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filiations institutionnelles

2 Arsène Darmesteter entre quatre institutions (1881-1883)

2.2 À la Faculté des lettres de Paris, de maître de conférences à professeur

2.2.1 L’obtention d’une maîtrise de conférences

A. Darmesteter a en effet été l’un des premiers à être nommé maître de conférences, le 16 décembre 1877110, un peu plus d’un mois après la création du statut111, trois jours après avoir soutenu sa thèse de doctorat112. Une lettre écrite à G. Paris en septembre 1876 montre qu’A. Darmesteter souhaitait vivement l’obtention de ce poste, ce qui nécessitait à la fois une stratégie institutionnelle et scientifique.

Je vais me remettre au travail, et de force. De tous côtés on m’engage à prendre au plus vite mon titre de docteur, M. Egger, M. Benoit, M. Bréal113. On me fait espérer que dans quelques

108 Cf. Annexe I.A.2.a. 109

Cf. Chapitre 3.

110 « Décret », Bulletin administratif du Ministère de l’Instruction publique, 16 décembre 1877, vol. 20, no 408,

p. 343.

111 Sur la création du statut de maître de conférences, cf. Chapitre 3. 112

« Soutenance de thèses pour le doctorat ès lettres », Bulletin administratif du Ministère de l’Instruction

publique, 13 juin 1877, vol. 20, no 408, p. 368 ; A. Darmesteter, De la création actuelle de mots nouveaux dans

la langue française et des lois qui la régissent, op. cit. ; Arsène Darmesteter, De Floovante, vetustiore gallico poemate et de Merovingo cyclo, scripsit et adjecit nunc primum edita Olavianam Flovents sagae versionem et excerpta e Parisiensi codice « il libro de Fioravante » A. Darmesteter, Lutetiae Parisiorum, apud F. Vieweg,

1877.

113 Il s’agit d’Émile Egger (1813-1885), alors membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (depuis

1854) et professeur d’Éloquence grecque (1874-1885) à la Faculté des lettres de Paris, et non de son fils, Victor Egger (1848-1909), agrégé de philosophie et légèrement plus jeune qu’A. Darmesteter.

Malgré la variation orthographique, A. Darmesteter fait probablement référence à Eugène Benoist (1831-1887), qui enseigne à la Faculté des lettres de Paris depuis 1873, d’abord en tant que suppléant d’H. Patin à la chaire de

Poésie latine. Au moment où A. Darmesteter écrit cette lettre, E. Benoist vient d’être nommé professeur en

mois on créera une chaire de langues d’oïl à la Sorbonne, et que si je suis docteur, j’aurai de grandes chances d’y être appelé. Malheureusement, mon Raschi me prendra encore un an de travail, non compris l’impression, tant le travail qu’il exige est délicat et minutieux. Je n’arriverai donc jamais à temps avec Raschi. Aussi je suis disposé à prendre pour thèse française ma thèse latine : Des procédés que la langue française actuelle emploie pour créer des mots nouveaux, sujet intéressant et qui offre matière à discussion à la Sorbonne. Pour la thèse latine, je ne vois pas de sujet que je puisse traiter à fond rapidement. J’ai songé entre autres sujets à une étude littéraire sur le Floovent. [...] Je tendrais, pour me conformer à l’excellent conseil de M. Bréal, à traiter un sujet qui touchât à la littérature ; la thèse fr[ançaise] étant plutôt philologique. [...]114

Bien qu’il soit suffisamment proche d’A. Darmesteter pour être tenu au courant de l’affaire et malgré la chaire au Collège de France dont il est titulaire depuis 1872, G. Paris ne paraît donc pas être partie prenante dans l’ouverture de cette maîtrise de conférences à la Faculté des lettres de Paris : les prises de décision semblent y relever d’un réseau dont il ne fait pas directement partie. Les trois personnages cités par A. Darmesteter ont en commun d’être agrégés de lettres et, en ce qui concerne M. Bréal et E. Benoist, d’être également d’anciens élèves de l’ENS à l’époque où E. Egger y enseignait en tant que maître de conférences en Grammaire générale et comparée (1839-1861). En effet, nés au début des années 1830, ceux-ci sont à peu près de la même génération, alors qu’E. Egger, plus âgé qu’eux d’environ vingt ans, appartient à la génération précédente. Il semble d’ailleurs que ce soit lui qui ait poussé E. Benoist à étudier la littérature latine après son doctorat115, alors que lui-même est helléniste. En 1876, tous deux sont professeurs à la Faculté des lettres de Paris, tandis que M. Bréal, enseigne au Collège de France et à l’EPHE. Néanmoins, M. Bréal, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres tout comme E. Egger, partage avec lui l’étude de la grammaire comparée, que ce dernier avait aussi enseignée aux cours de la rue Gerson au moment où A. Darmesteter les fréquentait, en 1867-1868. Cette période coïncide justement avec la fondation, en 1867, de l’Association pour l’encouragement des études grecques en France, dont M. Bréal et E. Egger sont membres fondateurs, tandis qu’E. Benoist y adhère en 1870116.

Il est intéressant de constater que ces trois professeurs, très liés à l’étude des langues et des littératures anciennes, contribuent à orienter la carrière d’A. Darmesteter dans une direction différente et nouvelle, jusqu’à présent absente de la Faculté des lettres de Paris. Il

Michel Bréal (1832-1915), également membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (depuis 1875), est professeur de Grammaire comparée au Collège de France (1866-1905) et directeur d’études pour la même discipline à l’EPHE (1868-1915).

114

BNF, Correspondance de G. Paris, NAF 24437, Lettre d’A. Darmesteter, 12 septembre 1876, f. 7.

115 Françoise Huguet et Boris Noguès, Benoist Louis Eugène, http://facultes19.ish-

lyon.cnrs.fr/fiche.php?indice=71, 2011, (consulté le 29 octobre 2017).

116 Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Association pour l’encouragement des études grecques en

semble donc que la rue Gerson et l’EPHE, lieux où A. Darmesteter a vraisemblablement pu rencontrer E. Egger et M. Bréal et où il se lie également avec G. Paris, ne soient pas uniquement des espaces d’expériences pédagogiques et scientifiques détachés de la Sorbonne, mais aussi des creusets dans lesquels se nouent des relations qui peuvent ensuite avoir des répercussions sur l’organisation des études littéraires traditionnelles. Il convient en outre de souligner que M. Bréal, avant même de devenir inspecteur général de l’Enseignement supérieur117, joue, depuis le Collège de France et l’EPHE, un rôle non négligeable dans la construction de la carrière d’un professeur de la Faculté des lettres. Enfin, bien qu’aucun d’entre eux n’y exerce alors, le cercle des soutiens d’A. Darmesteter à la Faculté des lettres trouve son origine dans un réseau formé à l’ENS, une vingtaine d’années auparavant environ.

Concernant la maîtrise de conférences elle-même, bien que son intitulé définitif, Langue

et littérature françaises du Moyen-Âge, corresponde exactement à celui de la chaire du

Collège de France occupée par G. Paris à la suite de son père, la question ne semble pas encore tranchée en 1876. Tout au plus peut-on inférer de l’expression « langues d’oïl », employée dans sa lettre à G. Paris, qu’A. Darmesteter envisage d’abandonner l’étude d’ensemble des langues romanes pour se concentrer uniquement sur les plus septentrionales, le français au premier chef, et qu’il compte probablement s’en tenir à la période médiévale.

En effet, il s’agit bien là, au moment où débutent les réformes qui réorganisent l’enseignement universitaire, d’une institutionnalisation des études médiévales, jusqu’alors limitées à l’École des chartes et au Collège de France118. Néanmoins, à l’École des chartes, l’étude des langues latine et française se présente comme un auxiliaire à l’étude juridique et historique des textes médiévaux. De ce point de vue, le poste ouvert pour A. Darmesteter à la Sorbonne semble se situer plutôt dans la continuité de la Conférence des langues romanes de l’EPHE, dans la mesure où il donne explicitement une place à l’étude de la langue, prise dans son évolution, même si le domaine des langues à étudier se réduit au français.

Pour autant, la complémentarité entre les aspects littéraires et linguistiques – « philologiques » – fait explicitement partie du projet et justifie le conseil que donne M. Bréal à A. Darmesteter quant au choix de ses sujets de thèse. Ce dernier est donc prêt, étant donné l’urgence, à saisir l’opportunité d’installer sa carrière et d’améliorer ses revenus, à mettre de côté le travail qui l’occupe depuis plus d’une dizaine d’années119 et à choisir des sujets qu’il

117

Il le devient par le décret du 15 avril 1879.

118 Voir Charles Ridoux, Évolution des études médiévales en France de 1860 à 1914, Paris, Honoré Champion,

2001, notamment les chapitres IV et V.

119 Son travail sur les gloses de Rachi ne fut finalement jamais achevé de son vivant. Il a été publié de façon

serait en mesure de traiter dans le temps imparti, mais aussi qui correspondent aux attentes institutionnelles. Dernier point, il faut bien constater que neuf mois seulement avant l’ouverture du poste, A. Darmesteter espère obtenir une chaire et non une maîtrise de conférences : il ne semble pas envisager d’autre statut possible pour le poste qu’on lui laisse entrevoir. Ignore-t-il le projet de création du nouveau statut ou lui a-t-on glissé que le poste serait une véritable chaire ?

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