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3 Les notes de cours, des sources historiques ?

3.2 Exploiter les notes de cours

3.2.3 Comparabilité des notes de cours

Il s’agit donc à la fois de saisir, à travers l’analyse de traces manuscrites du point de vue des contenus thématiques, les démarches – scientifiques et didactiques – et les pratiques d’écritures qu’elles laissent apparaître, l’articulation entre langue et histoire, d’une part, et entre travail savant et travail enseignant, d’autre part. Au-delà de l’individualité de chaque linguiste, on cherchera à l’aide du corpus de documents que nous avons délimité à saisir les spécificités des notes de cours parmi les archives de chercheurs et leurs usages possibles en tant que sources pour l’histoire des idées linguistiques considérée du point de vue de l’enseignement supérieur, à la fois dans ses méthodes et dans ses contenus. Toutefois, la complexité de ce projet impose de s’interroger au préalable sur la comparabilité des manuscrits en question, qui sont séparés par des différences de plusieurs ordres.

La plus évidente de ces différences est certainement la variation d’un enseignant à l’autre, liée à ses propres habitudes de travail comme à son parcours intellectuel et à ses centres d’intérêt scientifiques. Dans un second temps, on ne peut faire l’impasse sur le facteur temps, qui, toujours à l’échelle d’un individu, entraîne une évolution non négligeable des méthodes comme des thématiques entre le début et la fin de sa carrière, surtout quand elle est aussi longue que celles de G. Paris ou de F. Brunot. Enfin, à l’intérieur de l’œuvre d’un même enseignant, il est indispensable de prendre en compte les différences institutionnelles. C’est justement là ce qui permet de comparer G. Paris, A. Darmesteter et F. Brunot. Entre deux enseignants qui ont exercé dans la même institution, que ce soit en parallèle ou à des moments différents, la comparaison est possible : ainsi, entre les conférences de G. Paris et d’A. Darmesteter à l’EPHE, ou entre les cours d’A. Darmesteter et de F. Brunot à la Sorbonne et à l’ENS de Sèvres. De même, il est possible de comparer les notes de cours utilisées par le même enseignant dans deux institutions différentes, ce qui, dans le cadre de cette étude, est envisageable pour A. Darmesteter comme pour F. Brunot. Pour autant, au-delà des différences qui les séparent, la constance d’un certain nombre de sujets, tous enseignants et établissements confondus, autorise à établir des rapprochements thématiques entre les contenus de manuscrits qui présentent, par ailleurs, de fortes disparités.

En conséquence, exploiter les notes de cours en tant que sources pose des problèmes méthodologiques particuliers qui impliquent d’avoir recours à d’autres types de documents précédemment décrits, tels que les affiches ou les comptes rendus de cours. Ceux-ci remplissent quatre fonctions. Premièrement, ils servent à situer les notes de cours dans la carrière des enseignants. La seconde fonction est d’identifier et de dater les notes de cours afin de les replacer dans la situation d’enseignement dans le cadre de laquelle elles ont été

produites. En troisième lieu, ils permettent de contextualiser les notes de cours en termes institutionnels : les finalités formatives, les méthodes d’enseignement et les publics d’élèves et d’étudiants sont plus ou moins bien connus pour chacun des trois établissements envisagés. Enfin, leur rôle est également de situer le contenu des notes de cours dans les savoirs en cours de disciplinarisation.

Conclusion

Dans les années 1920, la linguistique est une discipline reconnue sous ce nom. L’utilisation du terme de discipline pour décrire l’organisation de l’activité des linguistes devient alors émique, sans que cela nous dispense de nous interroger sur le sens exact que pouvait avoir ce terme pour les contemporains. Pour autant, encore à cette époque, les linguistes reconnaissent une spécificité à la méthode historique dans l’étude des langues. À quoi tient-elle ? D’abord à ses sources. Si la méthode a été appliquée de manière privilégiée au domaine des langues romanes, c’est que l’histoire telle que la pratiquent les romanistes s’appuie sur des sources principalement textuelles, tout comme celle des historiens. Elle se distingue en cela de la méthode comparative – dont elle est un prolongement – dans la mesure où la plus grande partie des données dont s’occupe l’histoire des langues romanes sont attestées et non pas reconstruites. Par ailleurs, la méthode historique appliquée aux langues s’est développée plus tard que la grammaire comparée, tout en héritant de ses acquis, à savoir en particulier l’idée de généalogie. La reconstruction est-elle pour autant totalement étrangère à la méthode historique ? C’est un des aspects qu’il conviendra d’examiner184.

Par ailleurs, à la parenté entre les langues qu’a permis d’établir le premier comparatisme, s’est substitué le modèle du changement. De même, chez les néogrammairiens, la causalité a remplacé la succession en acclimatant l’idée du caractère aveugle des lois phonétiques. En cela la méthode historique ne se distingue pas foncièrement de la méthode comparative. L’une et l’autre se veulent explicatives et pas seulement constatives. Pour autant, il faut relativiser le caractère essentiellement nomologique du savoir linguistique dans son ensemble qui justifierait d’accorder aux néogrammairiens allemands un rôle prépondérant et, par suite, tendrait à situer dans les années 1880 le début du paradigme historique. Quelle place les philologues, spécialistes de grammaire historique ou d’histoire de la langue accordent-ils à l’histoire des historiens dans laquelle la contingence occupe une place majeure ? L’histoire qu’on nomme « interne » est-elle donc prépondérante par rapport à l’histoire dite « externe »

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et les relations entre ces deux approches sont-elles les mêmes, quels que soient les savoirs envisagés ?

L’enseignement de ces savoirs, lui-même généralement conçu soit comme secondaire, soit comme ayant formé obstacle au développement de la grammaire comparée et de la grammaire historique en France, permet d’examiner ces questions à nouveaux frais. Il paraît néanmoins nécessaire, pour en tirer parti, de considérer les cours comme des lieux de diffusion de savoirs élaborés par les professeurs eux-mêmes à des fins d’enseignement et non comme de simples espaces de transmission d’un savoir scientifique préalablement produit. De plus, il semble indispensable de replacer ces enseignements dans les dynamiques de l’université française qui, sans être comparable à l’université allemande, connaît à partir des années 1860 des transformations profondes dans lesquels les savoirs linguistiques jouent un rôle non négligeable.

À ces conditions, il est possible d’analyser à l’aide des notions de disciplinarisation et de

didactisation les notes de cours de G. Paris, d’A. Darmesteter et de F. Brunot dans le cadre

des enseignements dispensés à l’EPHE, à la Faculté des lettres de Paris et à l’ENS de jeunes filles de Sèvres. La confrontation de ces notes à des sources plus traditionnelles de l’histoire de l’enseignement supérieur, d’une part, et de l’histoire des idées linguistiques, d’autre part, s’avère indispensable. En effet, il est essentiel, pour éviter de figer les savoirs étudiés dans un contexte historique trop rigide, de mettre en évidence tant les relations personnelles et intellectuelles entre les trois savants que les complémentarités et les concurrences entre les trois institutions.

Chapitre 2

Trois carrie res d’enseignants entre

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