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Attentes institutionnelles, pratiques enseignantes

2 La Faculté des lettres de Paris d’A Darmesteter à F Brunot (1877 193)

2.1 Quels cours pour quels publics ?

2.1.3 La préparation aux agrégations

Pour autant, c’est bien avec l’enseignement secondaire que la Faculté des lettres entretient les liens les plus étroits. Les diplômes et concours qui permettent d’y exercer, licence et agrégation, occupent donc une place d’autant plus importante à partir du début des années 1880 qu’il devient possible, grâce aux bourses d’études, de se consacrer pleinement à leur préparation. Cela concerne la licence, diplôme le plus recherché, mais aussi l’agrégation, en vue de laquelle l’ENS cesse d’être le seul lieu de formation systématique officiellement reconnu97. L’autoformation était en effet jusqu’alors le principal moyen qu’avaient les maîtres d’étude et chargés de cours déjà en exercice dans les collèges et les lycées de se préparer au concours, souvent avec l’aide des professeurs agrégés des établissements où ils travaillaient. À l’inverse, avec la création des bourses de licence et d’agrégation,

la concurrence de la Sorbonne devient redoutable pour les normaliens, mais surtout pour les membres de l’enseignement, professeurs de collèges ou chargés de cours des lycées, qui constituaient jusque-là la grande masse des candidats aux concours, et qui voient peu à peu s’amenuiser leurs chances de réussir […] Le problème de la formation pédagogique des agrégés se pose donc sur de nouvelles bases, puisque c’est maintenant la grosse majorité des lauréats qui sont totalement dépourvus d’expérience professionnelle98.

Dès lors, tandis que baisse l’âge moyen des jeunes agrégés, le niveau général du concours augmente et l’érudition des candidats remplace l’expérience professionnelle, ce d’autant que l’agrégation n’est plus un concours interne et que les années de « stage » exigées depuis le ministère d’Hippolyte Fortoul (1811-1856) sont supprimées99. Cette double transformation des conditions d’inscription dans les Facultés et au concours se traduit par l’accroissement du nombre d’agrégatifs dans les Facultés des lettres notamment. De là découle un changement de nature du concours lui-même, ce qui suscite l’inquiétude de certains, comme le républicain modéré Alexandre Ribot (1842-1923), qui écrit en 1900 :

L’agrégation a pris, par la force des choses, un caractère de moins en moins professionnel et de plus en plus scientifique, depuis qu’on n’exige aucun stage des candidats. Elle tend à devenir un grade des études supérieures, au lieu d’être ce qu’elle devrait être, un certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire. Dans l’enseignement littéraire, ce défaut est particulièrement signalé100.

97 André Chervel, Histoire de l’agrégation : contribution à l’histoire de la culture scolaire, Paris, INRP/Éditions

Kimé, 1993, p. 118‑121 ; P. Moulinier, La naissance de l’étudiant moderne, op. cit., p. 135. Sur les conséquences de cette ouverture de l’agrégation sur les carrières enseignantes, voir V. Karady, « Les professeurs de la République », art. cit.

98

A. Chervel, Histoire de l’agrégation, op. cit., p. 173.

99 Ibid., p. 172‑173. Le stage pédagogique sera rétabli pour tous les candidats à l’agrégation à partir de 1904

(« Arrêté modifiant le statut du 29 juillet 1885 sur l’Agrégation de l’enseignement secondaire (18 juin 1904) », A. de Beauchamp, Recueil..., t. 6  : 1898-1909, op. cit., p. 616‑621.).

La « scientifisation » de l’agrégation a elle aussi ses partisans, notamment au sein de l’enseignement supérieur. C’est le cas de l’helléniste Auguste Couat (1846-1898), normalien et agrégé, recteur de l’Académie de Douai (1887-1890), président du jury de l’agrégation de grammaire (1889-1898) et auteur d’un rapport présenté en 1889 devant la Commission de l’agrégation de la Chambre des députés.

Nous ne devons pas oublier que [le futur maître] ne restera peut-être pas toujours dans les Lycées, qu’il lui est permis de viser à autre chose, et que l’enseignement secondaire l’achemine naturellement vers l’enseignement supérieur ; que tout en vulgarisant la science acquise, il peut contribuer à édifier la science nouvelle ; que la rivalité des nations voisines impose à l’Université ce devoir et ce labeur ; qu’enfin l’agrégation, couronnement et consécration définitive des études de nos jeunes professeurs, doit leur fournir l’occasion de montrer leur vocation de savant en même temps que leurs aptitudes pédagogiques. Il importe donc de conserver à l’agrégation son caractère professionnel ; mais il importe aussi d’y introduire, comme le germe des travaux à venir, quelques épreuves plus particulièrement scientifiques101. L’agrégation, bien qu’elle reste un concours de recrutement pour les établissements secondaires, apparaît comme la première marche d’une ouverture possible vers l’enseignement supérieur, ce qui doit se répercuter sur les programmes, plus spécialisés. L’enjeu de la reproduction des normaliens, sans être explicitement mis en avant dans cette citation, semble néanmoins central : comme l’a montré V. Karady, la multiplication des licenciés issus des Facultés face aux normaliens qui, recrutés sur concours, restent nécessairement moins nombreux, augmente mécaniquement le nombre de candidats potentiels à l’agrégation, débouché jusqu’alors largement réservé aux normaliens. Dès lors, pour protéger le quasi-monopole dont avaient bénéficié jusqu’alors les normaliens sur les postes dans les Facultés des lettres, il s’agit d’élever le niveau de sélection. Il faut également conserver à l’agrégation le statut de marchepied vers les postes de l’enseignement supérieur, tandis que s’accroît le nombre de docteurs titulaires d’une simple licence qui parviennent à obtenir un poste en Faculté sans avoir passé l’agrégation102.

Aux bourses de licence s’ajoutent à partir de 1880 des bourses d’agrégation ; la préparation au concours entre alors dans les fonctions des enseignants des Facultés, en particulier des maîtres de conférences, mais aussi des professeurs. À la Faculté des lettres de Paris, ces derniers intègrent à leurs cours l’étude des programmes d’agrégation dès le début des années 1880. Le premier semestre où A. Darmesteter enseigne en tant que professeur, soit le second semestre de 1882-1883, il explique « les passages de La Chanson de Roland inscrits

101

Auguste Couat, « Rapport présenté au nom de la Commission de l’agrégation, en ce qui concerne la Philosophie, les Lettres, la Grammaire, l’Histoire, les Langues vivantes » dans Alfred de Beauchamp (éd.),

Recueil des lois et règlements sur l’Enseignement supérieur comprenant les décisions de la jurisprudence et les avis des conseils de l’Instruction Publique et du Conseil d’État, Paris, Delalain, 1889, vol. 4 : 1884-1889/ p. 124.

au programme de l’agrégation de grammaire103 ». Ce concours apparaît explicitement dans ses cours tels qu’ils sont annoncés jusqu’au second semestre de 1884-1885. À deux reprises, cet enseignement est conjoint à celui qui est destiné aux étudiants de la licence ès lettres, signe de la permanence du corpus d’auteurs et des exercices alors en vigueur dans les études littéraires, du secondaire au supérieur104. On note en revanche l’absence de l’agrégation des lettres, pourtant supérieure à celle de grammaire dans la hiérarchie traditionnelle des concours, bien que le niveau exigé pour pouvoir s’inscrire aux deux concours soit le même : la licence ès lettres dès 1869, à laquelle s’ajoute le DES en 1904105. Cette absence s’explique par le fait que le Moyen-Âge n’est pas encore entré dans les programmes de l’agrégation des lettres, contrairement à celle de grammaire. Le mot « agrégation », sans autre précision, revient une dernière fois dans le programme d’enseignement d’A. Darmesteter pour l’année 1888-1889, que sa mort prématurée ne lui permet pas de réaliser.

L. Petit de Julleville, qui prend la suite d’A. Darmesteter de 1889 à 1900, propose à partir de 1896-1897 une préparation spécifique à l’oral de l’agrégation des lettres. Cette évolution par rapport aux cours annoncés par son prédécesseur montre que l’évolution des programmes d’agrégation à partir de la fin des années 1880, pour laquelle plaidait A. Couat, entraîne une divergence croissante avec les programmes de licence, mettant ainsi fin à la reconduction des contenus et des exercices précédemment soulignée. Il devient de plus en plus difficile de préparer simultanément les candidats à l’agrégation et à la licence où, après 1880 et la création de quatre spécialités (lettres, histoire-géographie philosophie et langues vivantes), la dissertation française reste une épreuve commune à toutes les options et ce, jusqu’à la scission définitive des quatre licences en 1907106.

Quant à F. Brunot, il fait moins régulièrement figurer l’agrégation dans ses programmes d’enseignement : on en trouve mention en 1901-1902, puis de 1905 à 1913, sauf les deux années où il propose son premier cours de « Méthodologie de l’enseignement du français », à savoir en 1908 et 1909. Après la Première Guerre mondiale, il mentionne l’agrégation uniquement en 1919-1920, puis en 1923-1924 avant de l’intégrer chaque année à partir de

103 Cf. Annexe I.B.1.b 104

P. Albertini, « Le cursus studiorum des professeurs de lettres au XIXe siècle », art. cit.

105 A. Chervel, Histoire de l’agrégation, op. cit., p. 168. Cf. Victor Duruy, « 173. 27 février 1869, Statut pour les

concours d’agrégation des lycées », Bibliothèque Historique de l’Éducation, 2000, vol. 23, no 1, p. 426‑428.

L’obligation d’être titulaire d’une licence est réaffirmée dans le « Statut pour les concours d’agrégation de l’enseignement secondaire classique et les examens du certificat d’aptitude à l’enseignement des langues vivantes » (29 juillet 1885), in Alfred de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’Enseignement

supérieur comprenant les décisions de la jurisprudence et les avis des conseils de l’Instruction Publique et du Conseil d’État, Paris, Delalain, 1889, vol.4 : 1884-1889, p. 122‑135.

106

D. Savatovsky, L’invention du français. Une histoire des exercices dans l’enseignement classique au XIXe

1927-1928 jusqu’à sa retraite en 1934. En revanche, la licence apparaît de manière constante dans ses cours, que ce soit en tant que maître de conférences en Grammaire et philologie ou en tant que professeur d’Histoire de la langue française : il y consacre un cours bon an mal an. La licence apparaît d’abord conjointe à l’agrégation sous l’intitulé « Exercices pratiques en vue de la Licence et de l’Agrégation », avant d’en être constamment séparée à partir de 1895-1896, année pour laquelle on peut lire :

Explication élémentaire d’ancien français, les lundis, à dix heures trois quarts ; - Les mardis : Histoire de la Langue française au XVIIe siècle (une heure), et Explication des auteurs français de l’Agrégation de Grammaire (deux heures)107.

De ce rapide survol, on peut tirer au moins deux conclusions. Premièrement, les cours de F. Brunot sur l’enseignement du français de 1908-1909 et de 1915-1917 ne coïncident jamais avec les périodes où il annonce des cours d’agrégation : cela signale-t-il une incompatibilité ou une complémentarité ? Dans le cas de son premier cours, qui s’adresse à des enseignants primaires qui ne sont donc pas concernés par la préparation à l’agrégation, on pencherait plutôt pour la première hypothèse. En ce qui concerne le second cours, beaucoup plus large et qui pose des questions telles que la place de l’enseignement du latin, imaginer une complémentarité avec la préparation aux épreuves théoriques du concours paraît d’autant plus plausible que le procédé correspondrait à une dynamique plus globale, décrite par P. Albertini, et à laquelle semble adhérer F. Brunot : « les examens des professeurs sont ainsi un moyen privilégié, pour les pouvoirs publics, de réformer l’enseignement secondaire. Il s’agit d’intervenir à la source pour améliorer toute l’irrigation en aval : changer le professeur pour changer l’élève.108 » Néanmoins, il ne s’agit pas pour autant d’un cours de préparation à l’agrégation, puisque le concours ne comporte pas d’épreuve spécifiquement pédagogique ou du moins n’en comporte plus depuis 1885, c’est-à-dire depuis la suppression de l’épreuve orale de correction de copies.

Deuxièmement, F. Brunot ne précise quasiment jamais s’il s’agit de l’agrégation des lettres ou de celle de grammaire. Les épreuves fixées en 1904 pour les deux concours, soit quelques années à peine après sa prise de fonction en tant que professeur à la Sorbonne, sont devenues en effet extrêmement proches, à l’écrit comme à l’oral. Il semble moins utile d’opérer une distinction dans la préparation de ces concours. Quoi qu’il en soit, à l’exception des cours de méthodologie de l’enseignement du français ponctuellement dispensés par F. Brunot, A. Darmesteter, L. Petit de Julleville et F. Brunot fournissent de fait une préparation

107

Université de Paris, Livret de l’étudiant de Paris, Paris, Delalain, 1895. (Cf. Annexe I.B.2)

essentiellement théorique et scientifique tournée vers les épreuves du concours plutôt que vers la pratique du métier d’enseignant.

2.2 Reconduction et périodisations dans les contenus annoncés : quelle

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