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La norme comptable et la neutralité du contrôle de gestion

De la cohérence entre comptabilité générale et contrôle de gestion

1. La norme comptable et la neutralité du contrôle de gestion

La normalisation comptable se donne pour finalité l’homogénéité, donc la comparabi-lité, entre représentations numériques des organisations. Elle se définit et s’enracine en conséquence sous une forme internationale à visée universaliste. Elle s’impose progressivement à toutes les organisations et notamment à leurs contrôleurs de gestion. Elle imprègne ainsi les procédures de reporting, c’est-à-dire de surveillance, utilisées au sein non seulement des multinationales, mais aussi des entreprises de taille plus modeste et même des organisations publiques. Dans ces conditions, la norme comptable paraît de nature à fonder la neutralité du contrôleur-surveillant, en lui fournissant des données réputées conduire à des évaluations fiables, puisque dépourvues de biais spatial et temporel, grâce à l’application de normes et de prin-cipes. Il ne resterait plus au dit contrôleur qu’à relayer sans distorsion les images – fidèles – ainsi reçues de la gestion économiquement et financièrement rationnelle. En

Chapitre 2 : La théorie comptable

De la cohérence entre comptabilité générale et contrôle de gestion

cela, il assurerait et assumerait une forme de neutralité, ou même d’objectivité. Son rôle se réduirait ainsi à la traduction et à l’analyse d’une représentation normalisée du résultat qui lui serait imposée. Or cette représentation sous-tend les contours d’une

performance à son tour fortement normée, à la fois par ses attributs chiffrés, et par son niveau souhaitable ou souhaité, à commencer par la cible symbolique dite “des 15 %“.

Ainsi comprise, cette performance exprime une rationalité d’apparence très cohé-rente, puisqu’essentiellement liée à des anticipations marchandes ou financières. De façon complémentaire, il devient logique de l’associer à une détermination de la “vraie“ valeur des actifs, dès lors annoncée comme calculable et porteuse de sens.

1.1. La norme, le résultat comptable, et l’image de la performance

L’hypothèse d’un contrôle essentiellement fondé sur des données comptables signi-fie fondamentalement qu’un résultat comptable respectueux des normes peut et doit révéler l’image sincère, fiable et fidèle de la performance rationnellement comprise. Or, les comptables eux-mêmes n’en proposent pas moins de “re-normer“, ou au moins de rectifier, diverses données pourtant établies conformément aux normes, comme si ces données primaires se révélaient en quelque sorte… anormales. Il s’agit par exemple d’établir des coûts dits “d’imputation rationnelle“, afin de mieux évaluer le résultat, et corrélativement certains actifs. La rationalité implicitement convoquée est justement celle d’une conformité à une norme hypothétique d’activité, activité normale donc. Ensuite, la détermination de ce niveau normal d’activité est symboliquement présentée comme généralement réductible au calcul d’une moyenne

d’activités historiquement observables – les modalités et périodes de référence res-tant a priori implicites – ou d’activités relevées – il n’est pas dit par quelle méthode ou par quelle démarche – au sein d’organisations supposées comparables. En l’occur-rence, le recours à des moyennes peut certes justifier le qualificatif de “normal“. Mais sur quels fondements de telles moyennes peuvent-elle ainsi prétendre dépasser leur seule signification statistique ? Sur quels critères repose la comparabilité supposée des activités dans le temps et dans l’espace ? Les contrôleurs de gestion sont sans doute supposés capables d’en répondre, sans pour autant porter atteinte à leur neu-tralité, ni à celle de la comptabilité.

Bien d’autres exemples illustrent cette quête paradoxale d’une représentation du résultat comptable, donc d’une image de la performance, à la fois plus fiable et plus significative, tout particulièrement par le biais des charges dites calculées ou même supplétives. En quelque sorte, l’imagination des comptables semble sans limite, dès lors qu’il s’agit de répondre aux confrontations ou conflits entre l’application stricte des normes et les multiples opportunismes qui peuvent en encourager l’utilisation. Au regard de telles démarches, le contrôleur de gestion peut-il et doit-il rester neutre et par suite indifférent ? Sa compétence n’est-elle pas en effet et justement de dire et décliner les multiples facettes de la performance ? D’en relativiser par là même les représentations dans le temps et dans l’espace ? D’anticiper par conséquent la capacité, le potentiel économique de l’organisation concernée ? Le voilà qui tend à s’éloigner, en compagnie du comptable et de la comptabilité, d’une figure unique, rationnelle, permanente, du résultat ou du moins de son mode de calcul, de sa sur-veillance, et par suite de l’hypothèse de neutralité de l’outil comptable et du contrôle de gestion.

Chemin faisant, ce dernier paraît donc nécessairement conduit à élargir sa démarche et par suite, à traduire et diffuser toutes les conséquences potentielles de la variabilité et des incertitudes qui entourent son organisation. En quelque sorte, il va s’agir pour lui de composer avec les injonctions normatives associées à la définition de la “vraie“ valeur des actifs, supposée indissociable de la “vraie“ performance.

1.2. Le vrai résultat, la vraie performance, et la vraie valeur

Pour le contrôle de gestion, l’enjeu essentiel devient ainsi de donner un sens éco-nomique et gestionnaire au concept de valeur, de le partager et de dépasser par conséquent la recherche et la lecture immédiate de données telles que le résultat historique éventuellement “re“-normé, et ses décompositions courantes. Comment en particulier comprendre et traduire ces “vraies“ valeurs qui imprègnent désormais les normes comptables ?

En l’occurrence, le contrôle de gestion ne peut se satisfaire de l’évocation de prin-cipes généraux ou même de règles éventuellement complexes, mais cependant sou-vent présentés comme relevant d’évidences financières et normatives, notamment par les consultants ou les auditeurs. Ces derniers ont en effet tôt fait de passer, sur ce type de sujet, d’un discours général, ou même abstrait et théorique, à des pres-criptions méthodologiques et pratiques tellement sophistiquées et obscures, qu’elles en paraissent réservées à un entre-soi de spécialistes. A l’opposé en quelque sorte, le contrôleur de gestion se doit quant à lui de traduire ces mêmes normes, et leurs impli-cations, auprès de responsables et d’acteurs confrontés au quotidien opérationnel de l’organisation. Or, l’enjeu est de taille, puisqu’il consiste en quelque sorte à signifier la cohérence entre l’histoire, le patrimoine dans lequel s’enracine cette organisation, et le devenir, forcément incertain, que vont lui souhaiter, ou lui prêter, ses “parties prenantes“, financières notamment.

En cela, et de nouveau, la neutralité du contrôle et du contrôleur se trouve mise en question. Sa démarche pourrait en effet idéalement coïncider avec la transition harmonieuse d’une comptabilité et de normes essentiellement historiques à des formes comptables plus créatives, et enfin à des représentations plus anticipatives ou même spéculatives. Mais, puisqu’elle est porteuse de différenciation et de sub-jectivité, une telle transition ne semble guère pouvoir rester compatible avec le principe même de l’image comptable unique et fidèle. Comment en effet rester neutre tout en proposant une représentation numérique fiable de la performance, alors qu’il s’agit en même temps d’établir une image d’actifs au moins en partie spéculatifs donc volatils ? Comment assumer par conséquent la quasi-impossibilité de créer des données comptables rigoureusement comparables à d’autres, à la fois dans le temps et dans l’espace ? En l’occurrence, le contrôle de gestion ne peut manquer de se heurter à des contradictions ou à des impasses. La preuve en est que, désormais, ce type de difficulté tend à être contourné par l’édification de tableaux de bord présentés comme en grande partie extra-comptables, et par là, porteurs de plus de sens. Mais n’est-ce pas au prix d’un risque de dégradation de la cohérence entre communication interne et communication externe sur la perfor-mance de l’organisation ? Autrement dit d’un possible découplage entre usage des tableaux de bord et reporting financier ?

Ainsi, à vouloir s’affranchir, dans sa fonction de surveillance, des tendances spécula-tives de la comptabilité, le contrôle de gestion peut se trouver paradoxalement taxé d’un défaut de neutralité au regard des injonctions du marché financier, de la doxa

Chapitre 2 : La théorie comptable

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managériale qu’il diffuse, et des représentations qu’il requiert. Au plan des organisa-tions comme à celui des instituorganisa-tions, des enjeux de pouvoir ne peuvent alors manquer de s’installer : qui peut et doit dire en effet, et sous quelle forme, la “vraie“ perfor-mance et les conséquences à en tirer ? Une telle réflexion doit-elle-même conduire à questionner la possibilité et le sens d’une rétroaction du contrôle de gestion vers les normes comptables ?

2. La rétroaction du contrôle de gestion sur la norme

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