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Attentes institutionnelles, pratiques enseignantes

1 La Conférence des langues romanes de G Paris et A Darmesteter (868-882)

1.2 Les conférences au sein de la Conférence des langues romanes

Alors que les cours que donnait G. Paris rue Gerson semblent principalement de type magistral, d’après les comptes rendus qu’en fait l’inspecteur Garsonnet au ministre de l’Instruction publique64, il change de méthode dès l’ouverture de la Conférence des langues

romanes à l’EPHE au profit du séminaire. De la polysémie précédemment décrite du mot

« conférence » tel qu’il est utilisé à l’EPHE et de l’adjonction précoce d’un répétiteur aux côtés du directeur d’études découle la nécessité d’examiner l’articulation des conférences au sein de la Conférence des langues romanes.

En effet, sous cet intitulé unique ont lieu plusieurs séries de cours dont les traces sont conservées sous la forme de manuscrits dans les fonds d’archives de G. Paris et d’A. Darmesteter, qui « partagent » cet intitulé pendant une dizaine d’années environ. Afin de comprendre le cadre dans lequel ils ont produit et exploité ces notes, il convient donc d’analyser la manière dont ils répartissent entre eux étudiants et contenus à étudier.

1.2.1 Le nombre de conférences

À son ouverture, en janvier 1869, la Conférence des langues romane dépend de celle de

grammaire comparée dirigée par M. Bréal. Un seul groupe d’élèves travaille sous l’autorité

de G. Paris. Il se réunit tous les mardis soirs, de 20 heures à 22 heures. Cependant, c’est la seule année où la Conférence des langues romanes ne comprend qu’une unique conférence. Dès janvier 1870, alors que G. Paris a changé de statut pour devenir directeur adjoint de la

Conférence des langues romanes, A. Brachet en devient le répétiteur et organise un second

groupe de travail, c’est-à-dire une seconde conférence. G. Paris continue de faire sa propre conférence, mais dès la rentrée 1871, il en ouvre une supplémentaire qu’il n’abandonne plus par la suite. Chaque semaine, deux groupes d’élèves se réunissent donc pour travailler sous la direction de G. Paris et un troisième est dirigé par A. Brachet.

64 H.E. Garsonnet, « Rapport au MIP », art. cit., AN, F 17/6682, Enseignement supérieur libre : cours publics

(1808-1878). Rue Gerson, Hilaire Eugène Garsonnet, Rapport au MIP ; H.E. Garsonnet, « Rapport au MIP », art. cit., AN, F 17/6682, Enseignement supérieur libre : cours publics (1808-1878). Rue Gerson, Hilaire Eugène Garsonnet, Rapport au MIP.

A. Darmesteter, qui remplace A. Brachet à partir de 1872 commence par proposer, comme son prédécesseur, une seule conférence. Il en ouvre à son tour une seconde en 1874-1875. Sauf en 1878-1879, où il n’en fait qu’une seule conférence, A. Darmesteter se tient dès lors au nombre de deux par an65, qui deviennent d’ailleurs une habitude, comme il est rappelé dans l’Annuaire de 1881-1882 : « Le maître de conférences a fait, selon l’usage, deux conférences66. »

Quand J. Gilliéron succède à A. Darmesteter, début 1883, le nouveau maître de conférences, qui ne fait que terminer un semestre déjà entamé, ne tient qu’une seule conférence. Cependant, dès le semestre suivant, comme son prédécesseur, il en organise deux. Ainsi, entre 1872 et 1882, il est souvent possible de suivre jusqu’à quatre conférences par semaine dans le cadre de la Conférence des langues romanes : deux données par G. Paris et deux par A. Darmesteter.

Pourquoi cette multiplication de conférences et sur quelles bases la répartition se fait- elle ? Le rapport de G. Paris à la fin de la première année d’existence de la Conférence des

langues romanes est explicite sur ce point.

Il est probable que la nécessité se fera sentir de constituer deux conférences […]. La Conférence a compris en effet presque exclusivement, cette année, des personnes déjà préparées, quelques- unes même fort instruites, et n’ayant besoin que de compléter leurs connaissances. Il est à supposer et même à espérer que la rentrée amènera à l’École des jeunes gens plus inexpérimentés, auxquels il faudra faire connaître les instruments et les méthodes avant de les engager à travailler publiquement. La plupart de ceux qui ont suivi cette année la Conférence comptant d’ailleurs continuer l’année prochaine, il serait à craindre qu’il n’y eût, si on réunissait les deux catégories, encombrement et confusion. Il serait donc à souhaiter qu’un répétiteur adjoint fût, comme à la Conférence de sanscrit, chargé de préparer ceux des nouveau-venus [sic] qui auraient besoin d’une instruction plus élémentaire, et apportât en même temps à la Conférence un supplément de forces dont elle aura de plus en plus besoin. Ce répétiteur joindrait à son activité à l’École un cours au bâtiment de la rue Gerson, qui présenterait sous une forme suivie et méthodique l’enseignement qui à l’École se distribue naturellement d’une façon plus personnelle et, si on peut ainsi dire, occasionnelle67.

À l’origine, les choses sont claires : l’ouverture d’une seconde conférence répond à la nécessité de faire face à des besoins différenciés et à des contraintes matérielles. Distinguer parmi les élèves et auditeurs les avancés et les débutants permet de garantir la qualité de l’enseignement en ciblant au mieux leurs besoins en fonction de leurs acquis antérieurs. Il s’agit d’éviter ainsi de créer un groupe trop important qui causerait « encombrement et

65 Pour certaines années, les Annuaires ne comportent aucune indication explicite quant au nombre de

conférences données par A. Darmesteter : 1872-1873, 1874-1875 et 1880-1881.

66

Gaston Paris et Arsène Darmesteter, « VIII. Langues romanes », Rapport sur l’École pratique des hautes

études. Section des sciences historiques et philologiques, 1881-1882, vol. 15, no 1, p. 30‑33. Sur le changement de titre de « répétiteur » à « maître de conférences », voir le Chapitre 1.

67

G. Paris, Rapport sur les travaux de la Conférence des langues romanes (2e semestre 1868-1869), op. cit., p. 1.

confusion ». Le risque du grand nombre serait aussi de rigidifier un enseignement dont la dimension « pratique » fait la spécificité de l’EPHE.

1.2.2 La répartition des élèves et auditeurs

La demande de G. Paris étant entendue, A. Brachet est chargé dès janvier 1870 – outre le cours qu’il donne rue Gerson – des élèves de première année, tandis que G. Paris s’occupe de ceux de deuxième année. Cependant, l’équilibre se modifie rapidement après l’interruption de l’année 1870-1871, quand G. Paris ouvre une seconde conférence.

M. G. Paris dirige deux conférences. L’une d’elles a pour objet la lecture et la critique des travaux personnels des élèves. […] La seconde conférence a pour objet l’ancien espagnol68

. Alors qu’A. Brachet continue à accueillir cette année-là des élèves et auditeurs visiblement nouveaux dans la mesure où leurs noms n’apparaissent pas dans les comptes rendus des années précédentes, G. Paris choisit de proposer deux manières différentes de travailler, l’une axée sur la production scientifique des élèves eux-mêmes, l’autre sur l’une des langues de l’ensemble roman. Au moment où il ouvre pour la première fois une seconde conférence, la différence n’est donc pas fondée sur le niveau de connaissances des étudiants : sur les neuf élèves qui suivent ses conférences, cinq n’en suivent qu’une mais quatre fréquentent les deux.

Néanmoins, cette répartition reste exceptionnelle et dès l’année suivante, en 1872-1873, quand A. Darmesteter remplace A. Brachet, les élèves de G. Paris sont séparés dans l’Annuaire entre « élèves de première année » et « élèves de deuxième et troisième années ». Cela ne correspond toutefois pas à un retour à la répartition initiale entre les deux enseignants : le directeur d’études se charge lui aussi des élèves de première année ; il n’est plus question de les cantonner à la conférence du répétiteur. Cette dernière compte d’ailleurs dans ses effectifs un dénommé Courballée qui, après avoir suivi la conférence d’A. Brachet l’année précédente, suit à la fois l’une de celles de G. Paris et celle d’A. Darmesteter. La même organisation perdure les années suivantes et quand, en 1874-1875, A. Darmesteter ouvre à son tour une autre conférence, la répartition se fait de même, entre élèves de première année et élèves de seconde année. Ainsi, dans les premières années de la Conférence des

langues romanes, la division des conférences est pensée comme une progression. Celle-ci se

fait d’abord de la conférence du répétiteur vers celle du directeur d’études puis, à partir du moment où ils en organisent chacun deux, de l’une à l’autre conférence du même enseignant.

68

Gaston Paris et Auguste Brachet, « VIII. Langues romanes », Rapport sur l’École pratique des hautes études.

En ce qui concerne les conférences d’A. Darmesteter, à chaque fois qu’il en organise deux, on trouve mention d’une répartition en fonction de l’année d’inscription des élèves jusqu’à sa dernière année pleine, soit 1881-1882, à l’exception de 1879-1880 où l’on parle uniquement des conférences « du lundi » et « du mercredi ». Cette utilisation des jours de la semaine pour désigner les conférences apparaît dès 1875-1876 pour G. Paris, d’abord conjointement à la répartition des élèves en fonction de leur avancement : « la conférence du mardi a été faite pour les élèves de première année » (1875-1876) ; « la conférence de première année (celle du jeudi) » (1879-1880). En revanche, à partir de 1880-1881, le niveau auquel sont inscrits les élèves n’est absolument plus évoqué dans les comptes rendus de G. Paris : il n’existe plus que la conférence du lundi et celle du dimanche. L’idée de progression de la première à la deuxième année disparaît donc au profit d’une répartition qui place toutes les conférences sur le même plan. Quand J. Gilliéron, nouvellement arrivé, organise à son tour deux conférences au second semestre 1882-1883, elles apparaissent en tant que conférences « du lundi » et « du vendredi ».

Loin d’être anecdotiques, l’augmentation rapide du nombre de conférences au sein de la

Conférence des langues romanes – trois conférences supplémentaires créées en cinq ans – et

les transformations dans leur désignation donnent une première image de la manière dont s’articulent le travail du directeur d’études et celui du répétiteur, d’une part, et reflètent l’évolution des objectifs de la Conférence des langues romanes, d’autre part. En effet, sur le premier plan, il apparaît d’abord que la Conférence, initialement prévue comme dépendante de celle de grammaire comparée, doit s’autonomiser pour répondre non seulement à un nombre d’élèves et d’auditeurs plus important que prévu, mais aussi à l’hétérogénéité de leurs parcours et leur degré variable de familiarité avec les domaines abordés. Sur le second plan, à l’initiation aux méthodes scientifiques s’ajoute très vite le perfectionnement. Ces deux plans sont liés à l’origine, comme le montre la première répartition d’élèves entre G. Paris et A. Brachet. Ils tendent cependant à se disjoindre au cours des années 1870 et surtout au début des années 1880, si bien que les conférences de G. Paris et d’A. Darmesteter peuvent chacune accueillir des effectifs de plus en plus nombreux, dont une proportion importante d’élèves et d’auditeurs communs. L’un et l’autre cessent peu à peu d’organiser leurs conférences en fonction d’une progression individuelle des élèves et des auditeurs, que ce soit des conférences du répétiteur vers celles du directeur ou des conférences de première année vers celles de deuxième année, pour simplement enseigner parallèlement selon des méthodes différentes et en définissant chacun son objet d’étude annuel ou semestriel.

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