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Conclusion de la partie 1

I. Jeux et enjeux d’une définition

Si les porteurs de projets et associations convoquent fréquemment les réalisations d’habitat participatif

menées dans d’autres pays afin d’appuyer leurs revendications, leurs similitudes sont à interroger. Nous

nous heurtons dans la comparaison à une première difficulté qui est celle de l’absence de définition

canonique de l’habitat participatif.L’un des contournements possibles consiste à prendre en compte l’une

des formes de l’habitat participatif qu’est la coopérative d’habitants. Un tel choix se justifie d’une part par

l’existence d’une définition préciseet d’autre part par la fréquence des convocations de ces réalisations

par les défenseurs de cette forme. Ces derniers, réunis au sein de l’association Habicoop,s’intéressent en

particulier aux réalisations de la Suisse et du Québec. Nous opérerons ainsi une comparaison entre les initiatives françaises de coopératives d’habitants et les initiatives suisses et québécoises de coopératives

dites d’habitation176.

Une proximité entre les définitions ?

Une comparaison des définitions offre un premier éclairage. Pour l’association française de promotion des

coopératives d’habitants, Habicoop, « une société coopérative d’habitants regroupe des personnes qui

veulent gérer et améliorer, ensemble, les logements qu’elles occupent dans un même immeuble ou sur un

même terrain. Les valeurs fondamentales sont la propriété collective, la sortie du système spéculatif et la démocratie » (Habicoop, site Internet). Au Québec, « une coopérative d'habitation, c'est un immeuble

ordinaire (ou un ensemble d'immeubles), petit ou grand, neuf ou âgé – mais toujours rénové – où habitent des

personnes qui sont à la fois locataires de leur logement et collectivement propriétaires de l'immeuble »

(Confédération Québécoise des Coopératives d’Habitation, CQCH, Site Internet) tandis qu’en Suisse, « au

sens strict du terme, la coopérative d'habitation est une société coopérative qui vise à fournir à ses membres l'usage d'une habitation (appartement ou maison individuelle) à un prix aussi avantageux que possible » (Actes du 8ème séminaire sur le droit du bail, 1994).

C’est la définition française qui apparait la plus « complète », mettant en avant à la fois des éléments de

processus et de valeurs. Si on se limite à ces définitions, il semblerait que seule la propriété collective

constitue un point commun avec le Québec, tandis que pour la Suisse, seule l’existence d’une société

constituerait un lien. Toutefois, une attention plus soutenue amène à relever des relations prégnantes. Ainsi, peut-on lire sur le site de la CQCH : « comme propriétaires collectifs, les membres assument ensemble

175D’autres pays pourront être convoqués ponctuellement ou pourraient l’être: l’Allemagne, l’Italie, les pays scandinaves, certains pays d’Amérique du Sud (Uruguay par exemple). Pour plus d’éléments propres aux réalisations menées dans d’autres pays que la

France, se reporter aux travaux de Y. Maury évoqués dans la partie précédente

176Dans ces deux pays, l’expression consacrée est celle de coopérative d’habitation et non d’habitants ; le sens de cette différence sera discuté dans cette section

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la gestion complète et autonome de leur édifice » ; « cette gestion collective se concrétise par une

participation démocratique aux assemblées » ; « puisque tout le monde participe à la gestion et à l'entretien de l'immeuble, il en résulte des coûts d'opération moindres pour la coopérative » (CQCH, Site Internet). Si

l’accent en Suisse est surtout mis sur le coût, certaines structures coopératives ont des principes plus

précis, qui les rapprochent de la définition française. Par exemple, la Coopérative de l’Habitat Associatif

(CoDHA) « a pour but de procurer à ses membres des espaces d'habitation autogérés tout en soustrayant durablement les logements à la spéculation. A cette fin, elle achète, construit, rénove ou prend des immeubles en régie, et les remet sous forme de bail associatif à des collectifs d'habitants. La Coopérative n'a aucun but

lucratif » ; « la coopérative loue ses immeubles à ces collectifs d’habitants, qui les gèrent et en sont

responsables vis-à-vis de la coopérative » (CoDHA, Article 2 des statuts, Site Internet). En ce sens, comme en

France, c’est la société coopérative qui est propriétaire des logements. Ces premiers éléments de

définition révèlent ainsi de forts points communs entre ces initiatives.

Concernant l’Allemagne, c’est autour des notions de Baugruppe et de Baugemeinshaft que des éléments

communs sont à rechercher ; la traduction littérale qui peut en être faite étant « groupes de construction » et « collectifs de construction ». Les réalisations les plus emblématiques sont celles du quartier Vauban à

Fribourg ou encore de Tübingen. D’après Meyer, la démarche de Baugruppe consiste en la « construction

de maisons de ville accolées, par des maîtres d’ouvrage distincts, propriétaires de parcelles distinctes. La notion de groupe s’applique au partage du foncier entre plusieurs personnes et à la coordination des projets

de constructions voisins » tandis que celle de Baugemeinshaft désigne la « construction d’immeubles

collectifs destinés à être partagés en copropriété. La notion de groupe désigne l’entreprise collective de

construction des membres qui sont co-maîtres d’ouvrage et missionnent le même maître d’œuvre ». Dans ce

cas, les lots sont attribués en propriété aux membres du groupe. Il existe également des Baugenossenschaft, « coopérative de construction », où « les membres sont collectivement propriétaires de

l’immeuble et locataires des lieux ou logement qu’ils occupent » (Meyer, 2007 : 22). De ces trois procédés,

distincts les uns des autres, seul le dernier apparait proche de la coopérative d’habitants française, dans la

mesure où il se fonde sur un principe de propriété collective de l’immeuble. Toutefois, si l’on élargit la définition de la coopérative d’habitants à celle de l’habitat participatif, le deuxième procédé est également

proche des réalisations françaises.

De leur côté, les pays scandinaves ont opté pour le terme de cohousing, traduit en français par « cohabitat ». Le principe général consiste à ce que des ménages se regroupent pour concevoir un ensemble immobilier au sein duquel ils disposent d’un logement privatif et partagent des espaces. Cette

notion de partage les distinguent des définitions précédentes dans lesquelles elle n’est pas mise en avant.

Est-elle pour autant absente des réalisations ? Habicoop indique sur sa page d’accueil : « la coopérative

d’habitants permet la mutualisation de services et le partage d’espaces communs (buanderie, chambre d’amis, atelier de bricolage, garde d’enfants...) » (Habicoop, site Internet). Au Québec en revanche, si la

gestion de l’ensemble immobilier est commune, les espaces communs ne sont pas systématiques. En

Suisse, leur présence dépend du type de coopérative et du projet mené. Ainsi, de premières différences

sont à relever dès lors que l’on s’intéresse finement aux définitions et à leur traduction concrète.

Au cœur des projets, des différences

Le montage des projets révèle d’importantes différences entre les pays étudiés.

La première différence fondamentale a trait au rapport entre opération de construction et coopérative. En effet, en Suisse et au Québec, une même coopérative peut être à la source de différentes opérations

échelonnées dans le temps. En France, jusqu’à présent, à chaque projet de construction d’un immeuble correspond une coopérative d’habitants.

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La taille des projets diffère également. Les projets français rassemblent au maximum une vingtaine de

ménages tandis qu’au Québec ou en Suisse les opérations peuvent comporter une centaine de logements.

Dans les pays scandinaves, les unités se comptent en général par dizaine.

Concernant la propriété des immeubles, la situation est là aussi différente. En France, l’immeuble et le

terrain appartiennent aux coopérateurs qui en sont collectivement propriétaires, par l’intermédiaire de

parts sociales détenues dans une société coopérative. La situation est similaire au Québec puisque dans une coopérative « habitent des personnes qui sont à la fois locataires de leur logement et collectivement propriétaires de l'immeuble » (CQCH, site Internet). En Suisse, trois situations se présentent. Dans les coopératives dites de location, la coopérative reste propriétaire des logements et elle les loue, en principe

exclusivement à ses membres sous forme de bail associatif ; c’est le type le plus répandu. Dans les

coopératives de propriétaires, les logements sont vendus aux coopérateurs et dans les coopératives de

type mixte, une partie est vendue aux coopérateurs, l’autre partie restant en location.

En termes de localisation, les différences sont moindres si l’on prend en compte l’ensemble des réalisations d’habitat participatif et non uniquement celles de coopératives d’habitants. Ces dernières sont

dans leur très grande majorité situées – ou projetées – en milieu urbain tandis qu’une partie des projets

d’habitat participatif prend place en milieu rural. Les projets suisses et québécois sont pour leur part plus

fréquemment localisés en périphérie.

La conception et la gestion relèvent d’approches distinctes. En France, les futurs habitants sont au cœur de

ces dernières, puisque « impliqués dès l’origine du projet, les coopérateurs définissent ensemble les caractéristiques de leurs logements et des espaces qu’ils souhaitent partager. Ils établissent les statuts de la

coopérative et déterminent de cette manière son fonctionnement interne » (Habicoop, site Internet). En Suisse, dans les grandes coopératives, la participation peut être nulle, à la différence des petites177. Au Québec, cette dichotomie entre grosses et petites coopératives est moins prégnante, ainsi la CQCH rappelle que « comme propriétaires collectifs, les membres, c'est-à-dire les résidents de l'immeuble, assument ensemble la gestion complète et autonome de leur édifice et de la coopérative elle-même. Chacun des membres exerce ainsi un contrôle sur la qualité de son milieu de vie ». En Suisse, les propos se font plus modestes : « maîtriser son habitat en participant aux divers organes décisionnels de la coopérative » et « avoir un droit de regard sur la qualité et le coût de son logement, parfois même au niveau de la conception,

dans les limites de la réalité économique et des contraintes du subventionnement » (Société Coopérative

d’Habitation de Genève, SCHG, site Internet). La participation à la conception n’a donc rien de

systématique.

La nature des coopératives en ce sens n’est pas la même et brouille les approches quantitatives.

L’association Habicoop avance par exemple le chiffre de 8% du parc immobilier construit en coopérative

en Suisse, et jusqu’à 20% dans les grandes villes. Or, ces chiffres ne peuvent être pris tels quels, sans

considérer les réalités qu’ils recouvrent. Les logements correspondant à ces 8% relèvent de la définition

générale des coopératives telle qu’énoncée précédemment et ne recoupent donc pas pleinement la

définition française. Concernant les pays nordiques et la Suède en particulier, comme le précise

l’association Habicoop elle-même, « le statut spécifique des coopératives d'habitants en Suède n'implique

pas systématiquement la notion d'habitat participatif dans le sens où les habitants partagent des espaces communs et un projet de voisinage. En effet, seulement six coopératives d'habitation fonctionnent sur le modèle du « co-housing » selon une étude menée par l'association Kollektivhus NU, en 2006 » (Habicoop, « Fiche pays nordiques », Site Internet). De même, dans les Baugruppen allemands, l’accent est d’abord mis sur le regroupement des personnes dans une perspective de construction. La présence des espaces

177 Le système suisse de production du logement coopératif est un système à trois têtes. Il comporte de « grandes coopératives » dont

le mode de fonctionnement est proche des coopératives d’Hlm en France – niveau de participation faible –, de « petites coopératives » qui reposent essentiellement sur les habitants et aboutissent à des opérations de quelques logements, des coopératives « intermédiaires », structures qui tout en étant professionnelles assurent aux habitants une participation importante

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Partie 2. Chapitre 4. L’habitat participatif, un dispositif novateur ? Section 2. Des initiatives qui ont leur place à l’étranger

communs et partagés, qui se veut fondatrice du concept d’habitat participatif français, n’est pas

nécessairement un impondérable. Les propos d’un représentant d’un groupe allemand repris dans

l’ouvrage Autopromotion, Habitat groupé, Ecologie, Liens sociaux en témoignent :

« Nos cibles principales étaient la maîtrise des coûts qui devaient rester inférieurs au marché, et de

manière secondaire, la possibilité d’adopter le plan à nos goûts. L’écologie des matériaux était placée

au second plan et nous n’avons pas voulu de salle commune»(p. 37)

Les approches quantitatives proposées par les associations s’affinent toutefois avec le temps. L’association

Habicoop précise ainsi depuis 2011 à propos des chiffres présentés sur son site :

« Attention ces chiffres sont établis au regard des règles internationales concernant le statut de la

coopération ; ils concernent le parc immobilier coopératif dans sa globalité sans prise en compte des

aspects liés spécifiquement à l’habitat participatif (mutualisation d’espaces, participation des

habitants au projet, auto-construction...) »

Habicoop, Site Internet

En se concentrant presque exclusivement sur l’une des formes embrassées par l’habitat participatif, la

coopérative d’habitants, les définitions paraissent se recouper. Toutefois, l’analyse du processus de projet

révèle d’importantes différences. Ainsi, les expériences menées à l’étranger sont d’abord des expériences

inspiratrices, dont la concrétisation dépend d’un système d’acteurs établi.

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