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Partie I. Les tremblements de terre de Marmara 1999

Section 4. Les enjeux associés au séisme

1. La dimension « internationale » du désastre

« Le seul ami d’un Turc est un autre Turc » est une expression qui revient fréquemment lors des discussions politiques en Turquie, surtout en ce qui concerne la politique internationale. En effet, si les relations entre la République turque et les autres États sont marquées, selon les Turcs par un « racisme anti-turc latent », il est certain qu’il y a une part de paranoïa de la part des Turcs eux-mêmes.349 Beaucoup de Turcs ont tendance à croire qu’ils sont entourés de nations ennemies qui chercheraient à anéantir leur pays à toute occasion et que la Turquie est toujours « toute seule » sur le plan international. Cette perception paraît, bien sûr, contradictoire avec le fait que la République turque s’est empressée de devenir membre de toutes les organisations internationales importantes dès leur création : la Société des Nations, les Nations Unies, l’OTAN, l’OCDE, le Conseil de l’Europe, la Conférence de l’Islam, la Communauté de coopération économique de la Mer Noire… Néanmoins, cela dévalorise peu le mythe de « conspiration étrangère » qui continue à influencer les élites turques, comme l’affirme Stephen Kinzer.350 En effet, cette vision trouve ses origines dans l’histoire de la Turquie, mais aussi dans la construction et l’utilisation de l’historiographie officielle (cf. Encadré La Turquie et le « monde extérieur »).

349 Voir, par exemple, l’interview dans la revue Géopolitique avec Mümtaz Soysal, ancien ministre turc des

affaires étrangères et un intellectuel de la gauche « républicaine ». Ses propos résument très bien les discours sceptiques, anti-européens que nous voyons apparaître dans de nombreuses situations politiques en Turquie. (Géopolitique, avril 2000, p.32-35)

La Turquie et le « monde extérieur »

Deux traumatismes ont marqué les fondateurs de la République turque. Le premier était le démembrement long et – humainement parlant – douloureux de l’Empire ottoman, qui a duré presque deux siècles. Le deuxième était l’occupation de la Turquie actuelle (les derniers territoires ottomans) par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale. Ces deux traumatismes ont eu des résultats intéressants (et importants). Par exemple, le démembrement de l’Empire a été un des éléments stimulant la modernisation turque : les défaites militaires, puis les pertes de territoire devant les puissances européennes ont poussé les élites ottomanes à s’interroger sur les raisons de la supériorité militaire et économique de ces pays. Le nationalisme turc est également né en réaction aux nationalismes qui ont vu le jour dans les territoires soumis. Quant au traumatisme de 1918, il a scellé l’idée que les puissances européennes conspiraient pour partager « le territoire turc ». Par contre, il faut admettre que l’Europe a joué un rôle important dans le démembrement de l’Empire ottoman, en « exportant » d’abord l’idée de nationalisme, ensuite en incitant les « peuples ottomans » à se soulever. Parfois, « les nouvelles nations » ont bénéficié d’un soutien politique et militaire étranger, comme dans le cas grec. Donc en 1918, les élites turques nationalistes se voyaient privées de leur pays par le traité de Sèvres (10 août 1920). Ce traité ne prévoyait pas seulement l’occupation militaire de leurs zones respectives par les Alliés, mais aussi l’attribution de territoires d’une superficie considérable aux populations non-turques. Le traité laissait aux Turcs « un état croupion sans grande identité », selon l’expression d’Olivier Roy.351 Notamment, l’impact

de ce traité considéré comme humiliant par les Turcs et l’occupation alliée qui l’a suivi ont provoqué des mouvements de résistance en Anatolie qui ont été unifiés et habilement dirigés par Mustafa Kemal et ses compagnons lors de la guerre d’indépendance turque (1919-1922).

Nous pouvons comprendre pourquoi les fondateurs de la République considéraient cette guerre comme un « dernier sursaut », une « lutte pour la survie » qui allait marquer la fin d’un recul de près de deux siècles devant l’Europe. En conséquence, cette vision est devenue un élément principal du nationalisme turc et, naturellement, de l’histoire officielle. « Le syndrome de Sèvres » est transmis d’une génération à l’autre par le biais de l’Education nationale, qui rappelle aux jeunes Turcs que « les Européens gardent la carte de Sèvres dans leur poche ». Egalement, il existe un « anti-Sèvres » dans l’historiographie turque : le traité de Lausanne où les frontières actuelles de la Turquie ont été reconnues (24 juillet 1923). Soulignons que le discours sur la « Turquie menacée » est une source de légitimité politique dans le contexte turc. La Turquie a de nombreux points de discorde avec les pays voisins, ce qui cause de temps en temps des tensions. Mais en réalité, les cas où la menace était concrète (comme les demandes de territoires de l’URSS à l’époque stalinienne) ont étés rares. Encore aujourd’hui, les hommes politiques, les bureaucrates et les militaires peuvent s’appuyer sur le discours de « menace extérieure / conspiration étrangère » pour se justifier. Pour les militaires qui construisent leur perception du monde sur une logique de défense nationale, cela n’est peut-être pas étonnant. Par contre, la classe politique et les autorités publiques n’hésitent pas exploiter ce discours afin d’échapper aux critiques, aux pressions ou à l’opposition.

351 ROY, Olivier (édit.), La Turquie d’aujourd’hui, un pays européen ?, Collection Tour du Sujet,

D’autre part, il faut admettre qu’une série d’événements politiques récents ont renforcé cette perception chez les Turcs. Les prises de position des gouvernements européens sur un certain nombre de questions (la crise de Chypre, la question arménienne, l’irrédentisme kurde) sont jugées comme « anti-turques » en Turquie. Par exemple, le soutien politique accordé au PKK dans certains pays européens au cours des années 90352 ou la reconnaissance publique du génocide arménien par la Commission européenne et par les parlements d’un certains nombre de pays en Europe, ont largement contribué à crédibiliser la thèse de « l’Europe anti-turque » en Turquie.

Le séisme du 17 août 1999 a frappé la Turquie au moment de l’apogée des sentiments anti-européens, quelques mois à peine après l’arrestation d’Abdullah Öcalan, le leader de l’organisation terroriste PKK à l’ambassade de Grèce à Nairobi, à la suite d’une longue évasion en Europe. À part les scandales causés sur le plan international par cette évasion, le déroulement de l’incident a suscité une importante colère démesurée au sein de la population turque : à ses yeux, l’Europe avait accordé pendant des mois son soutien à « l’ennemi public n° 1 » de la Turquie, le pays voisin avait tenté de le cacher, ce qui prouvait la réalité du « complot européen anti-turc ».353

Dans ce contexte, l’aide internationale à la suite du séisme du 17 août a été une grande surprise pour la société turque. Parmi les équipes de sauvetage qui sont arrivées en Turquie, les premières ont été les équipes grecques et israéliennes. D’autres les ont suivies : de Russie, d’Allemagne, de Suisse, de France… non seulement d’Europe et des pays voisins de la Turquie, mais même de pays « lointains » : Corée, Bangladesh, Mexique, Kirghizistan, Ouzbékistan, États-Unis et bien d’autres. Une soixantaine de pays au total, sans compter les agences internationales, ont envoyé des équipes spécialisées, du matériel spécifique, des dons (en nature et en argent). Dans la première semaine suivant le 17 août, la presse turque a consacré beaucoup de place à l’aide internationale en qualifiant les pays donateurs « d’amis des mauvais jour ».354 A plusieurs reprises, on a dressé des listes indiquant « quel pays a envoyé quoi », souvent accompagnées de photos des équipes étrangères au travail et des remerciements de la part de la nation turque.355

352 Voire les annexes pour la question kurde.

353MANGO, Andrew, The Turks Today, John Murray, Londres, 2004, p. 98-100. 354 ERGAN, Uğur, « Karagün Dostları », Hürriyet, 24 août 1999, p.8.

355 Par exemple, voir « Dört bir yandan yardım eli uzandı », Cumhuriyet, 18 août 1999, p.9 ; « En Büyük

Yardım Israil’den Geldi », Cumhuriyet, 19 août 1999, p.4 ; « Almanya’dan 110 Kişilik Madenci Ekibi Geliyor », Cumhuriyet, 22 août 1999, p.3 ; « Yardım Yağıyor », Hürriyet, 18 août 1999, p.13 ; KAPTAN, Faik et alii. « Yardım Ekipleri Ulaşan Ülkeler, Hürriyet, 19 août 1999, p.2 ; « 51 Ülkeden Yardım Geliyor »,

À travers ces articles, la société turque a connu un type d’étranger solidaire et altruiste, qui « déployait des efforts surhumains nuits et jours pour sauver la vie des victimes piégées dans les décombres ».356 La presse a vite remarqué l’utilité de cette typologie comme instrument de critique contre le gouvernement. La prompte réaction et l’habileté des équipes étrangères faisaient un grand contraste avec la situation de l’administration turque. Dire que « les étrangers étaient là » était une autre façon de dire que « les responsables turcs n’y étaient pas ». Ce contraste a probablement dérangé certains politiques ou bureaucrates aussi. Comme nous l’avons déjà évoqué, le ministre de la Santé avait tenté de dénigrer l’aide internationale. À cet égard, par exemple le quotidien Hürriyet « dédiait à monsieur le ministre » un article sur le médecin arménien qui avait sauvé une victime du séisme. Dans le texte on racontait le récit du sauvetage recueilli de la bouche du dit médecin (en soulignant tout de même qu’il était un arménien né en Turquie)357 Dans d’autres articles, on lisait les propos des sauveteurs étrangers critiquant le manque de préparation et d’organisation des autorités turques. Par exemple, d’après un article paru dans Hürriyet, le chef de l’équipe allemande disait que « les hommes politiques turcs ne font que bavarder, non seulement ils nous ont alertés tardivement mais en même temps ils ne font rien ».358 Il vaut mieux rester prudent au sujet de l’authenticité de ces déclarations sachant que les membres des équipes de sauvetage évitent de faire, par principe, des critiques « politiques » lors des opérations à l’étranger. Autrement dit, nous pouvons imaginer que celles-ci peuvent très bien être les propos du journaliste lui-même qui cherche à faire ses critiques sous couverture.

Le 19 août 1999, Sabah a publié sur une page complète des images des équipes de sauvetage au travail avec comme titre « Les Héros ».359 Les sous-titres étaient plus intéressants (et plus instructifs) que l’article même : « [Donc] l’humanité n’est pas morte », « Le monde est plein de gens gentils [des gens de bonne volonté] ». On évoquait les pays d’origine des « héros » puis on finissait par une remarque, ou plutôt une dénonciation encore plus surprenante : « Les seuls maillons qui manquent à cette chaîne de solidarité internationale sont malheureusement nos frères musulmans. Aucune réaction de la part de l’Arabie saoudite ni des Emirats du Golfe. » 360 Apparemment, si l’altruisme était devenu monnaie courante en un jour, cela ne concernait pas toutes les nations. La presse turque qui

356 ERGAN, Ibid.

357 LÜLE, Zeynel, « Adalet Hanımı Ermeni Doktor Kurtardı », Hürriyet, 27 août 1999, p.27. 358 GERZ, Rauf, « Alman Uzmanlardan Politikacılara Eleştiri », Hürriyet, 23 août 1999, p.7. 359 « Kahramanlar », Sabah, 19 août 1999, p.24.

s’est beaucoup attachée à souligner le rôle de la Grèce et des Grecs n’a pourtant pas été aussi « chaleureuse » envers les Arabes. À plusieurs reprises, on a dénoncé l’insensibilité des pays musulmans au sujet des séismes de Marmara. Par exemple, même un an après le 17 août 1999, on accusait, dans un tableau publié dans Hürriyet, les pays musulmans d’insensibilité, à l’inverse des États-Unis et des pays européens.361 Or, c’était une information erronée : l’Arabie saoudite, le Bangladesh, les Emirats arabes Unis, l’Egypte, l’Indonésie, l’Irak, le Koweït, le Pakistan avaient activement pris part aux secours et parfois à la réhabilitation.362 Par ailleurs, les pays du Golfe (l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes Unis, le Qatar, l’Oman) ont même accordé des crédits à très bas taux d’intérêt pour la reconstruction. 363 D’après Tınç, les autorités turques ont mis plus de six mois pour finalement leur soumettre un projet afin de voir les fonds débloqués.

Mais il faut préciser que cette hostilité ne concerne pas l’ensemble de la presse turque car les quotidiens islamistes ont beaucoup critiqué cette attitude et ont essayé de favoriser l’aide musulmane, pour « contrer » la presse « non-croyante ».364 Dans Zaman, Kırımlı attirait l’attention sur les efforts d’autres pays comme la Russie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et les remerciait en affirmant qu’il fallait traiter ces pays sur un pied d’égalité sans « se servir du tremblement de terre pour des buts idéologiques » comme ceux qui « discriminaient les pays musulmans ». À son avis, cette attitude était aussi erronée que celle des nationalistes extrémistes qui refusaient toute aide étrangère. Il soulignait également que la Turquie « n’avait rien fait pour les séismes qui ont eu lieu en Afghanistan ou en Iran ».365 Si les propos de Kırımlı semblent cohérents, il faut indiquer aussi que beaucoup d’auteurs islamistes ont tenu des discours tout à fait idéologiques sur cette question :

« On essaye de transformer le séisme en une guerre de propagande idéologique. On a souligné dès les premières heures après le tremblement de terre comment les pays occidentaux se sont précipités pour nous secourir, Israël en premier ; combien de personnes les sauveteurs français ont aidé ou les chiens avec l’étoile du David ont sauvé. […] On dirait que l’Occident essaye de faire une guerre psychologique pour réparer ‘son image d’ange’ brisée en Bosnie. Pour quelques chiens et quelques millions de dollars d’aide

361 TÜFEKÇI, Hasan, « Depremin Itibar Skalası », Hürriyet, 17 août 2000, p.18.

362 Voir les tableaux 51, 66, 69 dans Afet Saha Araştırma Raporu de ASK, l’Association pour le soutien de

la coordination civile contre la catastrophe, Istanbul, 2004, pp. 52-85.

363 TINÇ, Ferai, « Projesizlik Yüzünden Geç Kalan Yardım », 18 août 2000, p.20.

364 Voir, par exemple la une de Zaman le 30 août 1999 consacrée à cette question « Arapları Üzdük » [Nous

avons brisé le cœur des Arabes].

qu’ils ont envoyés, on oublie leur hypocrisie et regrette les critiques qui ont été faites. […] Il faut discuter concernant qui a envoyé de l’aide et pourquoi. Si la question est de juger les civilisations, il n’y a aucune raison pour préférer la Grèce au Bangladesh. »366 Soulignons la remarque de l’auteur à propos d’Israël ; ce type de remarques « anti-sionistes » a vu le jour dans les articles d’autres journalistes des quotidiens islamistes. On a affirmé aussi que l’équipe d’Israël était arrivée non pas pour aider les Turcs mais pour sauver une vingtaine d’Israéliens qui se trouvaient à Gölcük au moment du séisme.367 Le point intéressant dans les propos ci-dessus est le fait que l’auteur accuse la presse laïque de faire la propagande de l’Occident, donc de politiser la question des aides internationales, alors qu’il affirme bel et bien une position politique.

En fin de compte, nous voyons que la presse laïque, en négligeant l’aide des pays musulmans, et la presse islamiste, en la favorisant, font la même chose : exprimer une position politique sous prétexte de parler de l’aide étrangère ; ce qui montre encore une fois qu’une catastrophe peut devenir un objet et un outil politique sous tous ses aspects. Le choix des pays favorisés par les deux côtés faisait suite à un antagonisme qui existait déjà avant le tremblement de terre. En prenant position par rapport aux pays étrangers qui ont aidé la Turquie, les journalistes turcs redéfinissent leur rapport à la scène politique turque, ils font connaître leur tendance idéologique et critiquent « le camp adverse ». Quant au mépris réservé aux pays musulmans et particulièrement aux pays arabes par une partie des médias, nous pensons qu’il faut en chercher la raison principale dans le processus de modernisation turque : à l’origine, il peut se résumer à un principe simple qui est « la rupture quasi-totale avec l’Orient ». À savoir un changement très profond au cours duquel les Turcs ont adopté des manières de pensée et de vivre occidentales, afin de « rattraper et dépasser l’Occident ». C’est un processus qui a démarré au XIXe siècle et qui, malgré tout, continue toujours. La plupart des pays musulmans sont méprisés par les Turcs pour ne pas « avoir avancé d’un cran depuis des siècles ». Surtout les pays du Golfe sont particulièrement dénigrés et désignés comme des cas exemplaires de « non- dévéloppement », sauf par les islamistes comme nous l’avons vu. Dans ce contexte, être moderne, c’est refuser l’Orient et tout ce qui est considéré comme appartenant à l’Orient. Il faut ajouter que les pays qui se trouvent sur les ex-territoires ottomans doivent leur mauvaise réputation à « un vieux compte historique » non réglé aussi : selon la version

366 EMRE, Akif, « Depremde Propagada Savaşı », Yeni Şafak, 27 août 1999.

367 Par exempe, « Deprem ve Israil » de Nasuhi Güngör paru dans Yeni Şafak le 29 août 1999 et « Tek

turque de la Première Guerre mondiale, ces populations ont « trahi » les Turcs en collaborant avec les Britanniques qui leur avaient promis leur indépendance et en « poignardant le soldat turc dans le dos ».

Revenons à la question de l’aide étrangère. Dans les jours suivants, une proposition s’est de plus en plus généralisée et a fini par devenir une conclusion qu’on a tirée de la catastrophe : « Les étrangers sont arrivés avant l’État turc».368 « L’aide internationale qui coule en Turquie a mis fin à la haine de l’étranger que certains mentalités voulaient établir dans notre pays » disait Sertoğlu.369 Le 24 août, les quotidiens Zaman et Yeni Şafak ont remercié les équipes étrangères à l’occasion du départ de la plupart d’entre elles. Dans Zaman, le titre était clair : « Le séisme a brisé des tabous ». On affirmait que les aides des pays étrangers allaient probablement « pousser les Turcs à revoir leur préjugés et certains slogans » [allusion à « le Turc n’a pas d’autre ami que le Turc »].370 Dans Yeni Şafak, on remerciait « l’étranger » et s’excusait pour l’impolitesse du ministre de la Santé.371 Dans Sabah, « Un des bons côtés du tremblement de terre » affirmait Çandar, « doit être les failles qu’il a causées dans la mentalité de notre peuple. Ces failles dans l’inconscient ont suscité un changement de mentalités et l’absurdité de la maxime « Le Turc n’a d’autre ami qu’un autre Turc » est restée sous les décombres. « Le nationalisme brut » encouragé par les dirigeants du pays jusqu’à aujourd’hui est devenu un débris en soi à cause de l’incapacité des dirigeants mais aussi grâce aux mains qui se sont tendues depuis les quatre coins du monde […] »372 D’autre part, certains des chroniqueurs se trouvaient dans un optimisme exagéré comme Tamer : « Moi j’appelle cela la réconciliation. Nous nous sommes réconciliés avec l’Occident. Nous avons laissé les maux et les frottements derrière nous. Nous avons la chance de tout recommencer »373

Çandar faisait allusion au « nationalisme » dans le contexte turc uniquement mais, de façon symétrique, le tremblement de terre semble avoir créé des failles dans les mentalités en Grèce aussi. Depuis les années 50, les relations turco-grecques étaient tendues pour de nombreuses raisons : la situation respective des minorités turque et grecque dans les deux pays, Chypre, les disputes concernant la souveraineté dans la mer Egée, le soutien accordé aux irrédentistes kurdes par la Grèce (ce qui a abouti à une crise

368 Voir par exemple, ALTAN, Ahmet, « Köktendevletçilerin Bağımsız Türkiye’si », Sabah, 21 août 1999,

p.22.

369 SERTOĞLU, Sedat, « Yeni Dönem », Sabah, 30 août 1999, p.16. 370 « Deprem Tabu Yıktı », Zaman, 24 août 1999.

371 « Teşekkürler Yabancı », Yeni Şafak, 24 août 1999.

372 ÇANDAR, Cengiz, « Enkaz Kaldırma », Sabah, 2 septembre 1999, p.19. 373 TAMER, Rauf, « Dışta ve Içte », Sabah, 27 août 1999, p.14.

importante lors de l’arrestation du chef du PKK à Nairobi). À chaque fois, « la fierté nationale » avait largement contribué à aggraver la situation et parfois poussé les dirigeants à prendre des décisions irréalistes. Pourtant, seulement quelques mois après l’arrestation d’Öcalan, les premiers avions à atterrir à Istanbul dans le but d’apporter de l’aide et du secours ont été les avions appartenant à l’armée de l’air grecque. Egalement, le gouvernement grec avait envoyé des avions citernes pour aider les responsables turcs à

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