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CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRE D’ANALYSE DE LA FOURNITURE DE SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

2.3.2 Incertitude sur la qualité des boues d’épuration et problèmes de mesure

Pour analyser le problème de la qualité, la théorie économique a proposé, à partir des travaux fondateurs de Nelson (1970) puis de Darby et Karni (1973), de classer les caractéristiques utiles des biens en trois catégories d’attributs – recherche, expérience, croyance ; classification à laquelle nous ajouterons une catégorie (cf. tableau n°9 ci-après). Ce classement permet de discuter des difficultés contractuelles posées par les asymétries d’information comme les problèmes de risque moral et de sélection adverse, ainsi que les solutions pour y remédier. Les attributs sont classés en fonction des difficultés contractuelles croissantes qu’ils posent.

Les attributs de recherche correspondent à ce qui est observable par les agents avant la réalisation de la transaction comme la couleur verte d’une pomme. Ces attributs ne posent pas de difficultés particulières de coordination.

Les attributs d’expérience renvoient à ce qui n’est pas observable ex-ante comme le goût de la pomme mais que la réalisation de la transaction permet d’évaluer. Le problème de coordination qui se pose est celui de la signalisation de la qualité du produit et de ses coûts, lesquels vont dépendre du caractère récurrent de la transaction.

Les attributs de croyance renvoient à ce qu’un agent ne peut connaître y compris à la suite de la réalisation de la transaction comme l’impact sur l’environnement. Ici, il ne suffit pas pour le producteur d’émettre un signal car la question se pose de la crédibilité de la signalisation d’une information non vérifiable par le consommateur.

Le modèle théorique initial traite uniquement des situations où il existe une asymétrie d’information entre le producteur et le consommateur, le producteur étant toujours censé être bien informé sur la qualité du bien. Prolongeant la classification, Lupton (2005) propose la création d’une catégorie de biens supplémentaires : les biens « indéterminés » pour lesquels certains attributs sont controversés en raison principalement de connaissances scientifiques incomplètes sur le sujet. Le caractère controversé de l’information relative par exemple à l’impact de la consommation d’un bien sur la santé fait perdre de sa crédibilité au signal émis par le producteur. Cela pose alors un problème de hiérarchisation des risques par le consommateur. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

Tableau n°9 : Les attributs de la qualité des boues d’épuration

Attributs/caractéristiques de qualité des biens Caractéristiques des boues d’épuration

Recherche Couleur, odeur, texture, siccité Expérience Intérêt agronomique

Croyance Impact sur l’environnement Controversé Impact sur la santé

Source : adapté de Darby et Karni (1973)

Appliqué au cas des boues, ce raisonnement conduit à classer les caractéristiques utiles des boues en quatre catégories distinctes.

Les caractéristiques physiques des boues (couleur, odeur, etc.) sont directement observables. Elles constituent des attributs de recherche et ne posent pas de difficultés particulières de coordination.

L’intérêt agronomique n'est pas directement observable parce qu’il dépend de la composition de la boue en éléments minéraux fertilisants principalement l’azote et le phosphore. Il s’agit d’un attribut d’expérience pour l’agriculteur, c’est-à-dire que s’il souhaite se faire une idée de la valeur agronomique d’une boue, il peut procéder à son épandage (il connaîtra alors l’impact sur le rendement de ses cultures) ou effectuer des mesures de la composition minérale de la boue (N, P, K principalement). Cette démarche est coûteuse pour l’agriculteur parce que la composition des boues varie et qu’il serait nécessaire de répéter les mesures plusieurs fois dans l’année. Il est donc probable qu’en l’absence de signalisation de la qualité agronomique des boues par le producteur lui-même, l’agriculteur se détourne de cette pratique de fertilisation.

L’impact des épandages sur l’environnement constitue un attribut de croyance dans la mesure où la réalisation de la transaction n’apporte pas (ou pas directement) d’information relative à cette caractéristique. Prenons le cas de la dégradation de la qualité des sols notamment à la suite de l’accumulation de certains composants des boues : les éléments métalliques à l’état de traces (EMT) comme le cadmium ou le plomb provenant principalement des rejets industriels dans les réseaux collectifs d’assainissement mais aussi les nombreux (> à 50) dérivés organochlorés et organofluorés provenant de sources multiples comme les médicaments, les solvants et détergents. Rien ne permet a priori aux acteurs concernés de connaître le niveau de risques de dégradation des sols associé à une boue. Certaines informations comme la connaissance du nombre et des types d’industries raccordées à la STEP pourraient permettre de hiérarchiser le niveau de risques mais en raison de la multiplicité des sources de contamination non exclusivement industrielles (mais également domestiques = les ménages), ces informations ne sont pas suffisantes. Seule des mesures ex-ante de la composition des boues permettraient alors de signaler cette caractéristique aux agriculteurs et de les inciter à épandre des boues. Or le caractère non vérifiable de cette information par l’agriculteur pose le problème de sa crédibilité. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

Enfin, l’impact sur la santé animale et humaine constitue une caractéristique controversée parce que les connaissances scientifiques ne sont pas suffisantes pour établir avec précision les possibilités de migration des éléments métalliques ou des polluants organiques, du sol aux plantes cultivés ainsi que les impacts réels de ces composés sur la santé des consommateurs de produits agricoles (Bourrelier et Berthelin, 1998; Nejmeddine, Echab et al., 2003). Ces impacts sont encore mal connus mais potentiellement très dangereux – cancérigènes par exemple (ADEME, IRH Environnement et al., 1995). Les dommages sanitaires sont également causés par l’existence dans les boues de micro-organismes pathogènes bactériologiques et viraux. Lorsque la station d’épuration fonctionne ‘mal’, elle rejette des eaux faiblement dépolluées dans les rivières et produit des boues hautement fermentescibles qui génèrent des nuisances olfactives. Ces nuisances concernent en priorité les riverains des stations d’épandage et des parcelles agricoles destinées à recevoir les boues. Les micro-organismes pathogènes présentent également des risques élevés pour les animaux dans le cas d’épandage sur prairies (Furet, Birraux et al., 1999). Cette incertitude touche en particulier les éleveurs en raison des risques d’ingestion de boues lors du pâturage des animaux. Le débat relatif à ces éléments pathogènes s’est exacerbé suite à la crise de l’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) et de la prise de conscience des limites des connaissances scientifiques relatives aux modes de transfert de ces éléments entre le sol, les plantes et les hommes. Ces organismes sont détectables69 pour la plupart. L’exemple du prion est révélateur. Ce pathogène n’est actuellement pas détectable dans l’eau et les boues. Le risque de sa présence n’est pas nul. La probabilité d’en découvrir un jour n’est pas nulle non plus.

Le problème de la qualité des boues provient donc en amont d’un problème de risque moral posé par le caractère non observable de la qualité des effluents rejetés dans les réseaux collectifs de collecte des eaux usées, de sorte que contrairement à un ‘produit’ issu d’un processus productif pour lequel les intrants sont parfaitement connus, tous les composés des boues ne sont pas nécessairement identifiés ex-ante. Ensuite, le caractère inobservable de la plupart des caractéristiques utiles de la qualité des boues pose le problème de la production d’un signal par les producteurs. Pour les attributs de croyance et controversés comme les impacts sur l’environnement et sur la santé, un problème supplémentaire se pose, celui de crédibilisation du signalement d’une information non vérifiable.

Le choix d’un arrangement contractuel efficace devra donc tenir compte des capacités relatives des arrangements à, d’une part, contrôler les comportements clandestins des acteurs raccordés au réseau et, d’autre part, inciter à la production d’un signal crédible de la

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Certains pathogènes comme les ‘prions’ ne sont pas techniquement détectables dans les eaux ou les boues. Il existe donc une incertitude radicale sur leur présence éventuelle. Dans ce cas, les boues susceptibles d’en contenir comme les boues issues du traitement des rejets d’abattoir ne sont, par précaution, pas épandues mais incinérées. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

composition des boues afin de réduire les asymétries d’information existantes entre les parties notamment au détriment des agriculteurs.

Quant au caractère controversé de certains attributs de la qualité des boues, il faut examiner maintenant plus en détail de quelle manière cela pèse sur le comportement des agriculteurs via les décisions prises par les consommateurs et les industries agroalimentaires.