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La recherche sur les tableaux de flux : panorama, analyse et recherches futures

1. Les travaux sur le modèle de tableau de flux

A l’appui d’un article consacré à l’évolution en France des tableaux de financement et de flux sur une période allant des années 1950 à la fin des années 1980, Boussard et Colasse (1992) fournissent une bibliographie comprenant plus de cent références, universitaires et professionnelles. C’est dire l’intérêt suscité par le sujet et, plus spécifiquement, par le thème du modèle du tableau de flux, intérêt d’autant plus remarquable que la réflexion doctrinale et la recherche comptable étaient encore peu développées en France pendant cette période.

Après avoir fait un historique succinct de ces travaux en France, en nous focalisant sur les plus marquants, nous tenterons d’expliquer leur foisonnement. Nous examinerons ensuite les travaux réalisés à l’étranger pendant la même période.

1.1. Un historique succinct

C’est à la fin des années 1950 et au début des années 1960 que certaines banques et certaines grandes entreprises françaises commencèrent, en s’inspirant des pratiques américaines, à élaborer des tableaux de financement ; mais il fallut attendre 1969 pour que le document reçoive une première consécration officielle. C’est en effet cette année-là que l’ordre des experts-comptables (alors appelé ordre des experts-comptables et des comptables agréés) propose un modèle de tableau de flux (Collectif 1969). Ce modèle, proposé à une époque où le fonds de roulement était le principal instrument utilisé par les analystes financiers pour juger de l’équilibre financier d’une entreprise, a pour objet d’expliquer la variation de celui-ci au cours de l’exercice.

Au début des années 1970, la Centrale de bilans de la Banque de France (aujourd’hui dis-parue) propose son propre modèle, différent de celui de l’Ordre et inspiré des travaux de trois banquiers (Meunier et al. 1970). Ce modèle met en exergue la notion alors nouvelle de besoin en fonds de roulement. Il ne s’agit plus d’apprécier l’évolution de l’équilibre financier de l’entreprise à l’aune de la seule variation de son fonds de roulement mais en comparant cette variation à celle du besoin en fonds de roulement ; par différence entre les deux, on obtient la variation de la trésorerie et c’est le signe et l’amplitude de cette variation qui permettent de juger de l’évolution de l’équilibre financier au cours de la période considérée. Ce modèle met en évidence l’impact des opérations de l’entreprise sur le fonds de roulement, le besoin en fonds de roulement et la trésorerie ; celles-ci sont 5. Rappelons que plusieurs auteurs académiques ont déjà réalisé des présentations détaillées du tableau de flux (Hoarau 1993c ; Verdier 1995 ; Lavoyer 1999).

Chapitre 4 : L’utilisation de l’information comptable

La recherche sur les tableaux de flux : panorama, analyse et recherches futures

classées, par référence à la typologie de la comptabilité nationale, en quatre catégories : exploitation, répartition, investissement et financement.

En 1977, un analyste financier externe, Geoffroy de Murard, publie un tableau, intitulé tableau pluriannuel des flux financiers ou TPFF (Murard (de) 1977) qui fait grand bruit dans le petit monde de l’analyse financière (Hoarau 1989) parce qu’il est sous-tendu par une conception du financement de l’entreprise qui est loin de faire l’unanimité. Il s’agit pour son auteur de donner au dirigeant d’entreprise un outil qui lui permette de gérer de façon “optimale“ la croissance de son entreprise grâce au surplus monétaire dégagé par son exploitation (voir également Borjeix 1979 ; Brault et Cohen 1984). Ce tableau peut en particulier être utilisé à des fins stratégiques en complément de la matrice du Boston Consulting Group, un instrument d’analyse stratégique alors très en vogue. Christian Hoarau approfondit d’ailleurs ce lien entre analyse des flux financiers et analyse stratégique dans la deuxième partie de son ouvrage (Hoarau 1996).

En 1982, le Conseil national de la comptabilité (CNC), l’organisme national de norma-lisation comptable de l’époque, présente dans sa nouvelle édition du Plan comptable général (CNC 1982) un tableau, dont une première version avait été présentée en 1979 (Colasse et Conso 1979) et qui était inspiré du tableau de la Centrale de bilans de la Banque de France mais sans que les variations respectives du fonds de roulement, du besoin en fonds de roulement et de la trésorerie soient ventilées par catégorie d’opé-rations (Mériaux 1982). Ce tableau est surtout marquant parce qu’il s’agit du premier tableau de financement normalisé. Mais cette normalisation est relative car son utilisation n’est que facultative, ce qui laisse la porte ouverte à l’élaboration d’autres tableaux. En outre, ce tableau n’est pas exempt de critiques (Assouline 1985 ; Degos 1985).

En 1984, un universitaire, Gérard Charreaux, présente un nouveau tableau (Charreaux 1984a, 1984b, 1984c) qui, à la différence des précédents, et conformément à la théorie financière, ne postule aucune affectation des ressources aux emplois : les ressources couvrent globalement les emplois. Alors que les trois tableaux précédents véhiculent des normes d’équilibre financier et peuvent être, pour cette raison, qualifiés de normatifs, le tableau de Gérard Charreaux est purement analytique (voir aussi Ternisien 1991a). Dans le même esprit de non affectation des emplois et des ressources, Jacques Richard (1985) propose un modèle intitulé “tableau des flux du cycle“.

En 1987, la Centrale de bilans de la Banque de France (Centrale de bilans 1987) publie un nouveau modèle de tableau de financement, proche dans sa conception du tableau de financement du PCG 1982, ainsi qu’un tableau des flux de trésorerie. Ce tableau des flux de trésorerie est fortement inspiré de celui présenté par le FASB dans son SFAS 95 (FASB 1987). S’il n’est donc pas original dans sa conception, son apparition est un fait marquant car elle rompt avec la tradition française du tableau de financement.

En 1988, l’ordre des experts-comptables publie une recommandation (Collectif 1988) sur le « tableau de financement » qui propose un tableau montrant la variation des flux de tré-sorerie, s’inspirant fortement, comme celui de la Centrale de bilans, du modèle américain du SFAS 95 (FASB 1987). Ce tableau dont on a souligné les qualités (Degos 1991) a fait l’objet de propositions d’amendements (Stolowy 1991a) et aussi de critiques (Ternisien 1991b ; Hoarau 1993c), dont certaines ont mené à la refonte de la recommandation et à la publication d’une version révisée sous forme d’avis (Collectif 1997 ; Stolowy 1997). Le rappel de ces tableaux “marquants“ (voir également Guyon 1979 ; Albouy 1987 ; Stolowy 1998) suffit à illustrer la grande diversité des nombreux modèles proposés en France dans les années 1970 et 1980. Ils ont entre eux quelques similitudes mais aussi beaucoup de différences. Comme l’écrivent Boussard et Colasse (1992, p. 241),

modes de fonctionnement. Derrière des différences techniques sont à l’œuvre des différences d’interprétation et de logiques ». Avec raison, c’est donc le critère des “lo-giques financières sous-jacentes“ que Christian Hoarau (1996) retient à titre principal pour classer les multiples tableaux présentés pendant la période (voir aussi Poncet et Portait 1978 ; Hoarau 1991). En fonction donc de ce critère des logiques financières, il distingue (1996, p. 33) quatre catégories de modèles : ceux sous-tendus par la recherche d’un équilibre entre croissance et risque de faillite ; ceux sous-tendus par la recherche d’un équilibre entre croissance et rentabilité ; ceux sous-tendus par la recherche d’un équilibre entre rentabilité et risques ; enfin, ceux sous-tendus par la recherche d’un équilibre entre croissance et indépendance financière. D’un point de vue statistique, l’association ATH a publié pendant de nombreuses années un ouvrage annuel “L’information financière : 100 groupes industriels et commerciaux“ qui faisait état des formats adoptés par les grandes sociétés françaises. Cette étude a parfaitement montré la montée en puissance du tableau de flux de trésorerie de l’ordre des experts-comptables qui est passé de 19 % de l’échantillon en 1989 à 78 % en 1998 (Ding et al. 2002).

1.2. Pourquoi un tel développement de la recherche sur les modèles ?

La principale raison de cette éclosion de tableaux de flux est sans doute le contexte économique de la fin des années 1960 et du début des années 1970, celui de la fin des Trente Glorieuses. Pendant toute cette période, les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité, sont portées par la croissance de l’économie nationale et les analystes financiers peuvent se satisfaire du bilan et du compte de résultat (en fait deux comptes : le compte d’exploitation générale et le compte de pertes et profits) du PCG 1957 pour juger de leur situation et de leurs performances.

Avec les prémices de la fin des Trente Glorieuses, que l’on fait en général coïncider avec le premier choc pétrolier de 1974, la vie financière des entreprises devient plus chaotique : leur croissance est moins constante, leur rentabilité plus instable et leur équilibre financier plus précaire ; par ailleurs, des différences sectorielles apparaissent. Dans ce nouveau contexte, le bilan et le compte de résultat prévus par le PCG 1957 s’avèrent de plus en plus insuffisants pour répondre aux besoins des analystes financiers. D’où la recherche d’un nouvel instrument moins patrimonial, comme le sont le bilan et le compte de résultat de l’époque, et plus financier, qui permette un meilleur suivi financier de la croissance des entreprises et également d’anticiper un risque éventuel de faillite.

Cette recherche autour des tableaux de flux est d’autant plus libre que la normalisa-tion comptable française ne la “bloque“ pas. Le PCG 1957 ignore en effet totalement les tableaux de flux. Les propositions peuvent donc se multiplier, chacune traduisant un point de vue particulier sinon original sur l’entreprise. Banquiers, analystes finan-ciers, universitaires sont ainsi amenés à nouer un dialogue autour de leurs travaux respectifs, d’où des échanges conceptuels entre les différents modèles. Le normali-sateur français n’interrompra pas ce dialogue car s’il propose un modèle de tableau de financement dans le PCG 1982, il se garde, ainsi qu’on l’a déjà dit, de le rendre obligatoire.

En définitive, cette éclosion de tableaux de financement s’explique à la fois par le contexte (la fin des Trente Glorieuses) qui requiert un nouvel outil d’analyse financière et par le fait que le PCG n’en propose pas jusqu’en 1982 et que celui qu’il propose en 1982 est d’utilisation facultative.

Chapitre 4 : L’utilisation de l’information comptable

La recherche sur les tableaux de flux : panorama, analyse et recherches futures

1.3. Et au plan international ?

Paradoxalement, le thème des modèles est peu développé dans la recherche hors de France. Quelques travaux méritent néanmoins d’être cités. Smith Jr et Freeman (1997) examinent la perception des utilisations de modèles alternatifs à celui du FASB et imposés par le Governmental Accounting Standards Board (GASB), organisme chargé des normes comptables dans le secteur public aux Etats-Unis.

Schevin (1993a, 1993b) étudie les modèles utilisés dans plusieurs pays européens et Stolowy (1989, 1991b) propose un aperçu de la pratique internationale. Bailly-Masson (2000) évoque la supériorité au plan international du tableau des flux de trésorerie. Nissan et al. (1995) présentent le tableau de flux au Japon et Dhar (1998) s’intéresse aux pratiques de publication en Inde sur la base d’un échantillon de rapports annuels.

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