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1.2 LE CADRE THEORIQUE: Une théorie de la reconstruction du savoir d’expérience Comme je l’ai fait valoir, ma recherche repose sur l’hypothèse selon laquelle l’expérience

1.2.1 Une théorie de l’agir professionnel et le savoir d’expérience

1.2.1.1 Qu’entend-on par savoir d’expérience ?

Dans la présente section, je propose une définition du savoir d’expérience en le situant d’abord par rapport à certains des différents types de savoirs identifiés dans le domaine des savoirs enseignants. Comme on le verra, je retiens une conception élargie de ce concept, compte tenu de la particularité des acteurs au cœur de ma recherche doctorale, soit les enseignants formés à l’étranger. Ils se distinguent par le fait qu’ils ont pour la grande majorité des années de pratique en enseignement dans leurs pays d’origine et, en raison de ce capital d’expérience, ils s’inscrivent dans la perspective d’une continuité de carrière dans le même domaine au Québec.

D’emblée, il faut remarquer que l’enseignement fait partie, avec la médecine entre autres, de ces divers domaines de la pratique professionnelle qui se démarquent par la codification des savoirs à la base du métier. Au cours des dernières décennies, il s’est développé dans la recherche en éducation une tendance à catégoriser les savoirs enseignants, et ce, notamment depuis les travaux de Shulman (1986, 1987). Cet auteur a constaté que les recherches sur les savoirs des enseignants avaient soit une orientation disciplinaire, soit une orientation pédagogique. Elles ne permettaient pas de distinguer des catégories aux fondements des savoirs enseignants (knowledge

base). Il a donc proposé une conceptualisation qui distingue différents types de savoirs portant

sur: (1) les contenus d’enseignement, (2) la pédagogie, (3) le curriculum, (4) les connaissances pédagogiques liées au contenu, (5) les apprenants et les apprentissages, (6) le contexte éducatif,

(7) les finalités de l’éducation, sa philosophie, ses valeurs, ses buts et objectifs. Selon l’auteur, cette typologie reflèterait l’ensemble des savoirs nécessaires pour cheminer avec succès dans la profession enseignante.

À sa suite, d’autres auteurs ont proposé une typologie se voulant au plus près de la pratique quotidienne du métier, à partir d’un découpage analytique des pratiques enseignantes. Parmi une pléthore de propositions, pointons par exemple Altet (2001, 2008) qui distingue quatre types de savoirs relative à la pratique enseignante : (1) des savoirs à enseigner, savoirs disciplinaires acceptés comme les contenus légitimes à transmettre en classe au moyen de la transposition didactique; (2) des savoirs pour enseigner, savoirs didactiques ou savoirs pédagogiques élaborés par les sciences de l’éducation ou la didactique des disciplines dans le but d’aider l’enseignant à cadrer son action dans un processus d’enseignement-apprentissage intelligible; (3) des savoirs sur enseigner, savoirs procéduraux (le comment faire) issus d’une formalisation de la pratique à partir de l’expérience qui ressort du contact quotidien avec la réalité de terrain; (4) des savoirs de la pratique, savoirs contextuels issus de l’expérience et mis en mots par la théorisation ou construits de façon implicite par le praticien dans l’action.

Un peu dans le même ordre d’idées, mais sous un registre différent, Malo (2000) propose de considérer une autre typologie qui renvoie à ce que les enseignants mobilisent dans leur pratique quotidienne : (1) des savoirs curriculaires, savoirs de type prescriptifs définis dans les programmes de formation ; (2) des savoirs disciplinaires, savoirs spécifiques aux différentes disciplines retenues comme pertinentes pour la formation des élèves (i.e. mathématique, français, etc.); (3) des savoirs pédagogiques, savoirs de formation professionnelle portant plus généralement sur le contexte scolaire, la classe, l’enseignement, l’apprentissage ; et (4) des savoirs d’expérience, savoirs relevant non pas des institutions de formation ou des curricula, mais plutôt considérés comme acquis, requis et actualisés, dans le cadre de la pratique du métier enseignant.

Chez Desgagné et ses collaborateurs (2013), le savoir d’expérience renvoie à un travail délibératif – c’est la « conversation réflexive » chez Schön ; j’y reviens. Pour ces auteurs, il s’agit d’un savoir relevant d’un choix d’action éclairé par une fine analyse des enjeux des situations

indéterminées qui caractérisent la pratique professionnelle, une manière de juger de ce qui convient dans des situations singulières et qui aident également à développer une meilleure compréhension de sa pratique. Comme le relèvent les auteurs, ce « savoir y faire » (expression qu’ils empruntent à Delbos et Jorion, 1984) s’acquiert dans l’interaction.

D’autres typologies ont été proposées par des auteurs, par exemple Barbier (1996, 2011; voir aussi Barbier et Galatanu, 2004) et Mialaret (2011), leurs travaux se rejoignant sur l’intérêt qu’ils portent à la complémentarité des différents savoirs et à leur volonté de mettre en relief l’importance de l’action comme lieu d’émergence de savoirs singuliers. Barbier (2011) distingue deux catégories de savoirs complémentaires : (1) d’une part, des savoirs théoriques, généralement assimilés aux savoirs disciplinaires; ils renvoient à des savoirs savants donnés d’avance; (2) d’autre part, des savoirs d’action, généralement assimilés aux savoirs d’expérience; ils renvoient à des savoirs opérationnels, informels, spontanés, des habiletés acquises dans et par l’action et mobilisées dans la pratique. Selon l’auteur, ces savoirs de type pratique15, considérés comme malléables et ajustés à l’action, résulteraient en grande partie de l’interaction.

Un constat à faire est que la recherche établit une nette distinction entre le savoir d’expérience et les autres catégories de savoirs dont les enseignants font usage. Ce n’est pas ce choix qui est reconduit ici, car le savoir d’expérience d’un enseignant formé à l’étranger se constituerait de l’ensemble de tous les savoirs acquis et consolidés antérieurement dans la pratique et avec lesquels il aborde son nouveau contexte de travail. Ainsi, le concept de savoir d’expérience est ici mobilisé dans une perspective élargie et dans le sens d’un savoir de type empirique (Altet, 2002, 2004, 2008) ou de connaissance ouvragée (Tardif & Lessard, 1999/2012), c’est-à-dire un savoir façonné en situation de travail, durant les années de métier. Il reflète l’ensemble des savoirs d’actions souvent implicites, des théories, des habiletés, des routines, des automatismes et des façons de faire ou des savoirs-y-faire issus de l’action « réussie » et des expériences quotidiennes de la profession, soit les savoirs que l’enseignant a accumulés tout au

15 Il est important de considérer ici les travaux de Darré (1977, 1999), même si ceux-ci réfèrent à un domaine –

l’agriculture – qui n’est pas celui de l’enseignement. Cet auteur ne privilégie pas la distinction hiérarchisée des savoirs, notant que celle-ci relève davantage d’une question de valorisation sociale qui place les savoirs des classes dominées en dessous de ceux des classes dominantes. Dans la perspective de l’auteur, les savoirs pratiques ne sont donc pas des formes dégradées des savoirs dits savants.

long de l’évolution de sa carrière professionnelle (Altet, 2008 ; Barrère, 2002 ; Demailly, 1991). Il s’agit d’un savoir pratique, contextualisé et évolutif, qui implique des façons-types de problématiser les situations de travail et d’y réagir.

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