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Le reporting intégré révolutionne-t-il le reporting financier ?

Le cas d’Orange

1. Le reporting intégré révolutionne-t-il le reporting financier ?

Le RI s’appuie sur le référentiel international proposé par l’IIRC le 5 décembre 2013 8, dans le prolongement d’un mouvement réglementaire pour la diffusion d’une information plus riche sur la responsabilité sociale 9 des entreprises (RSE), qui s’est traduit en France par les obligations de reporting environnemental, social et sociétal dans le rapport de gestion des entreprises cotées et non cotées 10 en vigueur depuis 2012, dans le cadre des dispositions de “Grenelle 2“ 11, ou en Europe par la directive comptable européenne votée par le Parlement européen le 15 avril 2014  12 rendant obligatoire, pour les entreprises cotées, les banques et les compagnies d’assurance de taille importante 13, la publication des informations relatives à leurs impacts environnementaux, sociaux, au respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption 14.

Pour autant le RI n’a pas encore trouvé de réalité concrète, tout du moins en France ; l’Autorité des marchés financiers (AMF), dans son dernier rapport sur l’information sociale, sociétale et environnementale publiée par 60 sociétés cotées, relève en effet qu’« aucune société ne présente dans son document de référence l’information sous la

8. Afin de recueillir les retours d’expérience des sociétés utilisatrices, le programme pilote, qui est l’abou-tissement du due-process de l’IIRC, a été prolongé jusqu’en septembre 2014.

9. Ou plus largement sociétale.

10. Au-delà d’une certaine taille exprimée en termes de total bilan, montant du chiffre d’affaires et effectif. Le décret du 24/4/2012 “relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale“ fixe les seuils à 100 millions d’euros pour le bilan ou le chiffre d’affaires et à 500 pour l’effectif employé.

11. La loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010, avec plus de dix ans de décalage, est venue compléter le dispo-sitif instauré par la loi du 15 mai 2001 sur les Nouvelles régulations économiques (NRE), en y ajoutant la normalisation des modalités de présentation des informations requises et l’obligation de vérification de leur contenu par un organisme tiers indépendant (OTI) accrédité par le Comité français d’accréditation (COFRAC).

12. Cette directive, avec approximativement le même décalage qu’entre les lois NRE et Grenelle 2, pro-longe les dispositions du livre vert de l’Union européenne qui définissait la RSE comme la contribution apportée par les entreprises sur une base volontaire pour « améliorer la société et rendre plus propre l’environnement » (Livre vert, COM(2001) 366 final, p.4).

13. Effectif de plus de 500 salariés.

14. Les entreprises concernées doivent également rendre compte de leur politique de diversité au sein de la gouvernance (âge, genre, informations géographiques, parcours professionnel et académique).

Chapitre 4 : L’utilisation de l’information comptable

Reporting intégré : état des lieux et perspectives

forme d’un rapport intégré qui exposerait, de manière concise et cohérente, la stratégie, la gouvernance, la performance actuelle et future de l’entreprise », mais que « néanmoins quelques sociétés intègrent la notion de “rapport intégré“, en des termes généraux, dans leur documentation » (AMF, 2013, p. 5 et p. 50) ; de même l’IIRC ne cite qu’un groupe français 15 dans ses exemples de bonnes pratiques. Nous allons néanmoins parcourir le terrain balisé par l’IIRC et la normalisation comptable et financière susceptible de favori-ser l’avènement du RI dans l’hexagone et en rechercher l’intérêt.

1.1. Un process et un document

Le RI se conçoit à la fois comme :

• une vision intégrée de la gestion des entreprises (normalement celle de la direction

générale), où les directions et services partagent mieux l’information que dans les organisations dites “en silo“ ; cette conception met en jeu la “connectivité“ entre les données financières et extra-financières et les interdépendances entre les différents facteurs ayant un effet significatif sur la capacité de l’entreprise à générer de la valeur au fil du temps ;

• un rapport reflétant la façon dont les dirigeants pilotent l’entreprise, à partir d’informa -tions concises et utiles à la prise de décision d’un investisseur ;

• un rapport court explicitant non seulement la stratégie de la société, mais également

ses résultats, sous un angle à la fois financier et extra-financier.

C’est ainsi que les sept premiers éléments constitutifs du RI relient (A) l’organisation

de l’entreprise (resituée dans son environnement externe ou “écosystème“), (B) sa structure de gouvernance (de quelle manière favorise-t-elle la création de valeur à court, moyen et long termes et quelle est sa politique de rémunération en relation avec la création de valeur ?), (C) son business model (à quel point est-il résilient ?), (D) les

risques et les opportunités dans le contexte de l’exploitation (influant positivement

ou négativement sur la capacité de création de valeur), (E) les objectifs et moyens stratégiques (adéquation entre la stratégie et les allocations de ressources), (F) la mesure de la performance (impact sur les capitaux 16) et (G) les perspectives d’avenir (face aux défis futurs) ; par cette globalisation, le RI a vocation à supplanter le reporting

classiquement dissocié (financier et extra-financier) et à devenir le “principal repor-ting de l’organisation“ (IIRC, 2013, p. 27-36 ; Stordeur, 2013, p. 127-128). Le huitième et dernier élément constitutif du RI porte sur (H) les modalités de préparation et de

présentation (critères de sélectivité, périmètre de reporting, méthodes et référentiels utilisés, périodicité et degré d’agrégation de l’information) en vue d’une architecture commune aux “rapports intégrés“.

Au regard de ces principes et des illustrations figurant dans notre deuxième partie, le rapport intégré peut se comprendre comme la structuration d’un ensemble de données financières et non financières dont certaines sont déjà présentes dans des documents existants (rapport annuel, document de référence, rapport de dévelop-pement durable, rapport RSE), et s’avère, du moins en partie, réalisable à partir de l’information réglementée, en respectant l’objectif de fournir une information exacte, précise et sincère.

15. Danone.

1.2. Comment structurer le reporting intégré ?

En privilégiant un axe de communication dirigé vers l’investisseur sans toutefois exclure les autres parties prenantes concernées par la création de valeur, l’IIRC a retenu une approche “top down“, visant la communication financière plutôt que le design des sys-tèmes d’information, même si le reporting sociétal comporte nécessairement un volet procédural (sur lequel les commissaires aux comptes en France sont amenés à se pro-noncer, comme évoqué dans le cas d’Orange en seconde partie).

Les concepts fondamentaux de l’IIRC sont axés sur plusieurs natures de capitaux (finan-cier, manufacturier, environnemental, humain, intellectuel, social et sociétal) interagissant et contribuant à la performance globale de l’entreprise, laquelle peut départager en fonc-tion de son secteur d’activité et de ses caractéristiques intrinsèques les capitaux devant être mis en avant et ceux à reléguer au second rang, voire à ignorer. L’interdépendance des capitaux et les arbitrages entre ces derniers sont un élément important de compré-hension de l’entreprise et de sa capacité à générer de la valeur sur le long terme ; ainsi privilégier durablement le rendement financier au détriment du capital humain serait de nature à altérer la création de valeur (IIRC, 2013, p. 12-15). Les principes directeurs de l’IIRC formulent parallèlement des recommandations sur le contenu et la présentation des informations autour de cette thématique de création de valeur : a) priorités straté-giques et orientations futures (dans l’optique de la création de valeur à court, moyen et long terme et en évitant les stéréotypes), b) connectivité (présentation exhaustive des interconnections entre les facteurs impactant la capacité à créer de la valeur), c)

relations avec les principales parties prenantes (qualité des relations et réactivité par la prise en compte de leurs besoins et intérêts légitimes), d) sélectivité (ou matérialité sur les éléments prépondérants source de création de valeur), e) concision (par un effort de contextualisation), f) fiabilité et complétude (équilibre de l’information – positive ou négative – et absence d’erreur significative), g) cohérence dans le temps et compara-bilité des données, dans une logique de création de valeur en continu (IIRC, 2013, p. 18-26).

Nous croiserons en seconde partie ces principes et les éléments constitutifs du RI évoqués dans le précédent chapitre à partir des exemples de sociétés adhérant aux bonnes pratiques promues par l’IIRC ; au préalable, il nous paraît essentiel, pour vérifier la faisabilité du RI au double échelon national et supranational, d’apprécier quelle peut en être l’incidence sur la normalisation comptable et financière, qui constitue l’un des champs de recherche et de publication de Christian Hoarau.

1.3. Les implications du reporting intégré sur le référentiel comptable et financier

Si certaines normes IAS/IFRS et normes interprétatives IFRIC permettent de relier les

reporting financier et extra-financier au moins sur l’aspect environnemental (Barbu et al.,

2011), il n’est pas à exclure, au regard de la diversité des capitaux mobilisés par l’IIRC, recensés dans le précédent chapitre, que le RI puisse à terme faire évoluer l’appréhension du risque dans les domaines comptable, par exemple via des provisions complémen-taires (provisions dynamiques, provisions pour risque croissant) ou la capitalisation de dépenses comptables valorisant les éléments incorporels et financier (Ledouble, 2013). Les nombreux travaux que Christian Hoarau a menés au cours des vingt dernières années sur l’harmonisation comptable à l’échelle internationale, militent en faveur de la prise en compte du contexte économique, social et culturel des divers modèles comptables natio-naux (Hoarau, 1995, p. 79), face à la culture comptable anglo-saxonne (Hoarau, 2003, p.

Chapitre 4 : L’utilisation de l’information comptable

Reporting intégré : état des lieux et perspectives

45-46) ; ils trouvent un écho dans l’adaptation observable de ce référentiel international au contexte socio-économique régional ou national 17 (Hoarau, 2008, p. 22). Constatant, avec ce recul de deux décennies, que « dominées par les préoccupations des marchés financiers les normes internationales ne prennent quasiment pas en compte les préoc-cupations environnementales et sociales », Christian Hoarau préconise « la constitution d’un véritable organisme de normalisation comptable européen […] susceptible de faire évoluer les IFRS vers une plus grande prise en compte des préoccupations environne-mentales et sociales et des spécificités des économies européennes », conditions pour que les IFRS puissent rester le référentiel utilisé dans l’Union européenne (Hoarau, 2013). Si l’IIRC a répliqué la pratique anglo-saxonne de due-process (jusqu’au programme pilote auquel ont participé une centaine d’entreprises) pour les besoins de l’élaboration jusqu’à la mise en place de son cadre conceptuel, celui-ci, par sa souplesse d’utilisation et son ouverture aux parties prenantes (au-delà des investisseurs auxquels il s’adresse prioritai-rement), nous paraît compatible avec la « pluralité des finalités de l’information comptable » que Christian Hoarau appelle depuis toujours de ses vœux (Hoarau, 1995, p. 80) et doté des « caractéristiques qualitatives, en particulier la pertinence, la fidélité et la fiabilité, la comparabilité et l’intelligibilité » conditionnant l’utilité de cette information (Hoarau, 2006, p. 47). L’IASB et l’IIRC ont du reste annoncé début 2013 la conclusion d’un accord visant à renforcer leur coopération sur les travaux de l’IIRC, gage de leur intérêt commun pour l’amélioration de la qualité et de la cohérence du reporting au sein des entreprises.

1.4. Un peu d’air frais dans l’univers de la communication financière

En synthèse, le projet de l’IIRC propose une vision à long terme de l’entreprise, dans une conception holistique de ses composantes, devant permettre :

• aux dirigeants de prendre leurs responsabilités sur un horizon long terme (contrastant

avec la réputation “court-termiste“ des marchés financiers) ;

• aux investisseurs de prendre des décisions éclairées par une approche globale des

risques et cette perspective temporelle élargie, nécessaire à l’appréciation de la création de valeur (“integrated thinking“) ; c’est un outil précieux pour les investisseurs “ISR 18“ ;

• aux analystes financiers de disposer des moyens d’exploiter au mieux l’information

financière et extra-financière, et de mesurer cette création de valeur ;

• aux autres parties prenantes de bénéficier de l’information la plus complète sur la créa -tion de valeur à laquelle elles sont naturellement intéressées.

Loin d’être une récupération du “mouvement vert“ par le “grand capital“ (boutade parfois entendue et critique sous-jacente aux objectifs du RI), ou pour paraphraser les maximes

de La Rochefoucault, un « hommage du vice à la vertu » (que pourraient suspecter les sensibilités éloignées des aspirations des investisseurs), ce long cheminement vers le RI apparaît plus sérieusement et plus modestement comme le signe d’une prise de conscience des limites des outils de mesure purement financiers, ainsi que d’une évolu-tion (et non d’une révoluévolu-tion) du reporting vers une meilleure compréhension de la créa-tion de valeur par l’entreprise, restituée au travers d’une communicacréa-tion plus synthétique.

17. La perméabilité du reporting sociétal aux facteurs socioculturels est également perceptible (Cretté, 2012, p. 22-25).

2. Quelques exemples du potentiel de convergence

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