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CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRE D’ANALYSE DE LA FOURNITURE DE SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

2.2.2 La contractualisation entre agents privés pour produire des services environnementaux

Les théoriciens des droits de propriété trouvent la source de leur inspiration dans la critique radicale de Coase (1960) sur l’analyse des causes de l’intervention publique développée par Pigou (1932) et les solutions qu’elle préconise. Prenant en compte les coûts de transaction dans la coordination entre les agents économiques, leurs travaux relèvent d’une conception minimaliste de l’intervention de l’Etat et mettent l’accent sur les solutions privées de négociation décentralisée.

Les travaux relevant de l’approche dite « d’économie institutionnelle des ressources naturelles et de l’environnement » (Anderson, Libecap, 2006) ou de celle dite « approche transactionnelle de l’analyse des droits de propriété » (Libecap, 2002), partent du constat que l’instauration de transactions ne se fait pas ou peu dans le domaine de la production des biens de nature et que cette situation est optimale. L’explication de cette situation de sous-production ou de surexploitation des biens de nature diffère de celle de l’économie publique. Alors que cette dernière insiste sur le fait que la dégradation des biens de nature résulte des propriétés collectives (non excludabilité) de ces biens, renvoyant à l’idée de défaillances de marché, l’approche transactionnelle des droits de propriété met l’accent sur la notion de coût de transaction pour expliquer l’absence de marchés dans le domaine environnemental et réfute la nécessité d’un recours systématique à l’intervention de l’Etat.

Ainsi, pour Anderson et Libecap (2006), « les coûts de transaction sont la source du

problème alors que l’externalité n’est que le symptôme ». Ces auteurs se réfèrent clairement

au raisonnement de Coase pour qui « une raison expliquant qu’on ne parvienne pas à

développer une théorie satisfaisante permettant de traiter le problème des nuisances provient d’une conception erronée de la notion de facteurs de production. Ces derniers sont généralement considérés comme des entités physiques que l’entrepreneur acquiert et utilise (un hectare de terre, une tonne d’engrais), alors qu’il vaudrait mieux les envisager comme des droits à la réalisation de certaines actions (physiques). Ainsi, on parlera d’une personne

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qui détient de la terre et l’utilise comme facteur de production mais, ce que le propriétaire terrien possède en fait est le droit d’engager une liste d’actions limitées. Les droits d’un propriétaire terrien ne sont pas illimités (…). Si les facteurs de production sont considérés comme des droits, il devient aisé de comprendre que le droit de faire quelque chose de nuisible (…) constitue également un facteur de production » (Coase, 1960, 1992 trad. Fr).

La question posée est alors de savoir pourquoi le marché n’intervient pas dans la manière dont s’organisent les usages concurrents des biens de nature, plus exactement pourquoi les facteurs de production auxquels fait référence Coase ne parviennent pas à être échangés dans un sens qui accroît le bien-être de la société. La réponse est que les droits de propriété sont imprécis et insuffisamment définis. Ainsi, selon cette approche, « lorsque les droits sont bien définis,

privatisés, les négociations volontaires produisent des résultats efficaces. Ces résultats sont bien connus dans la sphère des biens privés standards mais les leçons sont oubliées dès qu’il s’agit de traiter des ressources naturelles. Les droits de propriété sont alors considérés soit comme inexistants, soit comme impossibles à définir et protéger » (Anderson et Libecap,

2006).

Pour ces auteurs, une meilleure définition des droits de propriété sur les biens de nature encouragerait les échanges mutuellement avantageux entre les usages d’un même bien. La solution proposée est donc de chercher à instaurer les conditions dans lesquelles de tels échanges peuvent avoir lieu. Il s’agit de faciliter l’instauration d’une transaction décentralisée entre les parties et non de recourir à une solution étatique qui vise à se substituer à celle-ci. Cette solution dite de marché présente plusieurs avantages sur la réglementation étatique selon les auteurs. Elle est censée être « plus flexible que les régulations étatiques ». Elle constitue également « une solution incitative qui génère davantage d’informations sur les

valeurs que les individus accordent aux ressources naturelles » (Libecap, 2005).

Partant de différents cas de problèmes d’environnement, les auteurs mettent en avant qu’« en

raison des caractéristiques physiques des ressources naturelles ou des restrictions légales ou culturelles », les échanges n’ont pas lieu. Se demandant pourquoi il en est ainsi, leur

démarche consiste à examiner la nature des coûts de transaction qui empêchent la définition des droits de propriété afin d’explorer les possibilités d’une meilleure définition de ces droits et les solutions contractuelles privées aux problèmes.

Des nombreuses études de cas très détaillées menées par un ensemble d’auteurs (Libecap, 1989; Ostrom, 1990; Anderson et Leal, 2001; Anderson et McChesney, 2003) se dégagent quatre facteurs principaux qui influencent le niveau des coûts de transaction et expliquent les difficultés d’instaurer des transactions dans le domaine de l’environnement. Les coûts de transaction comprennent les coûts de recherche, de négociation, de mesure et de mise en application (enforcement). Ils peuvent s’avérer élevés en raison des caractéristiques physiques des biens et des conditions sociales et légales.

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Un premier facteur tient à la nature et à la distribution de l’information sur le problème environnemental ou de ressource. Si l’information est limitée et asymétrique sur la dimension du problème et les coûts de transaction pour y accéder trop élevés alors les gains marchands sont incertains. Ce facteur génère des difficultés de mesure qui limitent l’activité transactionnelle comme l’a montré Barzel (1982). Les difficultés de mesure sont accrues en raison d’un deuxième facteur : les caractéristiques physiques et la valeur. Cette dernière dimension est importante : il y a un problème d’évaluation de la valeur. Pour les auteurs, l’échange marchand est la meilleure solution pour connaître la valeur que les individus accordent aux caractéristiques utiles des biens de nature en question. Toutefois, lorsque les ressources sont mobiles et difficilement observables, les coûts de mesure et de protection sont élevés. Le troisième facteur est le nombre et l’hétérogénéité des agents concernés par le marchandage potentiel. Plus les groupes sont larges et hétérogènes, plus les coûts associés à la recherche d’un accord volontaire sont élevés en raison des opportunités plus élevées pour des comportements opportunistes et de hold-up (Ostrom, 1990). Le quatrième facteur renvoie aux considérations d’équité. L’instauration de transactions sur les ressources naturelles se heurte aux règles (notamment culturelles et le plus souvent informelles) d’usage des biens qui confèrent des situations de ‘rente’ aux agents qui en bénéficient. Les réarrangements volontaires de droits sont alors possibles uniquement dans la mesure où des compensations sont prévues de manière à répartir les gains à l’échange (Libecap, 1989).

Anderson et Libecap (2006) fournissent plusieurs exemples où les agents privés parviennent à réarranger les droits établis sur les ressources naturelles dans les domaines de la pêche en mer ou de la faune sauvage par des systèmes de crédits pour maintenir l’habitat d’oiseaux sauvages. Aussi séduisants soient-ils, ces exemples demeurent limités et ne se substituent pas complétement à l’intervention de l’Etat. Les auteurs disent eux-mêmes qu’ils ne « défendent

pas l’idée que tout problème de ressource naturelle ou d’environnement peut être solutionné de manière contractuelle : il y a des cas où l’intervention de l’Etat constitue une solution de second rang » (p.3), en particulier dans le domaine de la pollution diffuse qui implique un

grand nombre d’agents hétérogènes et où les effets sont difficilement quantifiables. Mais, en dehors de ces cas, dans la conception des auteurs, lorsque l’Etat est amené à intervenir, il devrait se limiter à proposer « une assistance dans la définition des droits de propriété et la

baisse des coûts de transaction associés à cette activité »48.

Pour conclure, cette approche s’inspire largement de l’apport de Coase (1960) mais elle se centre sur une seule (contractualisation) des quatre solutions envisagées théoriquement par lui : intervention publique, contractualisation, intégration et laisser-faire. L’approche s’éloigne donc de la démarche comparative prônée par Coase et ne peut permettre de répondre à la question posée par la thèse qui est celle de l’aptitude relative des différents mécanismes

48

Alors que dans les faits, la réglementation consiste le plus souvent, selon les auteurs, à imposer « des

restrictions légales aux transferts des droits de propriété dans le domaine de l’environnement ».

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de coordination (mécanismes concurrentiels versus autres mécanismes de gouvernance) à encadrer les transactions de production de services environnementaux

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Selon l’approche d’économie institutionnelle, dont Coase est à l’origine, l’examen des défauts de marché n’a de sens que dans l’hypothèse d’un monde avec coûts de transaction positifs. Dans un tel monde, réglementation et marché forment une alternative en termes de régulation des externalités et de solutions à la fourniture de biens collectifs. D’une part, il ne suffit pas de mettre en évidence que le marché ne permet pas d’atteindre un idéal théorique pour conclure à un échec du marché et considérer que l’intervention étatique est légitime du point de vue économique. L’idée que l’intervention de l’Etat conduit nécessairement, dans des situations de défaillances de marché, à des gains en termes de bien-être a été largement contestée, en particulier par les économistes néo-institutionnels (Coase, 1960; Coase, 1974; Goldin, 1977; Dahlman, 1979). D’autre part, il ne suffit pas de mettre en évidence que le marché est une solution théoriquement préférable lorsque les droits de propriété sont bien définis pour conclure à un échec des interventions de l’Etat. L’intervention de l’Etat est coûteuse mais les efforts consentis par les agents pour mieux délimiter les droits d’usage sur les ressources le sont également. L’intervention peut certes ne pas être automatique mais elle se justifie dans les cas où elle conduit à des gains supérieurs aux autres solutions disponibles (laisser-faire, négociation décentralisée entre les parties) et que ces gains sont supérieurs aux coûts de l’intervention publique (Coase, 1960).

Ainsi, la méthode d’analyse économique retenue par Coase consiste à caractériser les différents modes de coordination possibles ainsi que les coûts et les gains qu’ils engendrent. L’efficacité d’arrangements alternatifs s’évalue alors par comparaison des bénéfices nets de chacun. Tous les coûts doivent être pris en compte, les coûts de transaction de l’intervention publique comme les coûts des initiatives privées. Cette approche souligne l’importance de l’étude concrète des solutions mises en œuvre, laquelle requiert un examen au cas par cas des coûts et bénéfices des différentes solutions (y compris le laisser-faire selon Coase). En fait, les travaux de Coase ont donné naissance, à partir de son premier article de (1937) « The Nature of the Firm », au courant de la TCT, considérée comme la branche la plus active de la théorie néoinstitutionnelle, et qui a eu un impact important sur la théorie de l’organisation industrielle, en fait essentiellement les formes d’ordre privé (Williamson, 1975; Williamson, 1985). Ce n’est que récemment que la TCT a été adaptée au cas des industries de service public. En revanche, elle n’a quasiment pas eu d’impact dans l’analyse de la production des services environnementaux. Un indicateur est le fait que North et Williamson, deux des

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auteurs les plus influents de la nouvelle économie institutionnelle n’ont, à notre connaissance, jamais publié de travaux majeurs dans le champ de l’économie de l’environnement49. C’est donc principalement le deuxième article de Coase (1960) « The Problem of Social Cost », qui a fondé la littérature en économie de l’environnement. Cependant, à l’instar par exemple de Richards (2000) et Beckmann (2002), nous pensons que la démarche comparative de la TCT « présente le plus grand intérêt pour analyser l’élaboration, la mise en œuvre et l’efficacité

des structures de gouvernance dans le domaine de l’environnement et des ressources naturelles » (Paavola et Adger, 2005).

La suite de ce chapitre vise à adapter le cadre de la TCT à l’analyse d’un service environnemental en procédant en deux étapes. Dans la section 2.3, il s’agit d’abord de présenter la TCT et son adaptation au cas des industries de service public en vue d’analyser la diversité des arrangements possibles et leur efficacité relative (section 2.3.1.) et en explorant ensuite la question de l’impact de l’environnement institutionnel sur ces arrangements (section 2.3.2.) C’est dans la section 3 que nous ferons le lien entre le cadre de la TCT et les enseignements des travaux sur l’environnement.