197 Unarc, Les premiers pas du syndic bénévole , 35 p
III. Au-delà des termes, des projets uniques ?
Si les initiatives ne sont pas à lisser sous la coupe d’un terme fédérateur, les termes employés par les uns
et les autres ne rendent eux-mêmes pas nécessairement compte de la diversité des projets, tous uniques.
L’influence des références et des contextes locaux
Les références mobilisées par les différentes associations et structures sont également des marqueurs de leur spécificité. Ainsi, l’association Eco Quartier Strasbourg « s’est inspirée depuis sa création en 2001 de la
démarche mise en place dans le quartier Vauban à Fribourg en Allemagne, exemplaire du point de vue environnemental et de la participation citoyenne (baugruppen) » (Eco Quartier Strasbourg, Site Internet).
L’association Habicoop quant à elle fait reposer son action sur les réalisations de coopératives d’habitation
en Suisse et au Québec et dans une moindre mesure sur l’Allemagne. Elle a d’ailleurs été créée à l’issue de plusieurs voyages réalisés par les membres fondateurs dans ces différents pays. L’association Parasol
(PARticiper pour un hAbitat SOLidaire) mettra elle l’accent sur la démarche de l’économie solidaire dans
sa définition de l’habitat solidaire : « l'habitat solidaire, par analogie avec l'économie solidaire, désigne ainsi
l'ensemble des aménagements conçus et gérés par les usagers... c'est-à-dire les habitants » (Parasol, Site Internet). L’un des fondateurs de l’association a par ailleurs une formation en Economie Sociale et
Solidaire (ESS) et a réalisé un travail de Master sur le développement de tels projets sur le pays de Rennes intitulé : Les réponses de l’économie sociale et solidaire liées à l’habitat sur le pays de Rennes. Cette étude,
financée par 8 organisations de l’ESS et le Conseil de Développement du Pays de Rennes, marque la
filiation entre l’association et l’ESS. La mobilisation de ces différentes références constitue donc autant de
sources de différenciation entre les projets.
Les contextes dans lesquels agissent les différents acteurs du territoire influencent également la rhétorique mobilisée et les montages. Plus encore, un lien entre les termes employés et le territoire peut être dégagé. Les investigations menées à l’échelle nationale et ce tant auprès des associations, des groupes
d’habitants que des acteurs institutionnels nous montrent en effet une certaine répartition par région.
Ainsi, c’est dans l’Ouest de la France et plus spécifiquement en Bretagne, que le terme d’habitat solidaire est utilisé, notamment au travers de l’association Parasol. Dans le Nord, celui d’habitat participatif sera
plutôt mobilisé, du fait du caractère récent de ce territoire qui a alors repris le terme courant au moment
de son engagement. L’Est et tout particulièrement l’Alsace emploieront plus volontiers le terme
d’autopromotion, tandis que la région Rhône-Alpes et surtout la région lyonnaise préféreront l’expression
coopératives d’habitants. L’utilisation de ces expressions est guidée par la présence d’acteurs associatifs
Partie 2. Chapitre 4. L’habitat participatif, un dispositif novateur ? Section 3. Une diversité d’initiatives pour autant de remises en question
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La diversité des groupes, des valeurs individuelles et des motivations· Des motivations individuelles et collectives invariantes
S’il n’est pas de notre objet d’entrer dans le détail des motivations des habitants, quelques éléments de
synthèse peuvent être avancés. L’undes premiers éléments que l’on retrouve a trait à la question du lien
social. Par exemple, les personnes retraitées qui appartiennent à un groupe ou une association
reconnaissent que la perspective d’être entourées constitue une motivation. Si toutes rappellent qu’il ne
s’agit pas de vivre chez ses voisins, le sentiment de pouvoir échapper à la solitude et créer du « lien
social » parait fort. Il est vrai que l’on peut supposer que l’isolement sera rompu : « les bébés vont avoir six
grands-mères, l’habitat groupé c’est aussi ça. Nous les vieux on n’a pas envie d’aller en maison de retraite, on
n’a pas envie de vieillir seuls, de se sentir isolés » (Habitante, Paris, réunion publique n°4, 14/03/10). Une
autre motivation commune à tous les groupes est celle qui a trait à l’écologie. La nécessité de réfléchir à un autre type d’habitat qui soit moins gourmand en énergie semble faire consensus. Pour le Village Vertical, « l’écologie tient une place importante, c’est un concept que nous avons tous en commun, on a envie d’investir
dans des matériaux de qualité » (Habitant, Villeurbanne, Entretien n°1, 5/02/09) ; « je rêvais d’un habitat
sain et à énergie nulle mais en ville et en commun afin de partager l’énergie dans un même bâti et de réduire
considérablement l’usage de l’automobile » (Habitante, Rennes, Echange de mails, 15/03/09). Les
possibilités d’articulation entre espaces individuels et espaces collectifs constituent également une
motivation : « moi je suis vraiment intéressé par le côté évolutif, imaginer comment une famille pourrait
récupérer de la surface de l’appartement d’à côté et que tout s’organise en fonction des besoins des gens, ponctuels ou sur le plus long terme, c’est vraiment ça qui est intéressant aussi » (Habitant, Réseau Habitat Groupé, Lyon, Entretien n°2, 19/02/09) ; « l’intérêt pour moi c’est d’abord le mélange entre des espaces privés et des espaces collectifs, c’est vraiment avant tout cette articulation que je trouve bien, avoir à la fois de vrais espaces de rencontres avec les autres mais aussi son chez-soi » (Habitante, Réseau Habitat Groupé, Lyon, Entretien n°3, 20/02/09). Cette question rejoint en partie celle de la diminution des coûts du
logement. Si cette motivation n’est pas toujours explicitement exprimée comme telle, elle est néanmoins
assez forte. Le groupe strasbourgeois Le Making Hof avance ainsi : « Alors nos objectifs, on a constitué un groupe et on s'est fixé des objectifs au regard de notre groupe qui était somme toute relativement homogène, en tous les cas culturellement, et même au niveau des revenus relativement bas ou moyennement donc on s'était fixé d'abord un objectif économique, donc comment on arrive à construire un type d'opération à un coût pas trop important » (Habitant, Strasbourg, réunion publique n°6, 19-21/11/10). Le partage
d’espaces et de services est souvent vu – et présenté – comme un moyen de réduire les coûts. Il faut
souligner également le sentiment d’insatisfaction que certains éprouvent par rapport à leur logement
actuel ou les difficultés qu’ils ont pu rencontrer par le passé. Ainsi, certains diront en avoir assez de se «
faire virer de chez eux », d’autres se plaindront du bruit, dans le parc social notamment ou voudront
quitter un quartier déplaisant. Mais finalement, pour les groupes eux-mêmes, « il n’y a rien de très arrêté, c’est finalement un ensemble de choses, c’est pas évident de les formaliser [les motivations]», c’est en fait « un gros mélange, un besoin d’être en accord avec ses valeurs, de maîtriser son quotidien, c’est une sorte de
militantisme au quotidien, mais ce n’est pas du pur altruisme, il y a aussi un certain idéalisme » (Habitant, Villeurbanne, Entretien n°1, 5/02/09). L’énoncé de ces différentes motivations ne doit cependant pas
masquer l’importance des différences existant à la fois au sein des groupes mais aussi entre les groupes.
· Une diversité de valeurs au sein des groupes
Au sein des groupes tout d’abord, l’homogénéité de valeurs et d’objectifs est loin d’être la règle :
« Après il est certain qu’il y a des différences importantes entre nous que ce soit dans le degré
d’implication, dans la philosophie, on n’est pas tous sur le même terrain d’entente […] Même
idéologiquement, il y a des différences très importantes. On peut le voir dans la manière d’élever nos enfants, on n’a pas tous forcément les mêmes valeurs éducatives »
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Partie 2. Chapitre 4. L’habitat participatif, un dispositif novateur ?Section 3. Une diversité d’initiatives pour autant de remises en question
« Certains d’entre nous sont très motivés par l’auto construction et y verraient un bon moyen de
réduire nos coûts. D’autres sont très réticents. Certains, enfin, se contenteraient volontiers d’auto
finition »
Groupe d’habitants, « Petite(s) Histoire(s) de la Jeune Pousse », février 2009 « [au sein du groupe] Il y a débat entre les gens, il y en a pour qui l’anti-spéculation ça veut dire
restriction de la liberté, du droit à la propriété individuelle et donc non au nom de quoi… d’autres qui
disent c’est comme ça, c’est faire différemment »
Accompagnateur, Paris, Entretien n°22, 27/10/10 Les différentes valeurs individuelles mettent en débat la construction du projet collectif. En effet, comment parvenir à une « synthèse » ? Comment s’assurer que celle-ci n’empiète pas sur la sphère
individuelle et la liberté de chacun ?
« Combien de places de stationnement devrons-nous prévoir (non seulement parce que les règles
d’urbanisme nous l’imposent, mais aussi parce que certains ont bel et bien une voiture, voire un
fourgon) et qui paiera pour ces places ? Comment réagir si un nouvel adhérent nous semble très intéressant bien que viscéralement attaché à sa voiture, vécue comme un acquis social pour sa catégorie socioprofessionnelle ? Comment éviter que le stationnement consomme tous nos espaces
extérieurs : s’il faut le faire ailleurs (souterrain, silo…), cela coûtera plus cher… alors même que les
automobilistes ne sont pas forcément les plus riches d’entre nous ? L’écologie invite à la densité, à ne
pas occuper des logements démesurés. Mais quelle réponse faire à un ménage qui demanderait un
grand logement en ayant les moyens de se l’offrir ? Que ce n’est pas écologique et que nous refusons ? Essayer de convaincre, de dissuader financièrement ? Laisser faire au nom de la liberté individuelle ? Les exemples de ce type sont nombreux : pouvons-nous imposer à tous de recourir exclusivement à des
technologies filaires pour ne pas avoir à subir les ondes wifi de nos voisins ? Jusqu’où va le droit de
chaque ménage à opter ou non pour la simplicité volontaire, et faut-il le garantir en imposant des règles communes ? »
Groupe d’habitants, « Petite(s) Histoire(s) de la Jeune Pousse », février 2009
Les difficultés d’élaboration d’un projet collectif qui touche directement au milieu de vie trouvent dans cet
extrait une illustration parfaite.
· Des différences de valeurs entre les groupes
Entre les groupes dont les valeurs collectives ont été définies – au prix parfois du départ de certains membres – un ensemble de différences est également perceptible. L’un des premiers points est lié à la
composition du groupe et plus précisément au souhait de garantir une certaine mixité sociale. Alors que
pour certains elle est essentielle, pour d’autres elle est loin de faire consensus :
« L’orientation du groupe de futurs habitants réunis pour le programme participatif […] est de demeurer hétérogène, avec une diversité de situations sociales et familiales et avec chaque génération.
C’est pourquoi, à la différence d’autres projets réalisés ou en cours à travers la France, certes précurseurs sur des volets écologiques (écoconstruction, densité, …) et pratiques […] le groupe-projet
candidat pour [ce site] a retenu deux principes pour rester ouvert à la diversité : 1. Le partenariat avec
des professionnels de la filière de l’habitat […] 2. Mettre en œuvre les différents statuts d’occupation » Groupe d’habitants, « Orientations du groupe d’habitants », 1/06/11
« C’est très judéo chrétien que de vouloir mélanger tout le monde, mais est-ce que tout le monde en a
vraiment envie ? »
Habitante, Montreuil, réunion « Habitants » n°8, 27/10/09
« La mixité sociale, de toutes façons, ça marche pas ! […]Les gens qui n’ont pas les mêmes modes de
vie ne peuvent pas vivre ensemble […]. On ne peut pas être trop différents les uns des autres… »
Habitante, Paris, réunion publique n°4, 14/03/10 Les volontés de partage au sein du groupe diffèrent également selon les projets.
« Il faut faire attention parce que si je prends l’exemple d’une expérience à Strasbourg, ils font quelque
chose de vraiment communautaire. Ils font des week-end ensemble, ils partent camper je ne sais où. Il
y a un curseur qu’il ne faut pas pousser trop loin, qu’il faut moduler, eux ils sont clairement dans l’extrême»
Partie 2. Chapitre 4. L’habitat participatif, un dispositif novateur ? Section 3. Une diversité d’initiatives pour autant de remises en question
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«L’habitat groupé c’est quelque chose qui peut te bouffer la vie, un coup c’est le mariage d’un voisin, puis le baptême du gamin d’un autre voisin… […] Moi j’ai pas envie que quelqu’un vienne frapper à ma
porte toutes les dix minutes ! »
Habitante, Réseau Habitat Groupé, Lyon, Entretien n°8, 27/10/09
Bien d’autres thématiques encore différencient les groupes : le niveau de participation des habitants –
d’une feuille blanche à une participation limitée aux finitions – le rapport à la propriété – de la propriété
collective à la propriété classique –, la gouvernance – d’une prise de décision démocratique à un système
fondé sur les tantièmes –, les modalités de prises de décision – du consensus au vote –, la performance énergétique – du niveau de performances réglementaires à des bâtiments passifs –, les services partagés.
« il y a des valeurs qui sont partagées par tous les projets, grands axes de valeurs, solidarité, de lien
social, avec des espaces collectifs […] et puis des valeurs d'écologie, et des valeurs de participation, on
veut devenir acteur de son mode d'habiter ; avec ces valeurs constantes, par contre, il y a énormément de facteurs qui entrainent une grande diversité dans les projets, donc on a parlé des facteurs au niveau du lieu d'implantation qui font que le projet entre rural et urbain, il y aura des formes différentes, la
taille du groupe, peut-être de quelques foyers jusqu'à un immeuble entier, […] l'approche sociale est
très variable selon les groupes, en termes de mixité sociale, alors le degré d'implication des habitants, on trouve aussi de la diversité, il y aura des projets militants avec des valeurs fortes qui sont portées par les futurs habitants et puis des projets qui correspondent plutôt à un montage collectif de promotion immobilière, donc en fait une diversité dans l'approche idéologique des futurs habitants et
puis des variations aussi au niveau des choix environnementaux et de la taille des espaces partagés »
Association, Toulouse, réunion publique n°17, 24/10/11 La traduction concrète de ces différentes motivations et valeurs a pour corollaire une diversité de
montages et donc de projets, qu’il devient difficile de nommer. Par exemple, si le terme d’autopromotion
s’applique aux opérations où le groupe d’habitants est son propre maître d’ouvrage, comment désigner un
projet en autopromotion qui reprendrait les valeurs de la coopérative d’habitants ? Une approche par
critère, si elle parait pertinente, reste encore à construire. Sur quoi la faire reposer ? Les valeurs du groupe, son montage, le projet ? La FNSCHLM propose de son côté une grille d’analyse qui repose sur une
entrée par le groupe et ses souhaits sur le plan de l’écologie, de la participation, de la gestion, du partage
et de la mutualisation, et de la mixité sociale.
Schéma 5. Les types de projet d'habitat participatif
Source : FNSCHLM, USH, février 2011, p. 43, élaboration personnelle
Le degré d’expérimentation proposé pour chacune de ces valeurs conduit à dégager trois grands types de projets. Ils constituent néanmoins d’abord des catégories d’analyse qui doivent ouvrir à une lecture
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Partie 2. Chapitre 4. L’habitat participatif, un dispositif novateur ?Section 3. Une diversité d’initiatives pour autant de remises en question
croisée de ce schéma. En effet, un projet peut tout à fait être très expérimental sur le plan écologique et très « classique » sur le plan de la gestion par exemple. Il nous faut relever toutefois dans cette
classification l’absence d’éléments concrets propres au groupe, pour partie déterminés par les valeurs de
ce dernier mais pas seulement. Dans son ouvrage, B. Parasote propose un ensemble de critères, qui relève
à la fois des valeurs et de l’idéologie des groupes indépendamment du montage final et d’éléments propres
au projet lui-même sur le plan de sa mise en œuvre concrète. Ces critères sont : la localisation de l’habitat, la taille du groupe, l’approche sociale/mixité, le contenu idéologique, le statut juridique, les équipements communs, la nature de la participation. Une telle classification ne nous parait également pas entièrement satisfaisante. Nous proposons ci-après de lister les critères qui sont à prendre en compte lorsque l’on
cherche à opérer une comparaison entre les projets. La mention du caractère « (+/-) » signifie que pour le critère concerné, il est possible de raisonner par degré205.
Tableau 13. Les critères à mobiliser pour caractériser les projets d'habitat participatif et les différencier
Les caractéristiques des ménages et habitants Nombre de ménages et habitants (+/-)
Age des ménages et habitants (+/-) Niveau de revenus des ménages et habitants (+/-)
Les caractéristiques du projet
Initiative du projet (groupe d’habitants, autre acteur) Localisation (urbaine, rurale… ; diffus, projet d’aménagement) Structure porteuse du projet (groupe d’habitants, autre acteur)
Statut juridique pour le montage et pour la gestion Statuts d’occupation des ménages
Nombre de logements (et couplage le cas échéant avec un autre programme) Niveau de performances environnementales et énergétiques (+/-) Espaces et services partagés au niveau du groupe et avec le quartier (+/-)
Part d’activité professionnelle intégrée au projet le cas échéant (+/-) Participation des habitants (à la conception, à la construction, à la gestion) (+/-) Acteurs engagés en sus du groupe (collectivités, organismes d’HLM, accompagnateurs) le cas
échéant
Rôle des acteurs engagés en sus du groupe le cas échéant (appui au montage, financement…) Coûts de sortie du projet (+/-)
Source : élaboration personnelle
Le nombre de critères retenus indique combien l’élaboration d’une typologie des différents projets d’habitat participatif constitue non seulement un défi mais plus encore une gabegie.
L’habitat participatif apparait comme un dispositif porteur de remises en question du système de production
de l’habitat du fait de la prégnance du collectif, tout au long du projet. Sur le plan du montage, l’irruption d’un collectif d’habitants n’est pas sans incidence. Toutefois, l’expression « habitat participatif » masque
l’existence d’une diversité d’autres terminologies mais aussi de projets et de montage. Aussi, seule une analyse par critères et par projet permet de prendre la mesure de cette diversité sans tomber dans la caricature.