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Attentes institutionnelles, pratiques enseignantes

1 La Conférence des langues romanes de G Paris et A Darmesteter (868-882)

1.1 L’EPHE : un mode de recrutement particulier ?

1.1.1 Statut du public et conditions d’admission

Ces revirements se sont traduits par des variations entre les projets de décret de fondation et le décret définitif. On peut ainsi comparer deux versions rédigées à environ un mois d’écart.

Projet de décret (juin 1868) :

Art. 6 – Les élèves de l’école pratique des hautes études sont de deux ordres : des élèves pensionnaires auxquels une indemnité annuelle pourra être attribuée après avis du conseil supérieur, et des élèves libres.

Art. 7 – Pour l’admission à l’école, il n’est exigé aucune condition d’âge, de grade ou de nationalité ; mais les candidats doivent subir un examen d’admission par-devant la commission de la section où ils veulent entrer.

Art. 8 – Les candidats pourvus du diplôme de licencié ou d’archiviste paléographe et les élèves sortant de l’École polytechnique sont dispensés de cet examen.49

Décret officiel (31 juillet 1868) :

Art. 3 – Il n’est exigé aucune condition d’âge, de grade ou de nationalité pour l’admission à l’École pratique ; mais les candidats sont soumis à un stage.

Admis provisoirement sur l’avis du directeur qui les accepte, leur situation est régularisée par une épreuve de trois mois au plus sur le rapport de ce directeur et l’avis de la Commission permanente mentionnée à l’article 9.

L’admission est prononcée par le Ministre. Un élève peut appartenir à plusieurs sections.

Art. 5 – Une indemnité annuelle peut être accordée par le Ministre, après avis du Conseil supérieur, à des élèves de l’École pratique des Hautes Études.

Art. 9 – Les élèves de chacune des Sections de l’École pratique sont placés sous le patronage d’une Commission permanente de cinq membres, nommés pour trois ans par le Ministre de l’Instruction publique et choisis parmi les directeurs de laboratoires et d’études. […]

[Ces Commissions] proposent en faveur des élèves, après les avoir soumis à un examen spécial, en tenant compte des travaux qu’ils ont publiés ou produits, les indemnités, les dispenses et les missions mentionnées aux articles 5, 6 et 8. […]50

Les deux textes concordent sur l’absence de conditions d’admission qui porteraient sur l’âge, le grade ou la nationalité : l’ouverture de l’établissement au public le plus large possible n’est pas remise en question. L’un des objectifs est de garantir l’indépendance de l’EPHE par rapport aux institutions en mesure de conférer des grades, à savoir les Facultés ; il s’agit

49 BMF, EPHE, IVe section, Documents G. Paris : Décrets et règlements intérieurs, Projet de décret relatif à la

création d’une École Pratique des Hautes Études, juin 1868.

également d’affirmer la tutelle directe du ministre de l’Instruction publique sur la jeune institution. En effet, étendre l’autorité ministérielle au plus grand nombre d’institutions possible est un enjeu majeur de François Guizot (1787-1874) jusqu’à V. Duruy, comme l’a montré G. Weisz51. C’est ce que rappelle explicitement le décret officiel : « l’admission est prononcée par le Ministre ». En outre, à un moment où l’Allemagne apparaît plus attractive, la libéralité de ces conditions d’admission52, qui rapproche plutôt l’EPHE du Collège de France, s’avère aussi un moyen d’attirer et de former en France des savants étrangers.

À la différence des écoles spéciales, autre modèle possible, l’inscription à l’EPHE ne garantit pas de rémunération tout au long de la formation. Entre juin et juillet 1868, la disposition qui permet d’attribuer à certains élèves une « indemnité annuelle » est certes maintenue, mais la distinction entre « élèves pensionnaires » et « élèves libres » disparaît. Elle réapparaît cependant sous une autre forme dans le règlement intérieur de la IVe section arrêté par le ministre Oscar Bardy de Fourtou (1836-1897) le 27 février 1874, dont l’article 11 précise que : « outre les élèves stagiaires et les élèves titulaires nommés par le Ministre, les Directeurs des conférences peuvent autoriser des auditeurs libres à suivre leurs leçons.53 » Dans les Annuaires de la IVe section, la dénomination des listes de personnes qui ont assisté aux conférences change en effet à partir de 1873-1874 ; on ne parle plus « d’élèves » mais « d’élèves et auditeurs ». La grande ouverture qui caractérise l’établissement, encore réaffirmée, implique des difficultés à contrôler les effectifs et, par suite, à mettre en œuvre un enseignement réellement « pratique ».

À la question du statut du public est associée celle des modalités d’admission. L’idée d’un examen d’entrée, qui éloigne d’autant plus l’EPHE de l’ENS ou de l’École des chartes, est rapidement abandonnée. D’ailleurs, les liens initialement envisagés avec ces établissements et avec la Faculté des lettres sont finalement rompus, ce qu’illustre la disparition des conditions particulières pour les diplômés de ces institutions initialement prévues à l’article 8 du projet de décret. L’affirmation de la spécificité de la nouvelle école et de son caractère « pratique » implique de sélectionner les élèves sur des critères propres, différents de ceux des autres établissements, même les plus prestigieux.

51 G. Weisz, The Emergence of Modern Universities in France, 1863-1914, op. cit., p. 29‑36.

52 À la suite de Victor Karady, P. Moulinier rappelle que, tout au long du XIXe siècle, l’Allemagne accueille plus

d’étudiants étrangers que la France, sans pourtant faire autant d’efforts pour les attirer. Ainsi, vers 1890, 60% des étudiants étrangers en Europe se concentrent dans les pays de langue allemande (Pierre Moulinier, Les étudiants

étrangers à Paris au XIXe siècle : migrations et formation des élites, Rennes, PUR, 2012, p. 38.).

53

Oscar Bardy de Fourtou, « Approbation d’un règlement de l’École pratique des hautes études », Bibliothèque

En définitive, c’est bien le stage qui, sous la forme d’une période d’essai, est reconnu comme la modalité la plus propice à la sélection de futurs savants de haute qualification. L’évaluation sur la base d’une performance préalable et ponctuelle, qu’elle soit réalisée au sein de l’établissement dans le cadre d’un examen d’entrée ou qu’elle l’ait été dans d’autres institutions, ne peut se substituer au jugement sur pièce du personnel de l’EPHE. Cette idée, dont la mise en pratique est encore floue en 1868, se précise quelques années plus tard, comme le montre une lettre de G. Paris adressée au ministre de l’Instruction publique, vraisemblablement en 1872 ou 1873. Il y présente un nouveau projet de règlement qui, à ses dires, entérine les pratiques effectives de la IVe section, notamment quant aux admissions :

Les dispositions relatives aux élèves sont les mêmes que celles du décret de création de l’École. Le stage d’admission a été prolongé de 3 à 6 mois, trois mois ne suffisant pas à établir un jugement solide. Quant à l’examen indiqué par le premier règlement, il a été laissé de côté. Il était mal défini et difficile à mettre en pratique. Le stage le remplace avantageusement54.

Il reste que la définition très large des conditions d’admission et l’absence de numerus

clausus entraînent de façon très concrète des fluctuations d’effectifs et des variations

importantes dans l’origine et la formation antérieure du public qui suit les conférences de l’EPHE. Les listes nominatives des auditeurs et élèves de chaque Conférence, qu’on trouve dans les Annuaires, donnent des indications précieuses sur ces aspects pour au moins une partie d’entre eux55.

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