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Comme annoncé dès l’introduction, l’intérêt de ma recherche doctorale s’est porté sur l’ajustement des pratiques d’évaluation des enseignants formés à l’étranger aux normes et valorisations québécoises. J’ai souligné la pertinence sociale de cet objet en montrant l’importance des enseignants formés à l’étranger pour l’École québécoise, appréciée sous divers angles : (a) ils atténuent la pénurie de main-d’œuvre liée à l’attrition des enseignants, aux départs à la retraite, aux réorientations de carrières, etc.; (b) ils assument un rôle social dans l’intégration scolaire des enfants d’origine immigrante, leur servant au minimum de modèles positifs; (c) ils servent de médiateurs entre l’école et les familles dans le contexte où les effectifs d’élèves sont

13 Le concept l’acculturation est à comprendre dans le sens de la définition qu’en donne Yinger (1981), c’est-à-dire

un processus de changement vers une plus grande similarité culturelle. L’acculturation est une caractéristique de la perspective assimilationniste (Gordon, 1964). Aux États-Unis, cette perspective a dominé la sociologie de l’immigration et des relations ethniques, après la Deuxième guerre mondiale (Rumbault, 2005).

de plus en plus diversifiés sur le plan ethnique. Leur intégration socioprofessionnelle en enseignement est donc une question importante, une question socialement vive, en particulier à Montréal où ils sont nombreux à intégrer la profession enseignante.

Or, je l’ai relevé, au Québec, l’enseignement prend place dans un contexte social et culturel de plus en plus exigeant, notamment en termes d’appropriation de compétences professionnelles, d’obligation de résultats et de nouveaux rapports enseignement-apprentissage- évaluation. Si ce contexte pose des défis à tous les enseignants, cela est d’autant vrai pour les enseignants formés à l’étranger souvent moins habitués à l’usage pédagogique de TIC en classe, à la diversité, aux rapports hiérarchiques plus horizontaux, à l’approche par compétences et en particulier à l’évaluation intégrée aux situations d’enseignement-apprentissage. En raison de son potentiel d’aide à l’apprentissage, la fonction de soutien de l’évaluation compte beaucoup dans la culture d’imputabilité des résultats à l’œuvre au Québec et dans laquelle l’action quotidienne de chacun des acteurs doit contribuer à l’atteinte des standards attendus. Elle conduit à une autre façon de problématiser la relation entre apprentissage, évaluation et enseignement, voire à développer un autre rapport au métier.

En effet, venant souvent d’un système scolaire qui fonctionne selon le mode réussite / échec (ex-colonies françaises notamment) et qui écarte donc plusieurs élèves qui sont en difficulté par rapport aux standards, souvent dès le primaire, les enseignants formés à l’étranger ont à développer un autre rapport à l’évaluation en intégrant les écoles québécoises : les élèves ont un cycle de 2 ou 3 ans pour réaliser les apprentissages prévus au primaire et au secondaire, au terme duquel ils peuvent redoubler; au secondaire plus particulièrement, il existe différents cheminements particuliers qui font en sorte que les élèves restent relativement longtemps dans le système scolaire, au minimum jusqu’à 14 ans (arrêt du caractère obligatoire de l’école). Dans cette optique, force est de constater que les enseignants formés à l’étranger s’intègrent dans une communauté professionnelle et travaillent dans un contexte pour lequel ils n’ont pas été initialement formés, c’est-à-dire qu’ils ne pensent pas d’emblée l’évaluation en termes de soutien aux apprentissages.

Ce qu’on sait jusqu’à présent, notons-le, c’est que la recherche a approché le phénomène de l’intégration socioprofessionnelle des enseignants formés à l’étranger par les tensions qui le

traversent, celles des défis, des difficultés, des conflits de culture. Ainsi, c’est surtout une perspective déficitaire qui a été retenue, comme si les enseignants formés à l’étranger devaient combler l’écart entre ce qu’ils savent et ce qu’ils devraient savoir, tant au plan des relations au travail que des pratiques d’enseignement prises au sens large. Malgré la « fièvre évaluative » (Damon, 2009) qui affecte l’ensemble des pays occidentaux depuis plus d’une décennie, malgré le fait qu’il s’agit d’une question socialement vive entre autres au Québec, leurs pratiques d’évaluation en particulier ont fait l’objet d’un intérêt négligeable. La recherche a aussi surtout approché le phénomène de l’intégration socioprofessionnelle des enseignants formés à l’étranger selon une perspective individuelle, se centrant sur leur vécu subjectif recueilli par des entretiens individuels. Ce faisant, elle néglige l’inscription sociale du phénomène, les rapports entre le groupe formé par des enseignants immigrants qui s’intègrent au groupe formé par les enseignants qui œuvrent déjà dans les écoles québécoises et qui ont des manières de faire stabilisées, notamment en matière d’évaluation. Ainsi, on connaît très peu quelles sont les pratiques d’évaluation des enseignants formés à l’étranger et la façon dont ils s’accommodent des exigences liées au soutien continu des apprentissages des élèves (évaluation formative continue). Lorsque la recherche évoque cette question, c’est par la bande et uniquement dans la perspective d’une énumération des difficultés rencontrées (Martineau & Vallerand, 2007; Mujawamariya, 2000, 2008) ou de l’explication des sources de conflits culturels (Chassels, 2010 ; Hutchison & Jazzar, 2007). Ainsi, un examen attentif n’a pas encore été réalisé en relation avec les pratiques évaluatives, encore moins sous un angle compréhensif qui offrirait une alternative à la perspective normative dominante.

Ce portrait de la situation rehausse la pertinence sociale et scientifique de fonder cette thèse sur l’ajustement aux normes et valorisations québécoises des pratiques d’évaluation des enseignants formés à l’étranger, pour comprendre comment, au cours de leur processus d’intégration à Montréal en particulier où ils se concentrent, ils adaptent leurs manières de faire au travers de leurs interactions avec les acteurs de leur communauté professionnelle d’accueil. Il faut bien comprendre que, s’intégrer au plan professionnel dans une autre culture et un nouveau contexte de travail, c’est non seulement comme le dit Morrissette14 apprendre à se désocialiser pour se resocialiser, c’est-à-dire rompre avec la culture de travail antérieure pour s’en approprier une autre, mais aussi apprendre à problématiser autrement les situations de travail rencontrées. Ainsi, la question générale de recherche est formulée de la manière suivante:

Comment les enseignants formés à l’étranger ajustent-ils leurs pratiques d’évaluation en s’intégrant dans les écoles montréalaises ?

Cette question appelle une théorie de l’apprentissage pour éclairer ce processus d’ajustement, que je bricole à l’aune d’une théorie de l’agir professionnel et d’un certain (socio)constructivisme.

1.2 LE CADRE THEORIQUE: Une théorie de la reconstruction du savoir d’expérience

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