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Choisir les terrains d’enquête et négocier son entrée

Conclusion du chapitre 2

Chapitre 3. Méthode(s) de la recherche

I. Choisir les terrains d’enquête et négocier son entrée

L’un des premiers enjeux à considérer relève du choix des terrains d’enquête. En effet, le peu d’informations disponibles sur l’habitat participatif au commencement de notre recherche rend cette

opération délicate et relève plus ou moins du hasard. Au fil du temps, des terrains d’enquête ont pu être choisis sur la base d’éléments objectifs.

Une entrée par les groupes et une association : au cœur des négociations

· Des prises de contact comme autant de bouteilles à la mer

Le travail de recherche amorcé en Master 1 nous a offert l’opportunité d’identifier des acteurs à solliciter,

dans le but de réaliser le suivi complet d’un groupe d’habitants ou d’une association œuvrant dans le

domaine de l’habitat participatif. Nos premières demandes ont ainsi été adressées à des porteurs de projet

et association (4 groupes et une association), par mail, début février 2009. Ce premier contact reposait sur une présentation de notre recherche et annonçait notre souhait de réaliser des études de cas approfondies. Du fait du peu de sources disponibles et d’un nombre a priori limité d’acteurs, nous en avons sollicité plusieurs, en anticipant le fait qu’il nous serait impossible de suivre l’action de chacun d’entre eux, si d’aventure ils répondaient favorablement à notre requête. Nous n’avions par ailleurs pas pu

identifier nommément des référents et avons été contrainte d’utiliser les adresses mail communes à tous les membres des groupes ou associations. Le risque de ne pas obtenir de réponses était réel.

L’une de nos ambitions consistait à réaliser le suivi de l’un des groupes le plus important du mouvement,

constitué depuis 2005 et développant un projet de coopérative d’habitants à Villeurbanne, près de Lyon. Les perspectives d’initier une telle étude de cas se sont rapidement éteintes avec le refus du groupe. Les

raisons invoquées étaient doubles : un manque de temps « pour assurer un suivi collectif de qualité », et la

présence d’une sociologue auprès du groupe dans le cadre de son doctorat. De façon évidente, ce premier

refus a ébranlé nos ambitions et nos certitudes. En un sens, il signifiait la fin de notre recherche, avant même que nous ayons pu l’initier (ce qui bien sûr revenait à dramatiser fortement la situation...). Le

passage par Paris de l’un des membres du groupe nous a permis de mener un premier entretien qui a

débouché sur la possibilité d’assister à plusieurs réunions d’un groupe parisien dont nous n’avions pas

connaissance. Concernant les autres groupes, l’un deux nous a ouvert l’accès à son wiki (cf. supra p. 91), le

troisième nous a communiqué de nombreux documents tout en nous inscrivant à sa liste de discussion et

le dernier, après quelques échanges, n’a pas donné de suite. L’association sollicitée, pour sa part, nous a

reçue en entretien. Les éléments recueillis et les perspectives esquissées, s’ils ont constitué de premiers

apports riches en perspectives, s’avéraient insuffisants. La localisation géographique des acteurs avec

lesquels le contact a été établi – Lyon, Besançon, Rennes – rendait difficile un suivi complet de leurs travaux, formalisés par de fréquentes réunions en soirée ou le week-end. Aussi, la poursuite de la

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Section 2. Choix des terrains et croisement de deux méthodes : observation et entretien

· Le suivi d’une association

Cet acteur francilien est une association au sens de la loi de 1901 dénommée HESP’ère 21, cet acronyme signifiant : Habitat Ecologique Solidaire Parisien pour l’ère du 21ème siècle. Son objet, d’après la déclaration en préfecture du 21 mai 2007, est : « initier, accompagner et réaliser un ou des projets

d’immeubles exemplaires en termes de développement durable à Paris et dans la petite couronne ; rénovation

ou construction écologique prenant en compte les dimensions environnementale, économique et sociale ;

organiser des groupes de particuliers désirant investir dans ces projets sur le principe de l’autopromotion (mode qui permet à des particuliers d’être leurs propres promoteurs pour réaliser des logements à prix

coûtant) ; rassembler des compétences et des partenaires pour définir les conditions de montage d’un ou

plusieurs projets ; promouvoir, en général, l’éco-rénovation et l’éco-construction » (Journal Officiel des Associations). La plaquette de présentation de l’association (version de mars 2011) est plus fidèle à son action : « HESP’ere21 est une association qui agit pour promouvoir et définir la faisabilité des projets d’habitat coopératif, solidaire et écologique, dans Paris Intra-métro pour éviter l’étalement urbain. Nous agissons pour les habitants qui subissent de plein fouet une crise de logement dans un contexte de spéculation, qui attendent sur les listes du parc social, et qui recherchent un mode de vie urbain plus

coopératif et plus responsable ». Fin 2009, aux prémices de nos recherches de Master 2, HESP’ère 21 est le

principal acteur de l’habitat participatif en région parisienne qui, d’après ses documents de

communication, mène des actions dynamiques. Notre intérêt est renforcé par le fait qu’à la différence d’un groupe d’habitants constitué autour d’un seul projet, l’association intervient sur plusieurs projets. Les recherches de Master 1 avaient révélé combien un groupe d’habitants est fragile et son évolution

imprévisible. Dès lors, ce lien avec plusieurs projets garantit en un sens une récolte de matériau pérenne.

Cette association a donc tout d’une bonne porte d’entrée pour une étude de cas.

Nous contactons par mail là encore la présidente. Sur sa plaquette de présentation, l’association indiquait qu’elle souhaitait mettre en œuvre un partenariat avec des Universités et des chercheurs. Nous avons mis

en avant cet aspect pour obtenir l’accord tacite de la présidente quant à ce partenariat, conditionné

toutefois par un vote en Conseil d’Administration (CA). Cet accord semblait ainsi remplir l’une des

conditions essentielles au choix des terrains qui consiste à ce que « la présence d'un observateur n'y soit

pas incongrue » (Arborio, Fournier, 2010 : 29). N’ayant aucune indication quant à la tenue du CA en

question et ayant consulté par ailleurs l’agenda de l’association sur son site Internet, nous avons manifesté

notre volonté de participer à l’une des réunions organisées par l’association quelques semaines plus tard :

c’est ainsi que s’est faite notre « entrée » dans l’association. Préalablement, nous avions communiqué

notre mémoire de Master 1 à la présidente, qui l’avait elle-même transmis à l’ensemble des membres du

CA. Cet envoi constituait un moyen de légitimer notre demande, en montrant que nous connaissions le

sujet qui animait les actions de l’association. Ceci étant, cela n’était pas sans risque, dans la mesure où le

propos était parfois critique. Cette première réunion a finalement tranché avec le caractère formel auquel nous nous attendions, la plupart des présents nous ayant accueillie avec bienveillance et ouverture, ce que

marquait par exemple un tutoiement spontané. Notons que l’un des membres les plus investis de l’association – investissement dont nous avons pris la mesure au fil du temps – débute un Master à

l’Institut d’Urbanisme de Paris quelques jours après cette réunion. Il nous l’annonce à l’issue de la réunion,

installant une forme de reconnaissance réciproque qui a facilité notre entrée. L’essentiel de la recherche

de Master 2 repose donc sur des investigations menées par l’intermédiaire de cette association. A la faveur de l’évolution de nos questionnements mais aussi en raison d’un certain immobilisme de l’association, nous avons opté en début de thèse pour d’autres terrains.

Le choix des terrains de recherche

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Si nous avons choisi de poursuivre nos séances d’observation auprès de l’association, la mobilisation

d’autres terrains est rapidement devenue nécessaire. Plusieurs éléments sont à prendre en compte dans le

choix de ces terrains. L’une des premières difficultés à laquelle nous avons été confrontée est liée au

caractère ultra-contemporain de notre objet de recherche. En perpétuel mouvement, celui-ci rend difficile toute anticipation et ce concernant l’engagement des acteurs comme les projets menés. Dès lors, il nous faut assumer le risque inhérent au choix de nos terrains.

Ce choix ne repose pas sur un objectif d’études de cas approfondies ni de comparaison stricte. Il s’agit

plutôt d’apporter un regard croisé sur différentes configurations locales. Si nous avons pu envisager de

nous concentrer sur un seul terrain en particulier (en sus du terrain parisien), cette option a vite été rejetée pour deux raisons principales. La première découle d’une des limites évoquées ci-dessus. L’énoncé

d’un engagement sur un territoire donné ou l’identification d’une dynamique en cours ne signe en rien la

pérennité de l’un ou de l’autre. Aussi, compte tenu de ces incertitudes, le choix d’un terrain unique était

plus que risqué. Par ailleurs, se focaliser sur une seule étude de cas implique –et c’est bien là un de ses

intérêts essentiels – de décrypter de façon minutieuse et approfondie les dynamiques de ce terrain. Or,

l’une de nos hypothèses (cf. supra, Chapitre 2, p. 77) consiste à avancer que les configurations locales

jouent un rôle prépondérant dans la diffusion de l’habitat participatif sur un territoire donné. Faire

reposer l’analyse sur un seul cas ne permettrait pas de valider une telle hypothèse. Seules des mises en

perspective rendent cette ambition possible. Par ailleurs, la focalisation sur un seul terrain, dans le cadre

d’initiatives qui jouent également sur la scène nationale, aurait conduit à opérer une analyse en vase clos,

qui aurait négligé les effets d’interrelations et d’articulation entre, d’une part, plusieurs scènes locales et,

d’autre part, entre des scènes locales et une scène nationale.

· Le choix de quatre scènes locales

Une fois ces objectifs et ces limites énoncés, il s’est agi de poser notre regard sur des configurations

locales, dont nous estimions qu’elles étaient porteuses d’un risque en partie maîtrisé. Compte tenu de nos

liens avec le terrain parisien, nous avons pris le parti de poursuivre les investigations de cette scène locale, même si la relative inertie de ce terrain s’est rapidement révélée. Cette inertie pouvait être

pressentie au regard des difficultés rencontrées par l’association dont nous avions déjà réalisé le suivi

pendant un an, mais aussi au regard du contexte politique et administratif local, lequel se caractérise

d’abord par une maîtrise du temps long. En tant que tel, aucun projet initié ne portait en lui de sérieuses

perspectives de concrétisation et l’engagement des acteurs institutionnels nous apparaissait relativement

fluctuant. Néanmoins, trois points ont conduit à garder un lien avec ce terrain. Tout d’abord, le statu quo ne pouvait être anticipé de façon assurée. Certaines situations pouvaient se débloquer et donner un « coup

d’accélérateur » aux dynamiques latentes. Ensuite, nos liens avec HESP’ère 21, initialement construits

dans la perspective d’un suivi approfondi de l’action de l’association offraient d’autres perspectives. En

effet, l’intégration progressive de l’association dans le champ national et la montée en puissance de ses

échanges et contacts avec une diversité d’acteurs ouvraient la voie à l’analyse de dynamiques extérieures

à la scène parisienne. Enfin, fin 2010, l’organisation d’un événement d’envergure nationale est projetée en Ile-de-France autour des acteurs associatifs locaux. Le suivi de l’organisation de cet événement nous

paraissait justifier la poursuite de notre engagement sur le terrain parisien.

Notre choix s’est ensuite porté sur trois configurations locales particulières : les villes et Communautés

Urbaines de Strasbourg, Toulouse et Lille. Ce choix repose sur des raisons différentes selon les terrains. Le terrain strasbourgeois se caractérise par son ancienneté dans le domaine de l’habitat participatif, qui recoupe à la fois une action forte d’une association locale et un engagement précoce de la collectivité

qu’est la Communauté Urbaine de Strasbourg (CUS). Pour ces deux raisons, ce terrain paraissait

particulièrement fructueux. Il permet notamment de développer une approche éloignée de l’instantané, de retracer la genèse de l’engagement de la collectivité ainsi que les facteurs de cet engagement. Il offre

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Partie 1. Chapitre 3. Méthode(s) de la recherche

Section 2. Choix des terrains et croisement de deux méthodes : observation et entretien

également de ce point de vue de premiers retours d’expériences, ce qu’aucun autre terrain ne permet. En

outre, l’engagement d’organismes HLM était également annoncé et offrait donc la perspective de

développer une approche des stratégies et modalités d’engagement de cet acteur. La scène strasbourgeoise avait tout pour être incontournable.

Le choix du terrain toulousain repose essentiellement sur l’identification d’une association locale

particulièrement active depuis plusieurs années et sur des perspectives annoncées d’engagements de la

collectivité. Nous disposions par ailleurs d’une connaissance préalable des acteurs locaux, initiée dans le

cadre de nos recherches de Master 1 et 2 et du stage réalisé à la FNSCHLM. Des indices d’intégration de

projets d’habitat participatif dans le cadre d’opérations d’aménagement à venir nous offraient également

la perspective d’analyser l’engagement de la collectivité sous un angle différent de celui de la CUS, qui s’est

d’abord engagée par l’intermédiaire de la mise à disposition de terrains en diffus.

Le dernier terrain, lillois, est le terrain avec lequel nous n’avions aucun lien préalable et qui est apparu de

façon assez soudaine dans le paysage de l’habitat participatif. En dépit de l’existence d’une association œuvrant depuis quelques années sur le territoire, en tant que telle, la scène lilloise était peu présente, à la

différence de Strasbourg. Nous sommes entrée sur ce terrain non pas par l’identification de cette

association mais directement par une initiative de la ville de Lille, et plus précisément le lancement d’un

appel à projets consistant à proposer des terrains à des groupes d’habitants. Le calendrier de ce processus était a priori en adéquation avec le calendrier de la thèse et permettait ainsi de suivre au plus près

l’engagement d’une collectivité. Les terrains mobilisés diffèrent ainsi par la nature des acteurs présents

sur le territoire, leur antériorité dans l’habitat participatif et les actions mises en œuvre. De fructueuses

perspectives de mises en regard s’ouvraient alors.

Deux autres terrains ont été mis en débat – Rennes et Lyon – pour être finalement écartés et ce pour des raisons différentes. Le cas rennais a été envisagé au regard de la structuration du réseau d’acteurs habitants et associatifs. Ce dernier en effet se distinguait par l’importance des échanges et de la

collaboration entre les différents acteurs, une diversité d’initiatives et une structuration stable. Néanmoins, le faible engagement des acteurs institutionnels est apparu comme une limite forte.

Concernant le terrain lyonnais, ce sont plus strictement des difficultés d’accès au terrain qui sont à l’origine de ce choix. Une étudiante que nous avions eue l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises

projetait de débuter un travail de doctorat sur un sujet proche du nôtre et souhaitait réaliser une étude de cas sur le territoire lyonnais. Après plusieurs échanges, nous avons préféré renoncer à ce terrain,

pressentant de réelles difficultés à accéder aux acteurs clés du territoire, du fait d’une volonté de blocage

ressentie comme manifeste chez notre interlocuteur.

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