• Aucun résultat trouvé

Les questionnements des études sur la participation du public : mise en débat d’une transposition à l’habitat participatif

Conclusion du chapitre 1

Chapitre 2. Cadrage théorique et outils mobilisés

II. Les questionnements des études sur la participation du public : mise en débat d’une transposition à l’habitat participatif

Les questionnements des études sur la participation permettent de dégager des éléments pouvant être

transposés à l’habitat participatif.

Les travaux sur la participation des habitants et l’habitat participatif : un même mouvement ?

Les apports du champ de recherche des études sur la participation semblent délaissés par les chercheurs

travaillant sur l’habitat participatif, alors qu’une inscription dans ce champ passe pour naturelle. Alors

qu’ils semblent les ignorer, les travaux sur l’habitat participatif s’engagent pourtant dans la même voie. En

effet, les travaux sur la participation du public sont marqués par deux phases : l’une normative, l’autre

descriptive (Blondiaux, Fourniau, 2011 : 15). Au cœur de la première, deux discours antagonistes

s’affrontent au sujet des phénomènes participatifs: d’un côté, sont mis en avant les effets positifs de la

participation sur la démocratie et, de l’autre, l’insistance sur ses effets pervers guide les analyses66. Il

65Nous pourrons tout d’abord ainsi questionner la nature des publics mobilisés. Le fait que le champ investi soit l’habitat conduit-il à

la mobilisation d’autres publics que ceux engagés dans les dispositifs participatifs traditionnels ? Ensuite, la conduite du processus pourra également être interrogée : les contextes de la production de l’habitat influencent-ils le processus engagé ? Enfin, un volet de

questionnements recoupera plus particulièrement l’engagement des acteurs de la production de l’habitat que sont les collectivités et

les organismes d’HLM. Comment ces derniers appréhendent-ils la participation dans ce champ caractérisé par l’importance de ses

contraintes et de sa technicité ?

66 Bacqué (Bacqué et al., 2006 : 16) indique que trois thèses s’affrontent dans le monde scientifique quant à l’interprétation de la

Partie 1. Chapitre 2. Cadrage théorique et outils mobilisés Section 1. Le champ de la participation : des apports à mobiliser

61

importe moins d’explorer l’objet participatif que de le caractériser en bien ou en mal. La deuxième phase

a quant à elle tout d’un moment descriptif : les études de cas et les comparaisons fines se multiplient. Les

connaissances s’accumulent alors, dont la richesse est indéniable, mais qui sont aussi à assimiler et

comprendre. Pour Blondiaux et Fourniau, « nous sommes sans doute parvenus à un tournant, à l’oréed’une autre période dans laquelle un retour à la théorie s’impose sans doute, où un travail de conceptualisation de moyenne portée devient plus que jamais nécessaire, sans revenir aux errements des généralisations initiales » (2011 : 15). Ils évoquent ainsi un « refroidissement de l’objet » et une « désinflation du discours [qui]

s’observent partout quel que soit le champ considéré. La focale est mise sur l’analyse des processus et sur l’observation concrète plutôt que sur les affirmations générales et les déclinaisons à l’infini de l’idéal

démocratique ».

Le champ de recherche sur l’habitat participatif nous semble suivre en partie cette évolution. En effet, à

leurs débuts, une certaine bienveillance caractérise une partie des recherches. L’entrée dans l’habitat participatif telle qu’elle est opérée par les chercheurs relève souvent à la fois d’un intérêt pour un objet

« nouveau » et d’un intérêt pour l’objet lui-même et les transformations qu’il est susceptible d’induire. Cet

effet est souvent renforcé par une certaine proximité sociale et culturelle entre enquêtés et chercheurs

facilitant l’empathie67. Affirmer néanmoins que les travaux s’inscrivent dans une perspective normative

relèverait d’un procès qu’ils ne méritent pas. Par ailleurs, sans que l’on puisse véritablement marquer

l’existence de deux phases distinctes, les travaux actuels du champ multiplient les études de cas dont la

vocation est avant tout de décrire de façon précise les projets. Le stade de l’accumulation des résultats

n’est pas encore dépassé. Aussi, cette proximité entre études sur la participation et habitat participatif

invite à renforcer un lien encore ténu et à franchir le pas de tentatives plus téméraires de transversalité. Une telle perspective implique dès lors de préciser les questionnements du champ des études sur la participation.

Les questionnements du champ des études sur la participation

En sus de l’adoption du terme de « dispositif », nous avons cherché à identifier les différents

questionnements traversant le champ des études sur la participation du public et à s’inspirer de certains

d’entre eux pour l’analyse de l’habitat participatif.

Huit questions principales traversent les études sur la participation (Fourniau, 2013 ; Blondiaux, Fourniau, 2011 : 24). Le premier groupe de questions recoupe l’analyse des effets de la participation du public : il s’agit d’appréhender à partir du déroulement des dispositifs participatifs « leurs incidences sur les acteurs et les problèmes soumis à la délibération » (Fourniau, 2013 : 3). Sont ainsi mis en débat les impacts sur la décision, la transformation des individus et enfin les effets structuraux et substantiels de la participation. La question de l’impact sur la décision revient à mesurer si et comment les processus participatifs affectent la décision en démocratie (Blondiaux, Fourniau, 2011 : 24). La deuxième question,

celle de la transformation des individus, recoupe des travaux qui s’intéressent à la façon dont les acteurs

engagés s’approprient les dispositifs et le cas échéant en réinvestissent les enseignements68. Plus

récemment, elle interroge le sens que les individus engagés donnent à l’activité participative, prenant ainsi

dynamique positive de la participation. Celle-ci ferait émerger de nouveaux besoins, permettrait des transformations sociales positives et favoriserait au bout du compte un meilleur équilibre entre action publique étatique et action « citoyenne ». La troisième thèse se situe dans un entre-deux et met l’accent sur les ambivalences des processus. Par ailleurs, Blondiaux et Fourniau (Blondiaux, Fourniau, 2011 : 16) évoquent l’existence d’un clivage entre un courant qui refuserait tout rapport au politique et un autre qui, à l’inverse, se placerait du côté de la critique sociale

67 Bacqué et Vermeersch indiquent à ce titre à propos de leur enquête auprès du groupe Habitat Différent « la première difficulté a sans doute reposé sur la proximité sociale et culturelle des sociologues avec les individus enquêtés, impliquant une certaine connivence sociale marquée dès le début par la bise et le tutoiement. D’où la facilité à se mettre en situation d’empathie mais aussi un risque d’effet miroir dans le regard des sociologues qui pouvaient fort bien s’imaginer à la place de leurs interviewés, et projeter sur eux leurs propres représentations » (Bacqué, Vermeersch, 2006 : 9-10)

68 Pour une approche récente des effets sur les individus, se référer à la thèse de C. Gardesse, La "concertation" citoyenne dans le projet de réaménagement du quartier des Halles de Paris (2002-2010) : les formes de la démocratisation de l'action publique en urbanisme et ses obstacles, thèse de doctorat en Urbanisme et Aménagement, Université Paris Est, décembre 2011

62

Partie 1. Chapitre 2. Cadrage théorique et outils mobilisés Section 1. Le champ de la participation : des apports à mobiliser

en compte les différences d’investissement (Fourniau, 2013 : 5). Les derniers effets identifiés, les effets structuraux et substantiels de la participation, s’intéressent respectivement aux changements qui

affectent les rapports de force entre groupes et représentations sociales d’un problème et aux

modifications ou plus-values apportées par la participation.

Par-delà ces questions sur les effets, d’autres questions transversales peuvent être relevées. L’une d’entre

elles s’intéresse au rôle du dispositif participatif dans la fabrication des publics, le cadrage opéré sur les problèmes, et les conséquences des choix réalisés pour leur agencement. L’enjeu de ces travaux consiste à

mesurer si les différences relevées sont à imputer au dispositif lui-même ou à d’autres facteurs.

Une autre question porte sur la mise en institution de la participation ainsi que sa codification juridique. Il

s’agit d’interroger les modalités de développement de ces processus – quels en sont les acteurs ? Y’a-t-il

des différences selon les domaines d’action publique ? – et leurs conséquences. L’institutionnalisation est

ainsi abordée sous l’angle de ses effets mais aussi des risques qu’elle est susceptible de faire encourir.

Emergeant de façon plus récente, et en lien assez étroit avec l’institutionnalisation, une interrogation touche à la place du conflit : la participation permet-elle de prolonger les revendications ou les canalise-t-elle ? (Blondiaux, Fourniau, 2011).

Les deux dernières questions s’intéressent quant à elles aux « conséquences de l’extension du mouvement

participatif. L’une porte sur la redéfinition de l’expertise [...]. L’autre porte sur la professionnalisation de la

participation » (Fourniau, 2013 : 4). L’introduction du « public » dans la fabrication de l’action publique

conduit en effet à interroger un renouvellement du terme d’expertise. Celle-ci ne serait pas le seul fait des

experts scientifiques, mais pourrait également concerner le public, les habitants, qualifiés d’experts

profanes, en opposition à l’expertise savante prenant la forme d’un discours d’autorité (Barthe, Callon, Lascoumes, 2001). Une telle orientation dépasse la question de l’expertise pour atteindre celle des

savoirs69. Les travaux sur la professionnalisation de la participation, de leur côté, interrogent l’émergence

d’une catégorie de « professionnels de la participation » qui constitueraient un nouveau marché70.

Ce panorama qui n’est, comme l’indiquent les auteurs eux-mêmes, pas exhaustif, donne un premier aperçu

de la diversité des questionnements qui traversent les études sur la participation, questionnements à

mettre en regard avec l’habitat participatif.

Quelle transposition à l’habitat participatif ?

Cette mise en regard doit être opérée avec prudence car il ne s’agit pas d’en reconstituer a posteriori les

résultats. En effet, tel qu’il se donne à voir aujourd’hui et tel que nous l’aurons décrit au fil des pages,

l’habitat participatif est à observer et analyser à l’aune de ces différents questionnements et ce afin de

renouveler les approches. Néanmoins, l’objet de ce chapitre est bien de reconstituer notre cheminement dans la construction de la recherche. Aussi, si nous confrontons l’habitat participatif tel qu’il se donnait à voir aux prémices de celle-ci aux questionnements des études sur la participation, plusieurs constats

s’imposent.

Concernant tout d’abord la question des effets, ceux portant sur la décision ne peuvent être abordés que

dès lors que l’habitat participatif a atteint le champ de l’action publique et que ses acteurs s’y confrontent.

Les apports de ces travaux ne peuvent donc être mobilisés que dans un second temps. Il en est de même des effets structuraux et substantiels. Ceux portant sur les individus sont quant à eux appréhendables

avant cette entrée dans l’action publique, dans la mesure où les acteurs sont engagés et mobilisés sur

69 Les travaux sur les savoirs citoyens ont été initiés par Sintomer (Sintomer, 2008). Dans leur continuité, H. Nez (Nez, 2010) leur a consacré sa thèse de doctorat en sociologie, Les savoirs citoyens dans l’urbanisme participatif. Regards croisés sur les expériences de Paris et Cordoue, Université Paris 8, novembre 2010. Bacqué et Gauthier (Bacqué, Gauthier, 2011 : 57) invitent à prolonger ces travaux et à « aller plus loin en distinguant ce qui est de l’ordre des savoirs et des valeurs, des pratiques ou de l’expérience »

70 Pour cette dernière question, après les travaux pionniers de M. Nonjon (Nonjon, 2005) sur les « professionnels de la participation »,

plusieurs recherches s’intéressent en particulier au rôle des chercheurs en sciences sociales dont plusieurs sont directement engagés

dans les dispositifs participatifs en tant qu’organisateur, garant ou encore évaluateur. Les incidences de cette implication à la fois sur les dispositifs et sur la recherche sont donc à observer

Partie 1. Chapitre 2. Cadrage théorique et outils mobilisés Section 1. Le champ de la participation : des apports à mobiliser

63

l’habitat participatif en amont de cette entrée (et pour certains indépendamment). Toutefois, si cet axe de

recherche est tout à fait pertinent et mériterait d’être creusé, nous avons fait le choix de ne pas le retenir compte tenu de son caractère périphérique au regard de notre questionnement principal71. La place du conflit nous est également apparue périphérique dans la mesure où les acteurs de l’habitat participatif ne

se placent que de façon marginale et exceptionnelle dans une perspective de revendication d’ordre

conflictuel. Néanmoins, nous nous interrogerons sur la prise en compte des revendications des groupes

d’habitants dans les scènes institutionnalisées et leur évolution.

Ensuite, concernant l’influence du dispositif, une comparaison avec d’autres dispositifs participatifs serait

nécessaire. Or, une telle entreprise relèverait d’un investissement trop important dans le cadre de cette

recherche. Toutefois, la question de l’influence du dispositif a ouvert une autre question : existe-t-il

plusieurs situations de participation propres à l’habitat participatif ? Le cas échéant, quel en est le sens et

quelles en sont les conséquences ? La question de la mise en institution de la participation parait quant à elle être a priori un angle à retenir, notamment par le biais des questionnements autour des conséquences

de l’institutionnalisation. Néanmoins, comme pour les effets sur l’action publique, de telles interrogations,

si elles ne sont pas à écarter, ne peuvent intervenir qu’à l’issue de l’institutionnalisation de l’habitat

participatif.

Le volet de questionnements le plus probant est celui lié à l’extension du mouvement participatif. En effet,

nous avions pu relever en fin de Master 2 l’apparition d’acteurs revendiquant un investissement du champ de l’habitat participatif au titre de professionnels de l’accompagnement des projets. Dès lors, les travaux

portant sur ces professionnels constituent des sources essentielles. De même, la notion de l’expertise a été retenue comme un angle d’analyse. En effet, dans un domaine technique comme la production de l’habitat,

les habitants ne sont pas les premiers « experts ». Or, ceux-ci n’en revendiquent pas moins un droit

d’action, ouvrant ainsi la voie à la redéfinition de l’expertise dans un domaine encore peu mobilisé dans le

champ des études sur la participation.

Plusieurs des axes développés par les travaux sur la participation du public peuvent ainsi être mobilisés pour notre objet, même si pour l’essentiel ils impliquent l’entrée de l’habitat participatif au sein de l’action

publique. Les recherches récentes du domaine invitent également à énoncer quelques limites et prolongements de ces travaux qui viennent nourrir notre propre perspective.

Documents relatifs