• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRE D’ANALYSE DE LA FOURNITURE DE SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

2.3.3 L’incertitude sur le comportement des acteurs exogènes aux transactions

L’incertitude examinée ici est relative aux consommateurs et industries alimentaires dont les décisions pèsent sur le comportement des agriculteurs. La fin des années 1990 a connu une série de crises alimentaires majeures dont certaines sont associées à la gestion des déchets produits par la société – crise de l’ESB dite de la ‘vache folle’, dioxines – qui se sont traduites par une aversion accrue des consommateurs et par voie de conséquence des agriculteurs aux risques sanitaires. Cette aversion se traduit par des fluctuations parfois fortes et rapides de la demande de certains produits alimentaires notamment carnés comme la viande bovine (au moment de la crise de l’ESB) ou la volaille (au moment de la grippe aviaire) qui ne s’expliquent pas par les évolutions générales des prix et des revenus. Pour Combris (1997), « la question qui se pose aujourd'hui, en France et dans de nombreux autres pays développés,

est précisément celle de l’instabilité [du comportement des consommateurs]. Les variations, parfois assez brutales, des paramètres de la demande peuvent résulter d'une modification des caractéristiques qualitatives des produits mais aussi d'une modification graduelle de l'image

d'un produit ». Dans ce contexte, les épandages agricoles de boues sont susceptibles de

modifier l’image des produits alimentaires dans l’esprit du consommateur et entretenir l’instabilité de la demande. Les industriels et les grands distributeurs cherchent à éviter de supporter un tel risque en contrôlant plus étroitement les processus de production agricole, en particulier l’emploi par les agriculteurs des intrants (notamment à visée fertilisante comme les boues) qui pourraient avoir un impact sur la santé humaine (Bouchet, 2003). Il s’agit d’une tendance assez générale qui se traduit par des exigences accrues envers les agriculteurs mais aussi une segmentation de l’offre de produits agroalimentaires basée sur les garanties apportées sur l’alimentation des animaux, les intrants utilisés pour la fertilisation des cultures et la lutte phytosanitaire.

Les signes officiels de qualité (AOC, Labels, AB, CQ) enregistrent par exemple depuis quelques années70 une forte croissance des exploitations adhérentes, des volumes de production et des demandes de certification de nouvelles productions animales et végétales (Lagrange et Valceschini, 2000). De même, les initiatives strictement privées des industriels et des distributeurs se développent : en France, le groupe agro-alimentaire Bonduelle a été le

70

A l’exception du label Agriculture Biologique qui a enregistré une baisse en 2004.

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

premier en 1996, à instaurer au moyen d’une charte, des mesures destinées à limiter l'usage des boues d’épuration pour la fertilisation des cultures légumières, en fixant ses propres exigences en termes de composition (en particulier métaux lourds), généralement très inférieures aux seuils réglementaires français mais « tenant compte des exigences des pays

notamment l’Allemagne et la Suisse, vers lesquels la société exporte et commercialise les légumes » (Bracquart, 1999).

Dans ce contexte, les normes sanitaires et techniques constituent un nouvel enjeu pour le commerce international (Bureau et Gozlan, 1999; Valceschini et Mazé, 2000). Les industriels (IAA) et les grands distributeurs de l’alimentation imposent à leurs fournisseurs des restrictions d’emploi des boues d’épuration, justifiées par la volonté de maintenir leur réputation auprès des consommateurs. Ceci se traduit par une aversion accrue des agriculteurs à s’engager sur le long terme dans l’épandage et donc, des difficultés pour les communes à trouver des terres disponibles d’autant plus élevés que les agriculteurs qui les exploitent sont dans des systèmes de production animale et/ou labellisés.

2.3.4 Les implications contractuelles

Pour conclure sur les incertitudes qui entourent la fourniture du service d’épandage et les implications contractuelles prévisibles, retenons que certaines dimensions du service déterminent davantage que d’autres, le besoin de flexibilité ainsi que le degré d’incomplétude des arrangements contractuels destinés à encadrer les transactions. De plus, compte tenu notamment des incertitudes sur l’évaluation du service mais aussi du caractère peu vérifiable de l’information relative à la qualité des boues, la réalisation du service d’épandage est empreinte d’incertitudes. Il est alors probable que la fourniture du service sera plus efficacement encadrée par des contrats administrés que par des contrats classiques, toutes choses égales par ailleurs. Cela signifie que l’Etat devra prendre un ensemble de dispositions visant par des moyens incitatifs et coercitifs (règles, normes) à encadrer la qualité des boues produites et leur emploi en agriculture.

Pour analyser l’efficacité relative des différents arrangements contractuels possibles (contrats classique versus administrés), l’examen des caractéristiques des transactions ne suffit pas et il est nécessaire d’examiner le rôle joué par l’environnement micro-institutionnel. Il s’agit donc maintenant d’analyser plus précisément le rôle joué par les dispositifs micro-institutionnels dans le choix des arrangements susceptibles d’encadrer la fourniture du service environnemental étudié. Visent-ils l’efficacité environnementale et/ou l’efficacité économique ? Contribuent-ils à réduire les coûts de transaction supportés par les acteurs privés et/ou ceux supportés par l’administration ?

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

* + 2 3/

Il faut d’abord tenir compte « des capacités respectives des tribunaux et de l’administration à

faire appliquer les engagements » parce que cela a un impact sur la stabilité des arrangements

contractuels et limite les comportements opportunistes de « hold-up » (Crocker et Masten, 1996). Il faut également tenir compte des capacités respectives du marché et de l’administration à adapter les règles au niveau local lorsque la pertinence environnementale de la règle apparaît contestable au regard des coûts que cela impose aux agents réglementés (Ménard, 2003).

Les capacités de l’administration à faire respecter les règles et les adapter en fonction des situations locales relèvent de dispositions71 d’ordre micro-institutionnel impliquant en priorité, dans le cas de la France, les services déconcentrés (départementaux) des ministères qui édictent les textes réglementaires.

Lorsque la réglementation est sectorielle, en provenance par exemple du ministère en charge de l’agriculture, les dispositions prises impliquent en priorité l’administration déconcentrée du réglementeur (ici les DDAF) sous la responsabilité des préfets.

En revanche, lorsqu’il s’agit d’une réglementation environnementale, les dispositions prises sont plus complexes parce qu’elles impliquent plusieurs secteurs d’activités et parce que le ministère en charge de l’environnement ne possède pas sa propre administration déconcentrée au niveau départemental. Même s’il existe des DIREN au niveau régional, ces dernières n’interviennent quasiment pas sur le sujet des épandages de boues. A charge alors pour le ministère de coordonner l’action de plusieurs administrations qui ne sont pas sous sa tutelle hiérarchique : les services déconcentrés des ministères cosignataires des textes réglementaires (comme les DDAF et les DDE) avec ceux d’autres organismes concernés comme par exemple les chambres départementales d’agriculture et les conseils généraux lorsque des problèmes relatifs à la qualité des eaux et aux déchets sont en jeu.

Dans le cas étudié, le ministère en charge de l’environnement a prévu de doter les autorités administratives départementales « d’un dispositif de suivi des épandages » pour coordonner les actions des différents services concernés en vue, d’une part, d’assurer le respect des règles relatives à la qualité du produit et de son emploi et, d’autre part, de les adapter au niveau local en fonction « de la nature particulière des sols et sous-sols, des milieux aquatiques, du milieu

environnant et sa climatologie »72.

71

Les dispositions d’ordre micro-institutionnel relèvent essentiellement de circulaires ministérielles dites interprétatives qui précisent les conditions d’application des textes réglementaires.

72 Décret n°97-1133 du 8 décembre 1997. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

Il en découle l’hypothèse suivante selon laquelle la mise en place d’un dispositif de suivi des

épandages devrait se traduire dans les départements concernés par une capacité accrue de l’administration à faire respecter les règles et les adapter au niveau local.

Il s’ensuit alors la proposition selon laquelle dans les départements qui ont mis en place un

dispositif de suivi des épandages, les coûts (de production et de transaction) de la fourniture du service d’épandage devraient être globalement réduits par rapport aux départements qui ne l’ont pas fait.

3 Section 3 - Les orientations méthodologiques

Cette section expose le protocole empirique servant à tester les hypothèses et propositions déduites de notre cadre d’analyse. Nous commençons par faire le point sur les faiblesses de l’appareil statistique national et des sources administratives pour traiter des aspects d’organisation des services collectifs locaux (section 3.1.). Il s’ensuit la nécessité de produire des données originales. Nous présentons alors le protocole d’enquêtes imaginées dans le cadre de la thèse (section 3.2.).

$