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L’accueil du décret d’application du 17 février 1986

La « dénormalisation comptable »

2. L’accueil du décret d’application du 17 février 1986

Quel fut l’accueil réservé à ce décret ? C’est en nous appuyant notamment sur les comptes rendus d’une conférence débat organisée le 2 octobre 1986 à Paris par la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Versailles 3 et sur la presse professionnelle

3. Les participants a cette conférence débat étaient : Bernard Pierre Germond, président honoraire de la compagnie régionale de Versailles et délégué de la France à l’IFAC, Olivier Azières, commissaire aux comptes, membre du CNC et représentant français au comité d’études pour les questions européennes à Bruxelles, Emmanuel du Pontavice, professeur de droit à l’université de Paris, Bertrand d’Illiers, chef du service des affaires comptables de la COB, Pierre Conso, directeur général des Ciments Français.

Chapitre 3 : La normalisation comptable

La « dénormalisation comptable »

de l’époque (Feuillet, 1986 ; Petit, 1986 ; Gérard, 1990) que l’on constate que les avis sont en fait très partagés. D’un coté des préparateurs et des utilisateurs de l’informa-tion comptable qui stigmatisent la trop grande souplesse introduite dans le décret et qui soulignent que ce dernier n’est pas assez contraignant pour fournir une information financière consolidée de qualité. De l’autre, un régulateur boursier, un commissaire aux comptes et un préparateur d’états financiers consolidés qui se félicitent bien au contraire de la souplesse du décret.

2.1. Les “Options“ sources de désinformation financière

Dans un commentaire du décret du 17 février 1986 publié dans la Revue des Sociétés, Pierre Feuillet 4 montre que la souplesse de la loi et du décret nuisent à la qualité de l’in-formation publiée et s’inquiète du comportement des dirigeants relativement aux options offertes : « Le double risque d’hétérogénéité des comptes consolidés d’une société à l’autre et des comptes consolidés et des comptes annuels pour une même société est de nature à en atténuer sensiblement le caractère bénéfique.[…] Quant aux groupes il serait vivement souhaitable que, dans le souci qui est le leur de diffuser une information claire et aisément perceptible, ils utilisent, avec le plus grand discernement, les très nombreuses options qui viennent de leurs être offertes » (Feuillet, 1986, p. 189).

De son coté, Max Gérard 5 lors d’un “Mercredi de la comptabilité“ organisé le 22 mai 1985 par l’Ordre des experts-comptables et ayant pour thème : “Les comptes consolidés  : qu’attendre du décret ?“ s’était élevé contre les trop nombreuses options dont le choix était librement laissé à la discrétion des entreprises, en observant que :

« • nous risquons de passer ainsi d’une situation anarchique inorganisée à une situation

anarchique organisée ;

• la désinformation qui continuerait à en résulter serait plus nocive que précédemment car

elle se situerait dans un cadre légal » (Gérard, 1990, p. 121).

Lors d’une allocution prononcée devant les auditeurs de la Cour de comptes le 28 mai 1986, il avait à nouveau reproché la souplesse du dispositif juridique en précisant que :

« L’absence de rigueur des textes s’expliquait par le souci qu’avait eu le législateur de permettre aux entreprises qui le souhaitaient d’utiliser les sacro-saintes règles améri-caines sans lesquelles, pour certains, il n’y avait point de salut ! Ce qui, bien entendu, est parfaitement inexact car il est, comme chacun sait, tout à fait possible de faire appel au marché financier international sans pour autant s’astreindre à respecter scrupuleusement ces règles » (Gérard, 1990, p. 122).

4. Président d’honneur de l’Ordre des experts-comptables

5. Max Gérard a joué un rôle considérable dans l’évolution de la doctrine de la consolidation des comptes en France. Auteur d’un mémoire pour le diplôme final d’expertise comptable portant sur Etude sur la consolidation des résultats des groupes financiers présenté en 1956. Il devient directeur financier de la Compagnie Française des Pétroles (TOTAL) à la fin des années 1950. En 1964, avec d’autres directeurs financiers de groupes français, il contribue à la rédaction de la plaquette intitulée “Pour une méthode générale d’établissement des comptes consolidés“ dans laquelle figuraient les principes de consolida-tion repris dans le rapport sur les comptes consolidés approuvé par le Ministre de l’Economie et des finances le 20 mars 1968. Au début des années 1980, il est vice-président du CNC et président du groupe de travail “comptes consolidés“ en charge de l’élaboration de la méthodologie sur les comptes consolidés au sein de l’organisme de normalisation comptable français. C’est cette méthodologie qui a été approuvé par l’arrête ministériel du 9 décembre 1986.

Du côté des analystes financiers, le verdict est tout aussi sévère. En effet, au cours d’une table ronde organisée par la Société française des analystes financiers qui réunissait des responsables de bureaux d’études le 13 juin 1986, l’un d’eux, écrivait dans les colonnes de la revue Analyse financière : « On peut raisonnablement douter de la qualité de l’apport d’information des comptes consolidés du nouveau plan comptable, sachant que le décret d’application de la loi du 3 janvier 1985 est très peu contraignant en ce qui concerne la présentation et le détail des comptes de résultat et de bilan. Je crains que les analystes financiers restent confrontés à de grandes difficultés de compréhension des comptes. En fait, les sociétés qui donnent traditionnellement une quantité suffisante d’informations continueront de le faire, tandis que les autres pourront s’appuyer sur la trop grande sou-plesse du décret pour continuer de présenter des documents comptables et financiers de qualité médiocre ». (Petit, 1986, p. 21).

2.2. Les “Options“ à l’origine de la qualité de l’information financière

Alors que certains critiquent ce décret, d’autres au contraire en apprécient la souplesse qui permet un rapprochement des règles françaises de consolidation avec les règles anglo-saxonnes. Tel est le point de vue défendu par : Bertrand d’Illiers (chef du service des affaires comptables de la COB), Olivier Azières (membre du Conseil national de la comptabilité et représentant français au comité d’études pour les questions communau-taires de Bruxelles), et Pierre Conso (directeur général des Ciments Français et président de la Commission des finances du CNPF), lors de la conférence-débat sur “les comptes consolidés et le droit des groupes“ organisée à Versailles en octobre 1986 par la Compa-gnie régionale des commissaires aux comptes.

Pour Bertrand d’Illiers, ce décret est satisfaisant car il permet de distinguer les sociétés hexagonales des sociétés multinationales : « Notre attitude à la COB à l’égard des socié-tés devant le problème des comptes consolidés est très pragmatique : nous ne traitons pas de la même façon une société hexagonale et une société multinationale. Dans le cas de sociétés hexagonales, quels sont les lecteurs des comptes consolidés ? Cela serait essentiellement des Français qui connaissent à priori la société, qui ont l’habitude de lire ses comptes. Ils seraient déroutés si les comptes consolidés étaient assez différents et d’autre part il n’y a pas de raisons techniques pour que les comptes consolidés soient spécialement différents, à part les retraitements rendus obligatoires par la loi. Mais il n’y a pas de raisons spéciales de chercher plus loin des méthodes très différentes puisque les lecteurs a priori comprendront les comptes consolidés si leurs méthodes sont assez proches de celles de la société mère. Au contraire, pour les sociétés multinationales, les lecteurs étant souvent de pays variés comprendront mieux les comptes consolidés si ceux-ci sont délibérément établis d’après les principes comptables lisibles et intelligibles dans tous les pays, c’est-à-dire d’après les principes comptables internationaux, encore que cette expression ne soit pas d’une précision très grande ».

Pour Olivier Azières, le décret est adapté aux sociétés françaises qui peuvent, grâce au jeu des options, présenter des comptes consolidés proches des standards anglo-saxons : « les principes appliqués en France utilisant les options prévues équivalent aux normes IASC. De plus, si le groupe ne choisissait pas par exemple de capitaliser ses contrats de crédit-bail, ou s’il décidait de ne pas provisionner des retraites, l’information obligatoire en annexe permettra à un lecteur international de comprendre les comptes consolidés publiés en France ».

Enfin, le président de la commission des finances du CNPF apprécie également la souplesse du décret dès lors qu’il est possible de se rapprocher des standards anglo-saxons : « Il est

Chapitre 3 : La normalisation comptable

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bien évident que nous retraitons les amortissements et nous abandonnons très directement les méthodes françaises d’amortissement qui restent liées à la fiscalité pour retenir plutôt les méthodes d’amortissement anglo-saxonnes puisqu’il faut présenter un bilan, bien sûr fidèle, mais le plus beau bilan possible sur le marché international des capitaux, pourquoi brimer les résultats en utilisant des délais d’amortissement extrêmement courts. Le standard inter-national et notamment le standard américain sont pour nous très importants ».

On voit que l’accueil réservé au décret d’application du CNC est mitigé. On aurait pu croire que les préparateurs d’états financiers consolidés réclament d’une voie commune la plus grande souplesse en matière d’élaboration d’états financiers. Sur ce point, les oppositions sont radicales. D’un coté, Max Gérard dénonce les trop nom-breuses options laissées à la discrétion des chefs d’entreprise. De l’autre, Pierre Conso qui défend notamment les positions du Centre national du patronat français se félicite bien au contraire de cette souplesse de la norme comptable. Inquiets par l’inflation des options autorisées dans le décret et l’arrêté, les analystes financiers critiquent sans réserve cette nouvelle réglementation sur la consolidation des comptes. Ces critiques peuvent s’expliquer en raison des nombreux retraitements qu’il est nécessaire d’opérer sur les comptes consolidés afin d’en tirer la “substantifique moelle“. Ces retraitements longs, parfois complexes, augmentent indubitablement le coût de production de l’infor-mation financière qui sera nécessaire au jugement de l’analyste financier.

Visionnaire, le régulateur boursier distingue les besoins des sociétés hexagonales de ceux des sociétés françaises de dimension internationale !

Conclusion

Quelques mois après la prise du décret, un arrêté du 9 décembre 1986 venait approu-ver la méthodologie du CNC sur les comptes consolidés. Cette dernière, adoptée par le Conseil national de la comptabilité réuni en formation de collège le 27 octobre 1986, fut introduite au chapitre IV du titre II “Comptabilité générale“ du Plan comp-table général. Ce texte est le résultat de très laborieux travaux menés durant plusieurs années par la “Commission des comptes consolidés du CNC“. A ce propos Max Gérard, qui fut le président de cette commission au sein du CNC souligne que : « Un consensus, quasi général, de l’ensemble des parties intéressées représentées tant à la Commission qu’au collège a été obtenu sur l’ensemble du texte mais au prix de certains compromis qui ont conféré à cette méthodologie une inévitable souplesse »

(Gérard, 1987, p. 14).

Les critiques du vice-président du CNC sur la nouvelle réglementation sur les comptes consolidés sont cependant sévères : « A l’exclusion de quelques dispositions contraignantes comme la nécessité d’homogénéiser les méthodes d’évaluation ou l’obligation d’éliminer l’in-cidence sur les comptes des écritures fiscales et de comptabiliser les impositions différées, cette réglementation ne modifiera que bien peu les pratiques actuelles. […] Les comptes consolidés doivent permettre de juger des performances de l’entreprise consolidante, or comment comparer ses performances à celles des concurrents si les méthodes sont diffé-rentes ? La souplesse du dispositif et le défaut de normalisation des méthodes d’évaluation et de présentation ne permettent pas d’assurer cette comparaison. C’est le reproche essentiel que l’on peut formuler à cette loi et ses textes d’application » (Gérard, 1987, p. 40).

Dans la France des années 1980, les mutations économiques sont profondes. A “l’ouverture des marchés“ des années 1960 a succédé la mondialisation des écono-mies et de la finance. A la fin de l’année 1986, bien qu’il existe désormais un dispositif

complet permettant aux sociétés françaises à la tête d’un groupe de produire et de publier des comptes consolidés, les avis sont très partagés sur la nature même de ces réglementations. La trilogie Directive européenne-loi-décret allait permettre aux sociétés françaises de publier des comptes consolidés en ayant la possibilité d’opter pour certains standards internationaux. Avec la consolidation des comptes, le cheval de Troie de la normalisation comptable internationale pénétrait le sol français et ouvrait, selon l’expression du vice-président du Conseil national de la comptabilité, l’ère d’une “dénormalisation comptable“.

Bibliographie

• Bensadon, D. (2014), A l’origine de la convergence du droit comptable français vers le modèle anglo-saxon, in Mélanges en l’honneur de Yannick Lemarchand. (Eds, Levant, Y. Sandu, R. & Zimnovitch, H.), L’Harmattan, p. 285-300.

• Bensadon, D. (2005), Analyse longitudinale de la consolidation des comptes dans les revues comptables professionnelles 1954-1985, Comptabilité, contrôle, audit, numéro thématique “Histoire de la comptabi-lité, du management et de l’audit“, p 105-129.

• Colasse B. (2005), “La régulation comptable entre privé et public“, in M. Capron, Les normes comptables internationales, instrument du capitalisme financier, La Découverte, p. 27-48.

• Feuillet, P. (1986), La consolidation des comptes (décret n°86-221 du 17 février 1986), Revue des socié-tés, n° 2, p. 173-189.

• Gérard, M. (1987), Pour les comptes consolidés : une réglementation toute en souplesse, Revue de droit comptable, n° 87-1, p. 11-42.

• Gérard, M. (1990), Pour les comptes consolidés: une triste confirmation, Revue de droit comptable, n° 90-2, p. 121-124.

• Hoarau, C. (1995), L’harmonisation comptable internationale : vers la reconnaissance mutuelle norma-tive ?, Comptabilité, contrôle, audit, vol. 2, tome 1, pp. 75-88.

• Hoarau, C. (2003), Place et rôle de la normalisation comptable en France, Revue française de Gestion, n° 147, p. 33-47.

• Hoarau, C. (2010), La nouvelle gouvernance du normalisateur comptable : singularité, enjeux, limites, in La gouvernance juridique et fiscale des organisations, (Eds, Rossignol, J.L), Lavoisier, p. 317-342.

• Petit, B. (1986), Forces et faiblesses de l’information financière des sociétés cotées, Analyse financière, 3ème trimestre, p.16-23.

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