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Le travail des volontaires et des ONG dans la zone de séisme et les autorités

Partie I. Les tremblements de terre de Marmara 1999

Section 2. La mobilisation de la « société civile »

7. Le travail des volontaires et des ONG dans la zone de séisme et les autorités

Après la « résurrection de l’État » à Düzce, il convient de parler aussi de l’apparition de deux types d’ONG dans le contexte post-séisme, car les rapports qu’elles ont eus avec les autorités publiques et les médias nous aident à mieux comprendre

264 Ibid.

265 SOLAK, Ismet, « Ecevit’i Çileden Çıkaran Neydi ? », Hürriyet, 28 août 1999, p.22. 266 Ibid.

comment cette « résurrection » s’est réalisée. Il s’agit ici en premier lieu des ONG qui travaillent dans les domaines des recherches et sauvetage, du secours et de l’aide humanitaire que nous appellerons les ONG de secours ; en deuxième lieu des ONG formées par les victimes du tremblement de terre.

En ce qui concerne les activités qui relèvent de la situation d’urgence post- catastrophe, le 17 août a engendré « un développement spectaculaire des associations » comme Jean-François Pérouse le souligne.267 Le phénomène est certainement lié au succès excessivement médiatisé d’AKUT. L’activité de recherche et sauvetage, qui était quasiment inconnue en Turquie avant le séisme, est soudain devenue le domaine le plus prestigieux possible pour une initiative civile. Une explication est qu’il s’agit peut-être d’un domaine qui assure une légitimité incontestable et, par conséquent, un pouvoir qu’il ne faut pas sous-estimer surtout dans les contextes de catastrophe, ce qui était le cas à l’automne 1999 en Turquie.

L’intervention post-catastrophe est une activité dont personne ne peut mettre en question la nécessité et l’utilité. Comme, théoriquement, elle n’a pas de potentiel politique, elle laisse les autorités dépourvues de leur prétexte principal pour l’empêcher de se développer sous forme d’initiative civile. C’est pourquoi dans les conditions de fin 1999, les citoyens turcs n’ont pas hésité à « défier l’État » sur le terrain du sauvetage. Ils s’adossaient à une légitimité accrue. Or, le sauvetage présente un inconvénient qui est son coût extrêmement élevé. Créer une association de sauvetage n’est pas difficile sur le plan juridique, mais équiper une équipe de sauvetage nécessite un soutien financier important, dont une grande partie des ONG créées après le séisme ne bénéficiait pas. Donc très vite, les contraintes financières les ont obligées à se rapprocher de la Sécurité Civile (SC) qui les a considérées comme une ressource humaine gratuite.268 Les autorités ont également tenté de prendre ces ONG sous leur contrôle par le biais du ministère de l’Intérieur, en décrétant un règlement sur le volontariat pour l’activité de recherche et sauvetage. Celui-ci prévoyait le placement de tous les volontaires de sauvetage sous le commandement de la Sécurité Civile dans une zone de catastrophe. Les ONG de sauvetage seraient désormais obligées de signer un protocole de coopération avec la Sécurité Civile pour pouvoir travailler sur le terrain. Chaque volontaire était obligé d’avoir une carte d’identité (« volontaire de Sécurité Civile ») sur soi.

267 PEROUSE, Jean-François, « Risques sismiques et société urbaine à Istanbul. Les séismes font-ils une

nouvelle société urbaine ? », Observatoire Urbain d’Istanbul, IFEA, Istanbul, 2002, p.3. (texte non-publié)

268 « Cela fait 20 ans que je suis dans le Sécurité Civile, je n’avais jamais vu une seule personne qui se portait

En ce qui concerne les ONG qui ont fait du travail humanitaire dans la région ou pour celles qui ont été fondées à la suite du séisme du 17 août dans le même but, l’attitude des autorités publiques a été similaire. À partir de la fin du mois d’août, ces dernières ont pris le contrôle de la collecte de l’argent et du matériel pour les victimes du séisme et de toute sorte de distribution dans la zone de catastrophe.269 Les ONG qui ont vu leurs activités limitées par ces mesures ont quitté la zone ou se sont adaptées à la situation. Dans une annonce publiée dans Cumhuriyet, ÇYDD, l’Association de soutien à la vie moderne faisait savoir que le fonctionnement bureaucratique des instances officielles ralentissait son rythme de travail : « Aujourd’hui c’est le 116e jour après le séisme. Nous faisons de notre mieux. Les matériaux qui nous ont été envoyés de l’étranger nous arrivent après être passés d’un entrepôt à l’autre, d’une autorité à l’autre. Comment ? D’abord… » Ensuite on énumérait 8 étapes bureaucratiques nécessitant des déplacements entre l’aéroport d’Istanbul, l’entrepôt central d’Izmit et les points de distribution dans la zone du séisme ; un trajet pour lequel il faut consacrer pas moins d’un jour.

Comme un grand nombre de camps ont été construits pour régler le problème du logement immédiat des victimes du tremblement de terre, la gestion de ces « cités-tentes » comme on les a baptisées en turc, est devenue un autre sujet de tension entre les ONG et les autorités. Les camps créés par les ONG ont été transférés aux autorités locales ou à l’armée. La création de nouveaux camps a été régularisée aussi. Ces mesures prévoyaient une meilleure coordination des efforts de réhabilitation et de reconstruction mais elles assuraient en même temps un contrôle strict des activités des ONG par les autorités. Les ONG humanitaires dites « islamistes » ont été surveillées de près par l’armée et ont été incitées à quitter la région le plus vite possible.270 Les initiatives civiles ayant une tendance de gauche (visible) ont vécu des problèmes similaires, bien que moindres, et souvent avec les autorités qui relèvent du ministère de l’Intérieur et non pas avec les militaires.271 Les autorités sont restées sur leur garde en craignant que le séisme puisse constituer une occasion de propagande pour des groupes politiques, souci qui a été justifié partiellement par la suite des événements comme nous le verrons dans la troisième partie de notre thèse.

269 « Yardımlara Denetim Geldi », Cumhuriyet, 26 août 1999, p.8.

270 Entretien avec un responsable de la Fondation des droits et des libertés de l’homme (IHH, Insan Hak ve

Hürriyetleri Vakfı).

271 Entretien avec un responsable de la Fondation WALD, entretiens avec les responsables de l’Association

Mais il convient de souligner que les mêmes autorités ont été plus tolérantes envers les groupes d’extrême droite.272

Tout comme les ONG de sauvetage, les associations de victimes du tremblement de terre ont été un produit direct des séismes. Leurs fondateurs étaient souvent des victimes installées dans des camps où les conditions de vie étaient précaires. Les victimes du Yalova ont été les premières à tenter de prendre l’initiative pour améliorer ces conditions mais, très vite, elles ont ressenti le besoin d’une structure qui les guiderait au cours des nombreuses procédures à entreprendre : le recours à la justice contre les responsables des dégâts, l’indemnisation des survivants, les demandes pour des logements, etc. Dans les cas de Değirmendere, les victimes ont été incitées à créer une association à l’exemple de celle de Yalova par un groupe de volontaires de tendance politique de gauche.273 De septembre à décembre 1999, sept associations de victimes au total ont été fondées dans la zone du séisme, celle de Düzce étant la dernière. À la différence des associations de sauvetage, elles n’ont pas eu le soutien des médias sauf des organes de presse « de gauche » comme Cumhuriyet et Radikal. D’après nos études de terrain, il est difficile de dire qu’elles ont été bien accueillies par les autorités qui les ont souvent considérées comme un « casse-tête ». Sachant qu’elles ont constitué la première expérience associative de la plupart de leurs membres, dont une bonne partie n’avait jamais adressé même une lettre de pétition à l’administration, ces associations ont servi d’« école de citoyenneté » aussi bien que de plate-forme pour la défense des droits. Néanmoins, ce type d’initiative venant des citoyens s’opposait au schéma classique en vigueur en Turquie depuis toujours, schéma qui prévoit un monopole étatique pour toute question sociale. Aussi, afin d’étouffer le plus vite possible ces « voix cassées »274, les autorités les ont contournées avec une barrière bureaucratique et administrative et elles ont essayé de les écarter de tous les processus de décision. Malgré tout, l’apparition et les activités des associations de victimes du tremblement de terre constituent à nos yeux un élément de rupture très important par rapport aux catastrophes passées.

272 Ibid. Voir aussi l’article « Şeriatçılar Fırsatı Kaçırmadı » de Metin Gür dans Cumhuriyet (15 septembre

1999, p.19) en ce qui concerne la propagande islamiste dans la zone du séisme et la crainte de détournement des dons par les organisations islamistes.

273 Entretien avec les responsables des associations de victimes du tremblement de terre de Yalova et de

Değirmendere.

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