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Les sources de coûts de transaction: nature des risques contractuels encourus et caractéristiques des transactions

CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THEORIQUES ET CADRE D’ANALYSE DE LA FOURNITURE DE SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

2.3.1 La démarche comparative de la théorie des coûts de transaction

2.3.1.3 Les sources de coûts de transaction: nature des risques contractuels encourus et caractéristiques des transactions

“Toute étude sérieuse de l’organisation économique doit s’intéresser aux implications combinées de la rationalité limitée et de l’opportunisme, ainsi qu’à la question de la spécificité des actifs » (Williamson, 1994, p.42).

La théorie des coûts de transaction développe l’idée que les transactions nécessitent d’être encadrées par des structures de gouvernance dont la visée est de minimiser les risques

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contractuels associés à la réalisation des transactions. Les « risques contractuels » sont source de coûts de transaction. Ils résultent des implications combinées des caractéristiques des transactions dans un contexte où l’information est incomplète et asymétrique et où les agents économiques sont considérés comme potentiellement opportunistes. Nous accordons d’abord de l’attention à la présentation de ces deux hypothèses comportementales dans la mesure où elles ont d’importantes conséquences sur les caractéristiques des contrats tels que la théorie des coûts de transaction les appréhende.

2.3.1.3.1 Les hypothèses comportementales

Trois formes de risques contractuels sont identifiés par la théorie : (1) sous-investissement des agents qui continuent de poursuivre leur propre intérêt au détriment de celui du principal, (2) crédibilité des engagements pris par les partenaires (3) inadaptation de l’accord initial en fonction des contingences.

Rationalité limitée et incomplétude contractuelle

Pour Williamson (1994a), « les agents économiques sont supposés intentionnellement

rationnels mais seulement de façon limitée ». (p.69). La rationalité des agents n’est pas

parfaite dans la mesure où ils ne disposent pas d’une information complète à la fois sur le comportement de leur partenaire et sur les « états futurs du monde » soumis à des contingences non probabilisables. La rationalité limitée est à l’origine de l’incomplétude des contrats. En effet, dans un contexte d’information incomplète, il est impossible de prévoir et décrire sans ambiguïté tous les évènements pouvant intervenir dans les relations d’échange bilatéral : certaines circonstances sont imprévisibles, la prévision en matière de contrat est coûteuse, le langage est imprécis et les clauses contractuelles sont sujettes à interprétation. Les individus s’accordent donc tout en sachant qu’ils ne peuvent pas couvrir parfaitement toutes les éventualités et que les contrats sont inévitablement incomplets.

Opportunisme et exploitation stratégique des asymétries informationnelles

Les asymétries d’information correspondent aux situations où « une seule partie connaît

l’ensemble des coûts et bénéfices des différents plans mis en œuvre, ou quand la probabilité relative des différents résultats constitue une information privée » (Milgrom et Roberts,

1992). Les agents ont alors tendance à exploiter de manière stratégique les informations privées qu'ils détiennent. Cette tendance à l'opportunisme est mise en avant par Williamson qui en fait la seconde hypothèse comportementale de sa théorie. Dans le système conceptuel Williamsonnien, les deux hypothèses deviennent indissociables et la source principale d’aléas contractuels. Selon le moment où apparaît un tel comportement, les économistes parlent d’opportunisme pré-contractuel lorsqu’il se manifeste durant la négociation préalable à la réalisation de la transaction et d’opportunisme post-contractuel lorsqu’il se manifeste au cours du déroulement de la transaction. L'opportunisme pré-contractuel renvoie au problème de sélection adverse étudié par Akerlof (1970). L'opportunisme post-contractuel renvoie au problème de risque moral classique dans l'analyse économique des assurances (Cahuc, 1998).

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Williamson considère les deux formes d’opportunisme pré et post-contractuel mais il insiste surtout sur les problèmes de contractualisation ex-post. Selon l’auteur, les termes de l’accord peuvent ne pas être respectés lorsqu’il en va de l’intérêt d’une des parties. C’est pourquoi l’auteur insiste sur la crédibilité des engagements et sur les mécanismes qui contraignent les parties à respecter leurs engagements dans le temps. Ces mécanismes contraignants ou non contraignants, sont appelés des mécanismes d’enforcement des contrats.

2.3.1.3.2 Les caractéristiques des transactions : spécificité des actifs, incertitude, fréquence

La grille de l’économie des coûts de transaction met l’accent sur deux caractéristiques principales des transactions - spécificité des actifs et incertitude – mais en distingue toutefois d’autres comme la fréquence. Chacune de ces caractéristiques influence les coûts associés à la réalisation d’une transaction.

La spécificité des actifs, le problème du « hold-up » et les incitations à investir

Un actif est dit spécifique ou idiosyncrasique (versus générique) dès lors que sa valeur diminue (versus ne diminue pas) en cas d’utilisation alternative à l’usage pour lequel il a été conçu initialement (Williamson, 1985). En revanche, un actif spécifique dégage une valeur supérieure à un actif générique. Ce supplément de valeur est assimilé à une « quasi-rente » qui, lorsqu’elle est suffisamment importante, rend le contrat auto-exécutoire (Milgrom et Roberts, 1992). Les actifs spécifiques sont générateurs de rentes mais sont également sources de risques. Ces risques sont au centre de l’argumentation des théoriciens de l’économie des coûts de transaction et sont qualifiés de risques contractuels : ils apparaissent au sein d'une relation d'échange bilatérale, lorsqu’un des contractants ayant investi dans des actifs spécifiques devient dépendant de son partenaire et s'expose à un comportement opportuniste dit de « hold-up » de sa part. Ce dernier, se sachant en position de force, sera tenté de proférer des menaces de non-respect de ses engagements si la répartition de la quasi-rente (organisationnelle) n’est pas revue en sa faveur. Pour ne pas perdre son investissement (non-redéployable), le propriétaire de l’actif spécifique acceptera alors une renégociation ex-post de l’accord et abandonnera une partie supplémentaire de la rémunération de son actif spécifique. C’est cette renégociation ex-post du partage de la quasi-rente au détriment du propriétaire des actifs spécifiques qui s’appelle « hold-up ». Cela pose des problèmes d’incitations à investir puisque la menace de rupture du contrat est d’autant plus crédible que les actifs investis sont faiblement redéployables.

La réaffectation des investissements est contrainte de diverses manières : l’existence d’un marché du matériel d’occasion, la possibilité technique de déplacer géographiquement les investissements. La théorie distingue plusieurs formes de spécificité des actifs. Ces formes ont des implications organisationnelles différentes en fonction de la manière dont elles exposent le propriétaire de l'actif non redéployable aux risques de "hold-up".

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La spécificité de site des actifs physiques indique que la valeur des actifs est fonction de leur localisation et que les coûts d'installation et/ou relocalisation sont élevés. La faible mobilité des actifs (réseaux par exemple) est un facteur de spécificité de site qui conduit Williamson (1994, p.123) à affirmer que « la réponse prépondérante à la spécificité de site des actifs

physiques est la propriété unifiée ». La proposition s’appuie sur l’exemple donnée par Joskow

(1985) qui révèle que les mines de charbon qui alimentent les centrales électriques voisines sont fréquemment détenues par le producteur d’électricité qu’elles approvisionnent. Les deux actifs sont cospécialisés. La valeur de l’un dépend de son association avec l’autre et réciproquement. Les risques de « hold-up » sont importants et dans ce cas, la maximisation de la valeur exige l’exploitation commune de ces deux actifs (Milgrom et Roberts, 1992). La spécificité des actifs humains touche aux compétences développées, expériences accumulées et apprentissages réalisés au sein de la firme par les employés (Quélin, 2002). La réaffectation des investissements humains est limitée essentiellement par le degré de formalisation et de spécificité des connaissances acquises. Les dépenses en recherche et développement constituent l’indicateur le plus couramment utilisé dans les études empiriques (Coeurderoy et Quélin, 1997). La spécificité de marque indique que la valeur des actifs est supérieure lorsqu’ils sont associés à la notoriété d’une marque pour laquelle des investissements spécifiques ont été consentis : dépenses publicitaires, commerciales ou marketing associées à la promotion d’une marque commerciale (Quélin, 2002). Les investissements en capital de réputation ne sont généralement pas réaffectables. Cette forme de spécificité se traduit, selon l’auteur, par un actif intangible qui signale certaines qualités propres à un produit ou à une entreprise. La réputation est une forme de signal à destination des clients et fournisseurs de la firme, sur la crédibilité des engagements qu’elle prend. Pour Milgrom et Roberts (1992), « les

situations où la réputation des parties est en jeu peuvent constituer un frein à l’opportunisme ex-post et aux tentations de reniement ou de renégociation » (p.188). La spécificité

temporelle indique que la valeur d’une transaction dépend du respect strict des délais (Craig Pirrong, 1996). Elle correspond à un problème de coordination dans le temps de différentes opérations. Lorsque cette forme de spécificité est impliquée dans les transactions, « il devient

difficile, même si les actifs concernés sont globalement standards, de trouver un remplaçant à un fournisseur défaillant, et susceptible de reprendre le travail sans bouleverser le déroulement du projet » (Quélin, 2002). D’une manière générale, plus la spécificité

temporelle des transactions est forte, plus les entreprises auront tendance à contrôler de telles transactions de manière à limiter les risques de non-respect des délais. La spécificité dédiée correspond à des actifs qui sont dédiés aux besoins d’une transaction précise : dépenses en maintenance, agrandissement d’une usine existante pour un acheteur particulier. Cette dernière forme de spécificité des actifs ne commande généralement pas une internalisation de la transaction (Williamson, 1994).

Incertitude comportementale et problèmes de crédibilité des engagements

Les incertitudes comportementales résultent essentiellement des comportements opportunistes des agents et posent des problèmes d’aléa moral (post-contractuels). L’incertitude comportementale est principalement fonction du degré d’information de chacun des

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partenaires, de l’observabilité des comportements et des actions, de la mesurabilité de la qualité du produit de la transaction (et du flux d’utilité). Toutes choses égales par ailleurs, plus les asymétries d’information sont importantes, plus l’observabilité des actions des agents est faible et plus l’évaluation de la qualité du produit est délicate, plus la transaction sera soumise à des problèmes d’aléas moraux et plus les engagements pris ex-ante risquent d’être bafoués. D’une part, les asymétries informationnelles rendent la stratégie ‘opportuniste’ faiblement observable et il devient difficile de s’en prémunir. D’autre part, la stratégie ‘opportuniste’ présente des gains d’autant plus élevés que la dépendance bilatérale entre les partenaires est forte c’est-à-dire que des actifs spécifiques sont investis dans la relation. C’est en ce sens que se pose la question de la crédibilité des engagements. L’exigence de crédibilité se traduit par une spécification ex-ante la plus précise possible des objectifs de la transaction et des actions entreprises par chacun des partenaires (Brousseau, 1993) mais également par la mise en oeuvre ex-post de dispositifs de recueil d’information, de surveillance et de sanctions des comportements opportunistes, qui sont d’autant plus coûteux qu’il y a des difficultés de mesure de la qualité du service ou du bien échangé (Barzel, 1982).

Incertitude environnementale et problèmes de « coordination évolutive »

L’incertitude environnementale est liée à l’hypothèse de rationalité limitée et d’information incomplète. Elle traduit le fait qu’il est impossible de connaître l'évolution de l’ensemble des paramètres d’environnement qui rentrent en compte dans les décisions (d’allocation des ressources). Williamson parle de perturbations exogènes à la transaction, lesquelles concernent l’environnement décisionnel des agents. Selon l’auteur, il est nécessaire de s’intéresser à l’intensité (quelles sont les conséquences sur la transaction ?) et à la fréquence de ces perturbations (sont-elles probabilisables ?) afin de se focaliser sur les paramètres pertinents. Par exemple, il peut être stratégique pour un industriel du sucre d’être informé sur l’évolution des accords commerciaux entre l’Europe et les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) qui sont des gros producteurs de sucre de cannes, substitut presque parfait du sucre de betteraves. A l’inverse, ce paramètre est peu pertinent pour un négociant en vins.

Tout cela signifie que les termes qui prévalaient lors de la négociation peuvent changer et affecter l’efficacité de l’accord ou du contrat. Par exemple, est-il intéressant et raisonnable pour une entreprise de poursuivre un contrat d’approvisionnement d’énergie (de long terme) avec EDF si les technologies relatives à l’énergie solaire deviennent subitement rentables suite à une découverte scientifique majeure ? S’ouvre alors un espace pour une renégociation de l’accord entre les parties qui auront intérêt à faire évoluer leurs engagements initiaux. D’une manière générale, l’incertitude environnementale pose des problèmes d’adaptation des accords contractuels et de « coordination évolutive ». La plupart des contrats comportent à cette fin des clauses de renégociation ou des mécanismes privés et internes de règlement des litiges. C’est une façon de faire évoluer l’accord et de l’adapter aux nouvelles conditions économiques, sociales, juridiques dans lesquelles se déroule la transaction. Cette nécessité de

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considérer que tout est, dans une certaine mesure re-négociable et évolutif, compte-tenu des incertitudes qui pèsent sur la réalisation des transactions est une des particularités de l’économie des coûts de transaction. Les mécanismes d’adaptation (cf. § sur les attributs des structures de gouvernance) deviennent alors un des éléments de la performance des organisations économiques.

Les deux types d’incertitude étudiés sont des catégories analytiques difficilement dissociables dans la réalité. Les deux formes d’incertitude sont liées. La coordination évolutive poserait moins de problèmes en l’absence de comportement opportuniste des agents. Ce type de comportement peut se manifester lorsque les conditions qui prévalaient lors de la négociation changent subitement (incertitude environnementale). De plus, les incertitudes conduisent à des aléas contractuels dont les conséquences sur l’efficacité économique sont d’autant plus importantes que les actifs échangés sont spécifiques. Dans ce contexte, « l’accroissement de

l’incertitude rend plus impératif le fait que les deux parties doivent concevoir des mécanismes pour faire aboutir les choses puisque les écarts contractuels sont plus grands et les occasions d’adaptations séquentielles augmenteront en nombre et en importance avec l’accroissement de l’incertitude » (Williamson, 1994).

La fréquence de réalisation des transactions

La fréquence avec laquelle ont lieu les transactions, est une autre variable discriminante pour l’analyse de la gouvernance. La fréquence des transactions influence le coût d’utilisation d’une structure de gouvernance. Plus exactement, les coûts associés à la mise en place et au fonctionnement d’une structure de gouvernance spécifique sont d’autant plus faibles (investissements d’autant plus rentables) que la fréquence des transactions est élevée. Les transactions uniques ou occasionnelles ne justifient généralement pas de structure de gouvernance spécifique mais le recours à une partie tierce mieux informée (guide d’achat, signal). Williamson (1985) distingue les transactions uniques ou occasionnelles, des transactions récurrentes. Comme le remarque Brousseau (1993) de même que Milgrom et Roberts (1997), pour des transactions similaires et récurrentes, les agents auront tendance à mettre en place des routines qui permettent de limiter les coûts de coordination avec leur partenaire. D’une manière générale, les agents mettent en place des mécanismes de coordination alternatifs aux mécanismes du marché (des procédures routinières dans les entreprises, des contrats) pour organiser des transactions récurrentes qui justifient les coûts associés à l’élaboration et la mise en œuvre de ces mécanismes.