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fondements théoriques et méthodes

Section 3. Des écrits contemporains hétérogènes à forte perspective empirique

I. Des publications de revues hétérogènes

Les articles de revues42 sont de bons vecteurs pour appréhender les questionnements fondateurs des recherches en cours ainsi que leurs orientations et perspectives.

« De l’utopie à la réalité: les coopératives d’habitants au service du logement abordable » par Y. Maury :

perspective internationale

L’article de Y. Maury, chercheur à l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat (ENTPE) de

Vaulx-en-Velin, publié dans le numéro de juillet-août 2012 de la revue Etudes Foncières et intitulé : « De l’utopie à la

réalité : les coopératives d’habitants au service du logement abordable », est le plus récent que nous ayons repéré. Au regard des autres, celui-ci a un statut atypique à plusieurs égards. Tout d’abord, il se distingue

par sa perspective internationale. Ensuite, la réflexion est d’emblée inscrite dans la question du « logement

abordable », introduisant une dimension économique le plus souvent anecdotique dans les autres publications. Enfin, en termes sémantiques, seule l’expression de « coopérative d’habitants » est utilisée.

L’auteur en donne d’ailleurs une définition : « Petits outils non spéculatifs, fondés sur des démarches

d’entraide mutuelle entre les coopérateurs, mécaniques sociales de haute précision destinées à produire

prioritairement du logement abordable au profit de populations qui en sont exclues, réactives d’un continent

à l’autre à de multiples situations sociales et urbaines » (Maury, 2012 : 26). La coopérative d’habitants est

donc appréhendée comme un outil mobilisé et mobilisable prioritairement par des populations exclues du logement. Cet aspect ne fait pas partie des éléments de définition retenus dans les autres articles. Le

42 Nous nous intéressons ici aux articles de revues qui font de l’habitat participatif l’objet central de leur propos. Il s’agit de : LABIT A., 2009, « L'habitat solidaire » Expériences de femmes vieillissantes, in Multitudes, Vol. 2, n° 37-38.

LABIT A., CHALAND K., 2010, « L’habitat groupé autogéré en France et en Allemagne: perspectives d’avenir dans le contexte du

vieillissement démographique », in Espace, populations, sociétés, Vol. 1

MAURY Y., 2012, « De l’utopie à la réalité: les coopératives d’habitants ou la réinvention du logement abordable », in Etudes Foncières, n°158, juillet-août

VIRIOT-DURANDAL J.-P., 2009, « Entretien avec Stéphanie Vermeersch, Chargée de recherche CNRS 1re classe (UMR CNRS Lavue) Marie-Hélène Bacqué, Professeure de sociologie (UMR CNRS Lavue) » Habiter autrement pour mieux vieillir : héritages et perspectives », in Retraite et Société, Vol. 3, n° 59 ;

Nous ajoutons à ce corpus deux dossiers :

BACQUE M.-H., CONSTANZO S., CARRIOU C. et al., 2010, « Habitat coopératif : une troisième voie pour l’accès au logement », in Territoires, n° 508 ;

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propos ne traite par ailleurs pas du cas français pour se concentrer sur l’Italie, l’Argentine, la Grande -Bretagne, les Etats-Unis. L’auteur énonce au fil de l’article les cinq principes qui guident selon lui les

coopératives d’habitants : « mobilisation et auto-organisation » – les habitants s’unissent pour initier un

projet de façon autonome –, « de l’immobilier marchand au droit à habiter » – l’approche proposée est

déconnectée de la spéculation – « l’habitant-constructeur » – l’habitant est investi directement dans le

processus de construction –, « finance éthique » – le financement des projets passe par la mobilisation de

fonds issus d’établissements bancaires éthiques –, « régulation publique locale » – les collectivités locales

sont intégrées au processus.

Quelques points de vigilance sont à notre sens nécessaires. Tout d’abord, l’auteur donne sa propre

définition des « coopératives d’habitants » : « les coopératives d’habitants sont des communautés humaines

de petite taille, fondées sur des conventions de justice stables, au sens où la confiance (trust) entre les

habitants considérés comme des semblables, est résolue ; où les conflits d’intérêts ont laissé la place à

l’identité d’intérêt ; où l’entreprise de coopération engagée se fonde sur des règles équitables, c’est-à-dire

acceptables et connues de tous ; et où enfin la coopération débouche sur la production d’un «avantage » ou

d’un « bien rationnel » (Rawls) pour chaque participant ». Une telle définition, essentiellement d’ordre

théorique, est tout sauf canonique et ne recoupe en rien les initiatives françaises de coopératives

d’habitants. Ces dernières, à l’inverse, sont précisément circonscrites par le biais d’une définition élaborée

par la principale association qui promeut cette forme d’habitat participatif. Reprendre l’expression de

coopérative d’habitants et lui accoler une définition créée de toute pièce revient à faire fi des initiatives

qui s’en réclament et à créer entre les initiatives étrangères une unité fictive.

Ensuite, un point de vigilance relatif au « modèle coopératif » présenté par l’auteur est nécessaire. En effet,

ce modèle ne s’applique que très partiellement aux initiatives françaises. Y. Maury le définit ainsi : « dans

le modèle coopératif, le travail effectué directement par les habitants permet de supprimer (en tout ou

partie) trois postes essentiels du modèle marchand : profit du marché, frais d’entreprise, coût technique de la

main d’œuvre. Il en résulte une réduction des coûts de construction qui se situent entre 40% et 50% » (Maury, 2012 : 28). Or, comme nous le verrons plus en détail, l’investissement des groupes d’habitants en France se situe rarement à ce niveau : la part d’autoconstruction est le plus souvent réduite et les économies

engendrées par l’habitat participatif – le cas échéant –n’atteignent en aucun cas de telles proportions.

Par ailleurs, si l’auteur ne s’intéresse pas dans cet article aux initiatives françaises, il mobilise à des fins de

comparaison des données issues du cadre français de production du logement. Il propose ainsi de comparer différentes opérations menées sur Lyon et en Italie, au regard de plusieurs critères et

notamment le prix de revient moyen d’un logement. Or, les données qu’il mobilise ne sont pas

comparables : une « HLM neuve Lyon zone 2 » d’une surface habitable de 70 m² avec une « Coopérative auto-construction » à Ravenne d’une surface habitable de 125 m². Les prix de revient respectifs sont présentés : 180 000 € contre 75000 €. Comment effectuer une telle comparaison si la valeur de référence

diffère ? La mention d’un prix au m² aurait été plus pertinente. De plus, ce prix de revient ne peut être considéré hors du système dans lequel le logement est construit : le logement HLM est propriété d’un

organisme d’HLM qui percevra des loyers. Pour ce qui est de la coopérative en auto-construction, aucune

indication n’est fournie. En tant que tel, le prix de revient n’a pas de sens, d’autant que les économies réalisées sont permises par l’investissement en temps des habitants, investissement à valoriser sur le plan

monétaire.

Aussi, compte tenu de ces différentes limites, les analyses présentées dans cet article sont à manier avec

précaution. Son intérêt reste néanmoins réel du fait de la perspective internationale qu’il adopte.

Le vieillissement : un champ investi par plusieurs articles de revues

Le champ du vieillissement fait l’objet de trois articles de revue : le premier est une interview de M.-H.

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initiée dans les années 1980, le deuxième est un article d’A. Labit portant sur deux études de cas et le troisième est écrit conjointement par A. Labit et K. Chaland43. Nous en proposons une lecture croisée. Les perspectives théoriques des trois articles diffèrent : le premier propose une réflexion autour des baby-boomers, leurs velléités de changement, la classe moyenne et les effets du vieillissement sur cette

dernière. Les deux autres articles s’inscrivent plus particulièrement dans le champ du mal-logement des

femmes, interrogeant ses causes, notamment les discriminations liées au genre. A. Labit et K. Chaland développent une interrogation en trois volets, centrée autour de la notion de capacité, dans le champ du vieillissement : « la capacité des personnes âgées […] à transformer par une action citoyenne les politiques

publiques qui lui sont dédiées », « la capacité de ce type d’habitat à contribuer de façon significative à la

réduction des dépenses de santé liées au vieillissement de la population » et « la capacité de ce type de projet à favoriser un « mieux vieillir » par rapport aux modes traditionnels que sont le maintien à domicile ou

l’hébergement en maison de retraite » (Chaland, Labit, 2010). Le champ des politiques du vieillissement

n’est pas investi par le premier article. En revanche, une réflexion autour de la notion d’empowerment44

est initiée dans l’article consacré à Habitat Différent et celui d’A. Labit.

La définition des termes mobilisés n’est pas un trait commun. Dans l’interview, l’expression d’habitat

autogéré n’est pas définie précisément. A l’inverse, pour A. Labit, l’habitat solidaire appartient à la

catégorie de l’habitat intermédiaire, «entre les deux pôles de l’hébergement collectif et du domicile

individuel ». « La formule la plus radicale, du point de vue de l’innovation sociale qu’elle représente, est celle

de l’« habitat groupé autogéré », où les personnes âgées elles-mêmes conçoivent et organisent leur habitat de façon collective » (Labit, 2009). De plus, les expériences observées sont placées dans le sillage de

l’économie solidaire du fait d’« une solidarité vécue de type réciprocitaire », parti pris que l’on retrouve

dans l’article co-écrit avec K. Chaland : « la multiplicité des questions à traiter nécessite une approche

pluridisciplinaire ». L’économie solidaire permet selon elles de prendre en compte les « trois composantes

essentielles de ce type d’habitat » que sont « la pluralité du modèle économique en jeu […] ; « la démarche

citoyenne au fondement des projets […] ; le type de solidarité mise en œuvre ». Ce « nouveau champ de

recherche pour les spécialistes du vieillissement » (Chaland, Labit, 2010) témoigne de la volonté des personnes âgées de continuer à maîtriser leur lieu de vie.

Chacun des articles se consacre à des projets différents. Tandis que le premier porte sur une opération des années 1980, Habitat Différent à Angers, les deux autres reposent sur des opérations contemporaines : les Babayagas à Montreuil – en projet lors de la rédaction de l’article – et les Olgas, en Allemagne, groupe installé depuis 2003. L’article consacré à Habitat Différent évoque néanmoins l’existence d’opérations contemporaines, posant la question d’une continuité entre les démarches, toujours sous l’angle du

vieillissement. Les autres articles interrogent également l’éventualité d’un renouveau des expériences

d’habitat communautaire, sans trancher. Ensuite, les articles consacrés aux Babayagas et aux Olgas

investissent exclusivement les expériences menées par des femmes. L’opération Habitat Différent, elle, est mixte. Le processus de projet y est décrit de façon assez détaillé : sont retracés le parcours de vie des habitants, leurs caractéristiques, leur militantisme, leur « socle commun » – « se soutenir, s’entraider,

43 A. Labit a également publié un article « L’habitat solidaire intergénérationnel : mythe et réalité en France et en Allemagne », in MEMBRADO M., ROUYER A. (dir.), 2013, Habiter et vieillir – Vers de nouvelles demeures », Ed. Erès, 278 p.

44 La notion d’empowerment est d’origine anglo-saxonne et est difficilement traduisible en français. « Elle indique le processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper. Elle articule ainsi deux dimensions, celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder. En ce sens, elle va plus loin que les approches hexagonales de participation ou d’autonomisation voire de capacitation qui passent souvent sous silence la question du pouvoir ou des conflits sociaux. Elle conjugue également une approche individuelle et/ou collective. Dans les faits, elle donne cependant lieu à des interprétations fort diverses et ouvre sur des pratiques plurielles. Elle peut privilégier les dimensions individuelle et économique ou bien les dimensions collective et politique, s’inscrire dans une perspective de partage du pouvoir et de construction de contre-pouvoirs ou indiquer un processus individuel de construction d’estime et de confiance en soi » (Bacqué, 2006b : 108). Compte tenu de la focale que nous adoptons, centrée sur les acteurs institutionnels, nous ne mobiliserons pas cette notion dans la thèse. Pour un éclairage récent, nous invitons le lecteur à se reporter à BACQUE M.-H., BIEWENER C., 2013, L’empowerment, une pratique émancipatrice, Ed. La Découverte, 175 p.

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s’accompagner dans le processus de vieillissement » – le statut juridique et le montage partenarial des projets avec les pouvoirs publics. Peu d’éléments de contextualisation en termes quantitatif, historique ou

géographique sont fournis. Le dernier article avance que l’habitat solidaire est « quantitativement

marginal », en dépit de l’existence de projets. Ce faible développement est expliqué par une diversité

d’obstacles, peu explicités. L’un des éléments principaux a trait au fait qu’il est difficile de mener à bien un

projet qui ne « rentre pas dans les cases », les acteurs mobilisés étant ceux de l’habitat et non de la

gérontologie alors que le champ investi est celui du vieillissement. A. Labit et K. Chaland rappellent

l’existence d’expériences similaires à l’étranger (Suisse, Allemagne, Belgique). Aucun élément propre à

l’organisation générale des acteurs de l’habitat participatif à l’échelle nationale n’est avancé. Les facteurs

de l’émergence de tels projets sont brièvement questionnés par A. Labit : peut-on l’expliquer par l’arrivée

à la retraite de la génération Mai 68 ou par l’avènement du « pouvoir gris » ? Les perspectives de

développement des projets enfin, ne sont pas abordées par le premier article. Elles sont interrogées dans les deux autres, sans conclusion définitive. Deux lectures viennent clore l’article d’A. Labit : une lecture pessimiste qui annonce un risque d’instrumentalisation parl’Etat et une lecture plus optimiste, qui se plait à imaginer la transformation des représentations courantes du vieillissement et de la prise en main par les personnes concernées de leur destin. A. Labit et K. Chaland annoncent explicitement qu’il leur est

impossible au stade de leur recherche d’affirmer que ces projets conduiront à une révision des politiques

publiques de la vieillesse. Elles mettent toutefois en avant leur bienveillance vis-à-vis de ces derniers : « la

généralisation de ce type d’habitat nous paraît pertinente : elle permet d’affirmer la dimension citoyenne du

vieillissement, en contrecarrant les tendances actuelles à le considérer comme une « maladie » (ce qui reste le

propre de la puissance publique) ou une « marchandise » (ce qui est l’apanage des entreprises privées) » (Chaland, Labit, 2010 : 10).

Ces trois articles partagent ainsi le même intérêt pour les expériences d’habitat autogéré dans le champ du vieillissement, lequel ne constitue qu’un pan des expériences d’habitat participatif, comme le rappellent deux dossiers parus respectivement dans les revues Territoires et Métropolitiques.

Deux dossiers de revue pour un aperçu exhaustif

Ce sont les dossiers qui présentent à notre sens le plus d’intérêt pour approcher l’habitat participatif,

même s’ils ne prennent pas place dans des revues scientifiques au sens strict. Les deux revues en question

– Territoires et Métropolitiques – sont en effet à destination des scientifiques comme des praticiens et du grand public. Toutefois, les dossiers, intitulés respectivement « Habitat coopératif : une troisième voie

pour l’accès au logement » et « Effervescences de l’habitat alternatif », ont été réalisés par les principaux

chercheurs ayant investi la question et constituent à ce titre des sources importantes. L’émergence

récente de l’habitat participatif comme objet de recherche appelle la constitution de dossiers, seuls à

même d’offrir des études de cas en parallèle d’articles de contextualisation générale.

Leurs modalités de construction sont assez semblables : ils se partagent en effet entre articles introductifs ayant vocation à contextualiser les démarches, articles consacrés à des études de cas, et articles initiant des réflexions autour des recompositions du métier d’architecte. La mobilisation de différents termes dans les titres des dossiers comme des articles vient confirmer leur absence de stabilité. Les articles de fond s’attachent tout d’abord à replacer dans une certaine historicité les projets et à en présenter les fondements idéologiques, notamment sur le plan de la participation dans le champ du logement. Puis, les

projets et leurs initiateurs sont décrits, sous l’angle de leurs caractéristiques sociologiques, de leurs

volontés et de la mise en œuvre des projets. Le dossier de Territoires distingue deux types d’initiatives et

trois types de dynamiques participatives, mettant alors en avant la diversité des projets45. Cette diversité

45Une distinction est en effet opérée entre les initiatives d’autopromotion et les coopératives d’habitants mais aussi entre trois types de dynamiques participatives : une première portée directement par les habitants, une « dynamique intermédiaire », portée par des associations et une « dynamique du haut », engagée par les collectivités locales

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se retrouve ainsi dans les études de cas menées en termes d’initiative (puissance publique, habitants),

forme et statut juridique (coopérative d’habitants, opérations sans promoteur), de localisation (France,

étranger). Pour chacun de ces projets, des éléments propres au montage et aux groupes sont présentés.

Des mises en parallèle sont réalisées avec d’autres opérations, dans le temps ou dans l’espace. La question

de la reproductibilité est clairement posée pour l’opération initiée par la puissance publique dans le dossier de Territoires et plus largement sous l’angle de l’institutionnalisation dans le dossier de

Métropolitiques. Dans les deux cas, conclure de façon affirmative relève d’une entreprise de prospective

avant tout. Ces deux dossiers constituent les deux premières sources vraiment représentatives du

mouvement de l’habitat participatif, dont les acteurs qu’ils soient habitants ou institutionnels ont

largement pris connaissance. Toutefois, ils restent à un niveau de théorisation encore assez limité. Cela

pourrait s’expliquer par leur parti pris de vulgarisation, mais cela n’est que la résultante semble-t-il de

l’émergence récente de l’habitat participatif au sein du milieu scientifique. Plus encore que les revues, les

rapports de recherche s’emploient à le décrire.

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