Conclusion de la partie 1
III. Des contextes et des cultures nationales
Les contextes et cultures nationales sont le dernier paramètre à prendre en compte lorsque l’on examine
les expériences étrangères. Le système dans lequel s’inscrit l’habitat participatif est en effet plus ou moins favorable à son développement.
Suisse et Québec : un logement social « de fait » ?
En Suisse et au Québec, l’habitat participatif semble avoir trouvé sa place en creux des politiques du
logement existant, devenant en un sens un logement social « de fait »188. Au Canada, la philosophie de
l’Etat-providence concernant les politiques du logement est fortement libérale, le secteur relevant
essentiellement du marché privé. L’Etat n’intervient qu’en dernier recours et s’est désengagé du
financement de l’habitat social depuis 1998. L’habitat social ne recouvre toutefois pas les mêmes réalités
en France qu’au Québec que ce soit en termes quantitatifs (6% des logementssoit trois fois moins qu’en
France) ou de modes de gestion (Lelévrier, 2005). Si la diversité des statuts rend délicate une comparaison efficiente, un rôle hybride peut être attribué aux coopératives québécoises.
« La coopérative a un fonctionnement intermédiaire entre les HLM et le privé. Les HLM sont plus adaptés aux personnes qui ne souhaitent pas s'impliquer tandis que les gens qui veulent participer s'orientent vers les coopératives »
Représentant de l’AGRTQ, Compte-rendu des 2èmes Rencontres Nationales des Coopératives d’Habitants189 (RNCH), novembre 2007
187Dénomination du groupe qui s’engage dans l’opération
188L’emploi de cette expression n’est pas à confondre avec l’expression « parc social de fait » ou « logement social de fait » utilisée en France pour désigner une frange du parc privé dégradé occupée par des ménages à revenus modestes voire très modestes. Nous signifions seulement en l’employant que lelogement coopératif ne relève pas du secteur du logement social en tant que tel mais joue le rôle qui lui est dévolu
189Depuis 2007, un rassemblement national est organisé par les acteurs de l’habitat participatif dans une ville de France. Jusqu’en 2010, ce rassemblement a pris le nom de Rencontres Nationales des Coopératives d’Habitants car porté par l’association Habicoop (deux ont eu lieu en 2007, un en 2008 et un en 2009). En 2010, se sont déroulées les premières Rencontres Nationales de l’Habitat
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Partie 2. Chapitre 4. L’habitat participatif, un dispositif novateur ? Section 2. Des initiatives qui ont leur place à l’étrangerLes coopératives deviennent alors des acteurs essentiels du marché du logement :
« Témoin et révélateur des transformations du Québec depuis une trentaine d'années, le mouvement
des coopératives d'habitation locative répond à des besoins non pourvus par le marché ou par le
secteur public, non seulement en termes d’accessibilité au logement, mais aussi en termes de démocratisation du milieu de vie »
CQCH, Site Internet En 2011, le revenu brut annuel moyen des ménages sondés190 est de 29 000 $ en 2011, près d’un quart
d’entre eux ont un revenu inférieur à 15 000 $ tandis que 12% ont un revenu égal ou supérieur à 50 000
$ : « c'est un patrimoine permanent de logements abordables : ils ont logé, logent et logeront des ménages à
revenu modeste pour les décennies à venir» (Bouchard, 2005). Cette affirmation est néanmoins à discuter
compte tenu de l’évolution des revenus des occupants. En 2001 et 2006, la proportion des ménages ayant
les revenus les plus faibles était respectivement de 38 et 30%. Ceci étant, si l’on compare ces revenus à
ceux des ménages du parc social français, les chiffres sont globalement similaires. Aussi, compte tenu du
désengagement de l’Etat dans la production du logementau Québec, nous pouvons faire l’hypothèse que
les coopératives jouent le rôle du parc social en France191 : loger les ménages modestes.
Les coopératives d’habitation suisses ne se placent pas dans la même perspective que les coopératives
québécoises, leur rôle « social » étant moins affirmé. Elles sont néanmoins reconnues d’utilité publique, ce qui signifie qu’elles renoncent à maximiser leurs profits, qu’elles bénéficient de crédits avantageux, de
terrains en droit de superficie et que leurs administrateurs sont souvent bénévoles ou faiblement rémunérés : tous ces facteurs leur permettent d’offrir des loyers sensiblement inférieurs à ceux du
marché, 20% en moyenne et jusqu’à 30% dans le canton de Genève (Bureau de la statistique du canton de
Zurich, 2004). La Fédérhabitation –Communauté d’action pour le logement d’utilité publique – rappelle : « Des enquêtes montrent que les ménages vivant dans les coopératives ont en moyenne un revenu
relativement modeste. En tant qu’organisations d’entraide ayant pour but de supprimer les carences
du marché du logement, les coopératives ont tendance à réaliser un habitat pour les ménages dotés de
revenus bas à moyens»
Fédérhabitation, site Internet Les logements en coopérative ne sont pas pour autant des logements sociaux, dont les coûts seraient réduits directement par les pouvoirs publics de manière ciblée. Ils constituent toutefois un mode de production qui pallie le faible nombre de logements sociaux au sens strict du terme et auxquels la confédération n’accorde plus de subventions. Un conseiller d’Etat en charge du logement en 2007 voit
dans les coopératives « un système intéressant qui entre dans [la] loi sur la politique du logement ; au
moment où les HLM n’ont pas la cote, il faut encourager le système coopératif »192.
Un contexte français marqué par la prépondérance du secteur public
Le contexte des politiques du logement et le fonctionnement du marché français ne sont de toute évidence pas les mêmes que ceux de la Suisse ou du Québec. En effet, le secteur du logement social, selon une conception généraliste193, a une place prépondérante en France, représentant 18,4 % du parc total de logements (SOeS, Compte du Logement 2011). A la différence de la Suisse et du Québec, la production de logements accessibles aux ménages ayant de faibles ressources n’est pas laissée à l’initiative de la société
civile. L’habitat participatif, à l’initiative seule des habitants, peut difficilement prétendre rivaliser avec la
190 Le chiffre est issu d’une enquête auprès des ménages occupant un logement en coopérative. Tous les ménages n’ayant pas répondu à cette enquête, il s’agit là d’un indicatif
191 Au sujet plus largement des expériences nord-américaines et de leur rôle de palliatif du désengagement de l’Etat, voir BACQUE M.-H., 2002, « Les entreprises communautaires nord-américaines, un tiers secteur logement », in Mouvements, Vol. 1, n°19, pp. 68-74
192 Federhabitation, « Construction de logements, la troisième voie : les coopératives de construction d’utilité publique en Suisse », 20 p., septembre 2007
193 Les missions du logement social sont dans ce cas définies de façon globale en référence au logement des personnes ayant des
difficultés à accéder à un logement aux conditions du marché en raison de l’insuffisance de leurs revenus. Se référer à HOUARD N. (coord.), 2011, Loger l’Europe, le logement social dans tous ses Etats, Ed. La Documentation française, 392 p.
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production de logements sociaux, qui bénéficie par ailleurs d’un système d’aides publiques établi. Outreles organismes d’HLM, premiers producteurs de logement social, les responsabilités en matière de
logement et d’habitat sont de plus en plus dans les mains des intercommunalités, qualifiées de « chef de
file » et désignées comme « autorités organisatrices » (Navarre et al., 2010 : 9). Leurs compétences en
matière d’habitat en font des acteurs de premier plan ce qui, sauf volonté de leur part, laisse un espace
réduit à l’initiative habitante. En ce sens, le rôle rempli par les coopératives dans les deux pays semble, à
ce stade du moins, ne pas pouvoir être le même en France.
Au-delà du système d’acteurs, la place laissée à la participation des habitants en France est moindre qu’au
Québec notamment, en dépit de l’« impératif délibératif » (Blondiaux, Sintomer, 2002). Si les expériences
associant les habitants se multiplient, elles restent très encadrées par la puissance publique et sont critiquées pour leur faible impact sur les politiques (Rui, Villechaise-Dupont, 2006). A l’inverse, la Suisse et a fortiori le Québec, partagent une importante tradition de la participation et de prises d’initiatives par
la société civile, qui a trouvé sa place en creux du désinvestissement de la puissance publique. Au Canada,
ce qui s’apparente à un mode de gestion des villes sur le modèle communautaire ne concerne pas
seulement les quartiers en difficulté mais est organisé à l’échelle de la ville : « La vivacité de la vie locale et
associative nord-américaine et de la grassroot democracy a, depuis Tocqueville, été soulignée maintes fois au
regard de traditions plus étatistes et « venant du haut », telles la tradition républicaine française » (Bacqué,
2006b). En France, les expériences participatives sont plutôt menées dans une logique de régulation des
problèmes sociaux que d’encouragement de l’auto-développement des populations (Lelévrier, 2005).
Les cultures et contextes nationaux transparaissent également dans les formes d’héritages guidant les
acteurs du mouvement coopératif. Pour Pattaroni (Pattaroni, 2011 : 47), les coopératives genevoises sont les « héritières institutionnelles » des luttes urbaines : « D’une part, il y a un héritage direct du fait qu’une
partie des promoteurs de ces nouvelles formes, en particulier dans le cas des coopératives associatives, sont
souvent eux-mêmes issus des mouvements défendant le « droit à la ville ». D’autre part, il est possible
d’avancer l’idée que tant la coopérative associative que l’éco-quartier sont une manière de traduire dans les formes architecturales et urbaines les mêmes principes militants qui ont nourri le mouvement squat ». A propos de la CoDHA, « si l’on se penche sur ses objectifs, on retrouve assez clairement les principes à la base des critiques qui ont nourri les luttes urbaines et la promotion d’une conception alternative du logement et de
la production de la ville, tels que la participation, la solidarité, la convivialité ou encore l’autogestion » (Pattaroni, 2011 : 49). Cette filiation avec les luttes urbaines et le mouvement squat, que l’on retrouve de façon très marginale dans les réalisations françaises, constitue également l’identité du mouvement en Suisse. L’évacuer revient à en nier l’importance, pourtant capitale. L’exemple genevois invite également à
interroger le caractère contra-cyclique des coopératives. Leur activité, en effet, atteint son paroxysme dans les périodes de pénurie et de crise. Dès lors, si le marché se détend, les coopératives et plus
largement l’habitat participatif trouveront-ils leur public ?
L’habitat participatif n’est pas en tant que telle une invention française dans la mesure où des opérations
semblables existent depuis plusieurs décennies dans d’autres pays comme la Suisse et le Canada. Toutefois, une attention portée aux définitions, aux réseaux d’acteurs et aux contextes nationaux révèle d’importantes
différences et indique combien les résultats obtenus dépendent des critères choisis. Aussi, trancher quant au
caractère novateur de l’habitat participatif au regard d’une échelle géographique n’est pas chose aisée. L’échelle du système de production de l’habitat porte en elle les dernières révélations quant à ce caractère
novateur. Laisse-t-elle quelques interstices à investir ? L’habitat participatif amène-t-il des éléments que ce