• Aucun résultat trouvé

Les travaux sur la participation : apports, limites et prolongements

Conclusion du chapitre 1

Chapitre 2. Cadrage théorique et outils mobilisés

III. Les travaux sur la participation : apports, limites et prolongements

Plusieurs propositions de prolongement émergent à la lecture des travaux sur la participation. Les limites qui sont énoncées quant à leurs orientations et résultats viennent ainsi nourrir notre propre perspective. Sortir du tropisme procédural pour analyser les effets

L’une des principales limites énoncées au sujet des travaux sur la participation est liée à ce que Mazeaud

(Mazeaud, 2009) nomme le « tropisme procédural ». Elle signifie par-là que nombre des recherches se

71 En effet, nous n’entrons pas dans l’habitat participatif par les acteurs pris pour eux-mêmes mais dans leurs rapports avec

l’extérieur. Par ailleurs, nos premières investigations ont conduit à relever combien les conclusions portant sur les publics des

dispositifs participatifs s’appliquent pour une large part à l’habitat participatif. De nombreux auteurs se sont en effet penchés sur cette question des publics et ont mis en avant la faible ouverture des dispositifs au citoyen « ordinaire » (Bacqué, Sintomer, 2011 : 15 et suiv.): « le « citoyen ordinaire » est très largement une fiction politique. Tout acteur, y compris lorsqu’il joue le rôle du profane dans tel ou tel dispositif, est déjà plus ou moins engagé, plus ou moins informé » (Blondiaux, 2007 : 125) ; « La participation ne concerne dans le meilleur des cas qu’une petite minorité de citoyens, elle est très inégale socialement, ceux qui s’engagent le plus résolument tendent à devenir à leur tour des professionnels de la politique[…] dont le type de savoir s’apparente parfois davantage à celui des politiciens et des hauts fonctionnaires qu’ils contestent qu’à celui de leur base » (Sintomer, 2008 : 131) ; Bertheleu et Neveu (Bertheleu, Neveu, 2006) rappellent également que le public privilégié des dispositifs participatifs est habituellement constitué « d’hommes « blancs », âgés de quarante ans environ et de classe moyenne ou supérieure». Cet élément ne s’applique toutefois pas à l’habitat participatif où l’on compte un nombre important de femmes impliquées, retraitées ou approchant la retraite. De jeunes ménages – autour de 30 ans

– constituent également une part significative des acteurs-habitants. En revanche, concernant la trajectoire des personnes engagées,

l’analyse de Blondiaux (Blondiaux, 2008a) est tout a fait probante : « l’intérêt pour la politique constitue une condition bien plus souvent qu’un effet de l’entrée dans ces dispositifs ». Les publics engagés dans les dispositifs participatifs sont en ce sens dotés de caractéristiques particulières

64

Partie 1. Chapitre 2. Cadrage théorique et outils mobilisés Section 1. Le champ de la participation : des apports à mobiliser

focalisent d’abord sur le « moment » du dispositif participatif et donc sur des « enjeux microsociologiques,

c’est-à-dire sur la dynamique interne des dispositifs participatifs ou sur leur contexte immédiat de mise en

œuvre » (Bherer, 2011 : 119)72. Or, cette focalisation présente au moins deux limites générales : elle isole artificiellement la procédure de son contexte et dresse un portrait partiel de la participation publique qui ne rend pas compte des interactions entre les dispositifs participatifs (Bherer, 2011 : 119). Plus encore, ce tropisme procédural vient mettre en péril les analyses des effets des dispositifs participatifs sur la

décision et l’action publique. Cet axe de recherche sur les effets, bien qu’il ne soit pas exempt de difficultés

(Politix, 2006 : 75)73, est particulièrement développé (Mazeaud et al., 2012 : 9). Les travaux concluent alors pour une large part au caractère limité de ces effets : « on ne sait pas dire de façon assurée ce que fait

la participation, on sait en revanche ce qu’elle ne fait pas : l’offre de participation n’entraine pas le chaos ; elle ne renverse pas les pouvoirs établis ; elle n’empêche pas – ou très rarement – les projets de passer. Elle ne remet pas en cause fondamentalement la démocratie représentative » (Rui, 2009 : 77). Pour Mazeaud (Mazeaud et al., 2012), de tels résultats sont pour partie liés à la focale adoptée : l’analyse des effets part

d’abord des objectifs affichés et se concentre sur le dispositif en tant que variable explicative des effets :

« tout se passe comme si les effets de la participation sur l’action publique étaient conditionnés par le design du dispositif participatif et l’impact qui lui est reconnu sur la décision » (2012 : 10). Or, une telle orientation constitue selon elle un « problème majeur » puisqu’elle ne permet pas de dégager le poids respectif de la

procédure, du contexte, de la « volonté » des organisateurs dans les changements observables (2012 : 13). Les travaux sur les effets font l’objet d’une autre limite qui a trait à la vision des politiques publiques sur laquelle ils reposent : séquentielle et balistique74. Une telle vision a été largement critiquée et jugée inadéquate pour trois raisons (Hassenteufel, 2011) : il n’y a pas de décideur unique ou identifiable, les

objectifs de l’action publique sont souvent équivoques et flous et la mise en œuvre ne constitue pas

seulement une application des décisions mais un processus autonome de la décision en raison du comportement des acteurs administratifs et des publics à qui la politique se destine. Une telle vision doit

donc être délaissée au profit d’une vision collective de l’action publique. Mazeaud pose finalement comme

condition à la réussite des analyses des effets un changement de focale qui suppose « d’étudier le fonctionnement et l’économie d’ensemble du processus décisionnel dans lequel s’insère le dispositif

participatif » (Mazeaud, 2009) ; « Il s’agit ici de décentrer l’analyse des dispositifs participatifs car la quête

des effets ne peut s’arrêter aux frontières du dispositif ; il convient de rechercher des effets à plus long terme,

dans les dynamiques d’apprentissage, les recompositions du travail administratif, et/ou de comprendre

comment les effets limites peuvent s’analyser au prisme du jeu qui se déroule dans les coulisses (Massardier,

2009 ) » (Mazeaud et al., 2012 : 16). Elle est rejoint par Bherer qui propose de « décentrer le regard des

procédures vers le contexte de production de la participation publique, c’est-à-dire prêter attention aux

contingences institutionnelles et politiques qui influencent la portée [75] de la participation publique »

(Bherer, 2011 : 119). Ainsi, pour mener à bien une analyse des effets, il est nécessaire de se détacher du seul dispositif.

72 Rappelons que nous avons tiré le même constat à propos des travaux engagés sur l’habitat participatif

73 « L’identification des effets [...] suppose un travail de contextualisation et une prise de distance par rapports aux situations concrètes de délibération qui rend la tâche du chercheur sans doute impossible. Entre les approches micro et meso de la participation, des passerelles devront être établies qui n’ont toujours pas pu se mettre en place » (Politix, 2006 : 75)

74 Selon Hassenteufel (Hassenteufel, 2011 : 36-37), la conception balistique des politiques publiques présuppose qu’il existe un

« tireur » et une « cible» claire, c’est-à-dire que l’action publique viserait des objectifs clairement définis

75 Fourniau et al. (Fourniau et al., 2013 : 1) proposent d’utiliser la notion de portée à la place de celle d’effets : « nous avons proposé d’abandonner la terminologie associée à la notion d’effets, pour développer la notion alternative de portée de la participation, inscrite dans une sociologie pragmatique des transformations formalisée par Francis Chateauraynaud avec sa balistique sociologique. En l’occurrence, il ne s’agit plus de dresser le tableau synoptique des effets potentiels, en dehors de l’expérience des acteurs, mais de décrire comment les acteurs explorent eux-mêmes la « cartographie des effets possibles ». Le suivi de leur activité suppose de dépasser les approches empiriques dressant des listes d’effets et de se doter d’un modèle sociologique de leur exploration prêtant une attention particulière aux moments et aux formes de discussion publique, et à la manière dont celle-ci peut infléchir la trajectoire des problèmes publics »

Partie 1. Chapitre 2. Cadrage théorique et outils mobilisés Section 1. Le champ de la participation : des apports à mobiliser

65

Sortir de l’habitat participatif pour en analyser le processus

Le dépassement du dispositif dans le cadre d’une analyse des effets nous parait être une recommandation

applicable à l’habitat participatif en tant que dispositif mais aussi plus largement en tant que processus. Le

terme de processus est mobilisé pour signifier le fait que l’habitat participatif s’inscrit dans une

construction progressive, une carrière, sanctionnée par certains moments décisifs dont le principal est son

entrée dans l’action publique. Dès lors, compte tenu du fait que l’habitat participatif n’est pas un dispositif

institutionnalisé dont l’analyse pourrait débuter à sa mise en place, nous avançons qu’il est indispensable

de prêter une attention à l’amont de cette institutionnalisation. L’amont toutefois ne constitue qu’un pan

de ce que Barbier et Larrue (Barbier, Larrue, 2011 : 91 et suiv.) nomment l’« encastrement des protocoles

participatifs ». Une telle notion nous apporte d’utiles éclairages quant au processus de l’habitat

participatif. Les auteurs invitent en effet à « se déprendre de la fascination suscitée par quelques procédures innovantes et à rappeler avec force que ces situations de participation sont encastrées dans un système

d’action qui les contraint en même temps qu’il est susceptible de leur fournir ressources et appuis ».

Cet encastrement, tel que décrit par les auteurs, est pluriel. Il est d’abord temporel. Il y a ainsi un avant et

un après de la procédure participative. Il est ensuite politico-institutionnel et fait intervenir des

différences de postures, une diversité d’arènes. Il est également cognitif, dans la mesure où il met en jeu

différentes visions du monde et des définitions concurrentes. Enfin, il est doté d’une composante socio

-territoriale : « la participation ne se déploie pas dans un vide de pouvoir, mais au contraire dans une

configuration socio-territoriale structurée par des rapports sociaux » (Barbier, Larrue, 2011 : 91 et suiv.)76.

Ces éléments permettent d’affiner notre énoncé du «processus de l’habitat participatif »77.

Ce processus peut être décomposé entre un niveau local et un niveau national. A ces deux niveaux s’opère l’encastrement de l’habitat participatif. Cet encastrement est d’abord temporel, l’habitat participatif est

encastré dans un « avant » et un « après ». Cet encastrement temporel se double d’un encastrement

contextuel, à la fois politico-institutionnel, cognitif et socio-territorial. L’habitat participatif ne peut faire

l’économie de ce contexte avec lequel il est en interaction. De cette interaction résultent des modifications

réciproques, la création de nouvelles configurations. Par exemple, la conduite d’un projet d’habitat participatif peut impulser l’apparition d’acteurs, d’enjeux, d’outils auparavant inexistants ou façonnés

dans de nouvelles configurations. En retour, l’habitat participatif peut être modifié par le contexte. Les frontières entre les différentes échelles et niveaux énoncés sont évidemment poreuses : ces derniers se nourrissent mutuellement. Le schéma présenté page suivante précise ce que recouvre le « processus habitat participatif ». Il est d’abord à concevoir comme l’expression d’un mot d’ordre : pour comprendre

l’entrée de l’habitat participatif dans l’action publique et son évolution, il faut penser son encastrement ;

encastrement qui produit par ailleurs des interactions.

76 Dans le même esprit, Carrel et Talpin (Carrel, Talpin, 2012 : 181) invitent à avoir une « approche plus écologique, attentive aux contraintes liées à l’environnement des dispositifs participatifs, aux interactions qui y prennent place et aux processus de cadrage qui les orientent (Cefaï, 2007) »

77 Nous prenons ainsi les traits de ce que Chateauraynaud (Chateauraynaud, 2007 : 130) nomme la sociologie pragmatique des transformations, laquelle permet « de cerner ce qu’ajoute, retire, modifie ou consolide le recours au débat public dans des processus sociaux appréhendés sur la longue durée. En effet, comme la figure qui prend forme sur un fond, tout débat gagne à être replacé dans des séries d’épreuves ou de confrontations plus larges. Lorsqu’un débat est saisi pour lui-même, on court le risque de produire des catégories de description et d’analyse trop abstraites. En saisissant les formes « débat public », « controverses », ou « forum social » par référence à des séries d’épreuves qui les précèdent, les prolongent, les débordent ou les dépassent, on peut regarder les processus par lesquels un débat ou une controverse est rendu nécessaire, précisément en l’absence de procédure obligatoire; on peut ensuite interroger l’impact ou les conséquences du débat sur des milieux, des dispositifs, des représentations, au-delà des aspects purement formels relatifs à la procédure de délibération elle-même ; dans le même mouvement, on peut regarder ce qui n’entre pas dans le débat et donne lieu à des traitements alternatifs ou parallèles ; enfin, il est possible d’identifier ce qui fait précédent et ce qui continue à peser sur les actions et les jugements dans la longue durée »

66

Partie 1. Chapitre 2. Cadrage théorique et outils mobilisés Section 1. Le champ de la participation : des apports à mobiliser

Schéma 1. Le « processus de l’habitat participatif » : un encastrement temporel et contextuel

Source : élaboration personnelle

Le champ de la participation permet ainsi de nourrir notre objet « habitat participatif » à plusieurs points de

vue. En considérant l’habitat participatif comme un dispositif, nous lui donnons une identité permettant

d’appréhender son entrée dans l’action publique. Toutefois, au regard des questionnements de ce champ,

l’habitat participatif est un objet encore neuf, à l’orée seulement d’analyses qui prendraient directement

appui sur ces derniers. Nombre d’entre eux s’appliquent en effet à l’habitat participatif comme dispositif

institutionnalisé et constituent donc un agenda de recherches à venir. Les limites des travaux sur la

participation et notamment ceux portant sur les effets ont surtout conduit à appréhender l’habitat

participatif et son encastrement dans un système plus global. Ceci étant, si penser l’encastrement est un

impératif, cela ne suffit pas à appréhender l’entrée de l’habitat participatif dans l’action publique. En effet,

comment expliquer cette entrée ? Quels en sont les acteurs et les facteurs ? La convocation d’autres outils est

Partie 1. Chapitre 2. Cadrage théorique et outils mobilisés Section 2. Un cadre d’analyse qui croise sociologie de l’action publique et sociologie de l’innovation

67

Section 2. Un cadre d’analyse qui croise sociologie de l’action publique et sociologie de l’innovation

La construction d’un cadre d’analyse propre à l’entrée de l’habitat participatif dans l’action publique est

issue de nos investigations du champ des études de la participation. Sans juger cet investissement

décevant, il n’a pas permis en tant que tel de formuler des hypothèses permettant de guider notre

réflexion. En revanche, il a ouvert une conception qui n’était pas envisagée initialement : l’habitat

participatif peut être appréhendé comme un dispositif participatif. Dès lors, en étant marqué du sceau du dispositif et donc identifié et circonscrit, sa carrière peut être retracée. En parallèle, les travaux sur la

participation et plus encore certaines des limites énoncées à leur encontre ont confirmé l’une de nos

intuitions : il est nécessaire d’ouvrir l’analyse de ce dispositif au-delà de ce en quoi il consiste. Partant de

ce mot d’ordre, les outils pour répondre à notre questionnement central restent à découvrir.

C’est au cœur d’un croisement des apports de la sociologie de l’action publique d’une part et de la

sociologie de l’innovationd’autre part que ceux-ci se trouvent. Nous présentons tout d’abord la posture

de départ sur laquelle repose un tel croisement (I) avant d’exposer les différentes hypothèses que ce

croisement a permis de formuler (II).

Documents relatifs