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Partie I. Les tremblements de terre de Marmara 1999

Section 4. Les enjeux associés au séisme

2. Les enjeux économiques, politiques et sanitaires de la reconstruction

Rappelons que « le schéma classique d’analyse et de traitement des catastrophes naturelles » en Turquie exigeait la prise en charge par l’État de la reconstruction des logements détruits. Les séismes de 1999 n’ont pas constitué une exception en ce sens, comme nous pouvons le constater d’après les discours des autorités turques : « Le Président de la République, Süleyman Demirel, a annoncé que toutes les victimes de tremblements de terre seraient placées dans des logements temporaires jusqu’à fin novembre [1999] et que 60 000 logements définitifs seraient construits jusqu’en novembre

2000. »389 En fait, le gouvernement a « inventé » plusieurs solutions en ce qui concerne les habitations. Dans l’immédiat, les victimes de séismes ont été installées dans des « cités- tentes » et dans des établissements publics disponibles comme les résidences universitaires.390 Les cités-tentes étaient en général créées par les ONG turques et étrangères « accréditées » ou par l’armée, ce qui assurait un emplacement planifié et une gestion plus ou moins rationnelle ; mais un grand nombre de tentes étaient également distribuées aux individus par les autorités ou par des donateurs. Cela rendait le problème de l’habitat encore plus complexe car beaucoup de victimes, même celles qui possédaient un bâtiment intact, préféraient vivre dans une tente érigée à côté, plutôt que dans le bâtiment. Le traumatisme causé par le séisme du 17 août se faisait ressentir.

Les aides au logement et les crédits ont constitué l’autre volet des solutions immédiates. Les aides étaient sans remboursement : 100 millions de livres turcs (TL) par mois (200 dollars américaines à l’époque) pendant un an pour toutes les victimes ayant vu leur logement moyennement ou lourdement endommagé et 600 millions (1 200 dollars) en une seule fois pour les victimes dont le logement présentait un dommage léger (qu’elles soient locataires ou propriétaires). Pour celles qui ont vu leur lieu de travail endommagé, on avait prévu de 200 à 500 millions de TL (400 à 1 000 dollars) d’aide en une seule fois, qu’elles soient locataires ou propriétaires.391 Or, ces aides n’étaient pas allouées sans conditions : elles ne concernaient pas ceux qui préféraient vivre ailleurs que dans « les centres d’habitation temporaires » (les cités-tentes et les cités-préfabriqués). En outre, le gouvernement voulait obliger les victimes à retourner dans leurs bâtiments si elles voulaient bénéficier de ces aides.392 D’ailleurs, pour les propriétaires qui voulaient réparer leur maison ou en acheter une autre, il a été mis en place des crédits variant de 1,5 milliards de TL à 6 milliards de TL selon l’emplacement du logement et le niveau de dommage.393

Mais le contrôle par les « experts » des bâtiments endommagés, sous la responsabilité du ministère de l’Equipement, constituait déjà un problème en soi, comme l’ont indiqué les chambres professionnelles concernées par la question. Les trois catégories

389 « Geçici Konut Sorunu Çözülecek », Cumhuriyet, 9 novembre 1999, p.3.

390 Par exemple, le Premier ministre Bülent Ecevit affirmait en décembre 1999 que 6 612 victimes étaient

déjà installées dans des établissements publics et qu’il restait encore 29 046 lits disponibles. « 29 bin Boş Yatak Depremzedeyi Bekliyor », Hürriyet, 3 décembre 1999, p.15.

391 ASK, Afet Saha Araştırma Raporu, Istanbul, 2004, p.58. Selon le cours du dollar américain en

novembre 1999, 100 millions de TL étaient égales à 220 dollars.

392 Ibid. 393 Ibid.

(dommage léger / moyen / lourd) ne faisaient pas vraiment sens. Comme nous en avons parlé au sujet « du marché du renforcement » des bâtiments à Istanbul, une construction en béton armé était toujours susceptible d’être risquée car il était en pratique impossible de contrôler la structure interne du bâtiment dans son ensemble, même en prenant des échantillons de toutes ses parties (opération pour laquelle les experts n’avaient ni le temps, ni le dispositif nécessaire dans la plupart des cas). Donc un bâtiment endommagé était en général un bâtiment qu’il fallait détruire, sachant que consolider le bâtiment coûterait presque aussi cher que de le reconstruire. Cette solution est toujours retenue au Japon si le bâtiment ne présente aucune spécificité du point de vue du patrimoine.394 Or dans le cas turc, les équipes d’expertise décidaient du sort du bâtiment selon une série de critères flous qui aboutissaient finalement à une de ces trois catégories : « Attribuer un niveau d’endommagement à un bâtiment n’est pas aisé. Ainsi en utilisant la même méthode – les mêmes fiches –, les expertises effectués par deux personnes différentes peuvent diverger fortement. Cela est d’autant plus vrai que ces estimations sont souvent effectuées par des personnes non expertes en parasismique : ce travail doit être fait rapidement et les ressources humaines nécessaires sont souvent difficiles à trouver. L’établissement de règles limitant la part du subjectif est donc nécessaire mais difficile à réaliser. »395

Rappelons à quel point le bien immobilier est une source d’enrichissement importante en Turquie. Donc les propriétaires n’ont pas hésité à prendre la question comme une question de survie et ont parfois réussi à « convaincre » les experts pour obtenir un changement dans le rapport d’évaluation. Ainsi, un nombre inconnu de bâtiments sont passés de la catégorie « lourdement endommagés » à la catégorie « moyennement endommagés ». Idem pour les bâtiments « moyennement endommagés »… Par ailleurs, même ceux qui ont désiré effectuer les travaux nécessaires se sont trouvés face à une série de difficultés relevant des textes juridiques. Dans le cas d’un immeuble avec plusieurs appartements, il était par exemple nécessaire d’avoir le consentement de tous les propriétaires, mais il était rare que tous soient d’accord pour vivre ailleurs pendant un an jusqu’à ce qu’un nouvel immeuble soit construit, sans parler des frais à prendre en charge, bien entendu.

Le débat autour des bâtiments endommagés n’en est pas resté là. Outre l’aspect technique de l’opération et les pratiques de corruption que nous avons évoquées, d’autres rumeurs circulaient selon lesquelles le gouvernement (en particulier le ministère de

394 EKINCI, Oktay, Rant Demokrasisi Çöktü, Anahtar Yayınları, Istanbul, 1999, p.121. 395 COMBESCURE, op.cit., p.8.

l’Equipement) avait ordonné aux autorités de ne pas accorder facilement la qualification de « dommage lourd » et « dommage moyen » pour que le nombre de citoyens devant recevoir les aides au logement soit minimisé.396 Le but était de forcer les victimes à passer dans les cités-tentes ou dans les cités-préfabriquées, solution déclarée comme moins onéreuse (ce qui est discutable comme nous allons le voir) pour le budget de l’État. En tout cas, le séisme de Düzce a montré que la politique suivie concernant le contrôle des bâtiments touchés par les séismes et l’aide pour la reconstruction n’avait pas été très efficace. La quasi-totalité des bâtiments qui se sont effondrés étaient ceux qui avaient été « réparés », « renforcés » légalement ou illégalement à la suite du séisme du 17 août, un certain nombre ayant passé « l’expertise ». Leurs propriétaires avaient préféré les « maquiller » et continuer à y vivre, voire les louer, plutôt que de les démolir. Soulignons également que « le maquillage de bâtiments » est aujourd’hui un grave problème auquel les autorités turques auront à faire face car on estime qu’un nombre considérable de bâtiments à Istanbul et dans la zone des séismes de 1999 ont été « refaits » pour camoufler les dégâts. Ces bâtiments sont naturellement très vulnérables au risque sismique, et cela est considéré comme un des facteurs qui alourdira le bilan du futur « séisme d’Istanbul ».

Les premiers préfabriqués ont été remis aux victimes du séisme fin septembre. Comme la production était largement dépassée par la demande, la distribution se faisait d’après un tirage au sort. Le ministre de l’Equipement, Koray Aydın, disait aux victimes de « ne pas écouter les rumeurs et les provocations » et que « l’État serait toujours de leur côté ».397 Il entendait par là les « provocations » de ceux qui n’approuvaient pas cette solution d’habitats préfabriqués, par exemple la Chambre des architectes. Oktay Ekinci, président de la Chambre, expliquait pourquoi il était contre cette solution « peu onéreuse » : « Lors du débat sur les logements préfabriqués qui seront construits afin d’installer les victimes du séisme, on s’est focalisé plutôt sur la question des coûts. Les spécialistes calculent que pour le budget qui sera dépensé pour faire des abris de 30 m2 qui seront démolis plus tard, il est bien possible de construire des logements définitifs et donc qu’il s’agit du gaspillage des ressources publiques par le gouvernement. Un autre sujet de discussion est le fait que cette solution crée un marché extraordinaire pour les producteurs du secteur des constructions préfabriquées qui était un secteur très limité en Turquie.

396 Par exemple, pour Avcılar, le quartier le plus affecté d’Istanbul par le séisme du 17 août 1999, les chiffres

évoqués par la mairie et le ministère de l’Equipement étaient très différents : d’après la mairie et le ministère, il y avait respectivement 1 064 et 200 bâtiments légèrement endommagés, 491 et 349 bâtiments moyennement endommagés et 455 et 145 bâtiments lourdement endommagés à Avcılar. Dans « Hasar Tesbitinde Skandal », Cumhuriyet, 18 novembre 1999, p.4.

Même si le ministre de l’Equipement Koray Aydın a pris garde de partager le nombre de préfabriqués à construire entre plusieurs entreprises afin de surmonter les critiques, cela ne suffit pas, par exemple, pour empêcher le groupe industriel T… de spéculer sur le prix des panneaux de plâtre [élément de fabrication essentiel pour les habitats préfabriqués] car celui-ci a le monopole de la production de ce matériel en Turquie. »398 Ekinci affirmait également qu’un article « spécial » avait été ajouté aux contrats d’appel d’offres pour donner au ministère le droit de modifier le nombre de logements à construire par l’entreprise gagnante. Cela permettrait au ministère d’accorder des contrats plus importants à un groupe d’entreprises aux dépens des autres qui se contenteraient de construire 500 logements (nombre de base), tout en donnant l’impression de faire de « vrais » appels d’offres.399

D’autre part, les logements préfabriqués dont le projet était élaboré par le ministre lui-même400 « n’étaient même pas susceptibles d’obtenir un note passable s’ils étaient dessinés par des étudiants d’un faculté d’architecture ».401 Après avoir énuméré les défauts majeurs du projet, Ekinci critiquait le ministère « prétendument nationaliste » pour ne pas avoir cherché – au moins – un peu d’inspiration dans les exemples de l’architecture civile anatolienne.402 Mais le ministère de l’Equipement a continué à faire construire ce type de logements malgré toutes les critiques et toutes les rumeurs de corruption. « L’État avait promis » de ne laisser aucune personne dehors pendant l’hiver et « fin novembre » était annoncé comme la date limite où tous les logements préfabriqués seraient terminés. « La meilleure réponse à ceux qui prétendent que l’argent dépensé pour les préfabriqués est gaspillé » disait le ministre Aydın, « sera donnée par les citoyens qui s’installeront dans ces logements. Ceux qui ne sont pas conscients de l’épreuve subie par les gens qui ont froid [même] sous les couvertures, qui dorment dans les tentes où le froid règne la nuit, peuvent bien sûr parler comme cela. Mais la vie [la réalité] est fort différente. »403

Elle a effectivement été différente. Le nombre de victimes de tremblements de terre qui ont déménagé dans les logements préfabriqués a été beaucoup plus limité par rapport à l’estimation du ministère, qui avait prévu 75 000 logements au début, qui a réduit le

398 Voir l’article « Deprem Soyguncusu » paru dans Yeni Şafak le 29 août 1999. D’après l’article, le groupe

T… avait augmenté de 40 % les prix de son produit appelé B…pan (élément de base des structures

préfabriquées) après le séisme du 17 août.

399 EKINCI, ibid., p.132-133.

400 « Gözler Ihalelerde », Sabah, 2 septembre 1999, p.6. 401 EKINCI, ibid., p.133.

402 Ibid., p.134. Voir l’annexe n° 7 pour une copie du projet, accompagné des points énumérés par Ekinci. 403 « 184 Prefabrike Ev Hak Sahiplerine Verildi », Cumhuriyet, 27 septembre 1999, p.6.

nombre à 25 000 après les critiques,404 mais qui en avait fait construire finalement 32 640 au cours de 1999. Dans la même période, 11 521 autres étaient construits par le secteur privé comme donation.405 Néanmoins, les victimes de tremblement de terre n’étaient pas motivées du tout pour s’installer dans leurs logements préfabriqués et beaucoup de logements sont restés vides malgré la pression tacite des autorités. Non seulement les préfabriqués présentaient des défauts importants au niveau de la conception, de la fabrication et du montage, mais le choix de l’emplacement des cités préfabriquées n’était en général pas très adapté car le ministère décidait des lieux disponibles à partir de cartes qui n’étaient pas à jour ou, tout simplement, il ne prenait pas en compte les besoins des futurs habitants.406 Sefa Sirmen, le maire de la municipalité métropolitaine d’Izmit, affirmait que la demande était d’environ 1 000 logements pour Izmit tandis que le nombre prévu par le ministère était de 15 300.407

La plupart des logements préfabriqués n’étaient toujours pas prêts fin décembre, mais le gouvernement remettait les clés aux victimes au cours de cérémonies au fur et à mesure qu’une cité était créée, probablement parce que ces moments constituaient une occasion de faire preuve de l’effort qu’il faisait pour « panser les plaies ». D’ailleurs, les premières pluies de l’hiver avaient déjà confirmé les soucis de ceux qui étaient hostiles aux préfabriqués : l’eau s’infiltrait dans les logements à travers les cheminées.408 Après une cérémonie de remise de clés particulièrement importante (en présence du Président, du Premier ministre, du ministre de l’Equipement et d’autres autorités) le 24 octobre, les journalistes ont découvert que les logements n’étaient pas achevés : la cérémonie était « bidon ».409 A la suite d’une cérémonie similaire le 1er décembre à Izmit, on a découvert que des victimes de tremblements de terre qui ont reçu leurs clés du ministre en personne étaient en réalité des parents des ouvriers qui travaillaient sur ce chantier. D’après l’article paru dans Hürriyet, le promoteur qui n’avait pas pu achever la construction des logements (surtout l’infrastructure) avait fait venir les familles de ses propres ouvriers pour dissimuler la vérité.410

404 EKINCI, ibid., p. 133.

405 ASK, Afet Saha Araştırma Raporu, Istanbul, 2004, p.64.

406 Par exemple, la construction d’une cité de 140 logements sur le delta de Hendek. « Deltaya Prefabrike

Konuta Tepki », Cumhuriyet, 28 novembre 1999, p.3.

407 « Prefabrike Sözünde Son Gün », Cumhuriyet, 30 novembre 1999, p.3.

408 « Deprem Konutları Hatalı », Cumhuriyet, 12 octobre 1999, p.1 et 19. D’après l’article, les cheminées

avaient été ajoutées aux logements après la construction car on n’y avait pas pensé au stade de la conception.

409 « Anahtar Gösterelikmiş », Hürriyet, 24 octobre 1999, p.7.

410 BAĞDIKEN Mustafa et KAYMAKÇI Bahar, « Prefabrik Müteahhitleri Bakanı Manken Depremzede ile

Le 11 décembre, lors de la visite de Koray Aydın et d’un groupe de bureaucrates du ministère de l’Equipement dans une cité-préfabriquée à Düzce, les victimes du séisme qui s’étaient installées dans les logements se sont plaintes de la mauvaise qualité de la main d’œuvre : dans certains logements, les portes ne se fermaient même pas. Les bureaucrates ont « riposté » avec l’argument suivant : « L’État vous donne un logement et vous, vous vous plaignez d’une porte. Ce n’est qu’un détail ! »411 Dans le même article de quotidien qui reportait l’incident, on affirmait que les victimes trouvaient les logements trop éloignés pour déménager et qu’ils préféraient vivre dans une tente (illégalement) mais en touchant l’aide au logement de l’État : toutes sources et quantités de revenus étaient utiles dans une zone où 150 000 personnes avaient perdu leurs emplois.412 Le 8 décembre on signalait dans Cumhuriyet que seule une infime partie des 2 600 logements préfabriqués construits à Yalova était occupée par les victimes de tremblement de terre.413 « La Promo pour les préfabriqués » était le titre de l’article paru dans Hürriyet le 13 décembre.414 On affirmait que « l’État ne pouvait pas convaincre les victimes de déménager dans les logements préfabriqués » : « Bien que la plupart des préfabriqués pour lesquels l’État s’est mobilisé afin de finir la construction à la date limite soient achevés à présent, les victimes hésitent toujours à quitter les tentes. […] Certaines victimes ont affirmé que « beaucoup de personnes qui vivaient dans les tentes étaient au chômage ». « Tout le monde sait à quel point le chômage est important dans la région. Dans les cités-tentes, nous recevons, même de piètre qualité, trois repas par jour. Egalement, nous bénéficions de l’aide au logement. Comment trouverons-nous de quoi manger si nous déménagions dans les préfabriqués ? En réalité nous aussi nous voulons avoir plus de confort mais notre souci principal est de survivre.»415 Le préfet chargé de la coordination dans la zone de catastrophe parlait de « promouvoir » le passage aux préfabriqués en faisant des dons matériels aux victimes désireuses de s’y installer.

La position du gouvernement, en particulier celle du ministère de l’Equipement était délicate : l’État l’avait promis, toutes les victimes de tremblement de terre seraient au chaud en hiver. Même si elle avait été hautement contestée par les corps professionnels, il avait « inventé » cette solution qui, par ailleurs, avait été rapidement mise en application. Les médias avaient d’ailleurs reconnu que, dans ce sens, il avait eu « plus de succès que

411 « Depremzede Geçici Konutlara Ilgi Göstermedi », Cumhuriyet, 2 décembre 1999, p.3. 412 « Iki Yıldır Değişen Birşey Yok », Cumhuriyet, 16 août 1999, p.7.

413 « Çadırdan Ayrılmıyorlar », Cumhuriyet, 8 décembre 1999, p.3.

414 ÇATAK, Mehmet, « Prefabrik Promosyonu », Hürriyet, 13 décembre 1999, p.24 415 Ibid.

l’État italien qui n’avait pas pu résoudre la question du logement des victimes du séisme de l’Ombrie [Italie] ».416 Or, à présent la conduite des victimes mettait en cause « la solution », donc la compétence du ministère, et automatiquement celle du gouvernement. En fait, la façon dont le ministère avait pris en charge la question du logement, mais aussi la question de la reconstruction n’a pas été différente par rapport aux catastrophes précédentes : « Ankara » avait conçu une solution sans chercher à obtenir la concertation entre les différents acteurs concernés par la question.417 Par conséquent, la politique suivie était inadaptée à la réalité du terrain, comme le prouvait le refus des victimes de s’installer dans ces logements, malgré les conditions hivernales. « Ankara ne peut pas élaborer des politiques » disait Yavuz Donat : « Même si les préfabriqués étaient terminés aujourd’hui, la plupart resteraient vides […] Prenez les cités-tentes de l’armée à Yalova par exemple. Les tentes sont de fabrication turque, avec trois couches de tissu, complètement isolées contre le froid et le chaud. Elles contiennent un salon, une salle de bain et une chambre, ce qui fait une superficie totale de 32 m2. Il existe une école dans la cité, aussi bien qu’un épicier, une crèche et un café. Dans les tentes, il y a des télés et des frigos. Ajoutons qu’on distribue trois repas par jour aux habitants. Et maintenant, la question de Sefa Sirmen, le maire d’Izmit : ‘Qui laisserait ce confort pour aller dans une maison préfabriquée de 29 m2, mais qui ?’ Nous n’avons pas pu trouver de réponse à cette question. »418 Par ailleurs, le maire soulevait une question importante, celle du coût des logements préfabriqués : « Ils nous apportent de nouvelles ruines tandis que nous nous débarrassons des anciennes. » affirmait le maire. « Si vous ajoutez le coût de l’infrastructure, le coût total des préfabriqués a égalé celui des logements définitifs. Et comme vous le constatez, personne ne s’installe dans ceux-ci. »419

Naturellement, le gouvernement a appliqué une série de mesures pour « convaincre » les victimes de tremblements de terre, comme arrêter l’aide matérielle aux citoyens qui préféraient vivre dans les tentes, arrêter la distribution des repas chauds, vider et ramasser les tentes de force, etc.420 Par exemple dans le département de Kocaeli, le

416 « Bizimki Daha Becerikli Çıktı », Hürriyet, 18 décembre 1999, p.1.

417 Par exemple, le ministère de l’Equipement a interdit d’élaborer des plans d’urbanisation et d’accorder tous

permis de construction ou de réparation pendant 5 mois, pour les municipalités des départements touchés par le séisme. « Belediyelerin Artık Imar Yetkisi Yok », Hürriyet, 23 août 1999, p.11. Ainsi, le ministère a assuré son contrôle sur la reconstruction.

418 DONAT, Yavuz, « Bugün 30 Kasım », Sabah, 30 novembre 1999, p.21.

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