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Conclusion de la partie 1

II. Des réseaux d’acteurs propres aux territoires

L’analyse des opérations étrangères ne doit pas faire l’économie du réseau d’acteurs qui se constitue

autour de celles-ci, car l’habitat participatif se définit aussi d’après les acteurs qui le fondent. Là encore, les

réseaux d’acteurs suisses et québécois constituent le cœur du développement.

Suisse et Québec, un soutien institutionnel de longue date pour un mouvement ancien

Au Québec comme en Suisse, un soutien de longue date est apporté au mouvement coopératif. En Suisse,

l’existence des coopératives est reconnue au niveau fédéral178 et les efforts des maîtres d’ouvrage dits

d’utilité publique auxquelles appartiennent les coopératives d’habitation sont encouragés179. Ainsi, les

trois organisations des maîtres d’ouvrage d’utilité publique180 ont établi en partenariat avec l’Office

Fédéral du Logement une charte qui intègre le rôle des coopératives d’habitation : « pour garantir à tous

un logement à des conditions abordables, les lois du marché ne suffisent pas. Il faut l'action des maîtres d'ouvrage d'utilité publique, soit en particulier des coopératives de construction et d'habitation » (Charte des

Maîtres d’Ouvrage d’utilité publique, 1/01/13)181. La Confédération peut également cautionner les

emprunts pour la construction de logements d’utilité publique ou alimenter des fonds de roulement. Pour

autant, ce soutien fédéral relève d’abord du symbolique dans la mesure où la gestion des politiques du logement se fait de plus en plus au niveau cantonal. Les acteurs de premier plan comme la Société

Coopérative d’Habitation de Genève (SCHG) ou la Société Coopérative d’Habitation de Zurich se trouvent à

ce niveau. La SCHG, société coopérative sans but lucratif fondée en 1919, a « pour but de mettre à

178L’article 10 de l’ordonnance sur l’organisation du département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche stipule en effet que l’un des objectifs de l’Office Fédéral du logement est : « a. aider les groupes de personnes défavorisés à se procurer des logements, encourager la construction de logements en coopérative, assurer le maintien du domaine bâti et favoriser l’accession à la propriété de logements ». Source : ordonnance 172.216.1 (Confédération, Site Internet)

179 « Sont réputés organisations œuvrant à la construction de logements d’utilité publique les maîtres d’ouvrage s’occupant de la construction de logements d’utilité publique, leurs organisations faîtières, les centrales d’émission ainsi que les établissements de cautionnement hypothécaire et d’autres institutions se consacrant à l’encouragement de l’offre de logements à loyer ou à prix modérés » ; « Est réputée d’utilité publique toute activité à but non lucratif qui sert à couvrir les besoins en logements à loyer ou à prix modérés ». Source : article 4 Définitions, alinéa 2 et 3 de la Loi sur le logement, LOG, 842, du 21 mars 2003 (Confédération, Site Internet)

180Ces trois organisations sont l’Association suisse pour l’habitat, l’Association suisse pour l’encouragement à la construction et à la

propriété et l’Association suisse des coopératives d’habitation radicale

181Les signataires de la Charte des maîtres d’ouvrage d’utilité publique sont l’Office Fédéral du Logement, la Fédération des Maîtres

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disposition, exclusivement de ses associés et de leurs familles, des logements à des conditions favorables, ainsi que des surfaces d’activités » (SCHG, Statuts, 28/03/11, Site Internet). Cette définition, plutôt ouverte,

rapproche la SCHG de l’action des coopératives dites HLM en France qui produisent des logements en

accession à la propriété ou en locatif social. Les communes deviennent elles aussi des acteurs de premier plan : elles peuvent vendre un terrain bon marché aux coopératives, leur accorder un droit de superficie182

ou encore leur prêter gratuitement un terrain. Cependant, du fait de l’existence de trois types de

coopératives en Suisse, il est difficile de mesurer le soutien effectif dont elles bénéficient respectivement. Quantitativement, les grandes coopératives sont les plus nombreuses. Toutefois, depuis 2001,

l’instauration sur le canton de Genève du bail associatif – qui permet à un bailleur de louer un immeuble à

une association sans but lucratif – ouvre la voie aux « petites coopératives », plus proches du modèle français d’habitat participatif, les habitants participant à la conception et à la gestion. Il existe par ailleurs

un Groupement des Coopératives d’Habitation Genevoises constitué en association. Ce dernier compte 50

coopératives membres qui disposent d’environ 5000 appartements.

Le gouvernement fédéral canadien, par le biais de la Société Canadienne d’Hypothèques et de Logement

(SCHL)183, lance en 1973 un premier programme destiné aux coopératives et aux Organismes Sans But Lucratif (OSBL) qui accorde un soutien financier aux organismes accompagnant les groupes d’habitants. En 1977, le gouvernement décide de favoriser la création de ces organismes « dans l’ensemble du Québec plutôt que de développer davantage sa société d’Etat. C’était le choix d’un partenariat avec la communauté :

soutenir les initiatives du milieu notamment en favorisant l’existence d’une compétence indépendante des

gouvernements. L’échec et le poids du déficit d’exploitation du logement public, au tournant des années 1970,

conduit l’État à opérer un virage vers des mesures caractéristiques des politiques de soutien de la demande » (Bouchard, Hudon, 2005 : 3). La même année, un programme provincial d’aide au logement populaire est

initié par la Société d’Habitation du Québec184 (SHQ). Ce programme, en offrant une subvention au

démarrage des coopératives d’habitation, donne un véritable élan au mouvement. Le gouvernement

québécois a également confié à la SHQ le mandat d’élaborer et d’administrer les programmes favorisant la

création de coopératives. Elle soutient également financièrement les projets coopératifs et appuie le

milieu de l’habitation en coopérative dans ses efforts. Les coopératives sont par ailleurs intégrées dans un

cadre législatif strict puisque régies par la Loi sur les Coopératives185, qui encadre l’organisation, le fonctionnement ainsi que la plupart des aspects de la vie d’une coopérative d’habitation, de sa constitution

jusqu’à sa dissolution. Elles doivent également respecter les dispositions sur la location immobilière du

Code civil du Québec.

Concernant les financements, l’achat des terrains est financé à hauteur de 70% par l’Etat (ou la ville) qui

garantit l’emprunt dans le cadre d’une convention de 30 ans passée avec les habitants. Outre ces aspects

réglementaires, il existe une Confédération Québécoise des Coopératives d’Habitation (CQCH), organisme

regroupant sept fédérations régionales qui elles-mêmes représentent près de 800 coopératives

d’habitation. La Confédération appuie les fédérations afin qu’elles fournissent à leurs membres

informations et services « pour assurer une saine gestion de leurs immeubles et améliorer leurs conditions

de logement ». La CQCH dont la « mission est de développer et de promouvoir la formule coopérative en

habitation » (CQCH, site Internet) est la voix du Mouvement coopératif en habitation au Québec.

182 Dans ce cas, elles restent propriétaires du terrain mais le mettent à disposition de la coopérative qui s’acquitte d’une redevance

annuelle dont elle peut être exonérée les premières années

183 La SCHL a été créée en 1946, au départ pour la construction de logements des vétérans. Face à des besoins grandissants, elle a

évolué vers un rôle d’intervenant clé du secteur de l’habitation résidentielle (Bouchard, Hudon, 2005 : 3)

184 « Principal organisme gouvernemental responsable de l’habitation sur le territoire québécois, la Société d’habitation du Québec (SHQ) contribue, par ses actions, au mieux-vivre des citoyens, en leur offrant des conditions adéquates de logement en fonction de leurs ressources financières et de leurs besoins ». L’un de ses rôles consiste à « stimuler les initiatives publiques et privées ainsi que la concertation dans le milieu de l’habitation » (SHQ, Site Internet)

185 Loi sur les Coopératives. Chapitre C-67.2, Titre II « Dispositions particulières applicables à certaines coopératives ». Chapitre IV « Coopérative de consommateurs », Section 1 « Coopérative d’habitation »

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Par comparaison, la situation française est bien différente. Si l’on s’arrête sur les sociétés coopératives

d’HLM, dont le fonctionnement est proche des grandes coopératives suisses, leur activité est régie et

encadrée par la loi de 1947 d’une part (cf. supra, Chapitre 4, p. 130) et le Code de la Construction et de

l’Habitation (CCH) d’autre part. Elles bénéficient, au même titre que l’ensemble des organismes d’HLM,

d’un ensemble d’aides pour mener leur mission. Cette dernière néanmoins, à l’exception de quelques

programmes, ne recoupe pas les réalisations de coopératives d’habitationtelles qu’on peut les entendre au Québec ou en Suisse (exception faite des « grandes coopératives »). Les coopératives d’habitants, en

revanche, dont la formule est proche des coopératives d’habitation qui nous intéressent, sont aux

prémices de leur reconnaissance institutionnelle et législative. L’année 2013 marque en effet leur intégration dans la législation : un chapitre de la loi pour l’Accès à un Logement et un Urbanisme Rénové

(ALUR) leur est en effet consacré (voir en Annexe 11 le Chapitre en question).

L’existence de structures intermédiaires

Outre cette reconnaissance institutionnelle, l’existence de structures intermédiaires bien établies appuyant les habitants caractérise le mouvement des coopératives d’habitation en Suisse et au Québec. En Suisse, ce sont des structures dénommées Wogeno qui jouent ce rôle, en rassemblant à la fois les avantages des grandes coopératives – professionnalisation – et ceux des petites coopératives – implication des habitants. Parmi les Wogeno, on peut citer la CoDHA à Genève, qui « permet de mettre en commun l'expérience et les compétences de chacun et ainsi gagner en efficacité et en crédibilité. Cette mise en commun permet d'éviter les difficultés que rencontrent individuellement les petites coopératives d'habitation : établir les statuts, concevoir un projet, réunir les fonds nécessaires, obtenir un financement bancaire, effectuer les démarches administratives sont autant d'obstacles qui sont souvent décourageants. C'est donc pour réaliser plus rapidement des projets au bénéfice de toutes les personnes intéressées que la CoDHA a été créée » (CoDHA, site Internet). Les habitants d’un projet se constituent donc en association (par immeuble) et

sont accompagnés tout au long de la réalisation par la CoDHA. Elle bénéficie par ailleurs « de montages financiers favorables et de concessions de terrain, sur une durée limitée par exemple à 60 ou 90 ans,

octroyées par l’État dans ses efforts de promotion de l’habitat coopératif. Plus largement, il est prévu désormais qu’une part des nouvelles constructions, allant de 15 % à 30 % suivant les zones de développement, soit réservée aux Habitations Mixtes (HM) ou aux Coopératives » (Pattaroni, 2011 : 50). Au 31 décembre 2012, la CoDHA compte 1515 membres individuels (soit 1135 ménages) pour 180 logements réalisés répartis dans 8 immeubles et 10 projets en cours pour 600 logements (CoDHA, Site Internet). Au Québec, la structure intermédiaire prend la forme de Groupes de Ressources Techniques (GRT). Ces organismes autonomes de développement créés pour accompagner les coopératives agissent comme intermédiaires entre le groupe de locataires, les administrations publiques, les entrepreneurs en bâtiment et autres professionnels. Ils sont nés dans les années 1970, période où se succédaient des opérations de renouvellement urbain de grande envergure186. Il existe aujourd’hui 24 GRT sur l’ensemble du Québec,

regroupés au sein de l’Association des GRT du Québec (AGRTQ). Cette dernière, créée en 1989, a plusieurs

missions qui couvrent à la fois des actions de lobby, de promotion et d’éducation :

« Favoriser la recherche, la vulgarisation et la diffusion sur des questions d'habitation et d'aménagement

Développer et faire reconnaître une pratique et une expertise alternatives de l'habitation et de l'aménagement

Participer à la défense des intérêts des mouvements coopératifs et sans but lucratif en habitation et participer à leur développement

186 « les premiers groupes de ressources techniques (GRT) [...] ont comme approche de développer des projets à partir des besoins et des caractéristiques propres au milieu dont ils sont issus et dans lequel ils sont impliqués. Il s’agit d’une nouvelle classe de travailleurs qui émergeait à cette époque, les animateurs communautaires. Au départ composés d’étudiants en architecture et d’animateurs sociaux, ces groupes accompagnent des comités de citoyens et des associations de locataires dans leur effort pour créer des coopératives d’habitation. Leurs actions portent sur une mobilisation des populations résidantes » (Bouchard, Hudon, 2005 : 3)

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Favoriser le regroupement des GRT travaillant dans le domaine de l'habitation coopérative et sans but lucratif

Développer et favoriser l'éducation et la formation de ses membres

Favoriser le développement et la consolidation du réseau des GRT sur l'ensemble du territoire québécois

Promouvoir les intérêts des membres auprès des différents intervenants »

AGRTQ, site Internet Les GRT sont ancrés localement et peuvent être amenés à constituer le « collectif de construction »187, contractualiser avec lui, monter le dossier de financement et aider la coopérative à défendre son projet

auprès des élus et des riverains. Une fois l’opération réalisée, ils accompagnent le groupe d’habitants

durant un an afin de mettre en place les outils de la vie démocratique. Les GRT ne se limitent donc pas à

une approche technique et s’impliquent activement dans l’éducation aux valeurs coopératives des

personnes auprès desquelles ils interviennent. Ils sont également à la source de la création de plusieurs des fédérations régionales avec lesquelles ils sont en partenariat. En 2005, Bouchard et Hudon (Bouchard, Hudon, 2005 : 7) dénombrent « environ 22 000 logements coopératifs et 25 000 logements sans but lucratif ».

En France, à l’heure actuelle, le niveau d’organisation atteint n’est pas comparable et le mouvement

regarde avec une attention certaine la structuration de ce réseau d’acteurs suisse et québécois qui accompagnent les groupes. L’association Habicoop a même initié un partenariat avec l’AGRTQ pour bénéficier de son expérience. Une telle structuration s’inscrit cependant dans des cultures et contextes

nationaux bien particuliers.

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