• Aucun résultat trouvé

Attentes institutionnelles, pratiques enseignantes

1 La Conférence des langues romanes de G Paris et A Darmesteter (868-882)

1.3 Les travaux au sein de la Conférences des langues romanes

1.3.1 Les travaux réalisés dans les conférences de G Paris

À l’ouverture de l’École, c’est à la formation de savants que se consacre G. Paris dans la

Conférence des langues romanes. Il relate dans l’Annuaire le travail effectué lors de la

première année.

La conférence avait pour objet l’étude scientifique des langues et des littératures romanes, au point de vue de la philologie, de la critique des textes, de l’histoire littéraire et de la littérature comparée. Elle a ainsi étudié la Vie de saint Alexis, le plus ancien poëme français qui soit parvenu jusqu’à nous, et en a préparé une édition critique71.

La « conférence », qui désigne ici le groupe formé par l’ensemble des élèves et l’enseignant, se livre à une ecdotique préparatoire à l’édition critique d’un texte d’ancien français. Le résultat final est d’ailleurs publié quelques années plus tard dans la Bibliothèque

de l’École des Hautes Études sous les noms de G. Paris et de Léopold Pannier, archiviste-

paléographe qui a suivi les conférences de G. Paris de 1868 à 1872, soit durant les trois premières années où elles se sont tenues72.

Les éditeurs de cette publication, dont les philologues d’aujourd’hui considèrent qu’elle représente « un exemple indiscutable pendant la phase longue et productrice de l’incorporation de la méthode généalogique dans la philologie romane73 », revendiquent la mise en œuvre de la méthode dite « des fautes communes », par laquelle il est possible de classer les manuscrits grâce auxquels le texte a été conservé, en établissant entre eux des rapports de parenté entre modèles et copies. En cela, la Conférence des langues romanes apparaît comme un des lieux essentiels du développement de la philologie romane en tant que

69 Lettre à l’Empereur Napoléon III (6 août 1863), citée dans Victor Duruy, Notes et souvenirs (1811-1894),

Paris, Hachette, 1901, vol. 1, p. 198. Voir plus largement S. Horvath-Peterson, Victor Duruy and French

education, op. cit. ; J.-C. Geslot, Victor Duruy, op. cit.

70

Cf. Chapitre 2.

71 Cf. Annexe I.A.2.a.

72 Gaston Paris et Léopold Pannier (éds.), La vie de saint Alexis, op. cit. 73

Francesco Carapezza, « Entre théorie et pratique en ecdotique galloromane » dans David Trotter (éd.), Manuel

pratique éditoriale en France : elle présente une double dimension formative et productive qui aboutit la création de ressources dont l’usage dépasse le cadre proprement savant. Ainsi, le texte de la Vie de saint Alexis, dans la nouvelle édition publiée par G. Paris sous son propre nom, est mis au programme des agrégations des lettres et de grammaire à plusieurs reprises dans les années 1880 et 189074. L’introduction de cette nouvelle édition montre également l’importance des conférences données par G. Paris à l’EPHE dans cette entreprise.

Depuis que j’ai donné, en 1872, la cinquième édition de la Vie de saint Alexis, les ressources dont dispose la critique du texte ont été augmentées, en ce qui concerne les leçons, par de soigneuses collations des manuscrits, notamment par celle du manuscrit de Tours (aujourd’hui dans la possession de lord Ashburnham), communiquée par M. Fœrster. En outre, divers philologues, soit à l’occasion de mon édition, soit depuis, ont proposé des restitutions nouvelles pour plus d’un passage : citons M. Tobler, M. Paul Meyer et surtout M. Stengel75.

Parmi les philologues cités, Edmund Stengel (1845-1935) et Wendelin Foerster (1844- 1915), tous deux déjà docteurs, initialement formés dans l’espace germanophone, respectivement à Bonn et à Vienne, ont pris part aux conférences de G. Paris à l’EPHE ; le premier entre 1868 et 1870, soit en même temps qu’A. Darmesteter et L. Pannier, et le second en 1872-1873. Ainsi, E. Stengel, précédemment familiarisé avec la philologie romane, qu’il a étudiée avec F. Diez, semble avoir approfondi ses connaissances à l’EPHE auprès de G. Paris avant de prolonger individuellement le travail entamé collectivement dans le cadre de la conférence. G. Paris le signale dans le compte rendu qu’il rédige pour la Romania de l’ouvrage publié par E. Stengel.

M. Stengel, se souvenant qu’il a été un des premiers élèves de l’École pratique des hautes études, a bien voulu inscrire en tête de ce volume le nom de celui qui dirigeait en 1869-70 les conférences consacrées à la Vie de saint Alexis et auxquelles M. Stengel prenait une part active76.

Quant à W. Foerster, il a d’abord étudié la philologie classique et c’est au retour de son voyage d’étude en France, durant lequel il a lui aussi fréquenté la Conférence des langues

romanes, qu’il se spécialise en philologie romane, allant jusqu’à hériter en 1876 de la chaire

de F. Diez à Bonn. L’ouvrage auquel fait référence G. Paris dans l’introduction de la Vie de

Saint-Alexis précédemment citée est un livre d’exercices d’ancien français destiné à être

utilisé lors de cours magistraux (Vorlesungen) mais aussi et surtout à l’occasion d’exercices pratiques (Seminarübungen), rédigés avec le professeur de philologie romane à l’université de

74 D. Savatovsky, L’invention du français. Une histoire des exercices dans l’enseignement classique au XIXe

siècle, op. cit., Annexes VIII et IX.

75

Gaston Paris (éd.), La vie de Saint Alexis, op. cit., p. V.

76 Gaston Paris, « Ausgaben und Abhandlungen aus dem Gebiete der romanischen Philologie, verœffentlicht von

E. Stengel. La Cançun de saint Alexis und einige kleinere altfranzœsische Gedichte des 11. und 12. Jahrhunderts, nebst vollständigem Wortverzeichniss zu E. Koschwitz’s  : Les plus anciens monuments de la langue française und zu beifolgenden Texten, von E. Stengel. 1882 », Romania, 1882, vol. 11, no 44, p. 603.

Greifswald, Eduard Koschwitz (1851-1904)77. Dans la préface de cet ouvrage paru en 1884, les auteurs rappellent que la collation du texte de la Vie de Saint-Alexis qu’ils utilisent a été préparée par W. Foerster dès 1872-1873, soit l’année où il participait à la conférence de G. Paris :

Noch weniger als die Monuments, konnte in unserem Uebungsbuche ein so wichtiger Text, wie das Alexiusleben, fehlen, für welches die von W. Foerster besorgten Collationen schon seit 1872/3 bereit lagen. Zwar ist vor einigen Jahren eine für textkritische Uebungen hergerichtete Ausgabe dieses Denkmals erschienen, die seine Nichtaufnahme in unsere Sammung im schlimmsten Falle hätten entschuldigen können. Allein diese Ausgabe hat für die zweiälteste Handschrift nicht das im Privatbesitze befindliche Original oder eine neue Abschrift, sondern nur dieselbe mangelhafte Collation benutzt, welche der französischen Ausgabe zu Gebote stand, und kann mithin strengeren Ansprüchen nicht genügen. Ein glücklicher Zufall setzte W. Foerster im Frühjahr 1882 in den Besitz einer genauen, facsimilierten Abschrift des Ashburnhamcodex und beseitigte so die letzte Schwierigkeit, die der seit vielen Jahren geplanten und vorbereiteten Ausgabe bis dahin im Wege gestanden hatte78.

Là encore, la participation de W. Foerster à la Conférence des langues romanes est au point de départ d’un travail individuel mené dans un cadre collectif, la collation des manuscrits. Complété par la suite grâce à de nouvelles connaissances, ce travail aboutit à une publication, elle-même destinée à l’enseignement sous forme de séminaire où seront effectués des exercices pratiques. La portée du travail réalisé sous la direction de G. Paris à l’EPHE n’est donc pas à négliger : non seulement ce travail contribue à la construction de savoirs dans le domaine de la philologie romane, mais il participe de manière très concrète aux échanges scientifiques franco-allemands dont les problématiques d’enseignement et de formation sont à la fois l’origine et l’objectif.

Pour autant, après cette première phase où il répond très directement à l’affichage institutionnel, la dimension « pratique » des conférences de G. Paris semble s’amenuiser dans un second temps, à partir du milieu des années 1870 : en 1877-1878 par exemple, le compte rendu de la conférence destinée aux élèves de première année mentionne que « les élèves ont remis, comme travail des vacances du jour de l’an, une étude philologique du texte connu

77 Eduard Koschwitz et Wendelin Foerster, Altfranzösisches Übungsbuch, zum Gebrauch bei Vorlesungen und

Seminarübungen, Heilbronn, G. Henninger, 1884.

78 Ibid., p. III.

« Moins encore que les Monuments [i. e. Les plus anciens monuments de la langue française, ouvrage publié par E. Koschwitz en 1879], ne pouvait manquer à notre livre d’exercice un texte aussi important que la vie d’Alexis, pour lequel les collations dont s’est chargé W. Foerster sont prêtes depuis 1872. Il est vrai qu’est parue il y a quelques années une édition de ce monument destinée aux exercices de critique de textes, dont l’omission dans notre recueil aurait été au plus haut point regrettable. Toutefois, cette édition n’a pas utilisé comme second plus ancien manuscrit l’original qui se trouvait entre les mains d’un particulier ni une copie récente de celui-ci, mais uniquement la même collation lacunaire qu’offrait l’édition française ; elle ne peut dès lors suffire pour qui a des exigences strictes. Au début de l’année 1882, un heureux hasard a placé W. Foerster en possession d’une copie facsimilée du codex d’Ashburnham et a ainsi éliminé la dernière difficulté qui avait jusqu’alors fait obstacle à l’édition prévue et préparée depuis de nombreuses années. » (nous traduisons)

sous le nom d’Appendix Probi79 ». C’est donc hors du temps de la conférence proprement dite que sont réalisés les travaux, qui perdent dès lors leur aspect collectif et collaboratif pour devenir des devoirs individuels qui donnent d’ailleurs lieu à un commentaire évaluatif partiellement personnalisé : « presque tous se sont bien acquittés de cette tâche. Les travaux les plus remarquables ont été ceux de MM. Lambrior et Thomas ».

Alors que pour l’année 1874-1875 encore, on signale que « M. Paris a fait faire aux élèves divers exercices pratiques, qui ont occupé tout le premier semestre », la réalisation d’exercices semble ensuite s’effacer au profit d’études, de critiques et d’explications dont il est difficile de savoir si elles sont exposées par G. Paris lui-même, par des élèves ou établies dans le cadre d’une discussion collective. C’est en particulier le cas pour l’une des conférences, où, à partir de 1878-1879, les exercices pratiques disparaissent quasiment et sont remplacés par des leçons, même si des exposés individuels d’élèves ont encore ponctuellement lieu. On aboutit ainsi en 1879-1880 à la description suivante.

M. Paris a exposé successivement les éléments, le domaine, les dialectes et l’histoire des plus anciens monuments des langues italienne, provençale, française, espagnole, portugaise et roumaine. Vu la composition de la conférence et la nature du sujet, il n’a pas demandé de travaux aux auditeurs.

En revanche, en ce qui concerne la seconde conférence de G. Paris, les exercices semblent se maintenir. Ainsi, en 1874-1875, « divers travaux ont été exécutés par les élèves, notamment par MM. Thomas, Vetter et Gilliéron. » De même, en 1879-1880, « MM. Gilliéron, Thurneysen et Gerbaux ont exposé et discuté les propositions de classification et les études grammaticales fondées sur les divers systèmes qui ont paru en Allemagne dans ces dernières années. » D’ailleurs, en 1880-1881, « dans la 2e conférence, au contraire, ce sont les élèves qui ont eu la part principale. Le directeur d’études leur a distribué des travaux qu’ils ont en général fort bien exécutés. »

Il apparaît cependant que la nature des travaux réalisés dans le cadre de cette conférence se diversifie : tandis que l’organisation initiale autour d’un même texte étudié par l’ensemble des participants se maintient encore en 1881-1882 quand les participants travaillent tous sur la

Vie de saint Grégoire, les travaux répartis par G. Paris en 1880-1881 portent sur des textes

différents, ce qui implique que chaque élève mène son propre travail de manière entièrement individuelle sous la supervision du directeur d’études, plutôt que de contribuer à une entreprise collective. En outre, en 1882-1883, « l’objet de la première conférence était la critique, faite par les élèves, des travaux les plus récents dans le domaine des langues et des

littératures romanes. » Ceci témoigne de l’introduction d’un travail bibliographique approfondi à côté de l’édition et de l’analyse de textes médiévaux et, partant, d’une diversification des exercices réalisés dans le cadre de la Conférence des langues romanes.

Outline

Documents relatifs