités d’azote totales épandues par les agriculteurs (factures d’achats) et définissant de nombreux autres paramètres comme la fréquence ou les périodes d’épandage des engrais azotés (Brossier et Gafsi, 1997).

Cependant, même dans les cas où les relations de causalité entre les activités humaines et la dégradation de l’environnement sont connues et où il est possible de spécifier les étapes techniques qui président à la réalisation du service environnemental, des problèmes contractuels demeurent. Ces problèmes sont liés au fait que le prestataire peut, en dépit d’un cahier des charges précis, se comporter de manière opportuniste lorsque la qualité du service rendu n’est pas mesurable.

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3.2.3.3 La mesurabilité de la qualité du service rendu

A la suite de Barzel (1982), la TCT met également l’accent sur le fait « les gens n'échangent

que s'ils perçoivent que ce qu'ils obtiennent est de plus grande valeur que ce qu'ils donnent »,

et que « ces perceptions se forment à la condition que les attributs des biens [ou services]

échangés soient mesurables ». Le caractère mesurable de la transaction renvoie à la possibilité

ou non pour le commanditaire d’observer la qualité du service rendu afin de s’assurer que le résultat obtenu est conforme à l’objectif et que ce résultat a été obtenu au moindre coût. Le plus souvent, cela passe par une étape ex-post d’évaluation (i.e. mesure et jugement par rapport à un critère défini ex-ante) permettant de contrôler la qualité du service rendu (i.e. observables à des coûts réduits).

Dans le domaine de l’environnement, ce caractère mesurable pose potentiellement problème dans la mesure où les effets utiles des services environnementaux peuvent tarder à se produire (Brown, 2000). En dehors de rares cas comme la production de paysage où les effets sont immédiats, tangibles et donc aisément observables, les services environnementaux posent des problèmes de mesure57 à des degrés certes divers. Si la qualité du service rendu n’est pas mesurable alors l’attention du commanditaire portera sur le contrôle des actions entreprises par le ou les prestataire(s) en s’assurant que ces actions rendent compte, avec le plus de précision possible, du résultat environnemental attendu (renvoie alors au problème de complexité de la transaction).

Cependant le caractère observable du service rendu ne suffit pas et ne permet pas de se prémunir des risques d’opportunisme du ou des prestataires. Bien que mesurable, la réalisation de la transaction peut poser des problèmes de contractualisation associés au fait qu’il peut être difficile de déterminer la part réelle des efforts entrepris par chacun des prestataires dans le résultat environnemental final. Ce problème de mesure est bien connu dans la littérature sur l’évaluation des politiques publiques et qualifié de problème de « mesure des effets propres » (Toulemonde, 1997). Dans le cas qui nous occupe, ce problème peut provenir du fait que la réalisation d’un objectif environnemental peut dépendre de nombreux paramètres, lesquels ne sont pas tous connus avec précision par le commanditaire du service environnemental (Hagedorn, Arzt et al., 2002, p.8). C’est le cas des efforts réalisés par les agriculteurs pour limiter la dégradation de la qualité des eaux des nappes phréatiques par la percolation des engrais azotés dans le sol. Si l’on ajoute à cet exemple le fait que le bénéfice attendu dépend également des efforts entrepris par les autres agriculteurs concernés, alors il est aisé de comprendre que le repérage des comportements de passager clandestin pose problème. De plus, comme déjà souligné dans une section précédente traitant des problèmes

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Notons que le caractère non mesurable peut expliquer les incitations plus fortes à investir dans des services dont la qualité est aisément observable et pour lesquels les effets sont immédiats comme les services de dépollution des eaux souterraines avant distribution. A l’inverse, les incitations semblent plus faibles dans les services dont les effets seront plus longs à se faire sentir comme la protection de la ressource en eau.

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de pollution diffuse, les résultats environnementaux résultant d’un même niveau d’effort individuel peuvent être d’ampleur différente selon le contexte : les conditions climatiques du moment, la profondeur de la nappe, la composition des roches superficielles, les efforts entrepris par les autres agriculteurs sur la zone de captage, etc. Le commanditaire du service ne peut donc faire dépendre la rémunération du prestataire de la qualité du service rendu. En effet, si le résultat environnemental d’une même action et donc les bénéfices qu’un commanditaire peut en retirer changent selon les contextes, alors la question se pose de la mesure des efforts individuels et de l’attribution des paiements sur la base de la contribution de chacun des prestataires à la réalisation de l’objectif environnemental. Les arrangements contractuels reposent donc sur la possibilité pour le commanditaire de pouvoir mesurer les attributs du service, seuls les attributs mesurables pouvant être contractualisés.

Au final, retenons que les incertitudes qui entourent la production de services environnementaux posent des problèmes contractuels de plusieurs natures. Les incertitudes sur l’évaluation de la demande posent des problèmes d’adaptation des contrats. Selon les cas, la réalisation d’un objectif environnemental (i.e. amélioration des caractéristiques utiles des biens de nature en jeu) peut se révéler complexe, ne permettant pas de spécifier dans le cadre d’un contrat toutes les dimensions du service rendu. Il est alors peu probable que la production de tels services puisse être efficacement encadrée par des mécanismes concurrentiels si des actifs spécifiques sont investis. Toutefois, même dans le cas où le commanditaire sait précisément ce qu’il faudrait faire, la transaction demeure soumise à des risques contractuels si le prestataire bénéficie d’un avantage informationnel sur le commanditaire lié au fait que la qualité du service rendu n’est pas observable par ce dernier.

Il s’ensuit la proposition suivante qui énonce que, la coordination des transactions entachées

d’incertitudes (complexe et/ou peu mesurable), est plus efficacement assurée par des mécanismes réglementaires que par des mécanismes concurrentiels, toutes choses égales par ailleurs.

3.2.4 Conclusion

Le choix des arrangements susceptibles d’encadrer efficacement les transactions est à raisonner au cas par cas. Ce choix dépend d’abord du nombre des agents concernés par la dégradation de l’environnement et des droits de propriété sur les biens de nature en jeu qui posent le problème des incitations à entreprendre la réalisation d’un service environnemental et à le financer. L’examen des caractéristiques des transactions permet de mettre en évidence les risques contractuels auxquels est soumise la production de services environnementaux. Il se dégage de l’analyse les points suivants : la spécificité des actifs physique et humain conjuguée à la fréquence et l’incertitude détermine le choix des arrangements contractuels efficaces. Du point de vue de l’économie des coûts de transactions, les services environnementaux apparaissent comme une catégorie hétérogène qui pose à des degrés divers

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des problèmes contractuels de (1) sous-investissement, (2) crédibilité des engagements, (3) défauts de coordination. Différentes structures de gouvernance sont a priori possibles pour encadrer ces transactions. Examinons maintenant de quelle manière le choix des structures les plus efficaces résulte des implications combinées des caractéristiques des transactions que nous avons identifiées.

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A la suite de Coase (1960), les structures de gouvernance susceptibles de convenir pour encadrer les transactions de services environnementaux sont au nombre de quatre (par ordre de coûts de transaction croissants) : l’internalisation des nuisances par fusion des activités au sein de la firme, la négociation décentralisée entre les parties, la réglementation gouvernementale et le laisser-faire. Cette section discute de la possibilité de rapprocher ces solutions du classement proposé par Williamson (1985) et de la correspondance entre caractéristiques et modes de coordination des transactions de services environnementaux sur la base d’un principe d’alignement et à l’exemple de ce qu’ont réalisé Crocker et Masten (1988) pour les transactions de services publics (cf. graphique n°5, section 2.3.1.5. de ce même chapitre). L’enjeu est de hiérarchiser les facteurs explicatifs : nombre des agents concernés, droits de propriété, spécificité des actifs et incertitude. Chaque structure de gouvernance est présentée en tenant compte de deux critères. Le premier est un critère juridique et correspond au maintien ou non de l’autonomie des parties impliquées (Ménard, 2004b). Le second critère porte sur l’aptitude relative des structures de gouvernance à minimiser les risques contractuels (ie. sous-investissement, crédibilité des engagements, défauts de coordination) et la manière dont sont combinées plusieurs catégories de mécanismes de coordination (ie. incitation, contrôle, adaptation et règlement des litiges).