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Discussion : la dimension partenariale de la normalisation française : une exception en voie de disparition ?

normalisation comptable en France, une exception ?

2. Discussion : la dimension partenariale de la normalisation française : une exception en voie de disparition ?

L’analyse de la transformation des comités et conseils chargés de la normalisation sur la période allant des origines jusqu’au développement et à l’apogée de la normalisation française démontre que la collégialité délibérative constitue une caractéristique majeure de la normalisation à la française, associant l’Etat qui organise cette normalisation, les professionnels comptables et l’ensemble du monde économique et social. Au fil du temps, les commissions s’étoffent, les parties prenantes impliquées se diversifient et le poids de l’Etat diminue progressivement. L’équilibre des représentations publiques et privées est atteint au tournant des années 1970. Les acteurs de la normalisation comptables sont transformés pour refléter les changements et les nouveaux équilibres.

Ces modalités d’organisation de la normalisation sont assez atypiques. Peu de dispo-sitifs nationaux ont traditionnellement accordé une large place au monde économique et social : on peut citer le Japon ou la Suède (Bloom et Naciri, 1989 ; Flower, 1997). La description que livre Jönsson (1988) du dispositif de normalisation suédois dans les années 1980 n’est pas sans rappeler le fonctionnement du CNC : mis en place en 1976, au plus fort des débats autour de la démocratie industrielle, le normalisateur suédois, organisme gouvernemental, reposait sur la représentation large des différents intérêts avec, notamment, une place pour les syndicats de salariés.

La tradition française s’oppose indiscutablement au modèle anglo-saxon 7. Deux dif-férences méritent d’être soulignées : la diversité des parties prenantes représentées et le statut des membres de l’institution chargée d’élaborer les normes (Chantiri-Chaudemanche, 2009).

Les premiers organismes de normalisation anglo-saxons, jusqu’à la mise en place du

Financial Accounting Standards Board en 1973 aux Etats-Unis et à partir des années

7. Même s’il est abusif de parler de modèle anglo-saxon en raison des différences observables d’un pays à l’autre et de l’évolution de ce modèle supposé au fil du temps.

Chapitre 3 : La normalisation comptable

La dimension partenariale de la normalisation comptable en France, une exception ?

1990 dans les autres pays, fonctionnent sur des bases similaires, avec une place prépon-dérante accordée à la profession comptable. Des critiques récurrentes ont été formulées quant à la seule représentation de la profession comptable et, petit à petit, les organismes se sont ouverts à d’autres parties prenantes : les entreprises et les utilisateurs. Mais c’est une version restrictive des utilisateurs qui est retenue. La notion d’utilisateurs renvoie aux actionnaires et aux investisseurs et, plus largement, à la communauté financière. Cette conception des utilisateurs est cohérente avec la place importante des marchés financiers et les objectifs attribués à la comptabilité. Ainsi, le modèle anglo-saxon, si tant est qu’il existe, ne fait pas participer toutes les parties intéressées. Il ne reconnaît qu’à quelques parties bien délimitées le droit de participer. En cela, il s’oppose à la tradition française qui, jusque dans les années 1990, a ouvert la normalisation au monde écono-mique et social dans sa diversité et sa richesse même si, selon les époques, certaines parties ont été plus actives que d’autres (Hoarau, 2003).

La deuxième différence tient dans le statut des membres. Les organismes de norma-lisation anglo-saxons privilégient la figure de l’expert à celle de représentant mandaté. La première génération d’organismes de normalisation confie la normalisation à des professionnels comptables, bénévoles, mandatés par des cabinets ou des instituts pro-fessionnels. L’expertise réside dans le fait que ce sont des professionnels comptables. Mais, avec le temps, la figure de l’expert a évolué. La deuxième génération d’organismes (typiquement le FASB américain dès 1973, qui a inspiré les réformes d’autres dispositifs, australien, britannique,… et même celle du dispositif international en 2001), repose sur l’expert indépendant. Les membres sont nommés à titre individuel, à temps plein pour partie voire totalité d’entre eux, et rémunérés.

En cela, la différence est importante avec la tradition française où, à l’exception de quelques “experts“ ou “personnalités qualifiées“ – la terminologie évolue avec le temps – les membres sont nommés en tant que représentants de leur institution. Il convient de noter que depuis les débuts, la représentation est allée de pair avec les compétences et l’expertise, de nombreux représentants étant des “techniciens“ de la comptabilité. Si cela paraît évident de la part des professionnels comptables en cabinet ou en entreprise, cela a généralement été le cas des représentants des organisations syndicales, experts-comptables et universi-taires. La question du profil du normalisateur n’est pas anodine : la représentation suppose en quelque sorte de défendre une position collective par rapport à l’expert indépendant nommé à titre personnel. D’une certaine manière, ce sont deux conceptions de la compta-bilité qui s’affrontent à travers ces deux profils, d’une part celle qui repose sur l’existence, en quelque sorte, d’une vérité comptable que des experts neutres et indépendants peuvent contribuer à faire ressortir et, d’autre part, celle qui considère la comptabilité comme un moyen de réguler les rapports sociaux avec la nécessaire association des parties affectées pour en élaborer les règles (Hoarau, 2003). Sur ce dernier point, il nous semble que la spécificité française subsiste. En effet, le texte fondateur de l’ANC, le normalisateur en place depuis 2009, fait certes référence aux compétences économiques et comptables d’une partie des membres, mais celle-ci est assujettie à une forme de représentation dans la mesure où les organisations représentatives sont consultées.

En conclusion

La réponse à la question de la survivance de l’exception française est nuancée. Certes, certains principes sont maintenus : présence de l’Etat, relative représentation du monde économique et social à travers la présence des organisations syndicales ou encore profil qui associe la représentation et l’expertise. Mais, les évolutions récentes vont dans le sens

d’une remise en cause de cette exception : la diversité de la représentation économique et sociale perd du terrain et les nouveaux équilibres privilégient les “grands“ (grands cabinets, grands groupes) qui ont les moyens de participer et de peser sur le processus.

BIBLIOGRAPHIE

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• Chantiri-Chaudemanche, R., (2009), “Organismes de normalisation“, in Encyclopédie de Comptabilité,

contrôle de gestion et audit. (ed, Colasse, B.) : Economica, 2ème édition, pp. 1109-1119.

• Colasse, B. et Pochet, C. (2009), “De la genèse du nouveau CNC (2007) : un cas d’isomorphisme

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• Colasse, B. et Standish, P., (1998), “De la réforme 1996-1998 du dispositif français de normalisation

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• Flower, J. (1997), “The national systems for the regulation of financial reporting : a synthesis”, in

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• Hoarau, C. (1998), “Un point de vue à propos de “De la réforme 1996-1998 du dispositif français de

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• Hoarau, C. (2003), “Place et rôle de la normalisation comptable en France“, Revue Française de Gestion,

2003/6, n°147, pp. 33-47.

• Jönssen, S., (1988), Accounting regulation and elite structure - Driving forces in the development of

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• Touchelay B. (2011), L’État et l’entreprise. Une histoire de la normalisation comptable et fiscale à la

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• Marco L., Sponem S., Touchelay B. (2011), La fabrique des experts comptables. Une histoire de l’INTEC

1931-2011, Paris, L’Harmattan.

• Touchelay B. (2008), “La normalisation comptable en France, du rejet à l’acceptation sans enthousiasme :

un mariage de raison pendant l’Occupation“, Revue Française de Gestion, numéro spécial Histoire et

gestion : vingt ans après, vol. 34, numéros 188-189, pp. 283-401.

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