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3 1900 et 1919-1924 : deux « moments » de la carrière de Ferdinand Brunot

3.2 La dernière réorientation de la carrière de F Brunot (1919-1924)

3.2.2 À la Faculté des lettres, de professeur à doyen

En 1919, F. Brunot devient doyen de la Faculté des lettres de Paris, fonction qu’il occupe jusqu’en 1928. Cela lui offre la possibilité d’imposer plus largement ses vues quant à l’évolution des formations littéraires. Ses premières actions dans ce domaine sont la fondation des Cours de Civilisation Française, « cours spéciaux pour les étudiants étrangers » ; puis, l’année suivante, la création de l’École de Préparation des Professeurs de Français à l’Étranger (EPPFE)195. Il donne ainsi une assise universitaire aux étudiants étrangers venus apprendre le français, d’une part, et aux personnes, françaises ou étrangères, qui souhaitent enseigner le français à l’étranger, d’autre part. Cette préoccupation n’est cependant pas

192 Ibid., p. 205.

193 Il a également suivi les cours de Paul Meyer à l’École des chartes en tant qu’auditeur libre. 194

Gaston Paris et al., « XII. Philologie romane », École pratique des hautes études, Section des sciences

historiques et philologiques, 1903, vol. 36, no 1, p. 82‑84.

195 Université de Paris, Livret de l’étudiant, op. cit. Sur l’histoire de l’EPPFE, cf. Michel Berré et Dan

Savatovsky (éds.), Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 2010, 44 : "De l’École de préparation des professeurs de français à l’étranger à l’UFR DFLE. Histoire d’une institution (1920-2008)".

nouvelle, puisque F. Brunot avait déjà dirigé les cours de vacances de l’Alliance française de Paris de 1894 à 1905, déjà destinés aux professeurs de français à l’étranger196.

F. Brunot s’investit personnellement dans les Cours de Civilisation Française en y enseignant l’histoire de la langue française durant le semestre d’hiver, celui qui s’étend de novembre à février. Le cours, partagé avec M. Roques, alterne avec un autre cours, intitulé « Histoire contemporaine de la France » et dispensé par Louis Eisenmann (1869-1937). Le programme du cours d’histoire de la langue française qui figure dans le Livret de l’étudiant est organisé de manière chronologique, de la conquête romaine de la Gaule au romantisme. S’il n’est pas possible de savoir exactement comment se faisait le partage des séances d’enseignement entre F. Brunot et M. Roques, il est significatif que F. Brunot aborde, dans ce cadre, des périodes qui ne relèvent pas de son domaine de prédilection, à savoir la langue classique, ce qu’il ne fait pas dans ses cours destinés aux étudiants de licence ou d’agrégation197.

Néanmoins, sans enseigner personnellement à l’EPPFE, F. Brunot y est tout de même fortement impliqué dans la mesure où plusieurs des enseignants qui s’y professent font partie de ses collaborateurs directs ou de ses anciens élèves, hommes et femmes. Ainsi, parmi les dix sections qui composent l’EPPFE, dont chacune correspond à une matière à étudier198, la huitième, consacrée à l’orthographe française, est dirigée par Charles Beaulieux (1872-1957), disciple de F. Brunot199. C. Beaulieux collabore dans ce cadre avec Léopold Sudre (1855- 1932), professeur au lycée Louis-le-Grand, ainsi qu’avec deux inspecteurs de l’enseignement primaire du département de la Seine, Louis Poitrinal (1860- ?) et N. Bony200. Ce dernier est un proche collaborateur de F. Brunot, puisqu’ils ont publié ensemble en 1905 la Méthode de

196 Sur ce point, cf. François Chaubet, « L’Alliance française ou la diplomatie de la langue (1883-1914) », Revue

historique, 2004, no 632, p. 763‑785.

197 Sur les thèmes traités par F. Brunot dans le cadre de sa chaire, 3. Sur le traitement des périodes les plus

anciennes de l’histoire de la langue française dans ses notes de cours, cf. Chapitre 6.

198 En 1921-1922, les sections sont les suivantes :

Section I – Révision des connaissances relatives à l’histoire, à la géographie et à la civilisation de la France Section II – Vues sommaires sur les divers pays où les professeurs doivent être envoyés

Section III – Littérature française Section IV – Phonétique du français Section V – Lecture à haute voix Section VI – Le vocabulaire français Section VII – Grammaire, formes et syntaxe Section VIII – L’orthographe française Section IX – Composition française Section X – Explication de textes

À ce programme s’ajoute une « initiation scientifique » qui comprend principalement des conférences données par des professeurs de la Faculté des lettres, dont Brunot lui-même.

199 Sur les rapports entre F. Brunot et Ch. Beaulieux, cf. Chapitre 4. Sur le traitement de l’orthographe française

dans les notes de cours de F. Brunot, cf. Chapitre 5.

200

langue française dite « Méthode Brunot-Bony » destinée aux élèves d’école primaire201. N. Bony s’est également chargé d’éditer sous le titre L’enseignement de la langue française : ce

qu’il est, ce qu’il devrait être dans l’enseignement primaire un cours de méthodologie de

l’enseignement professé à la Sorbonne par F. Brunot en 1908-1909202.

Il est également à noter que, parmi les enseignements de l’EPPFE, se trouve Jeanne Streicher (?-1963), entrée comme élève à l’ENS de Sèvres en 1901, l’année où F. Brunot y était nommé en tant que maître de conférences. À l’EPPFE, J. Streicher, devenue maîtresse adjointe à l’ENS de Sèvres, est chargée d’enseigner dans la section « Grammaire, forme et syntaxe du français ». Elle y collabore d’ailleurs avec une autre Sévrienne de la même promotion, Hélène Guenot (1881-1955), alors professeure au lycée Racine à Paris.

Comme le souligne Jean-Claude Chevalier, le contexte de l’après Première Guerre mondiale est favorable à l’expansion du français dans le monde et, par suite, au développement de ce type d’initiatives, ce d’autant que dans les programmes scolaires la distinction entre enseignement du français et enseignement du latin entamée depuis la fin du XIXe siècle s’achève alors203. F. Brunot a déjà en tête le projet de fondation de l’EPPFE dès 1918 et profite à la fois de son élection en tant que doyen et de l’institutionnalisation du système des instituts pour le mettre en œuvre204. Pour autant, le choix de faire de ce dispositif une école et non un institut montre également la distinction de F. Brunot souhaite poser clairement entre cet établissement, strictement voué à l’enseignement tout en restant sous la tutelle de la Faculté des lettres, donc la sienne en tant que doyen, et un lieu de recherche205. Comme le remarque Valérie Spaëth, dans les années 1920, ces différentes institutions sont liées entre elles par un projet de mise en réseau porté par F. Brunot206.

201 Ferdinand Brunot et Nicolas Bony, Méthode de langue française : enseignement primaire élémentaire, Paris,

Armand Colin, 1905–1908, 3 vol.

202 F. Brunot, L’enseignement de la langue française, op. cit. Sur la collaboration entre F. Brunot et N. Bony, cf.

Chapitre 4.

203

Sur l’autonomisation de l’enseignement du français, cf. en particulier D. Savatovsky, L’invention du français.

Une histoire des exercices dans l’enseignement classique au XIXe siècle, op. cit. ; M. Jey, La littérature au lycée,

op. cit.

204 Jean-Claude Chevalier, « Ferdinand Brunot et les débuts de l’École de préparation des professeurs de français

à l’étranger », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 2010, no 44, paragr. 14‑17. 205

Daniel Coste, « Note sur la création de l’École de préparation des professeurs de français à l’étranger »,

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 1 janvier 2010, no 44, paragr. 5.

206 Valérie Spaëth, « Les institutions de diffusion du français et l’EPPFE en 1920  : l’universalité du français en

question ? », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 1 janvier 2010, no 44,

Conclusion

Au terme du parcours de ces différents moments dans trois carrières d’enseignants sur une période de plus d’un demi-siècle, il est clair que si les trois établissements principalement considérés, l’EPHE, la Faculté des lettres et l’ENS de Sèvres, apparaissent comme des points d’ancrage où G. Paris, A. Darmesteter et F. Brunot occupent leurs postes de manière stable et durable, les passages entre ces institutions et de ces institutions vers d’autres, telles que les cours de la rue Gerson, le Collège de France ou l’ENS de la rue d’Ulm, sont nombreux. Ces passages révèlent l’inscription de ces trois savants non seulement dans la communauté universitaire mais aussi dans le monde politique ainsi que le poids des négociations et des rapports de force à la fois dans l’obtention des postes et dans la définition de leurs intitulés.

De ce point de vue, tous les intitulés de postes et de chaires occupés par G. Paris, A. Darmesteter et F. Brunot ont en commun le mot « langue », qu’il s’agisse de la langue française ou des langues romanes. Néanmoins, la langue française est nettement mieux représentée, puisque seule la Conférence des langues romanes de l’EPHE fait exception. Si l’autonomisation de l’étude des langues romanes par rapport à la grammaire comparée se fait assez rapidement, elle n’est pas immédiatement évidente. La compétence de G. Paris en grammaire historique du français, constatée dans son enseignement de la rue Gerson, lui permet d’être pressenti pour enseigner dans la nouvelle École et d’affirmer la légitimité de son propre domaine d’étude.

En ce qui concerne l’inscription de l’histoire dans les intitulés, deux approches coexistent à la Sorbonne : l’une est fondée sur un principe de périodisation et restreinte à une période, le Moyen-Âge ; l’autre, plus générale et hors de tout découpage chronologique explicite, apparaît sous la forme « histoire de ». À ces deux approches répond la distinction entre « littérature française » et « langue française ». La première serait donc suffisamment vaste pour nécessiter une segmentation, ce d’autant que la littérature médiévale présenterait des spécificités par rapport aux autres périodes, qui justifieraient qu’elle soit abordée de manière distincte. En revanche, l’étude de la langue française n’appelle pas ce type de raisonnement, soit qu’il ne soit pas possible d’y dissocier les époques, soit que cela ne présente pas d’intérêt suffisant.

Le mot « grammaire », présent dans l’intitulé du cours que donnait G. Paris en 1867 rue Gerson, n’apparaît que dans l’intitulé de la maîtrise de conférences qu’occupe F. Brunot à la Faculté des lettres de 1891 à 1900. Elle est dans ce cadre associée à la « philologie », terme qui s’impose simultanément à l’EPHE où la Conférence des langues romanes devient

Conférence de philologie romane. La chaire d’A. Thomas apparaît ainsi en 1900 comme une

extension à la Faculté des lettres d’un domaine d’étude propre à l’EPHE.

Les postes et leurs intitulés, s’ils restent un cadre indispensable pour comprendre le processus de disciplinarisation des savoirs linguistiques, sont largement sujets à interprétation, tant du point de vue de ceux qui les occupent et y impriment leur marque, que de ceux qui les étudient rétrospectivement. C’est pourquoi il convient de mener une analyse plus fine : les contenus affichés et les conditions d’enseignement dans lesquels les trois enseignants envisagés sont amenés à les mettre en œuvre font l’objet du chapitre suivant.

Chapitre 3

Attentes institutionnelles, pratiques

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