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1 L’histoire et les savoirs linguistiques, constructions et reconstructions disciplinaires

1.1 Histoire, « paradigme historique » et disciplinarisation des savoirs linguistiques

1.1.2 Le « paradigme historique », une évidence ?

Sur le plan terminologique, l’emploi de l’expression « paradigme historique » pose trois problèmes majeurs. D’abord, il nécessite de discuter la pertinence de la notion de paradigme, dont le sens n’est pas univoque en histoire des sciences. En outre, à supposer que le terme soit à comprendre au sens de Thomas Kuhn, reste dans l’ombre ce que désigne exactement ce

paradigme-là30. D’où un second problème, qui concerne l’autre partie de l’expression : le

paradigme en question est le plus souvent non seulement défini comme « historique », mais

aussi comme « historico-comparatif ». S’il s’agit de désigner des méthodes, ces deux expressions sont-elles équivalentes ? Renvoient-elles au même dispositif scientifique ? On trouve d’ailleurs – troisième problème – des expressions variées pour nommer les savoirs auxquels renvoie ce paradigme : « grammaire historique et comparée31 », « linguistique historico-comparative32 », « philologie comparée ».

Dans le champ de l’histoire des idées linguistiques, l’expression « paradigme historique » est employée en français dès les années 1970 pour désigner la « linguistique historico- comparative », soit peu de temps après la publication originale de The Structure of Scientific

Revolutions en 1962 et avant sa traduction française en 198333. Il s’agit de différencier cette linguistique d’une approche organiciste des langues avec laquelle les néogrammairiens avaient rompu. L’expression permet également de mettre en lumière le décalage chronologique par rapport au « modèle allemand » dans la constitution des savoirs linguistiques en France dans la deuxième moitié du XIXe siècle34 . S. Auroux, dans son introduction au troisième tome de l’Histoire des idées linguistiques, ne dit pas autre chose :

Le développement du comparatisme en dehors des pays de langue allemande est donc une question de transfert de connaissance. En France, le transfert a lieu automatiquement à partir du moment où, dès la fin du second Empire, l’État commence à se doter d’institutions universitaires modernes35.

30 Thomas S. Kuhn, The structure of scientific revolutions, Chicago (IL), University of Chicago Press, 1962. 31 Le terme est utilisé par Olivier Soutet, Linguistique, 2e éd., Paris, PUF, 2011 ; Bernard Colombat, Jean-Marie

Fournier et Christian Puech, Histoire des idées sur le langage et les langues, Paris, Klincksieck, 2010. On trouve également, dans le même ouvrage, « histoire comparée des langues ».

32 Terme utilisé par exemple par Piet Desmet, La linguistique naturaliste en France (1867-1922) : nature,

origine et évolution du langage, Leuven / Paris, Peeters, 1996.

33 Voir par exemple Lorenzo Renzi, « Histoire et objectifs de la typologie linguistique » dans Herman

Parret (éd.), History of linguistic thought and contemporary linguistics, Berlin / New York, De Gruyter, 1976, p. 644‑645.

34 Christian Puech et Anne Radzynski, « Fait social et fait linguistique : A. Meillet et F. de Saussure », Histoire

Épistémologie Langage, 1988, vol. 10, no 2, p. 76 ; P. Desmet, La linguistique naturaliste en France (1867-

1922), op. cit., p. 17, notes 13 et 14 ; Ursula Bähler, Gaston Paris et la philologie romane, Genève, Droz, 2004,

p. 326.

35 Sylvain Auroux, « Emergence et domination de la grammaire comparée » dans Sylvain Auroux (éd.), Histoire

S. Auroux met en doute à cet égard la « légende dorée du comparatisme », présente « dans tous les manuels », selon laquelle les travaux sur les langues n’auraient accédé à la scientificité qu’au début du XIXe siècle, quand les premières études approfondies du sanscrit ont mené à rapprocher cette langue du grec et du latin36. L’idée générale de S. Auroux et, plus largement, des auteurs de l’ouvrage, est de montrer que le renouvellement de l’étude des langues ne réside pas tant dans la découverte du sanscrit, qui était en réalité connu des Européens depuis des siècles, ni même dans le fait de comparer des langues entre elles. L’originalité de la démarche comparatiste par rapport à celle des périodes précédentes réside dans la quantité de données traitées, dans la nature des connaissances produites. Elle consiste aussi et surtout dans la nouveauté que constitue « l’explication historique », autrement dit le fait de faire intervenir le facteur temps dans la description d’une entité linguistique, comprise comme le produit d’un développement antérieur. En somme, la successivité devient causalité. Il reste que cette causalité peut-être « contingente » ou régie par des lois.

De manière générale, les comparatistes, au vu de la régularité des processus mis en lumière, ont adopté la seconde solution. Elle est loin d’être évidente : les deux premières générations de comparatistes n’ont pu se la représenter qu’à l’aide de métaphores organicistes (la langue est un organisme vivant qui naît et qui croît selon des lois fixes). À partir des années 70, on parlait plutôt de lois sur le modèle de la physique (« lois phonétiques »). Cela incitait grandement à ranger la linguistique parmi les sciences naturelles (ce que n’hésitait pas à faire Schleicher et ses élèves)37.

Outre les écarts générationnels soulignés par S. Auroux, qui justifient en eux-mêmes qu’on s’interroge sur l’unité et l’unicité du « paradigme historique », on ignore ce qu’il en est du rôle de la causalité « contingente », à peine évoqué. N’a-t-elle donné lieu à aucun travail ou les travaux qui s’y rapportent sont-ils disqualifiés au point de ne pas être mentionnés ? Dans ce cas, pour quelles raisons ? S’agirait-il d’autres causes de changement linguistique comme l’analogie ? Ou bien de l’incidence de l’histoire sociale ou politique sur l’évolution de la langue ? De surcroît, « l’explication historique » semble n’être qu’une composante du « comparatisme » sous ses différentes formes. Le glissement est rapide de « paradigme historique » à « paradigme comparatiste ». Dans ce cadre, l’histoire faite par les spécialistes

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« L’hégémonie du comparatisme », troisième tome de l’Histoire des idées linguistiques dirigée par Sylvain Auroux, comporte une partie intitulée « Le paradigme historique et la grammaire comparée ». Celle-ci comprend quatre chapitres :

1. La révolution morphologique (J. Rousseau)

2. Le développement du comparatisme indo-européen (S. Auroux, G. Bernard et J. Boulle) 3. Des coefficients sonantiques à la théorie des laryngales (M.-J. Reichler-Béguelin) 4. L’étude des langues romanes (W. Oesterreicher)

(Sylvain Auroux (éd.), Histoire des idées linguistiques, Liège, Mardaga, 2000, vol. 3 : “L’hégémonie du comparatisme”.)

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des langues à la fin XIXe et au début du XXe siècle ne serait qu’une successivité aux implications causales.

Or la réflexion sur la nature de la méthode historique et son lien avec le comparatisme dans l’étude des langues n’est pas nouvelle. Le questionnement est indissociable de l’échelle à laquelle sont envisagées les langues : l’ensemble de la famille indo-européenne ou uniquement la branche des langues romanes. Émile Constantin, dans ses notes prises lors du troisième cours de linguistique générale professé par F. de Saussure en 1910-1911, le résume de la manière suivante.

Chose étonnante, jamais on ne se fit une idée plus défectueuse et plus absurde de ce qu’est la langue que dans les trente années qui suivirent cette découverte de Bopp (1816). En effet, dès lors des savants s’essayèrent comme à un jeu de comparer les différentes langues indo- européennes entre elles […]. Presque jusque vers 1870, ils pratiquèrent ce jeu sans se préoccuper des conditions où la langue vit. […]

Ce fut principalement l’étude des langues romanes qui conduisit à des vues plus saines les Indo- Européanistes eux-mêmes et fit entrevoir ce que devait être en général l’étude de la linguistique. Sans doute le mouvement d’études vers les langues romanes, inauguré par Diez, fut un développement des règles de Bopp du côté des langues indo-européennes. Dans le cercle des langues romanes, on se trouva vite dans d’autres conditions ; en premier lieu : présence positive du prototype de chaque forme ; grâce au latin, que nous connaissons, les Romanistes ont devant eux depuis l’origine ce prototype, tandis que pour les langues indo-européennes nous devons reconstruire par hypothèse le prototype de chaque forme. En second lieu, avec les langues romanes il y a une grande possibilité, au moins dans certaines périodes, de suivre la langue de siècle en siècle par les documents, de voir de près par conséquent comment les choses se passaient. Ces deux circonstances qui diminuent la sphère conjecturale donnèrent une autre physionomie à la linguistique romane qu’à la linguistique indo-européenne. […] La perspective historique, qui manquait aux Indo-européanisants parce qu’ils voyaient tout sur le même plan, s’imposa aux romanistes. Et par la perspective historique vint l’enchaînement des faits38.

Aux indoeuropéanistes, la comparaison ; aux romanistes, la « perspective historique ». La différence de méthode tient à la documentation, à la « présence positive » : celle du « prototype » originel de chaque forme romane, qu’il n’est donc pas besoin de reconstruire, et celle des états successifs de ces formes sur une longue durée, qu’il est possible de replacer chronologiquement les unes par rapport aux autres pour « enchaîner les faits ».

Certes, « prototype » ne signifie pas état premier – F. de Saussure sait que le latin classique, le mieux attesté, n’est pas celui qui a donné naissance aux langues romanes39 – et les sources sont parfois lacunaires. Néanmoins, les langues romanes offrent globalement la possibilité de s’intéresser « aux conditions où la langue vit », donc de s’affranchir d’une comparaison qui met « tout sur le même plan ». C’est pourquoi, tout bien considéré, l’emploi

38 Ferdinand de Saussure et Émile Constantin, Troisième cours de linguistique générale : 1910-1911, édité par

Eisuke Komatsu, traduit par Roy Harris, Oxford / New York / Seoul [etc.], Pergamon Press, 1993, p. 2‑3.

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du terme d’histoire pour désigner la discipline dans son ensemble, en lieu et place du terme de

grammaire comparée, peut se révéler judicieux :

La grammaire devient donc <par nécessité> comparative, à l’instant où le monument authentique <et précis> fait défaut ; il n’y a rien là qui puisse caractériser une tendance ni une école ni une méthode particulière [...]. C’est <simplement> la seule manière de faire de la grammaire [...]. La substitution du terme d’Histoire à celui de Grammaire comparée a un autre avantage, <ce terme de grammaire comparée exclut, selon l’acception courante, les ramifications modernes de l’indo-européen>, telles que la famille des langues romanes ou même celle des langues germaniques dans leur développement plus récent: parce qu’en effet sur ce terrain la comparaison cesse d’être un instrument très nécessaire grâce à la continuité de la tradition historique40.

Cependant, dans le paragraphe qui suit l’extrait du troisième cours pris en notes par É. Constantin cité plus haut, F. de Saussure reproche aux deux méthodes, le comparatisme et la « perspective historique », de rester trop attachées à la langue écrite : « deux systèmes superposés de signes qui n’ont rien à faire entre eux, graphiques et parlés, sont mêlés41. » Dans la période qu’il définit comme celle où émerge la « perspective historique », qu’il date de l’extrême fin des années 1860, se font pourtant jour des débats majeurs dans plusieurs pays, dont la Suisse et la France, sur l’opportunité d’une réforme orthographique42. Même si F. de Saussure ne prend pas part à ces débats, il n’en demeure pas moins qu’ils constituent une toile de fond à toute réflexion menée à l’époque sur les rapports entre l’oral et l’écrit. À cette réflexion répondent justement les premiers travaux sur l’histoire de l’orthographe, qui impliquent de réfléchir à la distance entre langue parlée et langue écrite tout en prenant en compte l’évolution des contextes historiques.

Si, sur ce point, il renvoie dos à dos la méthode comparative et la « perspective historique », il n’en demeure pas moins que pour F. de Saussure, des différences essentielles les séparent. Parmi ces différences, il y a les objets d’étude sur lesquels elles portent. La comparaison a trait essentiellement à la morphologie, tandis que la « perspective historique » a trait à la phonologie. « Toutes les fois qu’on considère une même forme à des dates diverses, c’est faire de la phonétique, et toutes les fois qu’on considère des formes diverses à une même date, c’est de la morphologie43. »

F. de Saussure différencie par ailleurs la « perspective historique » de la démarche que lui- même préconise dans un des cours dispensés à Genève en 1910, un de ses cours de « linguistique générale » et non « d’histoire et de comparaison des langues indo-

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Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, édité par Rudolf Engler, Wiesbaden, O. Harrassowitz, 1968, vol. 1, 2.15.3287 (= N 2).

41 F. de Saussure et É. Constantin, Troisième cours de linguistique générale, op. cit., p. 3. 42 Sur ce point, cf. Chapitre 5.

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européennes ». Il insiste sur la primauté de l’Allemagne dans le développement de la « perspective historique », qui n’est pourtant pas absente en France. Quant à la linguistique générale, ce n’est que dans la première moitié des années 1920 qu’à la différence de la Suisse elle s’imposera en France du point de vue des enseignements, notamment par la création en 1923 d’un Institut de Linguistique au sein de la Faculté des lettres de Paris44. À la même époque cessent de paraître des publications intitulées Grammaire historique de la langue

française45. Il convient de souligner de ce point de vue la spécificité parisienne due à une concentration d’établissements d’enseignement supérieur sans équivalent sur le territoire national46.

Pour autant, l’assimilation entre comparatisme et méthode historique dans l’étude des langues, sur laquelle F. de Saussure émet des réserves, fait partie de la doxa. Antoine Meillet (1866-1936) la postule quand il écrit par exemple en 1923 : « s’il existe une “grammaire comparée”, c’est-à-dire une linguistique historique, on le doit à l’esprit d’invention et au travail discipliné de savants allemands47. » Pour autant, la nature du lien qui unit ces deux approches reste sujette à interprétation. En effet, soit c’est la valeur heuristique de la méthode comparative, appliquée à des langues observées dans des états différents, qui est présentée comme fondatrice pour la grammaire historique48, ce qui correspondrait plutôt aux conceptions de Meillet49 ; soit c’est sur l’exploitation de la dimension explicative de l’histoire, principalement – mais pas uniquement – conçue comme identification de causalités nomologiques, que se constitue la grammaire comparée50. Le rapport entre méthode historique et méthode comparative peut d’ailleurs être inversé : l’ordre chronologique de leur

44 Cf. infra (1.2.1).

45 Les derniers sont publiés hors de France. Il s’agit de six volumes de l’ouvrage de Kristoffer Nyrop (1858-

1931), dont le premier date de 1899 (Grammaire historique de la langue française, Copenhague, Gyldendal, 1899–1925, 5 vol.) et du livre de Luigi De Anna, Essais de grammaire historique de la langue française, Bologne, Nicola Zanichelli, 1921.

46 Sur ce point, cf. infra (1.2.2) et Chapitre 3.

47 Antoine Meillet, « Ce que la linguistique doit aux savants allemands » dans Linguistique historique et

linguistique générale, Paris, Klincksieck, 1951, vol. 2, p. 152. A. Meillet préfère parler de « méthode

comparative » que de « grammaire comparée », expression qu’il utilise entre guillemets pour mettre à distance le terme « grammaire » dont les multiples acceptions peuvent être trompeuses quant à projet qu’il défend, à savoir la fondation d’une « linguistique générale ». Il l’emploie uniquement pour rendre compte d’une partie de son horizon de rétrospection, celle qu’il souhaite mettre à distance : l’héritage romantique du début du XIXe siècle et

l’organicisme d’A. Schleicher en particulier (Dan Savatovsky, « Meillet historiographe du comparatisme »,

Histoire Épistémologie Langage, 2006, vol. 28, no 1, p. 89‑104.).

48 Voir par exemple Gabriel Bergounioux, « La science du langage en France de 1870 à 1885 : du marché civil

au marché étatique », Langue française, 1984, vol. 63, no 1, p. 10.

49 Antoine Meillet, « Sur la méthode de la grammaire comparée » dans Linguistique historique et linguistique

générale, Paris, Honoré Champion, 1948, vol. 1, p. 19 ; Pierre Swiggers, « La linguistique historico-comparative

d’Antoine Meillet : théorie et méthode », Cahiers Ferdinand de Saussure, 1985, no 39, p. 185. 50

apparition ne détermine pas nécessairement la subordination de la première à la seconde. C’est ce qu’affirme Joseph Vendryes (1875-1960) en 1921 quand il écrit que

la méthode comparative n’est qu’un prolongement dans le passé de la méthode historique. Elle consiste à étendre à des époques pour lesquelles nous n’avons aucun document le raisonnement qui s’applique aux époques historiques51.

Toujours est-il que la complémentarité entre les deux approches, qu’elles soient comprises en tant que méthodes ou en tant que théories, est fermement établie dans l’histoire des idées linguistiques, jusque dans les travaux récents sur F. de Saussure52 . Parler de « paradigme » au singulier, n’est-ce pas alors une manière d’occulter la diversité et la concurrence des conceptions dans une vision artificiellement unifiante et téléologique, qui considère la linguistique comme une discipline déjà constituée et non comme un ensemble de savoirs encore en construction, en cours de disciplinarisation ? Si tant est que le terme soit pertinent, ne faudrait-il pas l’employer au pluriel ?

S’interroger sur la diversité des « paradigmes » en présence implique également de poser la question de la périodisation, à laquelle il convient d’associer celle de la spatialisation. En effet, on considère souvent le paradigme historique ou historico-comparatif dans l’étude des langues, en réduisant sa chronologie à celle des universités et des publications allemandes, de Franz Bopp (1791-1857) à Berlin jusqu’à Hermann Osthoff (1847-1909) et Berthold Delbrück (1842-1922) à Leipzig, en passant par Friedrich Diez (1794-1876) à Bonn. Dans cette perspective, le paradigme historique est à la fois un héritage et une transformation méthodologique du comparatisme né en Allemagne, pays alors le plus avancé dans l’étude des langues. Ses pratiques seraient ensuite reproduites par les savants français qui auraient pris connaissance des travaux des Allemands, notamment à travers des séjours d’étude en Allemagne, mais aussi par des lectures. Le modèle centre-périphérie tend néanmoins à minimiser les spécificités régionales allemandes avant même l’unification du pays qui n’est achevée qu’en 1871 et à occulter en partie ou à simplifier à l’extrême les phénomènes de réception et d’appropriation des méthodes et des objets d’étude spécifiques à chaque espace culturel. L’échelle à laquelle est menée l’analyse – un savant, un établissement, une communauté scientifique, un pays entier – peut considérablement modifier la représentation du phénomène que construira l’historien des idées linguistiques.

51 J. Vendryes, Le langage, op. cit., p. 353.

52 Voir par exemple Marie-José Béguelin, « La place de la grammaire comparée », Langages, 2012, no 185,

Le modèle allemand et les transferts culturels en France en particulier ont été bien étudiés par Michel Espagne depuis les années 199053. Dans les dernières années, des travaux ont été menés sur la circulation des savoirs linguistiques à différentes échelles et sur l’institutionnalisation de ces savoirs dans différents espaces. De ce point de vue, la

Romanistik en tant que branche de la philologie a suscité un intérêt particulier54. La figure de G. Paris, généralement présenté comme l’importateur des études romanes en France, et ses rapports avec l’Allemagne ont ainsi été revisités grâce aux travaux d’Ursula Bähler55. L’importance de lieux précis de construction des savoirs sur les langues romanes en Allemagne, comme le séminaire de philologie romane de l’université de Göttingen, mais aussi en France, telle l’École des Chartes, a également été mise en lumière ; la chronologie disciplinaire traditionnelle dans laquelle la philologie romane débuterait avec la publication de la Grammatik der romanischen Sprachen de F. Diez en 1836 s’avère peu opérante56. Pour ce qui est de la France, deux publications récentes consacrées l’une au Collège de France et l’autre à l’EPHE replacent les savoirs linguistiques qu’on qualifie de « philologiques » ou de « comparatifs » – sont-ils « historiques » ? – dans une économie savante bien plus large57.

Enfin, l’usage qui est le plus souvent fait de la notion de paradigme historique aboutit à des incohérences importantes dans le discours même de ceux qui l’emploient dans la mesure où, alors que le terme de « paradigme » est régulièrement justifié et discuté – malgré tous les problèmes précédemment évoqués –, « historique » donne rarement lieu à une réflexion développée. L’histoire semble s’imposer à nos contemporains de façon évidente, comme si le sens du mot ne pouvait être sujet à équivoque. De surcroît, dans les discours sur les langues au XIXe siècle, « histoire » peut renvoyer à « l’histoire naturelle », sur la base des nombreuses

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