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Le code du travail en matière d’évaluation comme moyen de contrôle d’une juridiction D’entrée de jeu, je précise que pour aider à la mémoire du lecteur par rapport à des

CHAPITRE 4. UN DEUXIÈME REGISTRE D’ANALYSE INTERPRÉTATIF : Le

4.2 Le code du travail en matière d’évaluation comme moyen de contrôle d’une juridiction D’entrée de jeu, je précise que pour aider à la mémoire du lecteur par rapport à des

situations professionnelles explicitées précédemment, je reprendrai à certaines sections quelques extraits qui ont déjà été cités au chapitre 3. Comme annoncé, je propose ici une interprétation sociologique de la signification du code du travail en matière d’évaluation des apprentissages défini comme une mise en ordre d’une juridiction. Comme le fait valoir Abbott (1988, 2003), les professions sont l’espace d’un jeu pluriel d’interactions et d’influences réciproques entre les membres d’un groupe professionnel et les divers autres acteurs qui se situent dans la périphérie de leur activité de travail. De fait, les dynamiques professionnelles qui s’y déploient au travers des actions des acteurs à la périphérie de l’activité viendraient menacer en permanence le contrôle que les membres du groupe professionnel exercent sur leur juridiction, c’est-à-dire leur sphère de travail. Abbott distingue ainsi deux dynamiques de protection de l’activité

professionnelle : une dynamique interne, qui amène le groupe à multiplier les efforts pour élaborer des formes de réponses aux problèmes de leur activité, et une dynamique externe, faite de jeux de concurrence dans lesquels la légitimité du contrôle de l’activité est menacée par les autres acteurs évoluant à la périphérie. Ces processus pourraient bien décrire les dynamiques associées à la reconstruction du savoir-évaluer des enseignants formés à l’étranger façonnées par les interactions socialisantes des pairs qui se présentent ici comme une forme de contrôle de leur « juridiction ». Comme on le verra, ce contrôle de la juridiction repose sur un cadre d’analyse qui balise les deux sphères interprétatives dans lesquelles doivent s’inscrire les manières d’évaluer, d’une part (cf. section 4.2.1), et les processus mobilisés par les acteurs pour concurrencer ou contrôler le monopole de l’accomplissement de l’activité d’évaluation des apprentissages, d’autre part (cf. section 4.2.2).

4.2.1 Le cadre d’analyse de la juridiction concernant la mise en œuvre de l’évaluation Tout intervenant utilise un ensemble de normes et de valeurs à partir desquelles il porte des jugements – personnels, culturels ou professionnels – sur l’individu ou le groupe d’individu auprès duquel il exerce sa pratique, désigné comme le bénéficiaire de l’intervention; la situation qui a donné lieu à l’intervention; et le rapport entre le bénéficiaire et la situation; cet ensemble de normes et de valeurs sera désigné comme le cadre d’analyse de l’intervenant.

St-Arnaud, L’interaction professionnelle, 2003, p.186.

Je l’ai fait valoir, en s’intégrant dans les écoles montréalaises, les enseignants formés à l’étranger reconstruisent leur savoir-évaluer dans un contexte social où l’expertise d’évaluer les apprentissages ne leur est pas exclusif. De fait, pour les aider à gérer ou anticiper des situations professionnelles potentiellement conflictuelles, les membres du groupe professionnel les socialisent au cadre d’analyse commun représentant, dans la perspective d’Abbott, la juridiction dans laquelle ils doivent inscrire leurs manières d’évaluer. Cette juridiction serait constituée de deux éléments principalement : (a) la réussite de l’élève comme finalité de l’évaluation des apprentissages et (b) l’éthique de la bienveillance comme sens de l’évaluation. Comme on le verra, la prise en compte de ce cadre d’analyse pour l’intervention en matière d’évaluation des apprentissages permettrait aux enseignants formés à l’étranger de participer au maintien du monopole de leur groupe professionnel sur leur activité de travail menacée par les partenaires à l’intérieur (i.e. les élèves), comme à l’extérieur (i.e. les parents) de la juridiction.

4.2.1.1 La réussite de l’élève comme finalité de l’évaluation des apprentissages

L’une des fonctions clés de l’évaluation des apprentissages à laquelle les enseignants formés à l’étranger sont socialisés par les membres de leur groupe professionnel, les collègues et les conseillers pédagogiques principalement, c’est celle d’aide à l’apprentissage, qui vise la réussite du plus grand nombre d’élèves. On l’a vu précédemment (cf. sections 3.2.2, 3.2.3 et 3.2.5), l’idée d’inscrire leurs différentes interventions auprès des élèves, sous le dénominateur commun de la visée formative de l’évaluation semble se dessiner en trame de fond des conseils et suggestions qu’ils reçoivent des divers membres de leur groupe professionnel. Comme on le verra, trois éléments associés à la réussite de l’élève comme finalité de l’évaluation semblent faire l’objet d’une socialisation en regard des tensions qu’ils soulèvent : a) l’exigence de différenciation de l’évaluation pour certains élèves à besoins spécifiques; b) la conception de l’erreur comme source d’apprentissage; c) le jugement des productions des élèves à partir de critères variés.

Ce que signifie différencier l’évaluation pour être juste envers tous les élèves ?

Une des dimensions associées à la réussite des élèves et qui fait objet de tension entre les enseignants formés à l’étranger et leurs partenaires scolaires concerne la différenciation dans la mise en œuvre de l’évaluation. On l’a vu avec les exemples de Békir (cf. section 3.2.2), certains enseignants formés à l’étranger manifestent de la résistance quant à l’exigence de différencier l’évaluation. Les mesures de différenciation définies en termes d’accommodements pour certaines catégories d’élèves souffrant de handicap contrastent avec leurs représentations de ce que signifie « être juste » envers les élèves lors de l’évaluation. Alors qu’eux interprètent la justice en tant que traitement égalitaire pour tous les élèves, dans leur nouveau contexte d’enseignement, celle-ci implique de leur appliquer un traitement différencié. J’ai montré que deux des enseignants formés à l’étranger, Békir et Nabila, ont exprimé leur malaise face à l’exigence de s’y conformer, surtout Békir qui lui assimile la différenciation à du « favoritisme ». J’ai montré que par le fait même qu’ils n’adhèrent pas à l’idée de différencier l’évaluation pour les élèves souffrant de handicap, les enseignants formés à l’étranger se retrouvent devant une impasse. D’une part, ils sont dans l’impossibilité de dominer ces situations professionnelles nouvelles avec les savoir-faire relevant de leur expérience antérieure. D’autre part, dans leur nouveau contexte d’enseignement, l’exigence de différencier l’évaluation pour accommoder les

élèves est une mesure forte du code du travail en matière d’évaluation des apprentissages. Sa transgression peut avoir des conséquences graves, si l’on tient compte du fait que dans les écoles montréalaises, cela est valable pour tout le Québec, les mesures de différenciation font l’objet de prescriptions formelles.

Au sens d’Abbott, on parlerait ici d’une sphère névralgique de la pratique, surveillée par les partenaires scolaires, sans doute, en raison du fort enjeu de réussite éducative pour tous les élèves. C’est sur ce plan qu’on mesure la médiation des éducateurs spécialisés qui les socialisent aux manières d’évaluer les élèves TDAH pour leur donner des chances de réussite égales à celles des autres. Cette part d’humanisme qu’ils découvrent dans la mise en œuvre de l’évaluation changerait leurs représentations de ce que signifie l’acte d’évaluer. On a vu précédemment, au travers des exemples de Fatima et Békir (cf. section 3.2.2), qu’avec la médiation des membres de leur écologie professionnelle qui leur partagent les manières de faire qui fonctionnent, celles de leurs pairs notamment, ils adhèrent à l’idée de placer tous les élèves dans des conditions qui favorisent leur réussite. La différenciation de l’évaluation semble ainsi trouver un sens qui mérite qu’ils acceptent d’ajuster leurs manières d’évaluer. En d’autres mots, les enseignants formés à l’étranger apprennent à réinterpréter les situations professionnelles qu’ils rencontrent à la lumière d’un cadre interprétatif plus humaniste. Ce cadre interprétatif est au cœur du code du travail en matière d’évaluation des apprentissages.

Ce qu’implique une conception de l’erreur comme source d’apprentissage?

Une autre zone de tension entre les enseignants formés à l’étranger et leurs partenaires scolaires est surtout en lien avec une vision non déficitaire de l’erreur. Une des dimensions associées à la réussite de l’élève comme finalité de l’évaluation concerne la place qui lui est accordée dans l’évaluation des apprentissages des élèves. J’ai souligné que les enseignants formés à l’étranger sont socialisés, dans le pays d’origine, à pénaliser les élèves pour les erreurs qu’ils commettent. Cette situation contraste avec le contexte des écoles montréalaises et celui du Québec en général dans lequel l’erreur est mobilisée dans une visée formative. Le défi pour les enseignants formés à l’étranger c’est que cette autre manière de voir l’erreur doit se manifester par un changement important dans les pratiques quotidiennes, tel que le souligne Fatima : « on

m’a expliqué que je dois récupérer l’erreur […] pour mon travail de remédiation » (DS-CC-

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